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Date : 20230404


Dossier : T-2680-22

Référence : 2023 CF 475

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ANATOLY KIMAEV

demandeur

et

MINISTRE DES TRANSPORTS DE L’ONTARIO

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Anatoly Kimaev affirme que, en 2004, les représentants du ministre des Transports de l’Ontario ont omis de l’informer que les exigences relatives à l’acuité visuelle pour l’obtention d’un permis de conduire utilitaire pouvaient être levées. Il affirme que le ministre est responsable d’avoir omis de veiller à ce que cette information soit connue des représentants et transmise à des demandeurs comme lui. Sa Majesté le Roi du chef de l’Ontario [l’Ontario] sollicite la radiation de la demande de M. Kimaev, sans autorisation de modification, parce que i) la Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard de cette demande et que ii) M. Kimaev n’a pas fourni d’avis de demande, comme l’exige l’article 18 de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant, LO 2019, c 7, annexe 17. En réponse, M. Kimaev demande que la requête de l’Ontario soit annulée et qu’un jugement par défaut soit rendu en sa faveur puisque l’Ontario n’a pas contesté sa demande.

[2] Pour les motifs détaillés qui suivent, je conclus qu’il est clair et évident que la Cour n’a pas compétence pour instruire la demande de M. Kimaev. La compétence de la Cour fédérale se limite à celle que lui confère la loi. Contrairement à ce qu’affirme M. Kimaev, ni la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, ni les autres lois ne confèrent à la Cour la compétence pour instruire la présente demande qui vise un ministre de la Couronne du chef de l’Ontario. Aux fins de leur application, la Loi sur les Cours fédérales et la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50, définissent les termes « Couronne » ou « État » comme étant « Sa Majesté du chef du Canada », c’est‑à‑dire la Couronne ou l’État fédéral : Loi sur les Cours fédérales, art 2(1); Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, art 2. Par conséquent, ni l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales ni l’article 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif fédérale n’habilitent la Cour fédérale à instruire des demandes visant la Couronne provinciale, qu’il s’agisse de « Sa Majesté du chef de l’Ontario » ou d’un ministre de la Couronne provinciale.

[3] Il s’ensuit que la requête en radiation de l’Ontario doit être accueillie et que les requêtes de M. Kimaev visant à faire annuler la requête de l’Ontario et à obtenir un jugement par défaut doivent être rejetées. Dans les circonstances, je n’ai pas à aborder la question du respect de l’article 18 de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant.

II. Analyse

A. Principes applicables à une requête en radiation

[4] La requête de l’Ontario est présentée conformément à l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). L’alinéa 221(1)a) des Règles prévoit qu’un acte de procédure peut être radié au motif qu’il « ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable », ce qui comprend les demandes qui ne révèlent aucune cause d’action relevant de la compétence de la Cour fédérale : Hodgson c Ermineskin Indian Band No 942, 2000 CanLII 15066 (CF) aux para 9‑10, conf par 2000 CanLII 16686 (CAF); Sokolowska c Canada, 2005 CAF 29 au para 15. Dans le cadre d’une telle requête, le défendeur doit démontrer que l’absence de compétence de la Cour est « claire et évidente » : Hodgson, au para 10.

[5] Le paragraphe 221(2) des Règles prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête visant à obtenir une ordonnance fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles. Néanmoins, lorsque la requête est fondée sur un défaut de compétence, il est bien établi que des affidavits peuvent être déposés à l’appui de la requête : Hodgson, au para 9, citant Mil Davie Inc. c Société d’Exploitation et de Développement d’Hibernia Ltée, 1998 CanLII 7789 (CAF) au para 8. Dans la présente affaire, l’Ontario a déposé un affidavit d’Amanda Benson, coordonnatrice intérimaire de l’attribution des dossiers et de la gestion des cas au Bureau des avocats de la Couronne – Droit civil du ministère du Procureur général. Cet affidavit fait état de la réception de la demande par l’Ontario et de l’absence dans la base de données ontarienne de toute trace de la signification par M. Kimaev d’un avis aux termes de l’article 18 de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant. Toutefois, l’affidavit ne présente aucun élément de preuve sur la question plus générale de la compétence de la Cour fédérale sur le fond du différend. La question de la compétence doit donc être tranchée uniquement en fonction de la déclaration telle qu’elle a été rédigée.

