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Date : 20230412


Dossier : IMM-3369-22

Référence : 2023 CF 511

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE:

NAGENDIRAM SHANTHAKUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur a présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, demande qui a été rejetée. Il prétend que la décision rendue par l’agent responsable de sa demande est déraisonnable et devrait être annulée. Pour les motifs qui suivent, je conviens que la décision est déraisonnable.

[2] Le demandeur, un citoyen tamoul du Sri Lanka, est arrivé au Canada le 11 juillet 1995 et a présenté une demande d’asile, qui a été accueillie le 31 janvier 1996. Il a ensuite obtenu sa résidence permanente et a parrainé sa famille, notamment sa femme et ses deux enfants. Le 1er octobre 2003, le demandeur a perdu son statut de résident permanent à la suite d’une condamnation pour contacts sexuels.

[3] La décision faisant l’objet du contrôle est celle liée à la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la première demande ayant été rejetée en 2013.

[4] L’agent responsable de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a effectué un examen, divisé en trois rubriques : antécédents et statut d’immigration, degré d’établissement, et risque et conditions défavorables dans le pays. Plusieurs observations ont été présentées quant au caractère raisonnable de la décision.

[5] Premièrement, le demandeur soutient que l’agent a choisi un critère inapproprié, car [traduction] « l’agent a appliqué le critère relatif aux difficultés » plutôt que de se demander si la situation particulière du demandeur était de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager leurs malheurs : voir Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1482.

[6] Bien que, dans sa décision, l’agent fasse état des difficultés qui découleraient d’un refus d’accorder la dispense, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’on ne peut blâmer l’agent simplement parce qu’il a traité des observations relatives aux difficultés avancées par le demandeur : voir Del Chiaro Pereira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 799 aux para 66-67.

[7] Deuxièmement, le demandeur allègue que l’agent a mis l’accent de façon déraisonnable sur ses condamnations au criminel. À ce propos, l’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a été déclaré coupable de contacts sexuels en 2003, infraction considérée comme de la grande criminalité aux termes de l’alinéa L36(1)a) puisque cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans. En outre, le demandeur a été condamné à deux reprises pour capacité de conduire affaiblie, soit en janvier 2003 et septembre 2018. Le conseil a déclaré que le demandeur avait purgé sa peine et qu’il avait mis de l’ordre dans sa vie afin de devenir un citoyen respectueux de la loi. À l’appui de ce changement positif, le conseil a souligné que la dernière infraction du demandeur remontait à plus de deux ans au moment de la demande. Contrairement à ce que le conseil a déclaré, j’estime que le fait que le demandeur ait été à nouveau condamné en 2018 pour récidive démontre son mépris total de la loi et de la sécurité de la population canadienne, en particulier compte tenu de ses antécédents criminels et de son statut d’immigration précaire. Je ne suis pas convaincu que le fait que le demandeur assiste à des séances de counseling, conformément à l’une de ses conditions de probation, démontre ses efforts de réhabilitation. J’accorde un poids défavorable important aux antécédents criminels du demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[8] Il ne fait aucun doute que les contacts sexuels constituent une infraction grave qui doit être sérieusement prise en considération. Bien que l’infraction de capacité de conduire affaiblie ne soit pas une affaire à prendre à la légère, il est déraisonnable de dire que deux infractions commises à 15 ans d’intervalle, combinées à l’infraction de contacts sexuels, témoignent d’un [traduction] « mépris total de la loi ». Il est encore plus troublant de constater que l’agent n’a pas soupesé ces infractions en fonction de l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait.

[9] L’agent ne fait guère référence au fait que le demandeur a reconnu ses méfaits passés ni aux remords exprimés par ce dernier, notamment ceux qui suivent :

[traduction]

Je reconnais avoir commis des erreurs dans le passé qui ont mené à des condamnations au criminel. J’éprouve de profonds remords pour ce que j’ai fait, mais aujourd’hui j’ai un mode de vie positif.

Je regrette profondément mes gestes passés. Je m’efforce de mener une vie productive et d’être un bon père, un bon mari et un bon grand-père.

Depuis la fin de ma période de probation, je m’efforce de rester en bonne santé et je m’abstiens de boire. Après tous les problèmes que j’ai eus, il est important pour moi de ne plus boire.

[10] En outre, l’agent ne tient pas compte de l’observation du demandeur selon laquelle celui-ci s’est conformé à toutes les conditions l’obligeant à se présenter aux autorités et ne représente à peu près aucun danger pour le public :

[traduction]

Les conditions obligeant M. Shanthakumar à se présenter à l’Agence des services frontaliers du Canada ont été modifiées le 30 juillet 2018 : la fréquence est passée de « la dernière semaine de chaque période de six mois » à « la quatrième semaine de chaque période de 12 mois ». Cette modification indique que M. Shanthakumar a respecté ses obligations et coopéré avec les autorités.

Le 24 juillet 2019, M. Shanthakumar a reçu une lettre de l’Agence des services frontaliers du Canada qui indiquait ce qui suit :

[…]

Nous avons attentivement examiné les circonstances liées à votre dossier et nous avons décidé de ne pas prendre de mesures d’expulsion contre vous. En raison de la présente décision, l’Agence des services frontaliers du Canada n’entamera pas de procédure de renvoi pour le moment.

[…]

Soulignons que, si l’Agence des services frontaliers du Canada a décidé de ne pas engager de procédure de renvoi, c’est que les antécédents criminels du demandeur n’ont pas été jugés dangereux pour le public.

[Caractère gras supprimé.]

[11] Troisièmement, le demandeur affirme que l’agent a évalué son degré d’établissement de façon déraisonnable.

[12] L’agent a noté que le demandeur avait présenté des factures d’impôt foncier et des états de compte de prêt hypothécaire, mais n’en a pas tenu compte, car ceux-ci étaient au nom de l’épouse du demandeur. Il a indiqué qu’il était difficile de savoir si le demandeur était propriétaire ou détenait des droits sur la propriété. L’agent omet de mentionner que l’épouse du demandeur a confirmé ce qui suit : [traduction] « Il contribue largement au remboursement du prêt hypothécaire de notre maison, même si celle-ci est à mon nom » [Non souligné dans l’original.].

[13] L’agent a également minimisé l’importance du dossier d’emploi du demandeur :

[traduction]

Le demandeur a fourni quelques éléments de preuve attestant qu’il a eu un emploi stable et des revenus modestes au cours des six dernières années. Bien que j’accorde un certain poids favorable à ce fait, j’estime que ces éléments ne permettent pas de démontrer que le demandeur a occupé un emploi stable de longue durée au cours de sa période de résidence, qui étayerait un solide établissement financier au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[14] Pourtant, le dossier révèle que, sauf durant sa période d’emprisonnement, le demandeur a occupé un emploi rémunéré, bien que ses revenus aient été modestes, qu’il a contribué à l’achat d’une maison avec son épouse, et qu’il a élevé ses enfants et a subvenu à leurs besoins. Ces attributs militent en faveur d’une évaluation favorable du degré d’établissement du demandeur, ce que l’agent a omis de faire dans son appréciation de la preuve. En conséquence, l’évaluation et la décision sont déraisonnables.

[15] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3369-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande est accueillie, la décision faisant l’objet du contrôle est annulée, la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen et il n’y a aucune question à certifier.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3369-22

 

INTITULÉ :

NAGENDIRAM SHANTHAKUMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 MarS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 aVril 2023

 

COMPARUTIONS :

Steven Blakey

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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