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Date : 20230417


Dossiers : IMM-7634-21
IMM-8808-21

Référence : 2023 CF 559

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

NYASHA KIMBERLY TANYANYIWA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse est une citoyenne du Zimbabwe. Elle s’est enfuie aux États-Unis avec ses parents à l’âge de 13 ans. Craignant que le gouvernement américain précédent ne l’expulse, elle s’est enfuie seule au Canada en 2017 et a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée.

[2] La demanderesse a ensuite présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Un agent principal [l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire] a rejeté sa demande le 8 janvier 2020 [la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire]. Entre le moment où l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a tranché la demande et a communiqué sa décision à la demanderesse (une période de 22 mois environ), cette dernière a déposé plusieurs observations supplémentaires, ne sachant pas que la décision avait été rendue.

[3] Lorsque la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire lui a été communiquée, la demanderesse a présenté une demande de réexamen fondée sur les observations subséquentes que l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’avait pas prises en considération. L’agent responsable du réexamen a examiné les observations supplémentaires et a conclu que la décision initiale demeurait inchangée [la décision relative au réexamen].

[4] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire des deux décisions.

[5] La seule question à trancher dans les deux cas est de savoir si la décision était raisonnable. Autrement dit, la Cour doit établir si les décisions sont intelligibles, transparentes et justifiées, conformément à la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25, 99.

[6] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la demanderesse se soit acquittée du fardeau qui lui incombait dans les deux affaires : Vavilov, précité, au para 100. Par conséquent, je rejetterai les deux demandes de contrôle judiciaire.

II. Analyse

A. Décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[7] La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur trois facteurs que j’aborde tour à tour ci-dessous : l’établissement au Canada, les difficultés en cas de retour au Zimbabwe et l’intérêt supérieur des enfants, à savoir les nièces et les neveux de la demanderesse au Canada.

1) Établissement

[8] Je ne suis pas convaincue que le traitement réservé au facteur de l’établissement par l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est déraisonnable. Les motifs permettent à la Cour de comprendre la justification de l’agent concernant le poids accordé à ce facteur.

[9] L’agent a examiné les éléments de preuve concernant la famille de la demanderesse au Canada, ainsi que son emploi, son travail bénévole et ses activités parascolaires. Il lui était loisible de conclure qu’il s’agit dans tous les cas de facteurs favorables, mais d’accorder tout de même peu de poids au facteur de l’établissement dans son ensemble pour les motifs exposés. Je suis convaincue, contrairement aux observations de la demanderesse, que l’agent a tenu compte de l’interruption potentielle de son établissement. L’agent a mentionné, par exemple, l’absence d’éléments de preuve montrant que la demanderesse ne pouvait pas mener des activités similaires au Zimbabwe.

[10] De plus, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’agent n’a pas conclu que le niveau d’établissement de la demanderesse était affaibli parce que ses liens au Zimbabwe étaient plus solides que ses liens au Canada. L’agent a plutôt résumé de façon raisonnable les éléments de preuve présentés au sujet de l’endroit où vit la famille de la demanderesse. À mon avis, l’agent n’a pas effectué une analyse de la façon dont les liens familiaux de la demanderesse au Zimbabwe l’emportent ou non sur son établissement au Canada, et il n’était pas tenu de le faire non plus.

2) Difficultés

[11] À mon avis, le traitement que l’agent a réservé au facteur des difficultés reposait raisonnablement sur l’insuffisance de la preuve, y compris l’absence d’éléments de preuve concernant la demande d’asile que le père de la demanderesse a présentée aux États-Unis en raison de ses liens avec le parti politique de l’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique [le MCD] au Zimbabwe, et l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle a elle-même participé aux activités de ce groupe. L’agent a noté, par exemple, que la demanderesse ne possédait pas de carte de membre, alors que celles de ses parents avaient été versées en preuve.

[12] En outre, j’estime qu’il ne peut être reproché à l’agent de ne pas avoir tenu compte d’un argument que la demanderesse n’a pas présenté dans ses observations sur les considérations d’ordre humanitaire – et qui n’est donc pas admissible devant la Cour –, soit que la demanderesse serait perçue comme ayant les mêmes opinions politiques que ses parents. Plus précisément, l’agent a de nouveau souligné l’absence d’éléments de preuve, cette fois-ci quant à savoir si la demanderesse avait participé aux activités du MCD ou s’était intéressée à l’arène politique du Zimbabwe depuis son arrivée au Canada.

[13] À mon avis, les observations de la demanderesse au sujet du traitement que l’agent a réservé à son absence du Zimbabwe et à ses liens familiaux dans son pays d’origine dans le cadre de son évaluation des difficultés équivalent à un désaccord avec la façon dont l’agent a apprécié la preuve. Malgré ses observations contraires, j’estime que la demanderesse exhorte essentiellement la Cour à apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, précité, au para 125. J’ajoute que le simple fait qu’il était loisible à l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de tirer une autre conclusion au sujet des liens familiaux de la demanderesse au Zimbabwe ne signifie pas que l’évaluation de l’agent était erronée : Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 563 au para 11; Solis Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 203 au para 43.