B. La déclaration

[6] M. Kimaev a déposé sa déclaration le 21 décembre 2022. Il souhaite obtenir du ministère des Transports de l’Ontario des dommages-intérêts d’un montant total d’environ 1,75 million de dollars. Les faits allégués dans sa demande se rapportent aux efforts qu’il a déployés au cours de l’été 2004 pour obtenir un permis de conduire de la province de l’Ontario dans un bureau de ServiceOntario à Toronto, peu après son arrivée au Canada à titre de résident permanent. Conformément aux dispositions réglementaires prises en vertu du Code de la route, LRO 1990, c H.8, comme elles existaient à l’époque, M. Kimaev devait réussir un test d’acuité visuelle pour obtenir son permis de conduire : Règl. de l’Ont. 340/94 [le Règlement sur les permis de conduire].

[7] M. Kimaev a une vision parfaite de l’œil gauche, mais n’en a aucune de l’œil droit depuis son enfance. Il a pu réussir les examens de la vue pour un permis de catégorie G, car ces examens se font avec les deux yeux ouverts. Toutefois, après avoir exprimé le souhait d’obtenir un permis de conduire utilitaire de catégorie A, il n’a pas réussi l’examen de la vue applicable, car un minimum d’acuité visuelle était exigé pour l’œil plus faible.

[8] En juillet 2021, M. Kimaev a de nouveau tenté d’obtenir un permis de conduire utilitaire. Après avoir passé l’examen de la vue, il a reçu au début de 2022 des formulaires du ministère des Transports de l’Ontario concernant l’éventuelle levée des exigences d’acuité visuelle conformément au paragraphe 21.3(1) du Règlement sur les permis de conduire. M. Kimaev allègue que le ministre des Transports de l’Ontario a fait preuve de négligence en omettant de l’informer de la possibilité d’une renonciation aux exigences d’acuité visuelle en 2004, notamment dans le formulaire de demande de permis de catégorie A, et que cette omission équivaut à de la discrimination. Comme fondement législatif de cette demande, la déclaration renvoie à l’alinéa 6(2)b) et au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, à l’alinéa 32(14)f) du Code de la route de l’Ontario et à certains articles de la « Contract and Commercial Law Act, 2017 ». Elle indique aussi que l’action est intentée au titre du paragraphe 17(1) et de l’alinéa 17(2)a) de la Loi sur les Cours fédérales.

[9] Le dossier de la Cour révèle que M. Kimaev a déposé un affidavit de signification (qui n’a pas été inclus dans les dossiers de requête présentés en l’espèce) indiquant qu’il avait signifié la déclaration au défendeur au moyen d’une lettre recommandée envoyée au ministre ontarien des Transports le 21 décembre 2022. L’affidavit de Mme Benson indique que le Bureau des avocats de la Couronne – Droit civil a reçu la déclaration de M. Kimaev par courrier interne aux environs du 18 janvier 2023. Dans sa requête en jugement par défaut, M. Kimaev s’appuie également sur l’article 133 des Règles des Cours fédérales, qui traite de la signification à personne d’un acte introductif d’instance « à la Couronne, au procureur général du Canada ou à tout autre ministre de la Couronne ».

C. La Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard de la demande de M. Kimaev

[10] Pour les motifs qui suivent, il est clair et évident que la Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard de la demande de M. Kimaev.

(1) La compétence de la Cour fédérale

[11] La Cour fédérale est un tribunal d’origine législative qui a été créé par le Parlement en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 « pour la meilleure administration des lois du Canada ». Par conséquent, la compétence de la Cour se limite aux pouvoirs conférés expressément ou implicitement par la loi : Windsor (City) c Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 aux para 31‑33, citant notamment R c Cunningham, 2010 CSC 10 au para 19, Commonwealth of Puerto Rico c Hernandez, [1975] 1 RCS 228 à la p 233, et Roberts c Canada, [1989] 1 RCS 322 à la p 331. Toute attribution de compétence doit se faire à l’intérieur des limites constitutionnelles de l’article 101 : Windsor (City), au para 33.

