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Date : 20230411


Dossier : IMM-8758-21

Référence : 2023 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

NIR BAHADUR KHADKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Nir Bahadur Khadka, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 29 octobre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui avait conclu qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SAR a estimé que la question déterminante tenait à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Katmandou.

[2] Le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas appliqué les deux volets du critère relatif à la PRI et qu’elle a mal interprété la preuve, ce qui rend sa décision déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen népalais âgé de 44 ans.

[5] La famille du demandeur soutient le Parti du congrès népalais (le PCN). Il en est lui-même devenu membre en 2007 et a commencé à participer activement à des activités politiques. En 2009, il a été nommé membre du conseil d’administration du Jana Jyoti Youth Club (club jeunesse Jana Jyoti) à Itahari.

[6] Le demandeur craint d’être persécuté par les maoïstes Biplav, une branche politique du Parti communiste du Népal. L’aile jeunesse du Parti communiste, la Ligue de la jeunesse communiste (la LJC), est connue pour son recrutement musclé et ses extorsions de fonds.

[7] En février 2010, un dirigeant local de la LJC, Raj Kumar Shrestha (M. Shrestha), a sollicité du demandeur un don de 100 000 roupies pour la formation des membres de la LJC et lui a demandé de se joindre au Parti maoïste. Le demandeur affirme avoir donné 50 000 roupies à M. Shrestha et avoir refusé de se joindre au parti.

[8] Frustré par le climat politique régnant au Népal, le demandeur serait passé par la Russie et l’Estonie pour arriver au Portugal en mai 2010, où il a travaillé pendant presque deux ans comme travailleur agricole. Il prétend avoir alors versé près de 4 000 euros à un individu pour qu’il l’aide à obtenir un permis temporaire, mais que cet individu s’est volatilisé avec l’argent. Le demandeur a quitté le Portugal en juin 2012 pour se rendre en Allemagne, où il a présenté une demande d’asile qui a été refusée.

[9] Lorsque le PCN a obtenu une majorité lors de l’élection générale de 2013, le demandeur est retourné au Népal pour aider son père, qui prenait de l’âge, et subvenir aux besoins de sa famille. En mai 2014, il a épousé Sirjana Pokharel et ils ont eu un enfant. Son épouse et son enfant vivent actuellement à Katmandou.

[10] En octobre 2014, le demandeur a ouvert le Khadka Khadya Store, une épicerie. En janvier 2015, le PCN l’a nommé membre du comité municipal de la sous-métropole d’Itahari.

[11] D’après le demandeur, M. Shrestha et deux autres membres maoïstes Biplav se sont présentés à son épicerie en juillet 2016 et ont réclamé 500 000 roupies. Le demandeur a négocié à la baisse et payé 300 000 roupies, craignant pour sa sécurité et son entreprise. En juin 2017, il prétend qu’il faisait campagne avec son équipe lorsque trois membres Biplav ont violemment interpellé son groupe. L’un de ces membres était Padam Tamang (M. Tamang), un dirigeant maoïste.

[12] En octobre 2018, M. Shrestha est retourné à l’épicerie du demandeur et a de nouveau tenté de l’enrôler chez les maoïstes. Lorsque le demandeur a refusé, M. Shrestha a menacé de prendre des mesures. Le mois suivant, M. Tamang et d’autres maoïstes Biplav ont battu le demandeur alors qu’il transportait de la nourriture dans son camion et saisi des marchandises d’une valeur d’environ 300 000 roupies.

[13] Le demandeur a signalé l’incident à la police et au PCN. Ce dernier a publié un communiqué de presse, mais ni ce parti ni la police n’a pris d’autres mesures. Le demandeur a reçu d’autres menaces des Biplav. Quelques jours après l’incident, M. Tamang l’a contacté par téléphone pour le menacer parce qu’il avait rapporté l’incident à la police.

[14] En janvier 2019, M. Tamang et quatre autres maoïstes Biplav ont de nouveau bloqué le chemin du demandeur alors qu’il rentrait chez lui. Le groupe l’a attaqué physiquement et le demandeur a été blessé. Il a décidé de fermer son épicerie à cause de la violence qui s’intensifiait et s’est enfui à Katmandou. Il a continué à recevoir des appels menaçants de M. Tamang et a changé de numéro de téléphone en février 2019.

