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Date : 20230413


Dossier : T‑1315‑22

Référence : 2023 CF 535

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

 

CONSEIL DE LA POMME DE TERRE DE L’ÎLE‑DU‑PRINCE‑ÉDOUARD

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE

ET DE L’AGROALIMENTAIRE ET L’AGENCE

CANADIENNE DE L’INSPECTION DES ALIMENTS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les présents jugement et motifs portent sur une demande de contrôle judiciaire d’une série de décisions connexes prises par les défendeurs, à compter de novembre 2021, qui ont restreint le transport des pommes de terre de semence entre l’Île‑du‑Prince‑Édouard [Î.‑P.‑É.] et le reste du Canada et les États‑Unis [É.‑U.].

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, la présente demande est rejetée parce que les décisions visées sont soit théoriques, soit raisonnables au sens de la jurisprudence applicable, et qu’elles ont été prises dans le respect de l’obligation d’équité procédurale.

II. Contexte

A. Les parties

[3] Le demandeur, le Conseil de la pomme de terre de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, est une personne morale constituée sous le régime du Potato Marketing Plan Regulations (Règlement sur le programme de commercialisation des pommes de terre), PEI Reg EC173/90 [le Règlement sur le PCP], et un « commodity board » (office de commercialisation) au sens de la partie II de la Natural Products Marketing Act (Loi sur la commercialisation des produits naturels), RSPEI 1988, c N‑3. Il est le gardien de l’industrie de la pomme de terre dans l’Î.‑P.‑É., et représente environ 175 producteurs de pommes de terre, lesquels sont tous assujettis au Règlement sur le PCP.

[4] Le demandeur est composé de 12 administrateurs – des producteurs de pommes de terre en activité dans la province – qui représentent à parts égales chacun des trois principaux secteurs de l’industrie : les pommes de terre de semence (plantées pour produire plus de plants de pommes de terre), les pommes de terre de table (destinées à être vendues immédiatement pour la consommation humaine) et les pommes de terre de transformation (destinées à une transformation secondaire en d’autres produits pour le marché de la consommation humaine). Le demandeur produit lui‑même des pommes de terre de semence dans une exploitation agricole dont il est propriétaire, la Fox Island Elite Potato Seed Farm.

[5] Le défendeur, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui est l’organisation nationale de protection des végétaux, a été constitué sous le régime de la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments (LC 1997, c 6) [Loi sur l’ACIA]. Selon le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’ACIA, l’Agence est chargée d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la protection des végétaux, LC 1990, c 22 [la Loi], entre autres. L’objet de cette loi est d’assurer la protection de la vie végétale et des secteurs agricole et forestier de l’économie canadienne en empêchant l’importation, l’exportation et la propagation de parasites au Canada et en y assurant la défense contre ceux‑ci ou leur élimination (art 2).

[6] L’autre défendeur, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire [le ministre], est le ministre fédéral responsable de l’ACIA, suivant les pouvoirs que lui confèrent la Loi, la Loi sur l’ACIA et les règlements pris en application de ces lois.

B. L’organisme nuisible de la galle verruqueuse

[7] La galle verruqueuse [GV], l’une des plus graves maladies touchant la pomme de terre dans le monde, est considérée comme un organisme nuisible de quarantaine au Canada depuis plus d’un siècle (selon la Loi et le Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95‑212 [le Règlement]). Même si elle ne constitue pas une menace pour la santé humaine, la santé animale ou la salubrité des aliments, la GV réduit le rendement des pommes de terre en rendant les tubercules invendables.

[8] La GV est causée par un champignon terricole parasite (Synchytrium endobioticum) qui infecte les plants de pommes de terre. Son cycle biologique comprend un stade dormant, pendant lequel le champignon existe sous forme de spores microscopiques en dormance qui attendent qu’une plante hôte plantée suffisamment proche d’elles stimule leur germination, et un stade actif pendant lequel le champignon complète ses cycles reproductifs dans la plante hôte et induit la formation de masses ou de galles caractéristiques. La GV peut rester à l’état dormant dans le sol pendant plus de 40 ans.

[9] Puisque la GV n’est pas un champignon en suspension dans l’air, elle est incapable de parcourir facilement de grandes distances à partir de son lieu d’origine. Par contre, ses spores peuvent être transportées d’un champ à un autre à n’importe quelle distance par des activités anthropiques, comme le déplacement de terre associée à des pommes de terre de semence ou à de l’équipement et à des véhicules qui n’ont pas été nettoyés. Au Canada, la GV a seulement été découverte à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et à l’Î.‑P.‑É.

C. Plan canadien de lutte à long terme contre la galle verruqueuse

[10] Il y a deux façons de détecter la GV : soit par inspection visuelle de tubercules de pommes de terre, soit par l’analyse d’échantillons de sol en laboratoire. La GV a été détectée pour la première fois à l’Î.‑P.‑É en octobre 2000. Depuis cette détection, l’ACIA a adopté des mesures pour surveiller et contrôler la propagation de la maladie. Les principales mesures mises en place pendant la période ayant précédé les décisions contestées en l’espèce sont énoncées dans le document intitulé « Plan canadien de lutte à long terme contre la galle verruqueuse », dont la dernière mise à jour remonte au 9 mars 2009 [plan de lutte ou plan].

[11] À l’appui de la présente demande, le demandeur a déposé un affidavit souscrit par son directeur général, M. Greg Donald, dans lequel le fonctionnement du plan de lutte est expliqué. Le plan catégorise les champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. en fonction de leur relation avec la détection de la GV et définit différentes restrictions et activités de surveillance selon la catégorie de champ. Il s’applique seulement aux champs dans lesquels la GV a été effectivement détectée et aux champs associés qui, en raison de leur proximité ou de leurs antécédents avec un champ dans lequel la présence de la GV a été attestée, présentent un risque que la maladie soit présente compte tenu de la biologie de l’organisme nuisible et des moyens de propagation documentés. Le plan s’applique actuellement à environ 11 % des 350 000 acres de champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É.

[12] Le cas échéant, le plan de lutte attribue aux champs de pommes de terre l’une des catégories suivantes pour indiquer la présence confirmée ou le risque de la présence de la GV :

  1. champs de catégorie A, également connus sous le nom de champs index, sont les champs dans lesquels la GV a été détectée;

  2. champs de catégorie B, également connus sous le nom de champs adjacents, sont les champs voisins des champs index qui ne sont pas séparés par une barrière physique de plus de 15 mètres de large;

  3. champs de catégorie C, également connus sous le nom de champs de contact primaire, sont les champs dans lesquels de la terre, des pommes de terre ou des déchets de pommes de terre peuvent avoir été transférés à partir d’un champ index ou dans lesquels de l’équipement commun peut avoir été déplacé directement après avoir été utilisé dans un champ index;

  4. champs de catégorie D, également connus sous le nom de champs autrement exposés, sont les champs dans lesquels de l’équipement commun a été partagé avec un champ index, mais après avoir été utilisé dans un champ de contact primaire;

  5. champs de catégorie E, parfois appelés « nouveaux champs » ne sont pas reliés à une détection, mais sont mis en production de pommes de terre pour une première année et n’ont donc pas fait l’objet d’un suivi de la GV dans le passé.

[13] Pour chacune de ces catégories, le plan de lutte prévoit des protocoles de surveillance correspondants et/ou des restrictions sur le transport et le traitement des pommes de terre, des plants, de la terre, de la machinerie et d’autres articles. Selon le plan, les pommes de terre de semence (et la terre dans laquelle elles sont transportées) provenant de champs de catégorie A, B ou C ne peuvent être transportées ni vendues comme pommes de terre de semence.

[14] Les pommes de terre de semence issues de champs de catégorie D ne sont pas immédiatement visées par les restrictions sur le transport qui sont énoncées dans le plan de lutte. À condition que les exigences applicables en matière de surveillance et d’analyse soient respectées après la première récolte d’un champ de catégorie D, ces pommes de terre de semence peuvent être transportées en territoire canadien. De plus, le plan prévoit que si la deuxième récolte d’un champ de catégorie D satisfait également à ces exigences, ainsi qu’aux exigences américaines définies dans l’ordonnance fédérale américaine de 2015 (laquelle sera expliquée plus loin), ces pommes de terre de semence peuvent être exportées aux États‑Unis.

[15] Les champs de catégorie E sont inspectés visuellement par l’ACIA après la première récolte et en l’absence de GV, ils ne font plus l’objet de restrictions de circulation et de contrôles réglementaires dans le cadre du plan de lutte.

[16] Dans la présente demande, les parties utilisent le terme « champs réglementés » pour faire référence aux champs de catégories A, B, C et D ainsi qu’aux champs de catégorie E jusqu’à leur première récolte, et le terme « champs non réglementés » pour désigner tous les autres champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. J’adopterai cette nomenclature pour les besoins des présents motifs.

D. Détections de la galle verruqueuse à l’Î.‑P.‑É.

[17] La GV a été détectée pour la première fois à l’Î.‑P.‑É. dans un seul champ en octobre 2000. Depuis lors (en date du 29 juillet 2022), elle a été détectée dans d’autres champs, soit un total de 35 champs qui représentent environ 0,4 % des quelque 350 000 acres de terres de l’Î.‑P.‑É. qui sont affectées à la culture de la pomme de terre. En plus de ces 35 champs index, 1322 autres champs font également l’objet de contrôles réglementaires dans le cadre du plan de lutte en raison de leur lien documenté avec les champs index. Ces 1357 champs totalisent une superficie de 40 616 acres, soit environ 11 % de la superficie totale des champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. Les quelque 88 % des terres de l’Î.‑P.‑É. restantes qui sont consacrées à la culture de la pomme de terre et qui ne font pas l'objet de contrôles réglementaires au titre du plan, représentent environ 8 600 champs.

[18] Précisions sur les cas de GV détectés à l’Î.‑P.‑É. :

  1. La GV a été détectée pour la première fois à l’Î.‑P.‑É. dans un champ de 77 acres en octobre 2000;

  2. À l’automne 2002, deux cas distincts de GV ont été détectés et ils étaient reliés à la détection initiale de 2000;

  3. En 2004, la GV a été détectée dans quatre champs associés à l’une des détections de 2002;

  4. En 2007, une détection additionnelle de la GV a été confirmée dans un champ de 45 acres qui était relié aux détections de 2002;

  5. En septembre 2012, l’ACIA a confirmé que la GV avait été détectée dans trois champs distincts, dont deux n’étaient pas reliés à une détection antérieure;

  6. En 2013 et 2014, il y a eu trois autres détections de la GV sur une terre de 86 acres qui était reliée à l’une des détections de 2012;

  7. En août 2014, un producteur a détecté la GV dans un champ de 14,1 hectares qui n’était pas relié à des détections antérieures. Après quoi, les enquêtes menées par l’ACIA ont confirmé quatre autres détections dans des champs qui avaient été récemment désignés champs de catégorie C et D après la détection faite en août 2014;

  8. En 2016 et 2018, deux détections additionnelles de GV ont été faites, toutes deux reliées à des détections antérieures;

  9. En octobre 2020, l’ACIA a confirmé avoir détecté des cas de GV (dans des échantillons de sol qui avaient été prélevés dans deux champs d’une même exploitation agricole d’une superficie d’environ 50 acres) qui n’étaient pas reliés à des détections antérieures;

  10. Le 1er et le 14 octobre 2021, l’ACIA a confirmé la détection de GV dans deux champs séparés de pommes de terre de transformation qui appartenaient à deux exploitations agricoles distinctes, après que les producteurs eurent soumis à l’ACIA une pomme de terre suspecte pour analyse. Ces champs, d’une superficie totale d’environ 331 acres, ont tous deux été associés à des champs dans lesquels des détections antérieures avaient été faites;

  11. Après les détections d’octobre 2021, et conformément au plan de lutte, l’ACIA a commencé à analyser des échantillons prélevés dans les champs infestés et les champs associés [enquête de 2021]. À ce jour, l’Enquête de 2021 a rapporté deux autres détections de GV :

    1. Le 10 février 2022, la GV a été détectée dans un champ d’une exploitation de pommes de terre de transformation qui avait récemment commencé à cultiver des pommes de terre de semence. Ce champ était un champ de catégorie D en raison de son association aux détections d’octobre 2021;

    2. Le 21 juillet 2022, la GV a été détectée dans un champ adjacent à l’une des détections d’octobre 2021.

L’ACIA prévoit de terminer en 2023 les analyses des échantillons qui ont été prélevés au cours de l’enquête de 2021.

E. Ordonnance fédérale américaine de 2015

[19] Après la série de nouvelles détections de la GV à l’Î.‑P.‑É., qui a commencé en 2014 et est décrite ci‑dessus, le Service d'inspection zoosanitaire et phytosanitaire [APHIS] du département de l’Agriculture des États‑Unis [USDA], homologue américain de l’ACIA, a publié une ordonnance fédérale [ordonnance fédérale américaine de 2015] afin de réduire le risque de propagation de la GV depuis l’Î.‑P.‑É. jusqu’aux États‑Unis.

[20] L’APHIS publie des ordonnances de ce genre lorsqu’il estime nécessaire d’agir pour protéger l’agriculture américaine ou pour prévenir l’introduction et la propagation d’un ravageur ou d’une maladie aux États‑Unis. L’ordonnance fédérale américaine de 2015 exigeait que le sol des champs non réglementés soit analysé aux fins du dépistage de la GV et qu’il soit déclaré exempt de la GV avant que des pommes de terre de semence issues de ces champs puissent être importées aux États‑Unis.