[12] La Loi sur les Cours fédérales est la principale source législative de la compétence de la Cour fédérale. Comme il a été mentionné, la déclaration indique qu’elle est fondée sur le paragraphe 17(1) et l’alinéa 17(2)a) de cette loi. Le paragraphe 17(1) confère à la Cour fédérale la « compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne ». L’alinéa 17(2)a) donne en exemple les cas de demande motivés par « la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes appartenant à autrui ». Toutefois, comme le fait remarquer l’Ontario, le terme « Couronne », utilisé dans chacune de ces dispositions est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales de la façon suivante : « Couronne Sa Majesté du chef du Canada » [non souligné dans l’original]. Ainsi, le paragraphe 17(1) et l’alinéa 17(2)a) confèrent une compétence concurrente à la Cour fédérale uniquement dans les cas de demande de réparation contre la Couronne fédérale. Ils ne lui confèrent pas cette compétence dans les cas de demande de réparation contre la Couronne provinciale.

[13] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé ces principes. Citant de nombreux précédents jurisprudentiels, la Cour d’appel a clairement indiqué que ni la Loi sur les Cours fédérales ni la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif « ne dit que la Couronne du chef d’une province peut faire l’objet de poursuites devant la Cour fédérale » et que, par conséquent, « la Couronne provinciale ne peut être poursuivie devant la Cour fédérale » : Saskatchewan (Procureur général) c Première Nation de Pasqua, 2016 CAF 133 aux para 49‑50; autorisation de pourvoi refusée, 2016 CanLII 89832 (CSC).

[14] M. Kimaev soutient que le sous‑alinéa 3b)(ii) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif prévoit que le terme « Couronne » à l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales comprend « Sa Majesté du chef de l’Ontario ». Selon ce sous‑alinéa, en matière de responsabilité, l’État (la Couronne) est assimilé à une personne pour les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens dans toutes les provinces à l’exception du Québec. Je ne peux accepter l’argument de M. Kimaev. La définition du mot État (Couronne) dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est la même que dans la Loi sur les Cours fédérales et elle se limite à Sa Majesté du chef du Canada. Le sous‑alinéa 3b)(ii) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif prévoit la responsabilité de l’État fédéral uniquement pour les manquements aux obligations de l’État fédéral qui ont lieu en Ontario ou dans une autre province de common law. En d’autres termes, la mention des provinces au sous‑alinéa 3b)(ii) ne renvoie qu’au lieu où l’action prend naissance et donc qu’au droit applicable, et non à la définition de l’État (la Couronne) ou à la responsabilité de la Couronne provinciale.

[15] Dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif fédérale, la distinction entre la Couronne fédérale et la Couronne provinciale est reconnue à l’article 2.1, qui prévoit que, pour l’application des articles 3 à 5, le mot personne s’entend d’une personne physique, « autre que Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province » [non souligné dans l’original]. Or, cette loi fédérale ne concerne que la responsabilité de l’État fédéral (de la Couronne fédérale). Elle ne peut être interprétée comme conférant à la Cour fédérale quelque compétence que ce soit à l’égard de la conduite de la Couronne provinciale ou de procédures contre celle‑ci. M. Kimaev cite l’article 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, mais cet article parle de la compétence des cours supérieures des provinces sur les réclamations visant l’État fédéral (la Couronne fédérale). Ni cet article ni l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales ne confère à la Cour fédérale de compétence pour instruire les réclamations visant la Couronne provinciale.

[16] Les dispositions qui précèdent peuvent être comparées à celles de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant. Selon le paragraphe 1(1) de cette loi, « Couronne » s’entend de la « Couronne du chef de l’Ontario ». Le reste de cette loi traite de la responsabilité de la Couronne provinciale et du processus de dépôt de demandes contre celle‑ci. Cette loi de l’Ontario ne confère pas de compétence à la Cour fédérale à l’égard de telles demandes.

(2) La demande de M. Kimaev est une réclamation contre la Couronne provinciale

[17] Dans sa demande, M. Kimaev sollicite des dommages-intérêts contre le « ministre des Transports de l’Ontario » à l’égard de certains actes des représentants de ce ministre au motif qu’il y a eu négligence et manquement à la loi de la part du ministre. Le ministre ontarien des Transports est un ministre de la Couronne du chef de l’Ontario, comme le reconnaît M. Kimaev. La demande de ce dernier vise donc la Couronne provinciale, et non la Couronne fédérale.

