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Date : 20230413


Dossier : IMM-4047-22

Référence : 2023 CF 542

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ALI MAGHAMI

MONIRE BAGHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Ali Maghami et Mme Monire Baghi, sa femme, sont des citoyens de l’Iran. M. Maghami demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis de travail présentée au titre du Programme de mobilité internationale et du Programme de visa pour démarrage d’entreprise. L’agent a également rejeté la demande de permis de travail présentée par Mme Baghi, qui espérait accompagner son mari au Canada.

[2] L’agent n’était pas convaincu que M. Maghami quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui était applicable, comme l’exige le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Le Programme de visa pour démarrage d’entreprise a été décrit assez longuement par le juge Andrew Little aux paragraphes 5 à 16 de la décision Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 916. Le ministre fait remarquer que M. Maghami a présenté une demande de permis de travail avant d’avoir reçu une décision sur une demande de résidence permanente.

[4] Dans sa demande, M. Maghami a expliqué qu’il avait l’intention d’assumer les fonctions de directeur des techniques informatiques [DTI] de l’entreprise en démarrage dénommée Cocooncloud Technologies Inc [Cocooncloud]. M. Maghami est l’un des fondateurs de Cocooncloud, une entreprise constituée en société le 26 juin 2021 en Colombie‑Britannique. Cocooncloud développe des logiciels-services en nuage privé.

[5] La demande de M. Maghami était accompagnée d’un certificat d’engagement et d’une lettre de soutien de la société Biomedical Commercialization Canada Inc, exploitée sous le nom de Manitoba Technology Accelerator, un incubateur d’entreprises et une entité désignée visée par le paragraphe 98.03(1) du RIPR. L’entité désignée a confirmé que M. Maghami possédait suffisamment de ressources financières pour subvenir à ses besoins pendant la période de validité du permis de travail, c’est‑à‑dire 52 semaines.

[6] Dans le certificat d’engagement et la lettre de soutien, l’entité désignée a avancé que M. Maghami devait obtenir un permis de travail avant d’obtenir la résidence permanente pour les [traduction] « raisons urgentes » indiquées ci‑dessous :

[traduction]

Cocooncloud est une solution intégrée de logiciel-service en nuage privé que différents types d’organisations peuvent utiliser afin de déployer facilement leur propre plateforme spécifique sur place et à distance, à un coût très concurrentiel. En quelques clics et avec les autorisations d’accès nécessaires, la plateforme Cocooncloud serait déployée directement à partir de notre tableau de bord vers le site souhaité. Les protocoles de sécurité de Cocooncloud assurent la sécurité de l’information et la confidentialité des données, ce qui permet une utilisation sécurisée des courriels, du calendrier, de la messagerie, des vidéoconférences ainsi que du partage et de la synchronisation des données.

[7] Le ministre note qu’aucune de ces raisons ne porte sur la question du caractère urgent.

[8] L’entité désignée a également souligné le caractère [traduction] « essentiel » du rôle de M. Maghami et a affirmé que celui-ci devait venir au Canada avant d’obtenir sa résidence permanente pour les [traduction] « raisons professionnelles urgentes » suivantes :

[traduction]

L’équipe doit constituer l’entreprise en société, ouvrir des comptes en banque, trouver des bureaux et s’y installer, employer du personnel et établir des partenariats sur place pour lancer les activités commerciales. De plus, nous devons mettre en place notre centre de données, nos logiciels en nuage et la plateforme avec les services nécessaires, négocier avec les clients, évaluer les marchés, participer à des événements professionnels, développer notre relation d’affaires avec Manitoba Technology Accelerator et acquérir certaines licences et certains certificats. Toutes ces activités exigent une présence physique au Canada.

[9] Le ministre fait remarquer que Cocooncloud était déjà constituée en société et que les tâches restant à accomplir étaient d’ordre général et pouvaient être réalisées à distance ou par une autre personne que le DTI.

[10] Les notes de l’agent versées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font partie de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5). Les notes de l’agent dans le SMGC indiquent :

[traduction]

J’ai examiné la demande.

L’emploi envisagé par le demandeur au Canada ne semble pas raisonnable en raison des éléments suivants.

Le demandeur a présenté sa demande au titre du Programme de visa pour démarrage d’entreprise afin d’établir Cocooncloud, une solution intégrée de logiciel-service en nuage privé que différents types d’organisations peuvent utiliser afin de déployer facilement leur propre plateforme spécifique sur place et à distance. Le demandeur est le DTI de l’entreprise.

Le dossier ne contient aucun plan d’affaires et les informations fournies concernant l’objet de l’entreprise sont vagues et mal documentées.