[15] Le demandeur a versé 500 000 roupies à un agent pour qu’il lui procure un visa canadien. Son épouse et son fils ont déménagé à Katmandou en mai 2019 et le demandeur a vendu son épicerie en juin 2019. Son épouse prétend que les maoïstes posaient encore des questions sur le demandeur et parcouraient le village à sa recherche. Le demandeur affirme que les maoïstes peuvent le retrouver n’importe où au Népal grâce à leur vaste réseau.

[16] Le demandeur est arrivé au Canada en juin 2019 et a présenté une demande d’asile.

[17] Dans une décision datée du 22 avril 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur et conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR a également jugé que la crainte de persécution du demandeur n’était pas fondée et qu’il disposait d’une PRI viable à Biratnagar ou à Katmandou.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[18] Dans une décision datée du 29 octobre 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Même si elle n’a pas souscrit à l’ensemble des conclusions de la SPR, la SAR a convenu que Katmandou offrait une PRI viable.

[19] Le demandeur a soumis à la SAR dix-neuf nouveaux éléments de preuve, tous des articles de presse concernant les conditions au Népal. La SAR n’a admis que trois d’entre eux parce qu’ils étaient postérieurs à la décision de la SPR, jugeant inadmissible le reste des documents.

[20] Deux questions ont été soulevées dans le cadre de l’appel interjeté devant la SAR : la SPR avait-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte de persécution du demandeur, et la SPR avait-elle eu tort de conclure qu’il existait des PRI viables? En ce qui concerne la première question, la SAR a convenu avec le demandeur que la SPR n’avait aucune raison de douter de sa crédibilité. La SAR a jugé que la SPR avait écarté un grand nombre des allégations du demandeur qui étaient au cœur de sa demande d’asile. La SAR a donc conclu que la SPR avait commis une erreur sur ce point.

[21] En ce qui a trait à l’analyse de la PRI, la SAR a souscrit aux motifs de la SPR, particulièrement en ce qui concerne la viabilité de Katmandou à titre de PRI. La SAR a ensuite appliqué le critère à deux volets pour déterminer si le demandeur disposait d’une PRI viable.

[22] Dans le cadre du premier volet, la SAR a relevé peu d’éléments de preuve au sujet d’agressions récentes de la faction Biplav contre des personnes, et peu d’éléments établissant que le demandeur était exposé à un risque de préjudice de la part d’autres groupes maoïstes. Katmandou se trouve à plus de 350 kilomètres du domicile du demandeur et compte plus d’un million d’habitants. En revanche, Biratnagar n’est qu’à 25 kilomètres de distance, quoique cette ville compte plus de 240 000 habitants. Le demandeur a fait valoir que les maoïstes Biplav exerçaient une grande influence dans tout le Népal. La SAR n’était pas d’accord.

[23] La SAR a également fait remarquer que le demandeur s’appuyait sur une preuve désuète à propos de la force de la LJC. Elle a fait observer que bon nombre de ces groupes maoïstes marginaux n’étaient pas les mêmes que les entités qu’il y a dix ans et qu’ils n’étaient pas non plus cohésifs ou unifiés. M. Shrestha, bien qu’initialement affilié à la LJC, faisait partie de la faction Biplav au moins depuis 2016. Cela donne à penser que le demandeur ne serait persécuté que par la faction Biplav proprement dite. En outre, la SAR a jugé que la preuve concernant la puissance et la taille de la LJC n’était pas convaincante.

[24] En ce qui concerne la faction Biplav, la SAR a jugé que sa source d’influence se situait, selon certaines informations, dans l’ouest du Népal, où le gouvernement népalais avait de la difficulté à exercer son autorité. Peu de choses sont connues sur la structure et l’organisation de ce groupe marginal. Bien que la faction soit présente dans d’autres régions du Népal, la preuve atteste qu’elle cible principalement les municipalités rurales pauvres sans armée ni force de police. La preuve indique également que la faction cible des individus surtout en dehors de Katmandou et que ses actes de violence sont sporadiques, sans toutefois établir que le groupe dispose d’un réseau national dont elle use pour traquer des cibles d’extorsion. La SAR n’a relevé aucune preuve établissant que les Biplav avaient retrouvé l’épouse et le fils du demandeur à Katmandou. Elle était convaincue que le demandeur pouvait poursuivre ses activités politiques à son retour à Katmandou, ne décelant aucune possibilité sérieuse que la faction Biplav ou d’autres partis maoïstes persécutent des membres du PCN dans cette ville.