[21] Afin de se conformer à l’ordonnance fédérale américaine de 2015, l’ACIA a mis en œuvre son Programme de certification phytosanitaire aux fins d’exportation. Dans le cadre de ce programme, l’ACIA effectue une vérification du statut phytosanitaire des pommes de terre de semence, s’assure que les terres dans lesquelles les pommes de terre ont été cultivées ne sont pas assujetties au contrôle réglementaire du Synchytrium endobioticum, prélève des échantillons de sol dans les champs, surveille les zones réglementées, délivre des avis de mise en quarantaine, délivre des certificats de circulation, inspecte les tubercules et certifie les expéditions.

F. Détections de la galle verruqueuse en 2020 et 2021

[22] Après que la GV eut été détectée dans deux champs non réglementés, en octobre 2020, tel que mentionné ci‑dessus, l’APHIS a demandé à l’ACIA de suspendre la certification phytosanitaire aux fins d’exportation des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. pendant que les enquêtes étaient en cours. L’ACIA a accédé à cette demande et a suspendu, de novembre 2020 à mars 2021, la certification aux fins d’exportation des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É, après quoi l’APHIS a consenti à ce que l’exportation des pommes de terre de semence reprenne.

[23] L’ACIA a avisé l’APHIS des détections faites en octobre 2021. Les échanges qui ont ensuite eu lieu entre ces organismes de réglementation seront examinés plus en détail plus loin dans les présents motifs. Toutefois, en résumé, l’APHIS a demandé à l’ACIA de suspendre volontairement la certification aux fins d’exportation des pommes de terre (de semence et de table) de l’Î.‑P.‑É. qui étaient destinées aux États‑Unis, et d’interdire le transport de toute pomme de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. vers le reste du Canada, jusqu’à ce que l’enquête de 2021 soit terminée. À défaut de quoi, a précisé l’APHIS, le décret fédéral de 2015 des États‑Unis serait modifié de façon à interdire l’importation de toutes les pommes de terre canadiennes aux États‑Unis.

[24] Par conséquent, le 2 novembre 2021, l’ACIA a publié un document intitulé « Avis à l’industrie – Suspension temporaire de la certification de toutes les pommes de terre de semence pour les pommes de terre de semence en provenance de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers les États‑Unis », dans lequel elle indiquait que le déplacement des pommes de terre de semence en provenance de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers les États‑Unis était suspendu à compter du 1er novembre 2021 [première suspension].

[25] Le 21 novembre 2021, l’ACIA a publié un deuxième document intitulé « Avis à l’industrie – Suspension intérimaire de la certification de toutes les pommes de terre en provenance de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers les États‑Unis et nouvelle exigence à l’importation pour l’équipement agricole usagé », qui a élargi la première suspension pour viser non seulement les pommes de terre de semence, mais aussi les pommes de terre de table et de transformation, à compter de 23 h, heure normale de l’Est, ce jour‑là [deuxième suspension].

[26] Le 21 novembre 2021, le ministre a également déclaré, par arrêté, conformément au paragraphe 15(3) de la Loi, que la province de l’Î.‑P.‑É. était « un lieu infesté par la galle verruqueuse de la pomme de terre », et il a, entre autres choses, interdit le déplacement des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. sans l’autorisation écrite d’un inspecteur [arrêté ministériel]. Cet arrêté ministériel est toujours en vigueur.

[27] Le 22 février 2022, l’ACIA a transmis un avis à l’industrie dans lequel elle énonçait les conditions auxquelles les inspecteurs délivreraient les autorisations écrites permettant le déplacement des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É., conformément à l’arrêté ministériel. Cet avis, appelé Exigences régissant le déplacement des pommes de terre de semence en territoire canadien et mesures d’atténuation des risques recommandées [Exigences régissant le déplacement intérieur], est toujours en vigueur.

[28] Le 1er avril 2022, l’APHIS a publié une nouvelle ordonnance fédérale [ordonnance fédérale américaine de 2022] modifiant les exigences d’importation des pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. destinées à la consommation humaine. D’application immédiate, l’ordonnance fédérale américaine de 2022 interdit l’importation aux États‑Unis des pommes de terre de semence cultivées au champ à l’Î.‑P.‑É. et autorise l’importation des pommes de terre de consommation qui respectent les conditions énoncées.

[29] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la série de décisions connexes et toujours en vigueur que sont la première suspension, la deuxième suspension, l’arrêté ministériel et les exigences relatives aux déplacements intérieurs.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[30] Compte tenu des observations respectives des parties, je conclus que la présente demande soulève les questions suivantes :

[31] Tel qu’il ressort des questions ci‑dessus, les parties s’entendent sur le fait (et je suis d’accord avec elles) que, sous réserve de la dernière question qui concerne l’équité procédurale, chacune de ces questions est assujettie à la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Je remarque que, dans leur liste respective de questions proposées, les deux parties font une distinction entre le caractère légal et le caractère raisonnable des décisions contrôlées. La liste des questions que je viens d’énumérer élimine cette distinction qui est conceptuellement artificielle. À mon avis, invoquer le caractère légal des décisions est simplement une façon d’en attaquer le caractère raisonnable, car toute décision administrative prise illégalement est nécessairement déraisonnable (voir McCarthy c Première Nation no 128 de Whitefish Lake, 2023 CF 220 au para 83; Jette v New Brunswick Legal Aid Services Commission, 2019 NBQB 320 au para 90).

[32] Les parties s’entendent également (et je suis d’accord avec elles) sur la façon de considérer la question de l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont soumises à un examen judiciaire qui vise s’assurer qu’un processus juste et équitable a été suivi, un exercice qui est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (voir Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique] aux para 46‑47).

IV. Analyse

A. La Cour devrait‑elle rendre, en vertu de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, une ordonnance permettant au demandeur de solliciter le contrôle judiciaire de plus d’une décision?

[33] J’examinerai cette question sommairement, car les parties reconnaissent que le recours à l’ordonnance prévue à l’article 302 est approprié. L’article 302 dispose que, sauf ordonnance de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. Toutefois, comme le prévoit la décision Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 380 aux para 166 et 173, les actes ou décisions continus peuvent faire l’objet d’un contrôle, sans que cela ne contrevienne à l’article 302, si les similitudes qu’ils présentent sont telles que le contrôle serait compatible avec l’objectif qui est de s’assurer que le processus permettant de contester une mesure administrative soit rapide et ciblé.

[34] Bien que le demandeur conteste des décisions distinctes prises par des décideurs différents (l’ACIA et le ministre), les défendeurs reconnaissent (et je suis d’accord avec eux) que ces contestations portent sur la même question fondamentale, à savoir la mesure réglementaire prise à l’égard de la situation de la GV à l’Î.‑P.‑É., et que le fait d’exiger le dépôt de demandes de contrôle judiciaire distinctes représenterait une perte de temps et de ressources judiciaires. Par conséquent, mon ordonnance accordera la dispense prévue à l’article 302.

B. La première et la deuxième suspensions sont‑elles des décisions susceptibles de contrôle?

[35] Cette question se pose parce que les défendeurs soutiennent que la première suspension et la deuxième suspension [collectivement, les suspensions] ne sont pas des décisions, ou autres mesures du genre, qui sont susceptibles de contrôle judiciaire. Leur position comporte deux volets :

  1. Premièrement, les défendeurs soutiennent que le demandeur a fait erreur en qualifiant les suspensions de décisions par lesquelles l’ACIA a interdit l’exportation de pommes de terre de semence. Ils font valoir que l’ACIA n’a pas interdit l’exportation de pommes de terre de semence, mais qu’elle a plutôt avisé l’industrie et ses inspecteurs que, compte tenu des messages reçus des États‑Unis, elle ne pouvait plus, en vertu du Règlement, certifier aux fins d’exportation vers les États‑Unis les pommes de terre de semence.

  2. Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que, même si les suspensions peuvent être qualifiées de décisions, elles ne relèvent pas des tribunaux parce qu’elles franchissent la ligne qui sépare le juridique du politique. Ils expliquent que les suspensions ont fait suite à une série de discussions entre le Canada et les États‑Unis et que les fonctionnaires canadiens ont conclu, en fin de compte, qu’il serait prudent de suspendre la certification aux fins d’exportation des pommes de terre de l’Î.‑P.‑É., comme le demandaient les États‑Unis, afin d’éviter un nouveau décret fédéral américain qui pourrait avoir une incidence sur l’ensemble de l’industrie canadienne de la pomme de terre.

[36] À l’appui du premier volet de leur position, les défendeurs renvoient la Cour à l’article 55 du Règlement, qui crée l’obligation d’obtenir un certificat phytosanitaire canadien, délivré par un inspecteur de l’ACIA, pour pouvoir exporter du Canada une chose pour laquelle un tel certificat est exigé par les autorités responsables de la certification phytosanitaire dans le pays de destination finale. Selon le paragraphe 55(3), l’inspecteur ne peut délivrer un tel certificat que s’il a des motifs raisonnables de croire que la chose à exporter est conforme au droit relatif aux exigences phytosanitaires d’importation du pays importateur.

[37] Les défendeurs font valoir que si les exigences d’importation d’un pays de destination changent, ou que le pays importateur n’est plus prêt à accepter certaines pommes de terre, l’ACIA doit se soumettre et ne peut plus certifier ces pommes de terre en vue de leur exportation. Ils sont d’avis que les suspensions ne sont pas des décisions de l’ACIA, mais que par ces suspensions, l’ACIA reconnaît plutôt la situation causée par le processus décisionnel américain. Ils font observer que les documents qui reflètent le mieux les suspensions ne sont pas les avis à l’industrie de l’ACIA, mais plutôt les avis par lesquels cette dernière informe ses inspecteurs que les pommes de terre de semence ne peuvent plus être certifiées en vue de leur exportation aux États‑Unis.

[38] Le dossier déposé par les défendeurs dans la présente demande contient un affidavit de M. David Bailey, directeur exécutif par intérim de la Direction de la protection des végétaux et de la biosécurité et dirigeant principal de la protection des végétaux à l’ACIA. S’agissant de la première suspension, M. Bailey a joint à son affidavit ce qu’il décrit comme un bulletin d’orientation, daté du 2 novembre 2021, envoyé à l’Inspectorat de l’ACIA [le bulletin du 2 novembre]. Il explique que ce document informe essentiellement les inspecteurs de l’ACIA qu’un avis a été envoyé à l’industrie de la pomme de terre de semence au sujet de la suspension du processus de certification des pommes de terre de semence en vue de leur exportation aux États‑Unis. Le bulletin du 2 novembre intègre le texte de l’avis transmis à l’industrie au sujet de la première suspension.

[39] Le dossier certifié du tribunal comprend un document du 22 novembre 2021, qui semble être une communication interne semblable de l’ACIA et qui indique notamment que, pour répondre à d’autres préoccupations phytosanitaires soulevées par les États‑Unis, la première suspension a été élargie de sorte que, à compter du 21 novembre 2021, les pommes de terre de table et les pommes de terre de transformation de l’Île‑du‑Prince‑Édouard ne soient plus exportées vers les États‑Unis [bulletin du 21 novembre]. Ce document précise en outre que la suspension du processus de certification des pommes de terre provenant de l’Île‑du‑Prince‑Édouard à destination des États‑Unis demeurera en vigueur jusqu’à nouvel ordre.

[40] Comme je l’ai mentionné, le paragraphe 55(3) du Règlement confie aux inspecteurs de l’ACIA la tâche de délivrer des certificats phytosanitaires s’ils ont des motifs raisonnables de croire que la chose à exporter est conforme au droit relatif aux exigences phytosanitaires d’importation du pays importateur. Cela étant, les défendeurs soutiennent que l’ACIA, qui est chargée de l’administration et l’application de la Loi (voir l’article 11 de la Loi sur l’ACIA), donne régulièrement aux inspecteurs des directives sur les exigences phytosanitaires en matière d’importation des pays concernés. Je reconnais qu’il relève du mandat de l’ACIA de donner des directives à son inspectorat sur les exigences en matière d’importation étrangère, mais j’ai du mal à conclure que, dans l’affaire qui nous occupe, les communications de l’ACIA avec son inspectorat entrent dans cette catégorie.

[41] Le bulletin du 2 novembre publié lors de la première suspension indique que le déplacement des pommes de terre de semence de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers les États‑Unis a été suspendu. De même, le bulletin du 21 novembre publié lors de la deuxième suspension indique que la certification des expéditions de pommes de terre de semence de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers les États‑Unis a été suspendue le 1er novembre et que la suspension a été élargie de sorte à englober les pommes de terre de table et les pommes de terre destinées à la transformation. Les communications transmises par l’ACIA à ses inspecteurs au sujet des deux suspensions ne sauraient être considérées comme des notes d’information, c.‑à‑d. qu’elles leur auraient donné de l’information sur les exigences d’importation à l’étranger afin de les aider à prendre des décisions fondées sur le paragraphe 55(3) du Règlement. Comme le fait valoir le demandeur, l’ACIA y communique plutôt ses décisions, déjà prises, de suspendre le processus de certification aux fins d’exportation.

