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Date : 20230406

Dossier : IMM-1264-22

Référence : 2023 CF 495

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 avril 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

VIRIDIANA ITZEL SALAZAR GODINEZ

JULIO CESAR BEDOLLA RIOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 25 janvier 2022 par laquelle un représentant du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada [l’agent] a rejeté leur demande de résidence permanente présentée en vertu de la Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID-19 [le programme Voie d’accès]. La demande a été rejetée au motif que l’emploi d’aide-ménagère de la demanderesse principale, Viridiana Itzel Salazar Godinez, ne satisfaisait pas aux exigences du programme Voie d’accès, car il était expressément exclu des « professions désignées ».

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

I. Contexte

[3] La demanderesse principale et son conjoint de fait, Julio Cesar Bedolla Rios, sont des citoyens du Mexique.

[4] Le 13 mars 2019, les demandeurs sont entrés au Canada et, en septembre 2019, ils ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés. Leur appel à la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a été rejeté, et leur demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la SAR n’a pas été accueillie.

[5] En mai 2020, la demanderesse principale a commencé à travailler comme aide‑ménagère dans un établissement de soins de longue durée appelé Humber Valley Terrace [HVT]. Elle était initialement employée par S&I Cleaning, puis a été engagée par HVT mais elle a continué d’assumer les mêmes fonctions. Sa profession correspond au code 4412 de la Classification nationale des professions [la CNP], qui concerne les « aides familiaux résidents/aides familiales résidentes, aides de maintien à domicile et personnel assimilé ». Sa lettre d’emploi décrit son rôle comme étant celui d’une aide‑ménagère et confirme ses fonctions quotidiennes ainsi :

[traduction]

  • Récupérer régulièrement des vêtements, des jaquettes, des draps, des serviettes et des effets personnels auprès de patients, ainsi que des jaquettes, des gants et tout autre vêtement des médecins, des infirmières et du personnel de soutien pour les faire laver.

  • Recueillir et éliminer les déchets biologiques des patients (qui ont fait l’objet de tests de dépistage de la COVID-19).

  • Procéder au nettoyage des chambres des patients décédés ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19 et des patients qui sont malades.

  • Stériliser l’équipement médical et les aires de travail du personnel infirmier.

  • Désinfecter les chambres des patients, y compris les lits, les tables, les murs, les portes, les fenêtres, les toilettes et les effets personnels des patients.

  • Procéder au nettoyage en profondeur, au nettoyage des surfaces fréquemment touchées et à la désinfection des salles pour les nouveaux patients.

  • Aider les résidents (qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19) à se rendre aux toilettes désignées.

  • Aider le personnel infirmier et les préposés aux services de soutien à la personne à transférer les résidents (qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID‑19) dans un nouveau lit ou une nouvelle chambre.

[6] Le 23 novembre 2020, exerçant son pouvoir en matière de politique d’intérêt public prévu à l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a créé le programme Voie d’accès. Par ce programme (qui a été en vigueur du 14 décembre 2020 au 31 août 2021 seulement), le gouvernement voulait reconnaître la « contribution extraordinaire des demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé au Canada durant la pandémie de COVID-19 » et tenir compte du fait que, « [c]omme ces personnes font face à un avenir incertain au Canada, [...] les circonstances actuelles justifient des mesures exceptionnelles pour accorder à ces personnes le statut de résident permanent en reconnaissance de leurs services pendant la pandémie ».

[7] Le libellé du programme Voie d’accès énonce des exigences d’admissibilité précises, y compris le type de travail en soins de santé qui est admissible.

[8] Le 3 juin 2021, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du programme Voie d’accès. Cette demande a été approuvée en principe le 21 juillet 2021. La lettre d’approbation provisoire précisait que la demande avait été examinée, que la demanderesse principale satisfaisait aux exigences d’admissibilité et qu’une décision favorable en matière d’admissibilité était rendue. La lettre demandait des renseignements et des documents supplémentaires en vue de la seconde étape d’approbation, renseignements et documents que la demanderesse principale a fournis le 19 août 2021 et le 20 janvier 2022.

[9] Cependant, le 25 janvier 2022, la demanderesse principale a reçu une lettre de refus. On l’informait que sa demande avait été évaluée en fonction des exigences d’admissibilité du programme Voie d’accès et que, comme elle ne satisfaisait pas aux exigences établies, sa demande avait été refusée. Plus précisément, la lettre de refus mentionne notamment ce qui suit :

[traduction]
Vous n’êtes pas admissible au titre de la nouvelle politique d’intérêt public temporaire pour les raisons suivantes :

[X] vous n’avez pas occupé au Canada une ou plusieurs des professions désignées liées à la prestation de soins directs aux patients dans un hôpital, une maison de soins de longue durée publique ou privée ou un établissement d’aide à la vie autonome, ou encore pour une organisation ou un organisme offrant des services de soins de santé à domicile ou en établissement aux aînés et aux personnes handicapées dans des maisons privées :

Il a été établi que votre profession ne satisfait pas aux exigences relatives aux professions désignées. Plus précisément, les sous‑groupes professionnels de la CNP 4412 – aide‑ménagers ou aide‑ménagères et les personnes ayant des professions connexes – sont exclus […]

[10] Le 31 janvier 2022, la demanderesse principale a demandé le réexamen de la décision défavorable, affirmant que son expérience de travail liée au code 4412 de la CNP était admissible en raison de la nature de son emploi. Sa demande de réexamen a été rejetée, et la lettre de rejet mentionnait ce qui suit :

[traduction]
Votre demande de travailleuse de la santé a été examinée sur le fond et refusée. Vous avez reçu la décision dans une lettre datée du 25 janvier 2022, ce qui clôt définitivement votre demande. Après avoir examiné les renseignements/observations supplémentaires, j’ai décidé de ne pas rouvrir votre dossier.

Conformément à la politique d’intérêt public, les demandeurs doivent occuper un emploi désigné. Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il a surtout fourni des soins personnels et de soutien correspondant aux fonctions principales énoncées dans la description des professions de la CNP, et que toutes les tâches ménagères ordinaires réalisées dans le cadre de ses fonctions étaient accessoires à son rôle principal, qui consiste à fournir à domicile des soins directs aux personnes. Il convient de souligner que les sous‑groupes professionnels de la CNP 4412 – aide-ménagers ou aide‑ménagères et les personnes ayant des professions connexes – sont exclus des professions désignées dans le cadre de la politique d’intérêt public.

II. