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Date : 20230419


Dossier : IMM-2680-22

Référence : 2023 CF 570

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 19 avril 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

THIERNO ABDOUL BAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Thierno Abdoul Bah, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] rendue le 21 décembre 2021 [la décision] par un agent principal [l’agent], au titre du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans la décision, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Bah serait exposé à plus qu’une simple possibilité de préjudice ou de persécution s’il était renvoyé en Guinée, son pays de citoyenneté prétendu. La décision faisait suite à des décisions défavorables de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et de la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui avaient toutes deux rejeté la demande d’asile de M. Bah parce qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve attestant son identité et son statut de citoyen de la Guinée.

[2] M. Bah demande l’annulation de la décision. Il soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve et qu’il a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en évaluant de façon fictive le risque auquel il serait exposé en cas de renvoi en Guinée.

[3] Après avoir examiné les motifs de l’agent, la preuve dont il disposait et le droit applicable, je ne vois aucune raison d’annuler la décision. Les motifs de l’agent concernant le refus d’admettre de nouveaux éléments de preuve et son évaluation du risque possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent eu égard aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Aucun motif ne justifiant l’intervention de la Cour, je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Bah.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[4] M. Bah prétend être un citoyen de la Guinée. Il dit craindre d’être persécuté en Guinée en raison de ses opinions politiques et de son appartenance au parti de l’opposition, l’Union des Forces démocratiques de Guinée [l’UFDG]. M. Bah ajoute qu’il craint également d’être persécuté en raison de son origine ethnique peule.

[5] M. Bah est arrivé au Canada en mars 2015 et a demandé l’asile. La SPR et ultérieurement la SAR ont rejeté sa demande d’asile au motif qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir son identité.

[6] En juin 2021, M. Bah a présenté une demande d’ERAR et une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elles ont toutes deux été rejetées.

B. La décision relative à l’ERAR

[7] L’agent a commencé son analyse en examinant les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Bah pour les besoins de sa demande d’ERAR en tenant compte des critères établis à l’alinéa 113a) de la LIPR et dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]. M. Bah avait déposé un grand nombre de documents, y compris des articles sur les conditions dans le pays, des documents concernant son identité, des lettres de particuliers, de groupes et d’organisations au Canada, des relevés bancaires et de carte de crédit, ainsi que les certificats de naissance de ses enfants. L’agent a conclu que M. Bah n’avait pas expliqué pourquoi les documents n’auraient pas pu être présentés plus tôt, puisqu’ils étaient datés d’avant la décision de la SAR ou contenaient des renseignements normalement accessibles avant celle-ci. De plus, selon l’agent, certains des documents contenaient des renseignements qui avaient déjà été pris en considération par la SAR et la SPR. Par conséquent, l’agent a conclu que les documents n’étaient pas des « éléments de preuve survenus depuis le rejet » au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR et ne pouvaient pas être admis pour les besoins de la demande d’ERAR.

[8] L’agent a ensuite procédé à l’évaluation du risque auquel M. Bah serait exposé s’il était renvoyé en Guinée. Il a d’abord conclu que, puisque M. Bah n’avait pas établi son identité, il était impossible de faire le lien entre la preuve et le risque auquel M. Bah était personnellement exposé. Néanmoins, l’agent a effectué une évaluation du risque en Guinée, le pays de destination, en se fondant sur le profil de M. Bah. Il a conclu que, même si M. Bah était en mesure de prouver son identité, la preuve n’avait pas une valeur probante suffisante pour établir qu’il serait exposé à un risque de persécution ou de torture en Guinée en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à l’UFDG, de son origine ethnique peule ou de son statut de demandeur d’asile débouté.

[9] L’agent a conclu que M. Bah n’avait pas établi qu’il serait exposé à une possibilité de persécution ou de préjudice personnel s’il était renvoyé en Guinée.

C. La norme de contrôle

[10] M. Bah soutient que, selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la première question en litige (l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, tandis que la seconde question en litige (l’entrave au pouvoir discrétionnaire de l’agent, qui n’a pas évalué le risque auquel M. Bah serait exposé en Guinée) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à tous les aspects de la décision relative à l’ERAR.