[42] Quant à la deuxième proposition des défendeurs, celle sur la justiciabilité des suspensions, j’accepte l’argument selon lequel les décisions comportent un élément politique. C’est ainsi que les deux parties qualifient les suspensions. En fait, si le demandeur conteste le caractère raisonnable des suspensions, c’est essentiellement à cause de l’affirmation selon laquelle elles ont été ordonnées uniquement pour donner suite aux menaces répétées, de nature commerciale, faites par les États‑Unis, ce qui, selon le demandeur, n’était pas un facteur pertinent (surtout en l’absence d’une modification concurrente à la législation américaine). Les défendeurs contestent l’affirmation voulant que le contexte commercial américain n’était pas pertinent, mais ils reconnaissent que les fonctionnaires canadiens ont conclu qu’il serait prudent de suspendre le processus de certification aux fins d’exportation, comme l’avaient demandé les États‑Unis, afin d’éviter une nouvelle ordonnance fédérale américaine qui pourrait nuire à l’ensemble de l’industrie canadienne de la pomme de terre. En fait, ils font valoir que c’est précisément cet élément politique des suspensions qui fait qu’elles ne sont pas justiciables.

[43] Les défendeurs renvoient la Cour à l’explication que donne la Cour d’appel du principe de justiciabilité au paragraphe 62 de l’arrêt Première Nation des Hupacasath c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4 :

62. Le caractère justiciable, parfois désigné l’« objection fondée sur des questions de politique », a trait à la capacité d’une cour d’examiner une question qui lui est soumise et à l’opportunité d’un tel examen. Certaines questions sont de nature si politique que les cours de justice sont incapables d’en traiter ou sont mal placées pour le faire, ou ne devraient pas les examiner eu égard à la ligne de démarcation traditionnelle à respecter entre les pouvoirs des tribunaux et des autres branches de l’État.

[44] Au paragraphe 73 de la décision Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2021 CF 31 [Démocratie en surveillance], la Cour a énuméré les facteurs qui peuvent éclairer l’analyse du caractère justiciable :

73. Pour déterminer si l’intervention des tribunaux était justifiée dans des affaires données, les tribunaux canadiens ont examiné diverses questions : a) l’affaire présente‑t‑elle un aspect suffisamment juridique pour être tranchée par l’application d’une norme juridique (voir Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 RCS 525 à la p 545); b) l’affaire soulève‑t‑elle uniquement une question hypothétique ou abstraite? (voir Page c Mulcair, 2013 CF 402 aux para 60 ‑ 62); c) demande‑t‑on à la Cour d’exprimer une opinion sur la sagesse de l’action du gouvernement? (voir Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 [Operation Dismantle] à la p 472); d) le dossier comporte‑t‑il des dimensions morales ou politiques sur lesquelles il n’appartient pas à la Cour de statuer? (voir Operation Dismantle à la page 465); e) la mesure de redressement demandée empiète‑t‑elle sur les responsabilités d’autres branches du gouvernement en matière d’élaboration de politiques? (voir Tanudjaja v Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852 [Tanudjaja] aux para 33-34); et f) la mesure de redressement demandée serait‑elle susceptible d’avoir des effets concrets? (voir Tanudjaja au para 34).

[45] Les arguments invoqués par le demandeur pour contester les suspensions ne portent pas sur la sagesse de ces mesures ou sur la question de savoir si l’ACIA a pris de bonnes décisions politiques ou stratégiques. Le demandeur soutient plutôt que les suspensions ont été faites illégalement et en fonction de considérations non pertinentes. Comme l’indique la décision Démocratie en surveillance (au para 76), il faut, pour en décider, appliquer une norme juridique. Quant à savoir si la Cour est appelée à se prononcer sur des questions hypothétiques ou abstraites, ou si l’examen des arguments invoqués par le demandeur aura un effet pratique, je me pencherai plus à fond sur des principes comparables lorsque j’examinerai l’argument que les défendeurs ont fait valoir au sujet du caractère théorique. Toutefois, pour les besoins de l’analyse sur la justiciabilité, je ferai remarquer que les arguments que soulève le demandeur s’inscrivent dans le contexte d’un différend concret et toujours en cours au sujet des mesures réglementaires qui ont été prises pour répondre au problème de la GV à l’Î.‑P.‑É. J’estime que les suspensions sont des décisions susceptibles de contrôle.

[46] Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la décision invoquée par les défendeurs, Cropvise Inc v Canadian Food Inspection Agency, 2016 NBQB 186 [Cropvise], confirmée en appel par 2018 NBCA 28, dans laquelle la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick (comme elle s’appelait à l’époque) a refusé de reconnaître que l’ACIA était tenue à une obligation de diligence lorsqu’elle a décidé de la ligne à suivre dans ses discussions avec les fonctionnaires vénézuéliens au sujet d’un différend sur l’exportation de pommes de terre. La cour a conclu qu’une telle décision découlait d’un exercice d’équilibre fondé sur des considérations d’ordre économique, social et politique, réalisé par l’ACIA et d’autres autorités gouvernementales canadiennes, dans la conduite de relations diplomatiques avec l’État vénézuélien, et qu’elle reposait donc sur des considérations d’intérêt public qui ne pouvaient étayer une cause d’action (au para 110).

[47] Mis à part le fait que la décision Cropvise porte sur une action en dommages‑intérêts, et non sur une demande de contrôle judiciaire, l’analyse qu’elle comporte se distingue de celle que requiert la présente affaire qui, comme je l’ai expliqué, n’exige pas de la Cour qu’elle se penche sur la sagesse des mesures prises dans la conduite de relations diplomatiques, mais plutôt qu’elle se demande si certaines décisions étaient légalement autorisées et reposaient sur des considérations pertinentes.

C. Dans l’affirmative, la Cour devrait‑elle refuser d’examiner la première et la deuxième suspensions en raison de leur caractère théorique?

[48] Contrairement à ce qui s’est passé lorsque, après la détection de la GV en octobre 2020, l’ACIA a suspendu la certification des exportations, il n’y a pas eu d’avis officiel à l’industrie que les suspensions avaient pris fin. Or, à l’audition de la présente demande, l’avocat des défendeurs a confirmé que ses clients considéraient que les suspensions n’étaient plus en vigueur, expliquant que ceux‑ci ne croyaient pas qu’il était nécessaire de donner un tel avis parce que l’ordonnance fédérale américaine de 2022 remplaçait en fait les suspensions.

[49] Cela étant, l’avocat du demandeur a reconnu que ses contestations des suspensions étaient donc théoriques. Il estime toutefois que la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur ses arguments, du moins sur ceux qui portent sur le fondement légal des suspensions.

[50] Le demandeur s’appuie sur les principes énoncés dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, et résumés aux paragraphes 10 et 13 de l’arrêt Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 [Démocratie en surveillance]. Si la Cour conclut au caractère théorique du litige, en ce sens qu’il ne subsiste aucun différend qui porte ou pourrait porter atteinte aux droits des parties, une deuxième question se pose, à savoir si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire. Trois facteurs influent sur la décision de la Cour d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire : a) la présence ou l’absence de débat contradictoire; b) la pertinence d’utiliser des ressources judiciaires limitées, et c) la sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur.

[51] De toute évidence, le débat contradictoire est présent en l’espèce, car les parties ont pleinement exposé et défendu leurs positions respectives sur le caractère raisonnable des suspensions.

[52] Des ressources judiciaires ont déjà été consacrées à la préparation et à l’audition de la présente demande, notamment aux arguments sur cette question. Les autres ressources que pourrait nécessiter une décision ne sont pas importantes. Ce facteur peut également, s’il y a lieu, exiger l’examen de la question de savoir si l’affaire présente une question de nature répétitive qui est de courte durée ou qui échapperait autrement au contrôle judiciaire (voir Démocratie en surveillance, au para 14). Le demandeur soutient avec conviction que ce n’est pas la première fois que l’ACIA prend des décisions de cette nature, car elle a déjà suspendu le processus de certification aux fins d’exportation après avoir détecté des cas de GV en octobre 2020. De plus, comme dans le cas qui nous occupe, les suspensions peuvent être de courte durée et, par conséquent, échapper au contrôle judiciaire en raison de leur caractère théorique lorsqu’elles sont remplacées par d’autres mesures réglementaires.

[53] Le troisième facteur exige de la Cour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de trancher une affaire théorique avec prudence, puisque le rôle fondamental des tribunaux dans le contexte de la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution est de résoudre de véritables litiges (voir Démocratie en surveillance CAF, au para 14).

[54] J’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de trancher les arguments avancés par les parties au sujet du fondement légal des suspensions ordonnées par l’ACIA, étant donné que ces arguments n’ont essentiellement aucun lien avec le contexte factuel particulier dans lequel l’ACIA a suspendu le processus de certification des exportations. Les arguments qui concernent la question de savoir si les suspensions étaient fondées sur des considérations non pertinentes, et ceux qui s’attachent à l’équité procédurale dépendent beaucoup plus du contexte factuel et, compte tenu du deuxième et du troisième facteurs, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de les trancher.

D. Si la première suspension et la deuxième suspensions peuvent faire l’objet d’un contrôle et ne sont pas théoriques, sont‑elles raisonnables (et leur application continue est‑elle raisonnable)?

[55] Comme je viens tout juste de l’expliquer, je ne me prononcerai que sur la question de savoir si les suspensions étaient autorisées par la loi.

[56] Le demandeur soutient que, contrairement à l’arrêté ministériel dont il sera question plus loin dans les présents motifs, aucune des suspensions n’a été constatée au moyen d’une décision officielle. Chaque suspension a plutôt été annoncée par l’ACIA au moyen d’un avis à l’industrie, et ni l’un ni l’autre de ces avis ne parle du pouvoir sur lequel repose la suspension concernée. Le demandeur fait valoir que le reste du dossier soumis à la Cour, y compris les affidavits déposés par les défendeurs, ne fait non plus aucunement mention de ce pouvoir. Il affirme que rien dans la Loi, la Loi sur l’ACIA, les règlements pris en application de ces lois ou de toute autre loi que l’ACIA peut appliquer ne permet à celle‑ci d’interdire de façon générale l’exportation de pommes de terre d’une province entière vers un pays en particulier.

[57] La réponse de l’ACIA à cet argument reprend en grande partie celle qui a été examinée plus tôt dans les présents motifs, relativement à la question de savoir si les suspensions sont des décisions ou d’autres questions justiciables. L’ACIA soutient qu’en tant que responsable de l’application de la Loi (voir l’article 11 de la Loi sur l’ACIA), elle donne régulièrement aux inspecteurs des directives sur les exigences phytosanitaires en matière d’importation des pays concernés. S’agissant de la question de la justiciabilité, j’ai analysé les arguments de l’ACIA sur la façon dont il convient de qualifier les mesures administratives qu’elle a prises. La même analyse permet de trancher la question du fondement légal de ces mesures.

[58] Comme je l’ai déjà expliqué, je reconnais qu’il relève du mandat de l’ACIA de donner des directives à son inspectorat sur les exigences relatives aux importations étrangères, mais j’estime que les communications que celle‑ci a envoyées à son inspectorat dans le cas qui nous occupe n’entrent pas dans cette catégorie. Selon le paragraphe 55(3) du Règlement, ce sont les inspecteurs de l’ACIA qui ont le pouvoir de délivrer des certificats phytosanitaires, et un inspecteur ne peut délivrer un tel certificat que s’il a des motifs raisonnables de croire que la chose à exporter est conforme au droit relatif aux exigences phytosanitaires d’importation du pays importateur. Les défendeurs n’ont mentionné aucun pouvoir en vertu duquel l’ACIA pourrait elle‑même décider de délivrer ou non un certificat d’exportation ou d’interdire l’exportation, de façon générale ou autre.

[59] Compte tenu de la législation applicable et de la façon dont les avis à l’industrie et les communications à l’inspectorat de l’ACIA sont formulés dans le cas qui nous occupe, je conviens avec le demandeur que les défendeurs ne parlent aucunement du fondement légal qui sous‑tend les suspensions.

[60] Étant donné que cette conclusion relève du pouvoir discrétionnaire de trancher une question qui est maintenant théorique, elle ne fera l’objet d’aucune mesure de redressement dans mon ordonnance.

E. L’arrêté ministériel était‑il raisonnable (et son application continue est‑elle raisonnable)?

(1) Fondement légal de l’arrêté ministériel

[61] Le demandeur soulève plusieurs arguments à l’appui de sa position selon laquelle l’arrêté ministériel est déraisonnable. Bien que j’explique ces arguments plus en détail ci‑dessous, je précise que le demandeur fait surtout valoir que rien ne permettait au ministre d’avoir des motifs raisonnables de soupçonner que toute la province de l’Î.‑P.‑É. était [traduction« infestée par la galle verruqueuse de la pomme de terre », contrairement à ce qu’exige le Règlement pour qu’il puisse faire la déclaration à cet effet qui est contenue dans l’arrêté. Dans le même ordre d’idées, le demandeur soutient également que l’arrêté ministériel a été pris sur le fondement d’une considération non pertinente ou à des fins inappropriées, c’est‑à‑dire pour donner suite à un engagement que l’ACIA avait pris envers les États‑Unis en réponse à une menace commerciale, plutôt qu’en fonction de la présence de la GV à l’Î.‑P.‑É, comme l’exige le Règlement.

[62] La pierre d’assise de l’arrêté ministériel est la déclaration selon laquelle [traduction] : « … la province de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, qui comprend les comtés de Kings, Queens et Prince, est infestée par la galle verruqueuse de la pomme de terre… ». Les parties s’entendent pour dire que le ministre a fait cette déclaration en vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 15(3) de la Loi, qui dispose que le ministre peut, par arrêté, déclarer tout lieu infesté qui n’est pas déjà l’objet d’une déclaration en vertu des articles 11 ou 12 (qui confèrent aux inspecteurs le pouvoir de déclarer qu’un lieu est infesté).

[63] Le demandeur souligne que l’article 2 du Règlement définit le terme « infesté » comme suit :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement

2. In these Regulations,

infesté Se dit de la présence d’un parasite sur ou dans un lieu ou de l’exposition telle d’un lieu à un parasite qu’il est raisonnable d’y soupçonner la présence du parasite. (infested)

infested means that a pest is present in or on a thing or place or that the thing or place is so exposed to a pest that one can reasonably suspect that the pest is in or on the thing or place; (infesté) (parasité)

parasité Se dit de la présence d’un parasite sur ou dans une chose ou de l’exposition telle d’une chose à un parasite qu’il est raisonnable d’y soupçonner la présence du parasite. (infested)

 

[64] Aucune des parties n’a cité de cas où cette définition aurait été soumise à un examen judiciaire. Toutefois, s’appuyant sur les termes « raisonnable d’y soupçonner » employés dans la définition, le demandeur soutient que celle‑ci incorpore la norme des soupçons raisonnables qui a été appliquée et interprétée dans d’autres contextes. Par exemple, dans l’arrêt R c Chehil, 2013 CSC 49 aux paras 26 et 27, la Cour suprême du Canada a décrit cette norme comme suit :

26. La rigueur de la norme des soupçons raisonnables découle de l’exigence que ces soupçons soient fondés sur des faits objectivement discernables, qui peuvent ensuite être soumis à l’examen judiciaire indépendant. Cet examen est rigoureux et doit prendre en compte l’ensemble des circonstances. Dans l’arrêt Kang‑Brown, le juge Binnie donne la définition suivante des soupçons raisonnables :

La norme des « soupçons raisonnables » n’est pas une nouvelle norme juridique créée pour les besoins de la présente affaire. Les « soupçons » sont une impression que l’individu ciblé se livre à une activité criminelle. Les soupçons « raisonnables » sont plus que de simples soupçons, mais ils ne correspondent pas à une croyance fondée sur des motifs raisonnables et probables. [par. 75]

27. Ainsi, bien que les motifs raisonnables de soupçonner, d’une part, et les motifs raisonnables et probables de croire, d’autre part, soient semblables en ce sens qu’ils doivent, dans les deux cas, être fondés sur des faits objectifs, les premiers constituent une norme moins rigoureuse, puisqu’ils évoquent la possibilité – plutôt que la probabilité – raisonnable d’un crime. Par conséquent, lorsqu’il applique la norme des soupçons raisonnables, le juge siégeant en révision doit se garder de la confondre avec la norme plus exigeante des motifs raisonnables et probables.

[Souligné par le demandeur]

[65] Le demandeur souligne également l’explication donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Farwaha, 2014 CAF 56 au para 97, selon laquelle les suppositions, les conjectures ou les intuitions fantaisistes ne répondent pas à la norme des « motifs raisonnables de soupçonner ». En fait, comme la Cour l’a dit dans la décision Forget c Canada (Transports), 2017 CF 620 au para 48, l’existence de faits objectivement discernables est essentielle pour étayer des soupçons raisonnables.

[66] Ce contexte jurisprudentiel étant posé, le demandeur fait valoir que la Cour doit examiner si la preuve démontre que les faits portés à la connaissance du ministre étaient des faits objectivement discernables sur la base desquels celui‑ci pouvait avoir des motifs raisonnables de soupçonner la présence de la GV et ainsi prendre l’arrêté ministériel.

[67] Le demandeur reconnaît que la définition du terme « infesté » dans le Règlement pourrait s’appliquer aux champs réglementés. Bien que les champs de catégorie A (champs index) soient les seuls champs dans lesquels la présence de la GV a été confirmée, le demandeur reconnaît qu’en raison de la proximité documentée ou de la possibilité de propagation de la GV par des activités anthropiques, les champs de catégories B, C et D pourraient également justifier l’existence de soupçons raisonnables quant à la présence de la GV. Cependant, le demandeur soutient que la preuve démontre qu’aucun fait objectivement discernable ne permettait au ministre de soupçonner raisonnablement la présence de la GV dans l’un des champs non réglementés.

[68] Les défendeurs ne reprochent pas au demandeur de s’appuyer sur la définition de « infesté » du Règlement pas plus qu’ils ne mettent en doute la jurisprudence qu’il invoque pour expliquer la norme pertinente. Les défendeurs conviennent qu’un soupçon raisonnable doit être fondé sur des faits objectifs, mais ils sont d’avis que les éléments de preuve présentés au ministre satisfaisaient à cette norme.

[69] Avant d’aller plus loin, je souligne que la définition du terme « infesté », sur laquelle reposent les arguments des parties, se trouve dans le Règlement, et non dans la Loi elle‑même. Aucune des parties n’a présenté d’analyse qui justifierait d’appliquer la définition du Règlement au terme« infesté » employé dans la Loi. Par ailleurs, je suis conscient que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte sur le raisonnement du décideur administratif (voir Vavilov, aux para 83‑87), et je remarque que ni l’arrêté ministériel ni le dossier présenté au ministre ne révèlent que le ministre a fait cette analyse.

[70] Cela dit, je remarque également que l’alinéa 47(1)h) de la Loi autorise le gouverneur en conseil à prendre, par règlement, toute mesure d’application de la Loi, notamment toute mesure relative aux déclarations prévues par les articles 11, 12 et 15. En l’absence d’analyse pertinente au dossier, ou encore d’arguments avancés par les parties, je ne m’engagerai pas dans un autre exercice d’interprétation qui porterait sur ces dispositions. Or, comme les parties ont convenu d’appliquer la définition du terme « infesté » qui figure dans le Règlement et d’appliquer ensuite la norme des soupçons raisonnables, je respecterai cette entente dans mon analyse du caractère raisonnable de l’arrêté ministériel.

[71] Pour me prononcer sur les arguments invoqués par le demandeur à l’encontre de l’arrêté ministériel, je dois principalement évaluer les éléments de preuve qui pourraient justifier le ministre d’avoir eu le soupçon raisonnable requis, et ce, afin de déterminer si l’arrêté ministériel résiste au contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui est définie dans l’arrêt Vavilov. Toutefois, avant de passer à cet examen, j’examinerai l’argument du demandeur voulant que l’arrêté ministériel ait été pris sur le fondement d’une considération non pertinente ou à des fins inappropriées, qui seraient liées, selon lui, à des menaces de nature commerciale faites par des représentants des États‑Unis.

(2) L’arrêté ministériel a‑t‑il été pris sur le fondement d’une considération non pertinente ou à des fins inappropriées?

[72] Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs à propos des suspensions, les parties s’entendent pour dire que l’intérêt qu’avaient les défendeurs à éviter un nouvel arrêté fédéral américain a influencé la décision de prendre l’arrêté ministériel. Cette conclusion ressort aussi clairement du dossier soumis à la Cour. Par exemple, dans le résumé d’un document du 19 novembre 2021 sur la gestion des risques [DGR], lequel faisait partie de la trousse d’information à l’intention du ministre que l’ACIA a préparée à l’appui du projet d’arrêté ministériel, on peut lire le paragraphe suivant :

[traduction]

À chaque nouvelle détection depuis 2014, la capacité de l’ACIA de s’occuper du problème de la GV à l’Î.‑P.‑É. a été contestée et critiquée par les États‑Unis. Les États‑Unis ont donc publié, en 2015, un décret fédéral visant à restreindre l’importation des pommes de terre de semence, de table et de transformation en provenance de l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Les États‑Unis ont indiqué qu’ils songeaient à prendre d’autres mesures d’atténuation des risques pour répondre aux trois cas de GV détectés au cours de la dernière année en modifiant le décret fédéral qui interdit les pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. Ils ont demandé que les exportations de pommes de terre de semence, de table et de transformation provenant de l’Île‑du‑Prince‑Édouard soient suspendues jusqu’à ce que les enquêtes soient terminées.

[73] Le demandeur invoque le principe expliqué dans la décision Apotex Inc c Canada (Santé), 2015 CF 1161 au para 96 (conf par 2018 CAF 147), suivant lequel les décisions de nature discrétionnaire sont soumises aux limites de la loi habilitante et doivent respecter la primauté du droit, de sorte que toute décision prise par un ministre à une fin autre que celle pour laquelle le législateur lui a conféré le pouvoir de prendre cette décision est donc ultra vires (Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121 aux p 140 et 143).

[74] Le demandeur fait valoir que le Règlement limite la déclaration prévue au paragraphe 15(3) de la Loi à deux cas : a) en cas de présence d’un parasite sur ou dans le lieu déclaré infesté; b) en cas d’exposition telle d’un lieu à un parasite qu’il est raisonnable d’y soupçonner la présence du parasite. Le demandeur est d’avis que le ministre a outrepassé ses pouvoirs, et a donc nécessairement agi de façon déraisonnable, en prenant l’arrêté visant à donner effet à l’engagement pris par l’ACIA en réponse à la menace de nature commerciale faite par les États‑Unis.

[75] Pour étayer son argument, le demandeur s’appuie aussi sur des documents internes de l’ACIA appelés « ICP Situation Reports », qui expliquent l’évolution de la situation après que la GV eut été détectée en octobre 2021 [rapport de situation]. Le rapport de situation des 29 et 30 octobre 2021 comprend l’entrée suivante, qui a été faite à la suite d’une réunion tenue entre l’ACIA et l’APHIS le 29 octobre :

[traduction]

Les États‑Unis ont demandé à l’ACIA d’interrompre immédiatement la certification des pommes de terre de semence exportées de l’Î.‑P.‑É. et de suspendre les expéditions de pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. vers d’autres provinces. L’ACIA prendra ces mesures aussitôt que possible, bien que le moyen d’interrompre les expéditions de pommes de terre de semence de l’Île‑du‑Prince‑Édouard vers d’autres provinces soit moins clair. Il faudra peut‑être révoquer temporairement le statut des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É.

[Souligné par le demandeur]

[76] Le demandeur fait remarquer que le rapport de situation du 9 novembre 2021 montre également qu’à cette date, on se demandait encore quel pouvoir permettrait de répondre à la demande de l’APHIS de restreindre le transport de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. vers d’autres régions du Canada. Selon lui, l’ACIA a mis la proverbiale charrue devant les bœufs en engageant le Canada dans un plan d’action sans avoir de raisons scientifiques de le faire et sans savoir encore s’il en avait le pouvoir légal.

[77] Comme je l’ai mentionné, j’examinerai brièvement la preuve qui a été soumise au ministre, y compris la preuve scientifique, afin d’évaluer si elle étaye le soupçon raisonnable exigé par le paragraphe 15(3) de la Loi. Cependant, la première question est de savoir si les considérations commerciales qui ressortent du dossier ont eu une influence qui permet de conclure que l’arrêté ministériel a été pris à des fins inappropriées ou sur le fondement d’une considération non pertinente et qu’il est donc déraisonnable.

[78] Je ne suis pas convaincu que les considérations de nature commerciale qui, à vrai dire, ont influencé la décision de prendre l’arrêté ministériel n’avaient rien à voir avec la décision. Le ministre est responsable de l’ACIA et fixe pour elle les grandes orientations à suivre (voir l’art 4(1) de la Loi sur l’ACIA), et l’ACIA est chargée d’assurer et de contrôler l’application de la Loi (voir l’art 11(1) de la Loi sur l’ACIA), dont l’objet est d’assurer la protection de la vie végétale et des secteurs agricole et forestier de l’économie canadienne en empêchant l’importation, l’exportation et la propagation de parasites au Canada et en y assurant la défense contre ceux‑ci ou leur élimination (art 2). Cet objet a été reconnu dans des décisions antérieures (voir Cropvise, au para 78, citant Adams c Borrel, [2008] NBCA 62 aux para 5 et 44). Ainsi, la mission de l’ACIA et la sphère de compétence du ministre s’étendent clairement à la protection des intérêts économiques canadiens, dans la mesure où ils peuvent être touchés par l’exportation ou la propagation de parasites, et la protection de ces intérêts ne saurait être qualifiée de fin inappropriée ou de considération non pertinente.

[79] Cela dit, le fait qu’il existe des considérations économiques pertinentes n’est manifestement pas suffisant pour justifier la prise de l’arrêté ministériel au titre du paragraphe 15(3) de la Loi. Le pouvoir conféré par cette disposition est facultatif, et des considérations économiques comme celles soulevées lors des discussions liées au commerce que l’ACIA a eues avec les États‑Unis à l’automne 2021 sont des considérations pertinentes pour l’exercice de ce pouvoir. Toutefois, le pouvoir conféré par le paragraphe 15(3) ne peut être exercé que si les conditions prévues par cette disposition sont respectées. C’est‑à‑dire que l’exercice de ce pouvoir doit être justifié par un soupçon raisonnable, fondé sur des faits objectifs, que le parasite se trouve à l’endroit déclaré infesté, ce qui est compatible avec les positions des deux parties.