[25] Dans le cadre du second volet du critère relatif à la PRI, la SAR a noté que la SPR avait tenu compte du niveau d’études du demandeur, de son expérience et de l’ingéniosité dont il avait fait preuve lors de ses séjours et de ses emplois à l’étranger. La SAR a ensuite examiné la décision Gurung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 622 (Gurung), mais a jugé que les faits de cette affaire différaient de ceux de l’espèce. Dans la décision Gurung, la SAR avait reconnu que la LJC disposait d’un réseau national qui lui permettait de retrouver le demandeur, ce qui faisait en sorte que les deux volets du critère étaient déraisonnables. En l’espèce, la SAR a jugé que l’agent de persécution n’était pas du tout le même. Par conséquent, elle a souscrit à l’analyse que la SPR avait effectuée dans le cadre du second volet, précisant que la jurisprudence avait placé la barre très haute. La SAR a convenu avec la SPR qu’aucun obstacle n’empêchait le demandeur de déménager à Katmandou, d’autant plus que sa famille vit actuellement dans cette ville sans difficulté. Le demandeur a terminé ses études secondaires et a travaillé au Népal et à l’étranger, ce qui signifie que son expérience professionnelle est diversifiée et qu’il pourra probablement trouver un emploi. La SAR a fini par souscrire à la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une PRI viable à Katmandou. Pour la SAR, cette conclusion était déterminante quant à l’issue de la demande d’asile du demandeur.

III. Question en litige et norme de contrôle

[26] La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[27] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16–17, 23–25). Je suis d’accord.

[28] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, y compris eu égard à son raisonnement et à son résultat (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont dispose le décideur, et de l’incidence de la décision sur ceux qui en subiront les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

IV. Analyse

[29] Le demandeur fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable et incompatible avec la preuve. Selon lui, il était uniquement tenu de présenter une preuve claire et convaincante d’une « possibilité sérieuse » de persécution dans la ville proposée comme PRI, invoquant à cet égard les décisions Sokol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1257, et Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 18 (Chowdhury) au paragraphe 30. Le demandeur invoque ensuite la décision Gurung pour étayer la même proposition que celle qu’il avait avancée devant la SAR, à savoir que l’agent de persécution l’expose à un risque dans tout le Népal en raison du vaste réseau dont il dispose.

[30] Le demandeur fait valoir qu’il ne lui est pas nécessaire d’établir le mode opératoire du « réseau national ». Il lui suffit de démontrer que les agents de persécution peuvent [traduction] « potentiellement » continuer de l’exposer à un risque dans tout le Népal, ce qui est attesté selon lui par la preuve contenue dans le Cartable national de documentation (CND). Le demandeur affirme, en se basant sur l’analyse de la SAR, que la faction Biplav (qui comprend selon lui la LJC et d’autres factions) dispose déjà d’un vaste réseau et a une grande influence dans tout le Népal. Bien que les attaques violentes commises par les Biplav soient sporadiques, le demandeur est encore exposé à un risque grave, d’autant plus qu’il a été désigné comme cible. Le demandeur maintient qu’il existe un réseau de maoïstes capables de le cibler dans tout le Népal. Il fait valoir que la SAR a conclu de manière déraisonnable qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse de persécution par des membres Biplav actifs ou plus généralement par d’autres partis maoïstes. Le demandeur soutient que la SAR a mal appliqué la norme pertinente.

[31] Le demandeur avance que la portée de l’analyse de la SAR était déraisonnablement limitée et que si l’on tient compte des factions autres que les Biplav, il est exposé à un risque de persécution bien plus élevé. Il soutient également que les agents de persécution ne se limitent pas aux Biplav, mais comprennent la LJC, car M. Shrestha était un dirigeant de cette ligue avant de se joindre à la faction Biplav et il n’est pas déraisonnable de conclure qu’il entretient des relations avec la LJC en tant qu’ancien dirigeant de cette ligue.

[32] De plus, la SAR a considéré le fait que le demandeur et sa famille n’avaient pas été découverts à Katmandou comme une preuve établissant que les maoïstes étaient incapables de le retrouver, une conclusion qui n’est, selon le demandeur, pas étayée. Le demandeur n’a vécu à Katmandou que de janvier à juin 2019 et il est demeuré discret. Il fait valoir que les maoïstes pourraient très bien avoir été inactifs pendant une certaine période, et qu’ils ont les ressources et la capacité de le retrouver. En outre, les agents de persécution n’avaient pas ciblé sa famille, qui n’est donc pas exposée aux mêmes risques que lui. Suivant la décision Gurung, le fait que les membres de la famille du demandeur n’aient pas eu de problèmes ne signifie pas que ce dernier ne serait pas persécuté à son retour (au para 10).