[11] Je suis d’accord avec le ministre (Rinchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 437 au para 15, renvoyant à Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 36; Ashkir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 861 aux para 10 et 12; Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 aux para 19-20; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032 au para 15; et Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797 au para 19). Depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse applicable au contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond est basé sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable s’applique dans tous les cas (Vavilov, au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour de justice; la deuxième est celle où la question faisant l’objet du contrôle appartient à l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada] au para 27; Vavilov, aux para 10 et 17). Aucune des questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire ne justifie l’application de la norme de la décision correcte.

[12] La norme de la décision raisonnable s’intéresse à la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Vavilov, aux para 83 et 87). Une décision raisonnable est justifiée par des motifs transparents et intelligibles qui révèlent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov, aux para 86 et 99). La cour de révision doit connaître les contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur était assujetti (Vavilov, aux para 90 et 99), et s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve » dont il disposait (Vavilov, au para 125). Elle doit concentrer son attention sur la décision rendue par le décideur administratif, en particulier sur sa justification, et non sur la conclusion qu’elle aurait elle-même tirée si elle avait été à la place du décideur.

[13] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Pour que la cour de révision puisse infirmer une décision administrative, les lacunes ne doivent pas être simplement superficielles. La cour doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

A. L’exclusion de nouveaux éléments de preuve

[14] Il n’est pas contesté que, pour être admis dans le cadre d’une demande d’ERAR, tout nouvel élément de preuve présenté par un demandeur d’asile doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR, comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza. L’alinéa 113a) est ainsi rédigé :

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[15] Des critères d’admissibilité plus précis pour les nouveaux éléments de preuve ont été élaborés dans l’arrêt Raza, dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que les nouveaux éléments de preuve doivent être crédibles, pertinents, nouveaux, substantiels et respectueux des conditions légales explicites (Raza, au para 13).

[16] La question en litige est celle de savoir si, à la lumière de la jurisprudence applicable et des documents présentés par M. Bah, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles. M. Bah soutient que l’agent a interprété de façon étroite le critère énoncé dans l’arrêt Raza et a commis une erreur en refusant de nouveaux éléments de preuve en raison d’un simple détail technique, à savoir le fait qu’ils auraient dû être présentés plus tôt. Selon M. Bah, l’agent n’a pas examiné d’autres facteurs pertinents, comme la nature de la preuve, sa valeur probante, sa crédibilité et son importance dans l’affaire. Le ministre répond que non seulement l’agent a correctement examiné la question de savoir si les éléments de preuve auraient pu être présentés plus tôt, mais il a également expressément évalué leur nouveauté, leur pertinence et leur caractère substantiel, comme l’exige l’arrêt Raza.

[17] Je suis d’accord avec le ministre.

[18] M. Bah s’appuie fortement sur la décision Elezi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240 [Elezi] de notre Cour. Cependant, je ne suis pas convaincu que le précédent établi dans la décision Elezi est très utile en l’espèce. Premièrement, la décision Elezi est antérieure à l’arrêt Raza, et l’approche générale relative à l’admissibilité appliquée dans la décision Elezi n’a pas été suivie dans la jurisprudence subséquente (Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 [Sitnikova] au para 21). Deuxièmement, M. Bah ne mentionne pas que, dans la décision Elezi, le juge De Montigny a conclu que non seulement les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Elezi étaient extrêmement utiles pour l’évaluation de sa demande d’asile, « mais il eût été difficile, dans ces circonstances, de croire que M. Elezi aurait pu raisonnablement les présenter à la Commission » (Elezi, au para 43). Il s’agit d’une distinction importante par rapport à l’espèce, puisque, dans le cas de M. Bah, l’agent a clairement conclu non seulement que les renseignements contenus dans les documents présentés à titre de nouveaux éléments de preuve étaient antérieurs à la décision de la SAR, mais que M. Bah n’avait pas non plus expliqué pourquoi il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés avant.

[19] L’alinéa 113a) de la LIPR exige, à titre de condition expresse, que le demandeur établisse que les nouveaux éléments de preuve présentés dans le cadre d’une demande d’ERAR ne lui étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés auparavant. Si ce n’est pas le cas, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’« il n’est pas nécessaire de les considérer » (Raza, au para 13). Contrairement à ce qu’avance M. Bah, il ne s’agit pas d’un simple détail technique : il s’agit d’une exigence légale explicite qui, en soi, suffit à refuser de nouveaux éléments de preuve (Sitnikova, au para 19). Il va sans dire que l’agent n’aurait pas pu faire abstraction de ces exigences législatives précises. En l’espèce, M. Bah n’a présenté aucun élément de preuve montrant que de nouveaux éléments de preuve ne lui étaient pas normalement accessibles au moment du rejet par la SPR ou par la SAR ni, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés à ce moment-là.