[80] Avant d’examiner sous cet angle le caractère raisonnable de l’arrêté ministériel, je précise que j’ai tenu compte des arguments du demandeur (expliqués ci‑dessus) concernant la discussion que les défendeurs ont eue au sujet du fondement légal possible du pouvoir du ministre, qui a ultimement abouti à la prise de l’arrêté ministériel. Ayant conclu que l’inquiétude de l’ACIA quant aux répercussions des cas de GV détectés en 2021 sur le commerce avec les États‑Unis était un facteur pertinent, je ne vois rien de déraisonnable dans le fait que l’ACIA ait d’abord jugé nécessaire de répondre à cette préoccupation et qu’elle se soit ensuite intéressée au pouvoir légal qu’elle avait de mettre en œuvre une solution.

[81] Aussi, bien que je comprenne que les rapports de situation des 29 et 30 octobre 2021 révèlent que l’ACIA entendait accéder aux demandes des États‑Unis avant de savoir si elle en avait le pouvoir légal, cela n’aide pas particulièrement le demandeur, puisque le pouvoir de prendre un arrêté ministériel et la décision de prendre un tel arrêté appartiennent au ministre et non à l’ACIA.

(3) La preuve présentée au ministre étaye‑t‑elle la décision de prendre l’arrêté?

(a) Nature du contrôle selon la norme de la décision raisonnable

[82] Avant d’examiner les arguments des parties sur le caractère raisonnable de la décision du ministre de prendre l’arrêté, compte tenu de la preuve documentaire qui lui avait été présentée, je ferai quelques observations au sujet de certains principes généraux liés à l’application de la norme de la décision raisonnable, comme l’explique l’arrêt Vavilov.

[83] Comme le souligne le demandeur, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’attache à la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit (voir Vavilov, au para 82). Le décideur administratif doit adhérer à une culture de la justification (voir Vavilov, au para 14), de sorte que la cour de révision puisse bien comprendre le raisonnement qu’il a suivi afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

[84] En l’espèce, les parties ont surtout fait des observations sur les contraintes juridiques que représente le paragraphe 15(3) de la Loi, la disposition sur laquelle est fondé l’arrêté ministériel, la définition réglementaire du terme « infesté », et l’application de la norme du soupçon raisonnable que commande cette définition. Fidèle à la culture de la justification qui est requise, la Cour examinera si l’ordonnance ministérielle est raisonnable à la lumière de ces contraintes juridiques et axera son examen sur le raisonnement qui sous‑tend la décision (voir Vavilov, au para 15), tout en tenant compte du dossier qui lui a été présenté.

[85] L’arrêté ministériel lui‑même ne contient pas d’analyse de la question de savoir si les exigences du paragraphe 15(3) de la Loi sont respectées. Toutefois, je comprends que les parties s’entendent pour dire que, pour bien comprendre le raisonnement qui sous‑tend la décision et, par conséquent, en évaluer le caractère raisonnable, la Cour devrait avoir recours à la trousse d’information que l’ACIA a présentée au ministre, le 19 novembre 2021, à l’appui de la prise de l’arrêté ministériel. Les observations des parties portent principalement sur trois documents de cette trousse d’information :

  1. une ébauche d’évaluation des risques phytosanitaires (souvent appelée analyse du risque phytosanitaire [ARP]), signée le 18 novembre 2021 (bien que portant encore la mention « ébauche »), préparée par le Service d’évaluation des risques phytosanitaires de la Division des sciences de la protection des végétaux [Direction générale des sciences] de l’ACIA. Dans son affidavit, M. Bailey explique que le rôle d’une ARP est d’offrir une base scientifique sur laquelle peuvent être prises les décisions en matière de politiques et de programmes;

  2. le DGR (document sur la gestion des risques), préparé par la Direction générale des politiques et des programmes de l’ACIA [Direction générale des politiques], que M. Bailey décrit comme énonçant le processus décisionnel à suivre à l’égard d’un problème particulier de gestion des risques phytosanitaires;

  3. une note d’information au ministre [note d’information], qui se termine par une recommandation au ministre de prendre l’arrêté proposé.

Mon analyse portera également sur ces documents.

(b) La position du demandeur

[86] Au soutien de sa position selon laquelle la preuve soumise au ministre ne faisait état d’aucun fait objectivement discernable à partir duquel il aurait pu raisonnablement soupçonner la présence de la GV partout à l’Î.‑P.‑É., le demandeur a présenté un historique détaillé des cas de GV qui ont été détectés à l’Î.‑P.‑É. et des activités de contrôle qui y ont été exercées. Les événements marquants de cet historique sont les suivants :

  1. Après la première détection de la GV à l’Î.‑P.‑É. en octobre 2000, l’ACIA a établi et mis en œuvre un plan opérationnel triennal selon lequel tous les champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. doivent faire d’objet d’inspections visuelles et tous les lots de pommes de terre de semence de la province doivent faire l’objet d’échantillonnages de sol à des fins d’analyse pour le dépistage de la GV. Tous les champs dans lesquels la GV a été identifiée ont été frappés de quarantaine;

  2. Entre 2001 et 2008, l’ACIA a mené des activités de surveillance dans près de 99 % de tous les champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É.;

  3. En 2009, sur la base des données de référence recueillies dans le cadre des initiatives susmentionnées, l’ACIA a mis en œuvre le plan de lutte, tel que décrit plus haut dans les présents motifs;

  4. Entre 2001 et 2011, toutes les détections additionnelles de la GV à l’Î.‑P.‑É. ont été faites dans des champs qui étaient associés, d’une manière ou d’une autre, à la détection de 2000. Toutefois, en 2012, l’Î.‑P.‑É. a connu les premières détections de la GV qui n’étaient pas reliées à des détections antérieures. La situation s’est reproduite en 2014. La détection de 2014 a également été la première détection faite dans un champ de pommes de terre de semence (ce qui représente un risque particulier, car les pommes de terre de semence sont destinées, de par leur nature, à être replantées dans d’autres champs).

  5. À la suite de la détection de 2014, les États‑Unis ont publié l’ordonnance fédérale américaine de 2015, tel que décrit précédemment dans les présents motifs, et cela a amené l’ACIA à mettre en œuvre le Programme de certification phytosanitaire des exportations;

  6. En octobre 2020, l’ACIA a confirmé des détections de la GV dans deux champs d’une même exploitation de pommes de terre de semence et ces détections n’étaient pas reliées à des détections antérieures. Après ces découvertes, l’ACIA a entrepris de revoir son approche de lutte contre la GV à l’Î.‑P.‑É., et en janvier 2021, la Direction générale des politiques a demandé à la Direction générale des sciences de préparer une analyse du risque phytosanitaire (ARP). Elle lui a également demandé de préparer, dans un délai plus court, un document informatif pour répondre à certaines questions sur la probabilité d’établissement et de propagation de la GV;

  7. La réponse à la seconde demande, intitulée « Information sur la biologie de l’organisme nuisible – Avis scientifique sur la probabilité d’établissement et sur la probabilité de propagation de Synchytrium Endobioticum (galle verruqueuse de la pomme de terre) », a été livrée le 31 mai 2021 [Information sur la biologie de l’organisme nuisible];

  8. Le 1er et le 14 octobre 2021, l’ACIA a confirmé des détections de la GV qui sont à l’origine de la mise en œuvre des mesures réglementaires qui sont l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Ces détections ont été faites dans deux champs séparés de pommes de terre de transformation sur deux exploitations agricoles distinctes, après que les producteurs eurent soumis une pomme de terre suspecte à l’ACIA à des fins d’analyse. Les deux champs étaient des champs associés à des champs où des détections avaient été faites antérieurement.

[87] À la lumière de cet historique, des documents qui y sont mentionnés et d’autres documents versés au dossier, le demandeur attire l’attention sur les données suivantes, que les défendeurs ne contestent pas, à ma connaissance :

  1. Avant la mise en œuvre du plan de lutte en 2009, 99 % des champs de pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. faisaient l’objet d’une enquête pour le dépistage de la GV;

  2. Les principaux éléments du plan de lutte sont les analyses de sol et les activités de surveillance. Entre 2010 et 2019, 67 221 échantillons de sol ont été prélevés dans 3054 champs réglementés à des fins d’analyse dans le cadre du plan;

  3. Des activités de surveillance sont également menées dans le cadre du Programme de certification phytosanitaire des exportations et pour satisfaire aux exigences de l’ordonnance fédérale américaine de 2015. Entre 2015 et 2019, 4900 échantillons de sol ont été prélevés dans 375 champs non réglementés, puis analysés pour la certification de leur statut indemne de GV aux pays importateurs;

  4. Actuellement, 1357 champs réglementés sont visés par le plan de lutte, soit 40 616 acres ou 11 % de l’ensemble des champs de la province qui sont affectés à la culture de la pomme de terre (350 000 acres);

  5. Sur les 1357 champs réglementés, seuls 35 champs sont des champs index (c.‑à‑d. des champs de catégorie A) dans lesquels la GV a été effectivement détectée. Ces 35 champs totalisent 1663 acres, soit environ 0,4 % de la superficie des terres de l’Î.‑P.‑É. qui sont affectées à la culture de la pomme de terre. Les 1322 autres champs réglementés (c.‑à‑d. les champs des catégories B, C et D) sont des champs associés par réglementation aux champs index et qui font l’objet de contrôles;

[88] Le demandeur accorde également une importance particulière au contenu du document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible. Ce document explique les divers contrôles réglementaires qui étaient en place en mai 2021, qu’il s’agisse de mesures phytosanitaires générales ou de mesures spécifiques à la GV, et qui sont utilisés pour prévenir la propagation de la GV depuis les champs réglementés de l’Î.‑P.‑É. Ces mesures sont les suivantes :

  1. le Programme canadien de certification des pommes de terre de semence, mis en œuvre par l’ACIA en vertu de la Loi sur les semences, LRC 1985, c S‑8, qui comprend des inspections des cultures dans les champs, des inspections des tubercules après leur récolte et la certification subséquente des pommes de terre qui sont destinées à être expédiées ailleurs au pays ou exportées;

  2. la certification phytosanitaire des exportations, conformément à l’ordonnance fédérale américaine de 2015, implique que l’ACIA fasse une vérification pour s’assurer que les pommes de terre destinées à être exportées aux États‑Unis n’ont pas été cultivées dans des champs réglementés et qu’elle procède à des échantillonnages de sol dans les champs;

  3. des exigences additionnelles à l’importation et des ententes de conformité applicables aux installations de transformation des pommes de terre.

[89] L’une des questions auxquelles la Direction générale des sciences devait répondre dans le document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible était dans quelle mesure les contrôles réglementaires et les mesures d’atténuation en place à l’époque étaient efficaces pour prévenir la propagation anthropique de la GV au Canada. Le demandeur invoque ce document et insiste en particulier sur l’annexe 4, intitulée [traduction] « Résumé des risques associés et mesures d’atténuation actuellement en place pour les champs réglementés ». À la section du document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible qui traite du plan de lutte, on renvoie à l’annexe 4 qui comprend un résumé des risques associés et des mesures d’atténuation pour chaque catégorie de champ réglementé. Le demandeur attire l’attention de la Cour sur le fait que, pour chacune des catégories A à D, l’annexe 4 contient, dans la colonne intitulée [traduction] « Efficacité des mesures actuellement en place pour atténuer les risques associés », des déclarations (faites au moins en partie dans le contexte de la propagation anthropique) selon lesquelles les mesures en place semblent atténuer adéquatement les risques de propagation.

[90] Dans le même ordre d’idées, la conclusion de l’ARP est que, dans le contexte du plan de lutte et de la certification des exportations, le risque de propagation anthropique depuis les zones réglementées de l’Î.‑P.‑É. est fortement réduit pour toutes les voies de propagation. De plus, le taux de détection de la GV à l’Î.‑P.‑É. ne s’est pas accéléré au cours des 20 dernières années. Le demandeur ajoute que, dans son analyse sur la propagation de la GV à l’Î.‑P.‑É. entre 2000 et 2020, l’ARP indique que, puisqu’il faut parfois de nombreuses années de surveillance et d’analyses de sol avant que la GV puisse être détectée dans les champs réglementés comme étant des champs adjacents, de contact primaire ou autrement exposés, une nouvelle détection de la GV dans la zone réglementée ne signifie pas nécessairement que les mesures mises en place pour atténuer la propagation de la maladie sont inefficaces.

[91] Le demandeur soutient que le plan de lutte a été remarquablement efficace pour détecter la GV et en contenir la propagation. Il souligne le témoignage de M. Donald selon lequel il n’y a eu aucune détection de GV attribuable aux pommes de terre de l’Î.‑P.‑É. dans les marchés hors de l’Î.‑P.‑É. Il soutient que les détections d’octobre 2021 n’étaient pas inattendues, car elles ont été faites dans des champs réglementés, et que ces champs présentent un risque documenté d’exposition à la GV. Dans l’ensemble, le demandeur affirme que, compte tenu de l’historique de la GV à l’Î.‑P.‑É. et de la preuve contenue dans les travaux de la Direction générale des sciences, les faits portés à la connaissance du ministre n’étaient pas des faits objectivement discernables à partir desquels celui‑ci pouvait raisonnablement soupçonner que la GV était présente dans l’un ou l’autre des champs non réglementés.