[33] Pour ce qui est du second volet du critère relatif à la PRI, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tenant compte uniquement de la faction Biplav lorsqu’elle a examiné les agents de persécution. Selon lui, le fait que M. Shrestha soit à présent membre des Biplav n’annule ni sa puissance ni son influence. De surcroît, la LJC est une faction jeunesse des maoïstes et n’est donc pas entièrement distincte du parti.

[34] Enfin, le demandeur soutient que la SAR s’est elle-même montrée intrinsèquement incohérente quant à l’identité de l’agent de persécution et que sa décision est donc inintelligible.

[35] Le défendeur maintient que la décision de la SAR est raisonnable. Il fait valoir qu’en réalité, le demandeur plaide de nouveau les mêmes arguments et conteste les conclusions factuelles tirées par la SAR. Cette dernière a tenu compte, dans ses motifs, de la preuve documentaire et des observations du demandeur avant de conclure que la faction Biplav ne disposait pas d’un « réseau national » pour traquer ses adversaires.

[36] Pour ce qui est des observations du demandeur concernant la décision Gurung, le défendeur fait remarquer que ce dernier s’appuie sur les mêmes arguments que ceux défendus devant la SPR et la SAR. Le défendeur convient avec la SAR que le dossier de preuve était différent dans l’affaire Gurung, où les éléments établissaient que l’agent de persécution était motivé à poursuivre le demandeur dans tout le pays et qu’il avait la capacité organisationnelle de le faire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[37] Le défendeur soutient que l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis l’erreur de ne tenant compte que de la faction Biplav comme agent de persécution n’est pas fondé. Il fait remarquer que le demandeur affirme lui-même que ceux qui le ciblent au Népal sont membres de cette faction. La SAR était donc en droit de caractériser et d’évaluer la demande d’asile du demandeur en ce sens. Le défendeur soutient en outre qu’en ce qui concerne l’épouse et le fils du demandeur à Katmandou, la SAR était aussi en droit de s’appuyer sur la preuve établissant que le harcèlement et les contacts avaient cessé lorsque l’épouse et le fils avaient déménagé à Katmandou.

[38] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, et qu’il est raisonnable de proposer Katmandou comme PRI. La SAR a accordé une grande attention aux arguments du demandeur, puisqu’elle était en désaccord avec la SPR sur de nombreux points. La décision de la SAR repose sur un raisonnement intrinsèquement cohérent qui se justifie à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, au para 101).

[39] Concernant le premier volet du critère relatif à la PRI et la « possibilité sérieuse » de persécution, je conviens avec la SAR que la faction Biplav n’avait pas les moyens de retrouver le demandeur à Katmandou. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Chowdhury, la question de la « possibilité sérieuse » nécessite une évaluation personnalisée (au para 24).

[40] La SAR a raisonnablement jugé que peu d’éléments de preuve indiquaient que les Biplav disposaient d’un réseau national, ou qu’ils avaient la motivation ou la capacité de trouver le demandeur à Katmandou. La SAR a également fait remarquer que malgré les similitudes entre les noms des divers groupes maoïstes, ils ne sont pas les mêmes entités qu’avant, et ils ne sont ni cohésifs ni unifiés. Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec cette conclusion, la décision de la SAR est logique, rationnelle et étayée par la preuve.

[41] Le demandeur fait valoir qu’il ne lui est pas nécessaire d’établir comment le « réseau national » opère ou fonctionne. Je ne crois pas que la SAR lui ait imposé le fardeau excessif de démontrer comment fonctionne le réseau Biplav. Elle a évalué la structure et l’organisation du parti afin de déterminer si la faction en question avait la puissance, l’influence et les moyens nécessaires pour trouver le demandeur à Katmandou. Cette démarche est pertinente et raisonnable, attendu que les opérations du parti se rapportent directement à l’évaluation par la SAR du premier volet du critère relatif à la PRI.