[20] Qui plus est, dans son examen des nouveaux documents de M. Bah, l’agent ne s’en est manifestement pas tenu au seul libellé de l’alinéa 113a) de la LIPR. À plusieurs reprises, l’agent a fourni d’autres commentaires sur les documents présentés par M. Bah, soulignant que certains d’entre eux contenaient des renseignements qui avaient déjà été présentés à la SPR et à la SAR, ou concluant que d’autres n’avaient tout simplement pas une valeur probante suffisante pour établir l’identité de M. Bah. En somme, l’agent a appliqué les critères énoncés dans l’arrêt Raza à son analyse. L’agent a procédé à une évaluation détaillée et rigoureuse des documents présentés par M. Bah, y compris des lettres d’appui de personnes et de groupes au Canada, des lettres de la Fulani Cultural Association of Canada et de l’UFDG, des relevés bancaires et de carte de crédit et des certificats de naissance. Pour chaque nouvel élément de preuve, l’agent a effectué l’évaluation prévue à l’alinéa 113a) de la LIPR et requise par l’arrêt Raza. Aucun des nouveaux éléments de preuve n’a été jugé probant pour la détermination du risque ou l’établissement de l’identité de M. Bah.

[21] Par conséquent, je suis d’avis que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en refusant d’admettre les documents que M. Bah a présentés à titre de nouveaux éléments de preuve. Au contraire, l’agent a examiné attentivement les renseignements contenus dans les nouveaux éléments de preuve et les a raisonnablement évalués en fonction des exigences législatives et des critères établis dans l’arrêt Raza. Les conclusions de l’agent sur l’inadmissibilité des nouveaux éléments de preuve sont pleinement justifiées, transparentes et intelligibles. Elles commandent la retenue, et je ne vois aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

[22] Je dois souligner le fait que M. Bah attaque à tort la décision de la SPR et celle de la SAR et qu’il soutient qu’elles ont commis une erreur en rejetant ses pièces d’identité. L’ERAR n’est pas un appel ni un contrôle judiciaire de ces décisions. En fait, en l’absence de nouveaux éléments de preuve admissibles au titre de l’alinéa 113a) de la LIPR, l’agent d’ERAR doit respecter la décision défavorable de la SPR ou de la SAR (Raza, au para 13). Si M. Bah n’était pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il aurait dû demander le contrôle judiciaire de sa décision, ce qu’il n’a pas fait.

B. Caractère raisonnable de l’évaluation du risque effectuée par l’agent

[23] À titre de second argument, M. Bah affirme que l’évaluation du risque effectuée par l’agent est fictive, puisque le traitement de la preuve est si entaché par la conclusion de la SAR quant à l’identité que le risque n’a pas été évalué en fonction de son profil. M. Bah soutient également que, si l’Agence des services frontaliers du Canada est en mesure de le renvoyer, ce sera parce que la Guinée le reconnaît comme étant citoyen du pays, ce qui établirait son identité nationale. Par conséquent, dans la tentative de le renvoyer en Guinée, il y aurait une reconnaissance implicite de l’identité de citoyen de la Guinée de M. Bah. M. Bah soutient que, comme l’agent a déclaré à maintes reprises qu’il n’avait pas établi son identité, l’évaluation du risque était au mieux superficielle et incomplète.

[24] Je ne suis pas d’accord. Comme l’a souligné à juste titre le ministre, l’agent a poursuivi l’analyse au-delà de la question de l’identité et a examiné l’ensemble de la preuve concernant le risque de persécution auquel est exposé M. Bah à son retour en Guinée.

[25] Après avoir constaté qu’il ne pouvait pas lier les éléments de preuve à la situation de M. Bah parce que ce dernier n’avait pas établi son identité, l’agent a néanmoins effectué une autre analyse. Dans le cadre de cet exercice, il n’a pas examiné la question de l’identité de M. Bah et s’est concentré sur le risque auquel une personne ayant son profil serait exposée, en raison de ses opinions politiques, de son origine ethnique et de son statut de demandeur d’asile débouté. Cela diffère grandement de l’affaire Ladipo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 408 [Ladipo], sur laquelle s’appuie M. Bah, où l’agent d’ERAR avait rejeté la demande de M. Ladipo sans examen ou évaluation du risque parce que son identité n’avait pas été établie (Ladipo, aux para 5 et 11).