[92] Le demandeur s’appuie aussi sur le contre‑interrogatoire de M. Bailey mené par son avocat, et cite les questions et réponses suivantes :

[traduction]

Q. Le seul secteur où la preuve vous permet de soupçonner la présence de galle verruqueuse, c’est celui des champs réglementés, n’est‑ce pas?

R. Je dirais que, pour l’instant, vous avez raison, mais il y a de nombreux experts qui pensent qu’il y a probablement une faible prévalence de la galle verruqueuse sur l’île, sinon certains, aux opinions plus extrêmes, pensent qu’elle est peut‑être endémique à l’île.

[…]

Q. Et vous conviendrez avec moi que sur les 88 % restants de la superficie de l’Î.‑P.‑É., soit… environ 8 300 champs, il n’y a aucune preuve de présence de galle verruqueuse dans ces champs, n’est‑ce pas?

R. Si je comprends bien vos calculs, je dirais que oui, vous avez raison. Toutefois, je ne veux pas prendre de décision en fonction de vos calculs improvisés. Mais l’énoncé est relativement vrai.

[…]

Q. Donc, encore une fois, on dit qu’ils ne sont pas réglementés parce que l’ACIA n’a aucune preuve qu’il y a eu contact ou aucune raison de soupçonner que la galle verruqueuse se trouverait dans ces champs, n’est‑ce pas?

R. C’est exact, mais nous n’avons pas fait d’études approfondies dans ces champs pour le savoir avec certitude.

[…]

Q. Oui, vous étiez d’accord avec la Direction générale des sciences… l’analyse et la conclusion de votre service scientifique selon lesquelles les mesures actuelles d’atténuation des risques étaient adéquates pour prévenir la propagation de la galle verruqueuse, n’est‑ce pas?

R. C’est exact.

[…]

Q. Oui, j’ai dit que la Direction générale des sciences avait dit, et vous étiez d’accord, comme vous me l’avez dit à quelques reprises, que les mesures réglementaires actuelles étaient efficaces pour prévenir la propagation de la galle verruqueuse, n’est‑ce pas?

R. C’est exact.

Q. Donc, la seule variable en ce moment est le risque et les désirs des États‑Unis, n’est‑ce pas?

R. Notre tolérance au risque change également. Si vous parlez des États‑Unis, il est certain que leur niveau est beaucoup plus élevé, beaucoup plus élevé que le nôtre.

(c) La position des défendeurs

[93] Les défendeurs contestent les dires du demandeur, selon qui le plan de lutte a été « remarquablement efficace » pour contenir la GV. Ils soutiennent que, depuis la première détection et pendant tout le temps où le plan a été en vigueur, le nombre de détections de GV et la superficie des terres touchées ont augmenté considérablement, y compris le nombre de cas détectés dans chaque comté de l’Î.‑P.‑É. S’appuyant sur un affidavit souscrit par Mme Cheryl Corbett, gestionnaire nationale du Service d’évaluation des risques phytosanitaires à la Direction générale des sciences de l’ACIA, les défendeurs font remarquer que la superficie des terres réglementées au titre du plan de lutte du 8 août 2022 est passée à 40 616 acres, comparativement à 7 836 acres en 2009 lorsque le plan a été adopté. Mme Corbett mentionne que les détections d’octobre 2021 ont à elles seules fait accroître la zone réglementée de 10 % et le nombre de champs nécessitant un échantillonnage du sol de 23 %.

[94] Les défendeurs contestent également l’argument du demandeur, selon qui les détections d’octobre 2021 n’auraient pas dû être considérées comme particulièrement alarmantes parce qu’elles ont été faites dans des champs réglementés où le risque d’exposition à la GV est documenté. M. Bailey explique que le fait que ces cas aient été détectés dans des champs de catégorie D préoccupait l’ACIA (et l’APHIS), justement parce que ces champs avaient été contrôlés pendant plusieurs années dans le cadre du plan de lutte et qu’on pensait donc qu’ils posaient un risque moins élevé de propagation de la GV. Les détections d’octobre 2021 ne sont pas le résultat d’une surveillance exercée au titre du plan, mais plutôt du fait que des producteurs ont soumis à l’ACIA des pommes de terre suspectes aux fins d’analyse.

[95] M. Bailey explique qu’à la suite des détections de 2021, l’ACIA a procédé à un examen accéléré de l’approche de lutte contre la GV qu’elle avait adoptée après les détections d’octobre 2020, et c’est dans ce contexte que des employés de l’ACIA ont préparé l’ARP et le DGR. Même si l’ARP ne contient pas de données sur les détections d’octobre 2021, les défendeurs attirent l’attention sur l’information suivante qu’elle renferme :

  1. La voie de propagation de la GV qui représente le plus grand risque est la plantation de tubercules de pommes de terre infectés (c.‑à‑d. des pommes de terre de semence);

  2. Le plan de lutte ne comporte aucune exigence de nettoyage et de désinfection pour l’équipement ou les véhicules qui ont été dans des champs de catégorie D;

  3. Les répercussions économiques et commerciales potentielles de la GV sont majeures, car une seule détection peut avoir des conséquences dévastatrices et de large portée.

[96] Renvoyant au DGR, les défendeurs mettent en exergue le paragraphe suivant de son résumé :

[traduction] À la suite des détections de 2020 et de 2021, l’ACIA a entrepris de réviser en profondeur son approche de lutte contre la GV et des informations scientifiques afin de mettre à jour son évaluation du risque phytosanitaire. L’exercice a permis de cerner les limites du programme et de recommander les améliorations suivantes : élargir l’étendue de la zone réglementée afin de remédier aux limites de détection, et renforcer le contrôle de la voie suivie par les pommes de terre de semence pour s’assurer que la GV ne se propage pas au‑delà de la province.

[97] Bien qu’il présente plusieurs options de gestion des risques phytosanitaires, le DGR recommande en fin de compte le recours à un arrêté ministériel comme moyen d’agir rapidement pour atténuer le risque de propagation de la GV depuis l’Î.‑P.‑É. La note d’information qui accompagne l’ARP et le DGR mentionne également plusieurs options réglementaires, mais recommande le recours à l’arrêté ministériel.

(d) Analyse du caractère raisonnable de l’arrêté ministériel

[98] Comme point de départ de l’analyse du caractère raisonnable de l’arrêté ministériel, il importe de répéter que cette analyse doit être effectuée en fonction de la preuve dont disposait le ministre au moment où la décision a été prise. Par conséquent, l’utilité de la preuve présentée par les témoins respectifs des parties, tant dans leur affidavit que dans leur contre‑interrogatoire, est limitée sauf, bien sûr, dans la mesure où ces témoins ont annexé à leur affidavit des documents présentés au ministre. Aucune des parties ne s’est opposée à l’admissibilité des affidavits de l’autre partie, et je reconnais que ces éléments de preuve peuvent être admis à titre de renseignements généraux qui peuvent aider la Cour à comprendre les faits et les questions qui sous‑tendent la demande. Toutefois, comme ces éléments n’étaient pas au dossier soumis au ministre, ils ne sauraient servir de fondement à une conclusion sur le caractère raisonnable de la décision contrôlée.

[99] À titre d’exemple, j’ai mentionné plus haut l’explication de M. Bailey, dans la référence mise en exergue par les défendeurs, que le fait que les détections d’octobre 2021 dans des champs de catégorie D inquiétaient l’ACIA (et l’APHIS) justement parce que ces champs étaient surveillés depuis plusieurs années dans le cadre du plan de lutte et qu’ils présentaient vraisemblablement un risque plus faible de transmission de la GV. La Cour ne peut s’appuyer sur le raisonnement fourni par M. Bailey dans son affidavit pour évaluer le caractère raisonnable de l’arrêté ministériel. Toutefois, dans leurs observations, les défendeurs ont également souligné le passage suivant de la conclusion de l’ARP, qui forme le paragraphe final sous le titre [traduction] « Évaluation des risques concernant la probabilité de propagation » et le sous‑titre « Potentiel de propagation anthropique » :

[traduction] Le plan de lutte ne fournit pas de lignes directrices claires sur les exigences applicables aux champs de catégorie D pour les tubercules de pommes de terre de transformation et de table, la terre associée à ces tubercules, la terre en vrac et la terre associée à l’équipement et aux véhicules qui entrent et sortent de ces champs. Bien qu’une surveillance soit requise pour la première variété de pommes de terre sensible, aucun avis de restriction n’a été publié pour les champs de catégorie D afin d’interdire le déplacement de terre ou d’exiger le nettoyage et la désinfection de l’équipement et des véhicules qui entrent et sortent de ces champs. Par conséquent, les mesures d’atténuation qui réduisent les risques dans les champs de catégorie D sont principalement des mesures phytosanitaires générales (p. ex., l’inadmissibilité des pommes de terre de semence au transport sur le territoire canadien dans le cadre du Programme de certification des pommes de terre de semence; l’inadmissibilité à l’exportation dans le cadre du Programme de certification phytosanitaire des exportations) plutôt que des mesures de restrictions spécifiques aux champs énumérés dans le plan de lutte. Compte tenu du nombre élevé de champs de catégorie D, toute mesure additionnelle imposée aux champs de catégorie D toucherait un grand nombre de champs. Cependant, en raison des limites de détection des analyses de sol et des inspections visuelles, il est possible qu’un champ de catégorie D abrite une population de spores de la GV inférieure au seuil de détection et que des spores soient disséminées à l’extérieur de ce champ par des activités anthropiques qui font l’objet de restrictions uniquement dans le cas des champs de catégorie A, B ou C.

[100] Je vois dans ce passage la même préoccupation que celle soulevée dans l’affidavit de M. Bailey, ce qui, selon les défendeurs, appuie le caractère raisonnable de l’arrêté ministériel. Ce raisonnement fait partie du dossier présenté au ministre, et j’y reviendrai plus tard dans mon analyse.

[101] Comme il a été mentionné ci‑dessus, le demandeur s’appuie également en grande partie sur la preuve de M. Bailey, car il soutient que son avocat a obtenu, lors du contre‑interrogatoire de M. Bailey, des admissions qui minent la position des défendeurs selon laquelle les faits présentés au ministre étaient des faits objectivement discernables à partir desquels celui‑ci pouvait raisonnablement soupçonner la présence de la GV dans l’ensemble de l’Î.‑P.‑É. Encore une fois, le ministre ne disposait pas du contre‑interrogatoire de M. Bailey lorsqu’il a décidé de prendre l’arrêté ministériel. Par conséquent, il est difficile de comprendre comment cette preuve pourrait influencer de façon substantielle l’évaluation par la Cour du caractère raisonnable de la décision au sens de l’arrêt Vailov.

[102] Qui plus est, je ne suis pas convaincu que le témoignage de M. Bailey appuie la position du demandeur, c’est‑à‑dire qu’aucune base scientifique ne justifiait de déclarer que la province était infestée par la GV ou d’interdire le transport de pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. vers le reste du Canada. Bien que M. Bailey convienne avec l’avocat du demandeur que la preuve ne permettait pas de soupçonner la présence de la GV dans les champs non réglementés, il nuance son témoignage en ajoutant que l’ACIA n’avait procédé à aucune inspection approfondie des champs non réglementés pour le savoir avec certitude. Je considère que ses réponses sont liées aux données confirmant les détections de la GV, et non qu’elles vont à l’encontre des éléments de preuve fournis par la Direction des sciences dans l’ARP quant à la possibilité que l’absence de restrictions dans les champs de catégorie D favorise la propagation de la GV par des activités anthropiques.

[103] De même, lorsque M. Bailey a convenu avec la Direction générale des sciences que les mesures réglementaires actuelles étaient efficaces pour prévenir la propagation de la GV, il a nuancé ce témoignage en expliquant que la tolérance au risque de l’ACIA était en train de changer. En effet, lorsque l’avocat du demandeur a posé cette question, il a souligné que M. Bailey y avait déjà répondu. L’examen de la transcription du contre‑interrogatoire de M. Bailey révèle que les questions précédentes visaient à savoir si M. Bailey souscrivait aux opinions exprimées par la Direction générale des sciences à l’annexe 4 du document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible de mai 2021. En plus de souligner que le document au sujet duquel il était interrogé mentionnait qu’il était caduc, M. Bailey a expliqué qu’il croyait que les mesures d’atténuation des risques étaient considérées comme suffisantes « à l’époque ». Il a donné le témoignage suivant sur l’opinion exprimée à l’annexe 4, au sujet des champs de catégorie D en particulier :

[traduction]

Q. D’accord. Enfin, pour les champs de catégorie D, les mesures actuelles semblent atténuer adéquatement le risque de propagation pour les voies de propagation à risque élevé, qui sont les tubercules de pommes de terre de semence et la terre associée à ces tubercules, n’est‑ce pas?

R. Oui. Maintenant, il y a peut‑être une mise en garde à faire ici, à savoir que nous avons trouvé la GV dans les champs de catégorie D, que cette découverte change quelque peu l’évaluation des risques dans ces champs, et que c’est peut‑être ce qui est différent ici.

[104] Encore une fois, je ne crois pas que le contre‑interrogatoire de M. Bailey soit en contradiction avec le témoignage de la Direction des sciences dans l’ARP quant au risque de propagation de la GV depuis les champs de catégorie D.