[14] De plus, à mon avis, la demanderesse n’a pas démontré en quoi l’agent a commis une erreur en concluant à l’absence d’éléments de preuve établissant un lien entre la preuve de conditions défavorables dans le pays et la situation personnelle de la demanderesse : Paramanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1417 au para 19. La conclusion de l’agent repose sur l’absence d’éléments de preuve concernant l’endroit où la demanderesse vivrait à son retour au Zimbabwe ou la façon dont les membres de sa famille qui vivent là-bas sont touchés par les conditions dans le pays. J’estime plutôt que l’agent a raisonnablement tenu compte de l’ampleur et de la nature des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être confrontée à son retour au Zimbabwe en établissant un lien entre, d’une part, les conditions générales dans le pays et, d’autre part, les compétences manifestes de la demanderesse et le soutien familial dont elle bénéficierait : Vujovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1301 au para 32.

3) Intérêt supérieur de l’enfant

[15] Je conclus également que la demanderesse n’a pas démontré que l’agent a commis une erreur importante à la lumière de la preuve au dossier lorsqu’il a rendu sa décision en janvier 2020. L’agent a surestimé le fait que les nièces et les neveux de la demanderesse (les enfants de sa sœur et de sa cousine) ne dépendaient pas d’elle, mais il a néanmoins tenu compte des périodes où la demanderesse s’occupait des enfants (le soir et la fin de semaine). À mon avis, la surestimation ne suffit pas pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Comme l’agent l’a mentionné, la demanderesse travaillait à temps plein et elle n’était donc pas la personne s’occupant principalement des enfants. L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’incidence qu’aurait une séparation sur les enfants.

[16] L’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’a pas mentionné précisément que la demanderesse vivait avec sa sœur et sa jeune nièce, mais les éléments de preuve mis à jour dont disposait l’agent responsable du réexamen montrent que ce n’est plus le cas. À mon avis, si l’affaire était renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la question serait théorique, compte tenu du témoignage de la demanderesse quant à ses nouvelles conditions de vie et au fait qu’elle ne vit plus avec sa sœur et les enfants de celle-ci. Autrement dit, à mon avis, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à un agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pour ce motif : Vavilov, précité, au para 142.

B. Décision relative au réexamen

[17] En ce qui concerne la décision relative au réexamen, même si elle aurait pu être formulée plus clairement, je suis convaincue que l’agent a rejeté la demande de réexamen et qu’il n’a pas procédé à un réexamen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, contrairement à ce que la demanderesse prétend. Je suis également convaincue que, malgré sa brièveté, la décision relative au réexamen n’est pas déraisonnable dans les circonstances.

[18] « Même en l’absence de longs motifs, voire de tout motif, la priorité dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est d’“examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision” et de découvrir le raisonnement sous‑jacent » : Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1638 au para 34, citant Vavilov, précité, aux para 77, 137. Comme le rappelle la Cour d’appel fédérale : « tout ce que peut faire la cour de révision est d’examiner le caractère raisonnable du résultat auquel en est arrivé le décideur administratif, en se fondant sur les documents à l’appui, les circonstances et tout élément de raisonnement, s’il y en a, dont elle dispose » : Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 au para 54.

[19] Il n’est pas contesté que la jurisprudence établie décrit un processus en deux étapes pour le traitement des demandes de réexamen. Dans un premier temps, l’agent doit se demander s’il y a lieu de « rouvrir le dossier », et s’il décide de permettre le réexamen, la deuxième étape consiste à réexaminer la décision sur le fond : A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1206 [A.B.] au para 21, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gurumoorthi Kurukkal, 2010 CAF 230 au para 5.

[20] En l’espèce, les parties ne s’entendent pas quant à savoir si une décision a été rendue à la première étape, comme l’a fait valoir le défendeur, ou à la seconde étape, comme l’a fait valoir la demanderesse. Je suis convaincue que l’agent s’en est tenu à la première étape. Comme l’a souligné le juge Pentney : « [u]n agent devra inévitablement examiner les motifs avancés pour justifier la réouverture d’une décision, ce qui suppose de tenir compte dans une certaine mesure des observations du demandeur sur la question de savoir pourquoi il est dans l’intérêt de la justice ou nécessaire dans les circonstances de revoir la décision initiale » : A.B., précitée, au para 31.

[21] J’estime que c’est exactement ce que l’agent a fait dans la présente affaire, puisqu’il a dit [traduction] « après avoir examiné les observations supplémentaires ». Contrairement à la situation examinée par la juge Walker dans la décision Katumbus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 428 au para 18, dans la présente affaire, l’agent n’a mentionné aucun des facteurs pris en considération dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ni procédé à une analyse de ces facteurs. Il a simplement mentionné que [traduction] « la décision initiale de refuser votre demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire demeure inchangée ». Il s’agit d’une conclusion logique touchant le refus de réexaminer la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Même si la décision relative au réexamen est brève, après avoir examiné les observations supplémentaires de la demanderesse dans le contexte des observations initiales concernant les considérations d’ordre humanitaire, je conclus que la décision relative au réexamen est compatible avec le rejet d’une demande de réexamen et que, comme il a déjà été mentionné, une telle décision n’est pas déraisonnable dans les circonstances.

III. Conclusion

[22] Les affaires comme celle-ci servent de rappel quant au fait que « les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection » : Vavilov, précité, au para 91.

[23] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai donc les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse.

[24] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et j’estime qu’il n’y en a aucune dans les circonstances.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-7634-21 et IMM-8808-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse sont rejetées.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-7634-21 et IMM-8808-21

INTITULÉ :

NYASHA KIMBERLY TANYANYIWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

DATE DES MOTIFS :

LE 17 avril 2023

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Stock

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Monique Ann Ashamalla

Ashamalla LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDEresse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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