Les statuts constitutifs ont été fournis, mais les détails sur la structure de l’entreprise n’ont pas été versés au dossier et donc les droits de vote requis ne peuvent pas être évalués.

Le demandeur a décrit ses responsabilités, mais étant donné qu’il a fourni des informations insuffisantes concernant les activités précises qu’il effectuera au Canada, je ne suis pas convaincu qu’il a démontré un besoin professionnel urgent de venir au Canada ni que sa visite présentera des avantages pour le Canada.

Ayant examiné les facteurs qui s’appliquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Pour toutes ces raisons, je rejette la demande.

[11] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour interviendra uniquement si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[12] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont remplis si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86, renvoyant à Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[13] M. Maghami soutient que la demande de l’agent de fournir un plan d’affaires et les détails de la structure de l’entreprise Cocooncloud n’était pas raisonnable. Il affirme qu’aucune de ces exigences ne figure dans les dispositions législatives ou les documents de politique pertinents (à cet effet, il renvoie au site [traduction] « Permis de travail pour les demandeurs de visa pour démarrage d’entreprise » d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, consulté le 26 juillet 2022; https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada/visa-demarrage/permis-travail.html [le guide de demande]).

[14] Selon le guide de demande (à la section 2), les critères d’admissibilité au Programme de visa pour démarrage d’entreprise sont les suivants :

[traduction]

Pour être admissible à un permis de travail, vous devez :

avoir l’intention d’habiter dans une province ou un territoire autre que le Québec;

payer les frais relatifs à la conformité de l’employeur;

avoir reçu un certificat d’engagement et une lettre de soutien d’une entité désignée expliquant pourquoi vous êtes indispensable et pourquoi il y a un besoin urgent à votre entrée au Canada (c’est‑à‑dire la section 8.0 du certificat d’engagement doit être dûment remplie);

avoir suffisamment de fonds, déterminés en utilisant le seuil de faible revenu (SFR), pour subvenir aux besoins de votre famille pendant 52 semaines.

[15] M. Maghami soutient que sa demande satisfaisait à toutes ces exigences et que le refus de l’agent était donc fondé sur des considérations non pertinentes.

[16] Le ministre répond que le guide de demande décrivait uniquement les exigences d’admissibilité au Programme de visa pour démarrage d’entreprise. Le demandeur doit aussi satisfaire aux critères généraux pour les permis de travail en vertu du paragraphe 200(1) et de l’alinéa 205a) du RIPR. L’alinéa 205a) du RIPR porte que :

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

  • a)il permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents; […]

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

  • (a)would create or maintain significant social, cultural or economic benefits or opportunities for Canadian citizens or permanent residents; […]

[17] Le ministre soutient qu’il incombait à M. Maghami de démontrer que l’objet de l’entreprise était raisonnable et qu’il représenterait des avantages significatifs pour le Canada. Il n’était pas suffisant que M. Maghami fournisse des renseignements incomplets puis s’attende à ce que l’agent demande des explications ou des précisions. Au contraire, « il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible » (Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 10).

[18] M. Maghami fait valoir que l’entité désignée a approuvé son projet d’entreprise, comme le confirment le certificat d’engagement et la lettre de soutien. Il indique que l’agent n’avait pas compétence pour écarter l’évaluation de l’entité désignée ni pour exiger des renseignements supplémentaires. Je ne suis pas de cet avis.

[19] L’agent n’était pas lié par l’évaluation de l’entité désignée. Celle‑ci était simplement une opinion que l’agent pouvait prendre en compte. L’agent a considéré à juste raison que les affirmations selon lesquelles le rôle de M. Maghami était essentiel et que sa présence au Canada était requise de façon urgente étaient vagues et mal documentées.

[20] Un degré peu élevé d’équité procédurale est dû aux demandeurs de permis de travail. Le rejet d’une demande n’implique pas de conséquences graves, car le demandeur est toujours en mesure de présenter une nouvelle demande de permis de travail (Sulce, au para 10).

[21] M. Maghami affirme qu’il était déraisonnable pour l’agent de rejeter sa demande sans d’abord la faire évaluer par un comité d’examen par les pairs en vertu de l’article 98.09 du RIPR. Cependant, l’évaluation par les pairs n’est pas obligatoire et l’agent qui demande une évaluation indépendante n’est pas lié par celle‑ci, selon les paragraphes 98.09(1) et 98.09(4) du RIPR. Par ailleurs, le ministre est d’avis que le processus d’évaluation par les pairs s’applique exclusivement aux demandes de résidence permanente et non aux demandes de permis de travail.

[22] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4047-22

 

INTITULÉ :

ALI MAGHAMI ET MONIRE BAGHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

Pour les demandeurs

 

Brett J. Nash

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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