[105] À l’appui de sa position selon laquelle la décision de prendre l’arrêté ministériel était déraisonnable, le demandeur affirme que les opinions exprimées par la Direction des sciences dans le document sur les renseignements biologiques, et dans les conclusions qui s’y trouvent, n’ont pas été intégrées dans l’ARP ou présentées au ministre. Toutefois, comme M. Bailey l’a fait remarquer en contre‑interrogatoire, le document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible porte la mention en filigrane « Remplacé par la demande 2021‑051 », qui, selon ma compréhension, est une référence à l’ARP. Ce qui est compatible avec l’explication donnée par Mme Corbett dans son affidavit quant à l’intention que les renseignements contenus dans le document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible concernant l’établissement et la propagation de la GV soient intégrés dans l’ARP.

[106] Même si l’annexe 4 ne fait pas partie de l’ARP, les opinions exprimées dans les sections Conclusion du document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible et Conclusion du document de l’ARP semblent cohérentes. L’ARP comporte cependant une mention additionnelle indiquant qu’en raison des limites de détection des analyses de sol et des inspections visuelles de tubercules, il est possible qu’un champ de catégorie D abrite une population sous‑détectable de spores de la GV qui peuvent être disséminées à l’extérieur du champ par des activités anthropiques qui font l’objet de restrictions uniquement dans les champs de catégories A, B et C. Selon le demandeur, le ministre aurait été privé d’informations pertinentes qui auraient pesé à l’encontre de la prise de l’arrêté industriel, mais j’estime que cette position n’est pas fondée.

[107] Dans sa contestation du caractère raisonnable de l’arrêté ministériel, le demandeur s’appuie également sur les déclarations suivantes présentées dans l’ARP :

  1. Les échantillonnages de sol exigés dans le cadre du Programme de certification phytosanitaire des exportations complètent ceux exigés dans le plan de lutte de portée nationale. L’augmentation des nombres totaux d’échantillons de sol prélevés et de champs échantillonnés accroît la confiance en l’absence de la GV dans les champs non réglementés et en sa détection précoce dans tous les champs qui abritent une faible densité de spores;

  2. Les champs non réglementés qui n’ont pas d’historique de liens avec un champ index représentent un niveau de risque nettement inférieur à celui des champs réglementés;

  3. Il faut parfois de nombreuses années de surveillance et d’analyses avant que la présence de la GV puisse être détectée dans des champs réglementés comme étant des champs adjacents, de contact primaire ou autrement exposés. Une nouvelle détection de la GV dans la zone réglementée ne signifie pas nécessairement que les mesures mises en place pour atténuer la propagation de la maladie sont inefficaces;

  4. Compte tenu des mesures d’atténuation actuellement en place pour prévenir la propagation de la GV au pays, le risque de propagation anthropique de cet agent pathogène est faible;

  5. Dans le contexte du plan de lutte et de la certification phytosanitaire des exportations, le risque de propagation anthropique depuis les zones réglementées de l’Î.‑P.‑É. est grandement réduit pour toutes les voies de propagation. Le taux de détection de la GV à l’Î.‑P.‑É. est resté relativement constant au cours des 20 dernières années, et il y a eu très peu de détections qui n’avaient pas de lien avec un champ index catégorisé antérieurement.

[108] Le problème avec la position du demandeur, c’est qu’elle revient à demander à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve soumise au ministre. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative (voir Vavilov, au para 125; Andrews c Alliance de la fonction publique), 2022 CAF 159 au para 29). En fait, et nous l’avons vu précédemment dans les présents motifs, la Cour doit évaluer si la décision est justifiée, transparente et intelligible au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision.

[109] Comme je l’ai mentionné, l’arrêté ministériel lui‑même ne contient pas le raisonnement qui sous‑tend le soupçon raisonnable de la présence de la GV dans des champs non réglementés, et les parties reconnaissent que la Cour doit consulter le dossier qui a été soumis au ministre afin de comprendre et d’évaluer ce raisonnement. Le demandeur renvoie en particulier au paragraphe suivant de la note d’information :

[traduction] En raison des conséquences engendrées par ce parasite nuisible, de la superficie des champs où sa présence a été détectée et de l’impératif d’agir rapidement pour maîtriser sa propagation anthropique, la prise d’un arrêté ministériel est l’option recommandée.

[110] Le demandeur reconnaît que les conséquences de la découverte de la GV sont graves. Toutefois, il soutient que la suggestion selon laquelle la superficie des champs dans lesquels la GV a été détectée justifie la prise de l’arrêté ministériel est une mauvaise interprétation des faits, car cette superficie ne représente que 0,4 % des quelque 350 000 acres de terres de l’Î.‑P.‑É qui sont affectées à la culture de la pomme de terre. Le demandeur conteste également l’impératif d’intervenir rapidement pour maîtriser la propagation anthropique de la GV.

[111] Je comprends que la trousse d’information présentée au ministre culmine avec la note d’information, mais ce document de six pages est de toute évidence sommaire par nature et ne peut être lu sans se reporter à la trousse d’information plus volumineuse qui contient l’ARP et le DGR. En ce qui concerne la superficie des champs où la GV a été détectée, l’ARP contient le chiffre auquel le demandeur fait référence, à savoir que les champs en cause représentent environ 0,4 % des terres de l’Î.‑P.‑É affectées à la culture de la pomme de terre. Par conséquent, cette information avait bel et bien été communiquée au ministre. Le DGR mentionne que chaque nouvelle détection accroît considérablement les besoins en ressources pour réglementer et assurer le contrôle de zones restreintes élargies et pour analyser des échantillons de sol afin de préserver l’accès aux marchés. Il explique également que les détections d’octobre 2021 se sont traduites par une extension de 10 % de la zone réglementée et par une augmentation de 23 % du nombre de champs visés par des échantillonnages de sol. En considérant la trousse d’information dans son ensemble, je ne peux pas conclure que l’indication de la superficie des champs en cause dans la note d’information constitue une information erronée ou trompeuse.

[112] De même, la référence à l’impératif d’agir rapidement pour maîtriser la propagation anthropique de la GV dans la note d’information doit être lue conjointement avec les autres documents de la trousse d’information. Je reviens notamment sur le paragraphe précité à la section Conclusion de l’ARP sous le titre « Évaluation des risques concernant la probabilité de propagation » et le sous‑titre « Potentiel de propagation anthropique ». Il est évident à la lecture de ce paragraphe que la Direction générale des sciences exprimait ses inquiétudes quant aux risques associés à la manière dont le plan de lutte réglementait les champs de catégorie D. Étant donné que les champs de catégorie D faisaient l’objet d’activités de surveillance, mais pas de restrictions qui empêcheraient le déplacement de terre ou la présence de terre sur l’équipement et les véhicules qui entrent et sortent de ces champs, et que l’efficacité des activités de surveillance dépend des limites de détection des analyses de sol et des inspections visuelles, la Direction générale des sciences a conclu que les champs de catégorie D pourraient abriter l’agent pathogène de la GV et contribuer ainsi à la propagation de la maladie dans d’autres champs par des activités anthropiques. Le DGR qualifie également la situation de la GV d’urgente et exprime des inquiétudes quant aux conséquences d’éventuels retards d’intervention qui pourraient permettre à la maladie de continuer à se propager. Considérant les préoccupations exprimées dans l’ARP et le DGR, je ne vois pas de raison de contester la référence à l’impératif d’intervenir rapidement dans la note d’information au ministre.

[113] J’estime que l’expression de ces préoccupations, particulièrement celles formulées par la Direction des sciences dans l’ARP, est transparente et intelligible et qu’elle justifie la conclusion qu’il existe des faits objectivement discernables à partir desquels il est raisonnable de soupçonner la présence de la GV. Je reconnais que ce ne sont pas des faits qui témoignent de la présence de la GV dans un champ ou des champs en particulier. La Direction générale des sciences désigne plutôt une voie de propagation de la GV aux champs de l’Î.‑P.‑É. qui ne sont pas des champs réglementés, une voie que les mesures réglementaires existantes n’ont pas empêchée. Cela étant, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de prendre l’arrêté ministériel.

[114] Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte d’un autre argument avancé par le demandeur dans la réplique orale qu’il a présentée à l’audition de la présente demande, à savoir que les termes employés dans le DGR ne sauraient servir de critère pour déterminer si le ministre pouvait prendre l’arrêté. Le demandeur fait remarquer que, dans la section introductive, sous la rubrique « Considérations relatives à la gestion des risques », le DGR contient le paragraphe suivant :

[traduction] Malgré les activités en cours, au cours des 21 dernières années, la GV a continué d’être détectée dans de nouveaux champs de l’Î.‑P.‑É. Après avoir analysé le plan de lutte contre la GV qui a été préparé à la suite des détections faites dans des exploitations de pommes de terre de semence en 2014 et en 2020, et de l’Enquête de 2021 en cours, l’ACIA ne peut pas exclure la possibilité que la GV soit présente dans d’autres champs de l’Î.‑P.‑É. et que d’autres champs aient donc pu être exposés à la GV par les pratiques de production employées. L’ACIA ne peut donc pas, à l’heure actuelle, confirmer que chaque comté de l’Î.‑P.‑É. demeure une zone indemne de l’organisme nuisible, selon les termes de la NIMP 4, ou une zone à faible prévalence de l’organisme nuisible, selon les termes de la NIMP 22. La GV a été détectée dans les trois comtés de l’Î.‑P.‑É. et chaque comté compte plusieurs champs réglementés qui présentent un risque élevé de la présence de la GV. Même le comté de Kings, qui est le comté le moins infesté, compte un champ infesté et plus de 25 champs justifiant des restrictions, des suivis et de la surveillance pour plusieurs décennies à venir.

[Souligné par le demandeur]

[115] Étant donné que le critère selon lequel il convient de prendre un arrêté ministériel en vertu du paragraphe 15(3) de la Loi est celui du soupçon raisonnable de la présence de la GV, le demandeur soutient que c’est le mauvais critère qui est appliqué dans le paragraphe ci‑dessus lorsqu’on dit que l’ACIA ne peut pas exclure la présence de la GV.

[116] J’admets que les termes « ne peut exclure » ne rendent pas avec exactitude la norme du soupçon raisonnable applicable au titre du paragraphe 15(3). Toutefois, comme il est expliqué dans l’arrêt Vavilov (au para 102), « le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Ailleurs dans le DGR, on arrive à la conclusion, après avoir analysé l’option de gestion des risques que constitue la prise de l’arrêté ministériel, que les méthodes actuelles de surveillance et de gestion se sont révélées insuffisantes, de sorte que le maintien du statu quo n’est plus considéré comme efficace pour prévenir la propagation de la GV. Cette conclusion va dans le sens de la préoccupation exprimée dans l’ARP selon laquelle les champs de la catégorie D pourraient abriter l’agent pathogène de la GV et contribuer ainsi à la propagation de la maladie dans d’autres champs par des activités anthropiques. Je vois dans les termes du DGR que le demandeur a soulignés une autre expression de cette préoccupation, et non une intention de formuler le critère applicable.

[117] En guise de conclusion sur cette question, j’estime que les arguments du demandeur ne minent pas le caractère raisonnable de la décision de prendre l’arrêté ministériel. Je souligne que, de par la façon dont le demandeur l’a formulée, la question comprend celle de savoir si l’application continue de l’arrêté ministériel est raisonnable. Le demandeur n’a cité aucune source qui permettrait à la Cour de se pencher sur l’effet continu d’une décision administrative après qu’elle a été prise, par opposition, par exemple, à une décision discrétionnaire de ne pas réexaminer une décision antérieure après qu’on lui eut demandé ou par suite d’un autre fait déclencheur. De plus, je crois comprendre du dossier présenté à la Cour que l’enquête de 2021 n’est pas encore terminée. Je ne vois aucune raison de conclure que l’application continue de l’arrêté ministériel est déraisonnable.

F. Les exigences relatives aux déplacements intérieurs étaient‑elles raisonnables (et leur application continue est‑elle raisonnable)?

[118] Le paragraphe 3(1) de l’arrêté ministériel interdit à quiconque de déplacer une « chose réglementée », y compris les pommes de terre de semence, à l’extérieur du « lieu infesté », à moins d’y avoir été autorisé préalablement par un inspecteur de l’ACIA. Les exigences relatives aux déplacements intérieurs, publiées le 22 février 2022, énoncent les conditions auxquelles un inspecteur peut donner une telle autorisation. Le demandeur soutient donc que les exigences découlent du pouvoir réglementaire de prendre l’arrêté ministériel et que, si l’arrêté ministériel n’est pas autorisé par la loi ou est déraisonnable, les exigences doivent également être annulées.

[119] Bien que je ne trouve aucune faille dans cet argument, je conclus que l’arrêté ministériel est raisonnable, et que les exigences relatives aux déplacements intérieurs ne sauraient donc être contestées. Toutefois, le demandeur soulève aussi certains arguments concernant le compte rendu de décision [CRD] et la note du 15 février 2022 destinée au président de l’ACIA [la note] qui l’accompagnait, lesquels ont été préparés en vue de la publication des exigences relatives aux déplacements intérieurs.