[42] En ce qui concerne l’utilité et la pertinence de la décision Gurung, je prends note de la décision Magar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1053 (Magar), dans laquelle notre Cour a conclu que la SAR avait raisonnablement examiné la preuve et l’existence des PRI, malgré des faits semblables à ceux de l’affaire Gurung. La Cour déclare ce qui suit aux paragraphes 27-28 de la décision Magar :

Quant à l’argument du demandeur selon lequel je devrais appliquer la décision Gurung en raison de la similarité de la trame factuelle, je souligne d’abord que chaque affaire est un cas d’espèce. Dans la décision Gurung, le juge Campbell a signalé que « la preuve faisant autorité en matière de “réseau national” déposée au dossier et confirmée par la SAR constitu[ait] une preuve que le demandeur [était] exposé à un risque à l’échelle nationale. » En l’espèce, comme je l’ai déjà mentionné, la preuve d’un tel réseau national reste nébuleuse.

Le demandeur s’en remet également à la décision Gurung pour conforter sa thèse selon laquelle une conclusion sur son bien-être dans les villes proposées à titre de PRI ne peut être tirée du fait que les membres de sa famille n’ont pas eu de problème. Bien que j’abonde dans ce sens en règle générale, je remarque que le demandeur semble avoir fait des problèmes de sa famille une partie pertinente de sa demande d’asile tout comme de ses observations sur les PRI. Comme le note la SAR au paragraphe 50 de sa décision :

[50] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), l’appelant prétend craindre que les maoïstes ne prennent des membres de sa famille pour cible et n’enlèvent peut-être son fils. Pourtant, lors de l’audience de la SPR en 2018, l’appelant a déclaré que son épouse vivait à Katmandou depuis janvier 2016 et qu’elle n’avait eu aucun problème avec les maoïstes. Il n’a mentionné aucun préjudice ni problème concernant ses enfants. Sa sœur, qui vit aussi à Katmandou, n’a connu aucun problème avec les maoïstes [non souligné dans l’original].

[43] Le même raisonnement peut s’appliquer en l’espèce. Malgré des similarités factuelles avec l’affaire Gurung, la situation du demandeur doit être évaluée selon les faits qui lui sont propres, sur la base d’un dossier de preuve distinct. La décision que la SAR a rendue dans le cas du demandeur concorde avec la preuve soumise.

[44] Contrairement à ce que fait valoir le demandeur, je ne crois pas non plus que la SAR a confondu les Biplav avec le Parti maoïste plus largement ni qu’il risque de subir un préjudice de la part de la LJC. Même s’il mentionne cette ligue dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et qu’il rapporte que M. Shrestha a tenté de le recruter pour la première fois en février 2010, tous les autres incidents qu’il décrit concernent les maoïstes Biplav. M. Shrestha a peut-être déjà été un dirigeant puissant de la LJC, mais cela ne veut pas dire que cette ligue ciblerait personnellement le demandeur dans tout le pays. En outre, comme l’a fait remarquer la SAR, M. Shrestha est membre du Parti maoïste Biplav au moins depuis 2016. La SAR a limité son analyse aux Biplav, car il s’agit de la faction maoïste que le demandeur a identifiée comme une menace. La SAR n’a commis aucune erreur factuelle sur ce point. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve établissant qu’il recevait continuellement des menaces de la part de la LJC à proprement parler. La preuve ne montre que des menaces de M. Shrestha, maintenant membre des Biplav. En fait, à l’exception des incidents impliquant M. Shrestha, aucun élément de preuve n’établit que des membres de la LJC ont agi comme agents de persécution.

[45] À mon avis, l’argument du demandeur selon lequel son épouse et son enfant n’ont été ni contactés ni approchés au Népal est pertinent. Comme l’épouse du demandeur a été harcelée par les Biplav avant de partir pour Katmandou, et qu’elle a cessé de l’être lorsqu’elle a déménagé, ce facteur est pertinent pour ce qui est de la décision de la SAR. Le demandeur convient que les Biplav ont peut-être été inactifs pendant une certaine période, ce qui explique pourquoi il n’a pas reçu de menace lorsqu’il vivait à Katmandou. Cet argument est extrêmement conjectural.

[46] Enfin, je conviens avec le défendeur qu’une grande partie des observations du demandeur, surtout en ce qui a trait au second volet du critère relatif à la PRI, ne font que reprendre ses arguments antérieurs. Le demandeur demande en réalité à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision lors d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). J’estime que la SAR n’a ni écarté ni mal interprété la preuve, et que la décision est donc raisonnable dans son ensemble.

V. Conclusion

[47] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. L’évaluation par la SAR de la PRI tient compte de la preuve et la décision est raisonnable dans l’ensemble. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8758-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8758-21

 

INTITULÉ :

NIR BAHADUR KHADKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Allen Chao-Ho Chang

 

POUR Le demandeur

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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