[18] Comme la Cour fédérale n’a pas compétence pour instruire une telle demande, il est clair et évident qu’elle n’a pas compétence à l’égard de la demande de M. Kimaev, de sorte que la déclaration de ce dernier ne révèle aucune cause d’action valable relevant de la compétence de la Cour.

[19] Je termine en ajoutant que, comme la demande de M. Kimaev ne vise pas la Couronne ou l’État fédéral, ce n’est pas une demande de dommages-intérêts qui relève de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif fédérale, et ce n’est donc pas non plus une demande à l’égard de laquelle la Cour fédérale a compétence aux termes de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Je souligne également que rien dans la présente décision ne concerne la portée des articles 19, 20, 22 ou 23 de la Loi sur les Cours fédérales, qui sont manifestement inapplicables et qui sont abordés, entre autres, dans les affaires Alberta (Procureur général) c Colombie-Britannique (Procureur général), 2021 CAF 84, Dableh c Ontario Hydro, [1990] ACF no 913, Canada c Toney, 2013 CAF 217 et Windsor (City).

(3) Les autres motifs législatifs

[20] M. Kimaev cite les articles 1 et 2 de la Loi sur l’aménagement des voies publiques et des transports en commun, LRO 1990, c P.50, ainsi que l’article 2 et l’alinéa 32(14)f) du Code de la route de l’Ontario. Aucune de ces lois ne confère de compétence à la Cour ni ne vient changer la définition claire du terme « Couronne » dans la Loi sur les Cours fédérales.

[21] M. Kimaev affirme également que le ministre provincial des Transports a porté atteinte à ses droits énoncés à l’alinéa 6(2)b) et au paragraphe 15(1) de la Charte. Les prétentions de violations de la Charte ne font pas en sorte que la présente affaire relève de la Cour fédérale, car la demande de M. Kimaev demeure une réclamation contre la Couronne provinciale. Pour que la Cour fédérale soit un « tribunal compétent » en vue d’accorder une réparation au titre du paragraphe 24(1) pour violation de la Charte, elle doit être compétente à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation demandée : R c Conway, 2010 CSC 22 au para 24, citant Mills c La Reine, [1986] 1 RCS 863. Pour les motifs déjà exposés, la Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard des parties, car elle ne peut connaître d’une poursuite civile visant la Couronne du chef d’une province. L’invocation de la Charte ne peut à elle seule y changer quoi que ce soit.

[22] Enfin, je souligne que la déclaration de M. Kimaev renvoie à plusieurs articles de la « Contract and Commercial Law Act 2017 ». La seule loi de ce nom que la Cour a trouvée est une loi de la Nouvelle-Zélande dont les numéros d’article coïncident avec ceux que cite M. Kimaev : il s’agit de la Contract and Commercial Law Act 2017 (NZ), 2017/5. Cette loi ne s’applique aucunement aux actes du ministre des Transports de l’Ontario et, de toute manière, elle ne confère aucune compétence à la Cour.

(4) Conclusion

[23] Pour les motifs qui précèdent, il est clair et évident que la Cour n’a pas compétence à l’égard de la demande de M. Kimaev. Il ne s’agit pas ici simplement d’une question de libellé, mais d’une question fondamentale de compétence à l’égard du défendeur et de l’objet du litige, de sorte qu’il n’y aurait aucun avantage à donner à M. Kimaev la possibilité de modifier sa déclaration : Règles des Cours fédérales, art 221(1); Toumani c Canada (Revenu national), 2022 FC 1770 aux para 20‑23, 52‑53. La déclaration sera radiée, sans autorisation de modification.

[24] Il s’ensuit que la demande de M. Kimaev visant à faire annuler la requête en radiation de l’Ontario doit être rejetée pour absence de fondement. Je fais remarquer que la bonne façon de répondre à une requête est de fournir une réponse sur le fond, et non au moyen d’une requête visant à faire rejeter ou radier la requête : McCarthy c Canada (Procureur général), 2020 CF 930 au para 4. Quoi qu’il en soit, la demande de M. Kimaev visant à faire annuler la requête en radiation de l’Ontario doit être rejetée pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels la requête de l’Ontario doit être accueillie.