[26] En l’espèce, il ressort clairement des motifs que l’agent est allé au-delà de la question de l’identité, comme il devait le faire (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 379 au para 55). D’abord, en ce qui concerne la question du risque auquel M. Bah serait exposé en Guinée en raison de ses opinions politiques, l’agent a reconnu que la situation est problématique pour les opposants du gouvernement. Cependant, l’agent a constaté qu’il n’y avait pas de renseignements dans le cartable national de documentation concernant le traitement réservé aux opposants au gouvernement depuis son renversement en septembre 2021. De même, en ce qui concerne le risque auquel M. Bah serait exposé en raison de son origine ethnique, l’agent a conclu que la preuve documentaire objective n’établissait pas que les personnes d’origine ethnique peule sont persécutées en Guinée. Enfin, l’agent a conclu qu’à la lumière de la preuve dont il disposait, M. Bah n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque en cas de renvoi en Guinée en raison de son statut de demandeur d’asile débouté.

[27] Par conséquent, l’agent a conclu que, même si M. Bah avait établi son identité, la preuve n’avait pas une valeur probante suffisante pour établir qu’il serait exposé à un risque s’il était renvoyé en Guinée.

[28] Je prends le temps de souligner que, dans ses observations à la Cour, M. Bah n’a renvoyé à aucun élément de preuve au dossier minant ou contredisant les conclusions de fait de l’agent sur l’absence de risques pour M. Bah s’il était renvoyé en Guinée.

[29] Depuis l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance, et ils sont maintenant le point de départ de l’analyse. Ils sont le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties concernées qu’aux cours de révision (Vavilov, au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », démontrent que « la décision a été rendue de manière équitable et licite » et servent de bouclier contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov, au para 79). En bref, ce sont les motifs qui établissent la justification de la décision. Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Postes Canada, au para 31, renvoyant à l’arrêt Vavilov, au para 97).

[30] Les motifs donnés à l’appui d’une décision n’ont pas à être parfaits ni exhaustifs. En effet, la norme de contrôle de la décision raisonnable n’a rien à voir avec le degré de perfection de la décision, mais concerne plutôt son caractère raisonnable (Vavilov, au para 91). Toutefois, les motifs doivent être compréhensibles et justifiés. Le décideur administratif a l’obligation d’expliquer son raisonnement dans ses motifs (Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 au para 32). Certes, un manque de détails dans une décision ne la rend pas nécessairement déraisonnable, mais encore faut-il que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision contestée et de déterminer si la conclusion tient la route.

[31] Dans le cas de M. Bah, j’estime que le raisonnement de l’agent concernant son autre évaluation du risque fondée sur le profil de M. Bah ne révèle aucune faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique et que les motifs démontrent un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener l’agent à conclure comme il l’a fait (Postes Canada, au para 31; Vavilov, au para 102). Contrairement à ce que soutient M. Bah, je ne trouve pas que les motifs de l’agent sont inintelligibles ni même superficiels. Au contraire, ils montrent clairement que, même si l’agent n’était pas convaincu que l’identité de M. Bah avait été établie, il a néanmoins évalué consciencieusement le risque auquel M. Bah était exposé en fonction de son profil : l’agent a examiné le risque auquel il était exposé en raison de ses opinions politiques, le risque auquel il était exposé en raison de son origine ethnique peule et le risque auquel il était exposé en tant que demandeur d’asile débouté. Dans chaque cas, l’agent a conclu, après un examen approfondi et des renvois précis aux documents pertinents, que les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Bah n’avaient pas une valeur probante suffisante pour établir qu’il était exposé à un risque. Loin d’être superficielle, l’analyse de l’agent était détaillée, rigoureuse et méthodique.

[32] M. Bah n’a pas démontré l’existence de lacunes graves dans la décision et le raisonnement de l’agent. Il ne s’agit pas d’un cas où le décideur administratif a fait abstraction de la preuve au dossier ou « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126). La décision témoigne plutôt du raisonnement intrinsèquement cohérent suivi par l’agent.

IV. Conclusion

[33] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de M. Bah sera rejetée.

[34] Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2680-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2680-22

INTITULÉ :

THIERNO ABDOUL BAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 19 avril 2023

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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