[120] S’agissant des conditions à appliquer dans l’évaluation au cas par cas des demandes relatives au déplacement des pommes de terre de semence à l’extérieur de l’Î.‑P.‑É., trois options sont étudiées dans le CRD et on y recommande l’option B, qui nécessite l’application de conditions inspirées de ce qui est décrit dans la note comme une norme internationale, « NIMP 10 : Exigences pour l’établissement de lieux et sites de production exempts d’organismes nuisibles » [NIMP 10]. On y déconseille aussi une autre option (l’option C), qui autoriserait le déplacement de toutes les pommes de terre de semence provenant de régions non réglementées de l’Î.‑P.‑É. (c.‑à‑d. les champs non réglementés). Le demandeur mentionne qu’avant d’arriver aux recommandations, on peut lire les énoncés suivants au sujet des options B et C, qui, selon lui, sont erronés ou trompeurs :

Option C … ne répond pas au risque dont il est question dans l’évaluation phytosanitaire de l’ACIA concernant la galle verruqueuse de la pomme de terre 2021‑051 (nov. 2021)

[…]

Option C … ne tient pas compte des préoccupations liées aux risques associés au déplacement des semences

[…]

Option B … répond au risque dont il est question dans l’évaluation phytosanitaire de l’ACIA concernant la galle verruqueuse de la pomme de terre 2021‑051 (novembre 2021)

[121] Le demandeur soutient que ces commentaires défavorables au sujet de l’option C et celui, favorable, au sujet de l’option B vont à l’encontre des conclusions de la Direction générale des sciences selon lesquelles les champs non réglementés représentent un niveau de risque nettement inférieur à celui à celui des champs réglementés et que les mesures actuelles semblent atténuer adéquatement le risque de propagation. J’ai examiné les arguments avancés à ce sujet par le demandeur dans mon analyse du caractère raisonnable de l’arrêté ministériel et, pour les mêmes motifs, je conclus que ces arguments ne minent aucunement le caractère raisonnable des exigences relatives aux déplacements intérieurs.

[122] Le demandeur souligne également le passage du Sommaire de la note où l’on dit que les pommes de terre de semence sont considérées comme une voie à risque élevé de propagation et d’établissement de la GV, selon l’ARP. Il soutient que cet énoncé déforme les conclusions de la Direction générale des sciences, qui a dit dans l’ARP que les pommes de terre de semence ne représentaient une voie à risque élevé de propagation de la GV qu’en l’absence de mesures d’atténuation. Toutefois, comme je l’ai expliqué dans l’analyse que j’ai faite des arguments du demandeur concernant l’arrêté ministériel, l’ARP soulève également des préoccupations au sujet de l’efficacité des mesures d’atténuation qui s’appliquent aux champs de catégorie D. Encore là, j’estime que cet argument ne mine pas le caractère raisonnable des exigences relatives aux déplacements intérieurs. Rien non plus ne permet de conclure que l’application continue des exigences est déraisonnable.

G. Le demandeur a‑t‑il été privé de l’équité procédurale en ce qui concerne la première suspension, la deuxième suspension et l’arrêté ministériel?

[123] Le demandeur affirme qu’il avait un droit (et qu’il en a été privé) à l’équité procédurale issu de la common law pour ce qui est du processus décisionnel des défendeurs. Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs, j’examinerai les arguments présentés par les parties à ce sujet, mais je me limiterai à ceux qui concernent l’arrêté ministériel étant donné l’issue de mon analyse du caractère théorique.

(1) Étendue de l’obligation d’équité procédurale

[124] Le demandeur renvoie la Cour à l’explication donnée aux paragraphes 54 à 56 de l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique, à savoir que la cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC) [Baker]. Ultimement, la Cour doit se demander si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu pleinement l’occasion d’y répondre.

[125] Les défendeurs ne contestent pas ces principes ni leur application à l’affaire qui nous occupe. Toutefois, ils soutiennent que, selon les facteurs de l’arrêt Baker, le degré d’équité procédurale auquel le demandeur avait droit en l’espèce était minime. Se référant aux facteurs prescrits par l’arrêt Baker, les défendeurs soutiennent ce qui suit :

  1. Nature de la décision recherchée et processus suivi pour y parvenir – Plus le processus décisionnel ressemble à une prise de décision judiciaire, plus il est probable qu’on exigera des protections procédurales proches du modèle du procès (voir Baker, au para 23). En l’espèce, la décision contestée n’a pas été prise à la suite d’un processus accusatoire ou juridictionnel, et elle ne visait pas spécifiquement le demandeur. Il s’agit plutôt d’une décision d’application générale prise par les défendeurs conformément au mandat que leur confère la loi de lutter contre les organismes nuisibles. La décision a également été prise de toute urgence en réponse à une situation qui évoluait rapidement, ce qui réduit donc le degré d’équité procédurale requis (voir Miel Labonté Inc c Canada (Procureur général), 2006 CF 195 au para 70);

  2. Nature du régime législatif – La Loi vise à assurer la protection de la vie végétale et des secteurs agricole et forestier de l’économie canadienne en empêchant l’importation, l’exportation et la propagation de parasites au Canada et en y assurant la défense contre ceux‑ci ou leur élimination (voir art 2 de la Loi). La Loi ne prévoit aucune obligation procédurale en ce qui concerne les décisions de la nature de celles en cause en l’espèce. La Loi accorde à l’ACIA un degré élevé de discrétion pour ce qui est de la lutte contre les parasites, ce qui milite en faveur d’un degré d’équité procédurale moins élevé (voir Friends of Point Pleasant Park c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16708 (CF) au para 37);

  3. Importance de la décision pour les personnes visées – Bien que le demandeur soit touché par les décisions en matière de gestion des risques phytosanitaires liés à la pomme de terre, il n’est pas partie à la décision contestée;

  4. Attentes légitimes de la personne qui conteste la décision – L’ACIA n’a pas créé d’attentes légitimes en rassurant le demandeur au sujet du processus qu’elle suivrait et elle ne lui a garanti aucun résultat en particulier. Tout au plus, l’ACIA s’est engagée à rencontrer le demandeur régulièrement pour le tenir au courant;

  5. Choix de procédures que l’organisme fait lui‑même – En tant qu’organisme national de réglementation de la protection des végétaux, l’ACIA était la mieux placée pour choisir les procédures qui convenaient dans les circonstances. Tout au plus, l’obligation d’équité en l’espèce exigeait que les parties susceptibles d’être touchées par la décision soient avisées de la décision et aient la possibilité d’être entendues lorsque les contraintes de temps le permettaient.

[126] Le demandeur n’a présenté aucune observation en réponse aux arguments ainsi présentés par les défendeurs. Je retiens donc ces arguments et je conclus que l’obligation d’équité procédurale qui s’applique se situe à l’extrémité inférieure du spectre.

(2) Analyse visant à déterminer si l’obligation d’équité procédurale a été respectée

[127] Le demandeur soutient que même le niveau d’équité procédurale le plus élémentaire lui a été refusé, car il a appris l’existence de l’arrêté après avoir reçu un appel téléphonique du ministre, vers 20 h 45 HNA le 21 novembre 2021, soit le jour où l’arrêté est entré en vigueur. C’est pourquoi le demandeur fait valoir qu’il n’a reçu aucun avis valable et qu’on ne lui a donné aucune possibilité de répondre. Il soutient également qu’il aurait été inutile de lui donner un tel avis ou une telle possibilité, car l’ACIA avait pris la décision sous‑jacente d’interdire le déplacement intérieur des pommes de terre de semence plus de trois semaines plus tôt, le 29 octobre 2021.

[128] Je crois comprendre que cette dernière observation fait référence au fait que le rapport de situation des 29 et 30 octobre 2021 reflète l’intention de l’ACIA d’accéder aux demandes présentées par les États‑Unis. Toutefois, comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs en analysant un autre des arguments du demandeur fondés sur ce document, le pouvoir de prendre l’arrêté et la décision de le prendre appartenaient au ministre, et non à l’ACIA. Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il aurait été inutile d’aviser le demandeur ou de lui donner la possibilité de répondre avant que l’arrêté ministériel ne soit pris le 21 novembre 2021.

[129] Quant à savoir si le demandeur a eu droit à un tel avis ou à une telle possibilité, les défendeurs contestent l’affirmation du demandeur selon laquelle il a appris l’existence de l’arrêté ministériel le jour où celui‑ci a été pris (21 novembre 2021). À l’appui de leur position, ils font valoir ce qui suit :

  1. Les rapports de situation des 26 et 28 octobre 2021 indiquent qu’à la suite des détections d’octobre 2021, l’ACIA a organisé une série de rencontres régulières avec l’industrie canadienne, le demandeur et la province, y compris la rencontre qui a eu lieu le 25 octobre 2021 avec le demandeur et la province, dont l’objet était de faire le point sur l’état de l’enquête et de discuter des problèmes d’accès aux marchés;

  2. Dans son affidavit, M. Bailey déclare que, lors d’une rencontre avec le demandeur le 16 novembre 2021, l’ACIA a soulevé la possibilité d’un arrêté ministériel. Cette possibilité a fait l’objet d’une discussion plus approfondie avec le demandeur les 18 et 19 novembre 2021;

  3. Dans son affidavit, M. Bailey déclare aussi que le 16 novembre 2021, l’ACIA a envoyé un courriel aux différents membres du demandeur et a joint à son courriel le document d’information sur la biologie de l’organisme nuisible et l’ébauche du DGR. Mme Corbett déclare quant à elle dans son affidavit que l’ACIA a également communiqué l’ébauche de l’ARP au demandeur le 18 novembre 2021.

[130] J’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs que, lorsqu’une cour évalue le caractère raisonnable d’une décision administrative, elle doit le faire en fonction de la preuve dont disposait le décideur. Toutefois, lorsqu’elle analyse un argument relatif à l’équité procédurale, la cour peut admettre d’autres éléments de preuve qui l’aideront à comprendre le processus qui a été suivi et, par conséquent, à évaluer si le degré d’équité requis a été accordé (voir Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13 à 14 et 25). Par conséquent, la preuve par affidavit de M. Bailey et de Mme Corbett est admissible à cette fin.

[131] Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve ou argument en réponse à la preuve et aux observations présentées par les défendeurs au sujet des échanges qu’ils ont eus avec lui au cours de la période ayant précédé la prise de l’arrêté ministériel. J’admets la preuve des défendeurs et je conclus que ces échanges satisfont à l’obligation d’équité procédurale à laquelle ils étaient tenus relativement à l’arrêté ministériel.

V. Conclusion et dépens

[132] En conséquence des analyses ci‑dessus, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire du demandeur. J’ai déjà expliqué que, bien que certains des arguments avancés par le demandeur au sujet des suspensions aient été jugés bien fondés, il reste que cette conclusion portait sur une question qui est maintenant sans objet et qu’elle ne fera l’objet d’aucune mesure de redressement dans l’ordonnance que je vais rendre.

[133] Chacune des parties a réclamé des dépens advenant que l’issue de la cause lui soit favorable. À l’audience, les avocats ont fait savoir qu’ils tenteraient de s’entendre sur le montant des dépens qui seront adjugés à la partie qui aura eu gain de cause et que, en cas d’entente, ils en informeraient la Cour par écrit après l’audience. Les parties n’ont pas été capables de s’entendre et chacune d’elles a présenté des observations écrites sur la façon dont la Cour devrait régler la question des dépens.

[134] Ces observations portaient non seulement sur le montant des dépens, mais aussi, et surtout, sur la question de savoir si le fait que les défendeurs ont reconnu à l’audience que les suspensions ne sont plus en vigueur devrait avoir une incidence sur l’adjudication des dépens. Le demandeur fait valoir que cette admission devrait empêcher les défendeurs d’avoir droit aux dépens, car la position qu’ils ont ainsi adoptée différait de celle qu’ils avaient défendue plus tôt dans le présent litige, ce qui fait que le demandeur a dû consacrer, bien inutilement, d’importantes ressources pour contester les suspensions. Les défendeurs contestent cette façon de décrire leur position et font valoir qu’ils ont toujours soutenu que les suspensions n’étaient plus en vigueur et que c’est la décision du demandeur de demander le contrôle judiciaire de ces décisions qui a inutilement compliqué les choses.

[135] J’ai examiné ces arguments et j’arrive à la conclusion que l’issue des questions soulevées à l’égard des suspensions devrait avoir une incidence sur l’adjudication des dépens, mais pas de la façon dont chacune des parties l’entend.

[136] Bien que la Cour ait rejeté la présente demande, les parties ont eu un succès mitigé sur les diverses questions de procédure et de fond qui ont été tranchées. Les défendeurs ont eu gain de cause sur la question de l’arrêté ministériel et des exigences relatives aux déplacements intérieurs, mais les arguments avancés au sujet de la première suspension et de la deuxième suspension ont principalement été tranchés en faveur du demandeur. Bien que j’aie conclu que la question des suspensions était théorique, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de trancher le différend concernant le fondement légal de ces suspensions et, n’eût été leur caractère théorique, les contestations soulevées par le demandeur se seraient soldées par un succès mitigé des parties dans la présente demande. Je décide donc, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que chaque partie devrait assumer ses propres dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1315‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Le demandeur est autorisé, en vertu de l’article 302 des Règles, à solliciter le contrôle judiciaire de plus d’une décision.

  2. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente demande.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1315‑22

INTITULÉ :

PRINCE EDWARD ISLAND POTATO BOARD c MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE ET AGENCE CANADIENNE DE L’INSPECTION DES ALIMENTS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mars 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2023

COMPARUTIONS :

Duncan C. Boswell

John J. Wilson

Pour le demandeur

Sarah Drodge

W. Dean Smith

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG Canada s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Pour les défendeurs

 

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