[25] Il s’ensuit également que la requête en jugement par défaut présentée par M. Kimaev au titre de l’article 210 des Règles des Cours fédérales doit aussi être rejetée. Dans le cadre d’une telle requête, le demandeur doit établir que 1) le défendeur est en défaut et que 2) la preuve démontre que le jugement demandé doit être accordé contre le défendeur à l’égard des causes d’action invoquées dans la demande : Engrais Naturels McInnes Inc./McInnes Natural Fertilizer Inc. c Bio-Lawncare Services Inc, 2004 CF 1027 au para 3; Trimble Solutions Corporation c Quantum Dynamics Inc, 2021 CF 63 aux para 35‑36. Le second critère ne peut être rempli lorsque la Cour n’a pas compétence à l’égard de la demande : Toumani, aux para 7, 52. Comme la juge Strickland l’a souligné dans la décision Toumani, une requête en radiation ne peut être contournée par le dépôt d’une requête en jugement par défaut : Toumani, au para 52.

[26] Comme dans l’affaire Toumani, M. Kimaev n’a pas droit à un jugement par défaut, car a) il n’a pas dûment signifié sa demande au défendeur et b) il n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de sa requête en jugement par défaut : Toumani, aux para 6, 30‑48 et 52. En ce qui concerne le premier élément, M. Kimaev fait valoir qu’il a signifié sa déclaration en laissant l’original et deux copies au greffe de la Cour fédérale conformément à l’article 133 des Règles des Cours fédérales. Toutefois, comme le fait valoir l’Ontario, à juste titre, l’article 133 ne concerne que la signification à la Couronne fédérale, et non à la Couronne provinciale. La juge Strickland a clairement tranché ce point dans la décision Toumani en indiquant qu’il est indéniable que la signification effectuée conformément à l’article 133 des « Règles des Cours fédérales s’applique uniquement à la signification à personne d’un acte introductif d’instance à la Couronne fédérale, c’est‑à‑dire au Canada »: Toumani, aux para 37‑38. La signification à la Couronne du chef de l’Ontario doit se faire conformément à l’article 15 de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant : Toumani, aux para 37, 42.

[27] J’appuie et j’adopte l’analyse et les conclusions formulées par la juge Strickland dans la décision Toumani, qui me semblent inattaquables. J’ajouterais seulement que l’article 16 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, confirme que les expressions utilisées dans les règlements (les Règles des Cours fédérales, par exemple) ont le même sens que dans leur loi habilitante. Ainsi, le terme « Couronne » à l’article 133 des Règles des Cours fédérales a le même sens que celui dans la Loi sur les Cours fédérales, à savoir Sa Majesté du chef du Canada. Cette précision vient renforcer davantage la conclusion selon laquelle la signification d’un acte introductif d’instance à la Couronne du chef de l’Ontario ne peut se faire par l’entremise du greffe de la Cour fédérale.

[28] Comme les conclusions qui précèdent suffisent à trancher les requêtes des parties, je n’ai pas à examiner l’argument de l’Ontario voulant que la demande soit nulle pour manquement au paragraphe 18(1) de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant de l’Ontario, qui requiert qu’une demande soit signifiée à l’Ontario avant qu’une action ne soit intentée : voir Corrigan v Ontario, 2023 ONCA 39 aux para 3, 13‑15 et 23.

III. Conclusion

[29] La requête de l’Ontario visant à faire radier la déclaration sera accueillie. La demande d’annulation de cette requête et la demande de jugement par défaut de M. Kimaev seront rejetées.

[30] L’Ontario sollicite les dépens afférents à la requête, mais ne précise aucun somme dans ses observations. Compte tenu de l’article 400 des Règles des Cours fédérales et des facteurs qui y sont énoncés, je conclus que, ayant gain de cause, l’Ontario a droit à ses dépens, pour une somme globale de 500 $.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2680-22

LA COUR STATUE :

  1. La requête du défendeur est accueillie et la déclaration est radiée, sans autorisation de modification.

  2. La requête en annulation de la requête du défendeur et la requête en jugement par défaut présentées par le demandeur sont rejetées.

  3. Le demandeur doit verser au défendeur la somme globale de 500 $ au titre des dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2680-22

 

INTITULÉ :

ANATOLY KIMAEV c MINISTRE DES TRANSPORTS DE L’ONTARIO

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGeMENT et motifs :

le juge MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Anatoly Kimaev

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marcus Campbell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère du Procureur général

Bureau des avocats de la Couronne – Droit civil

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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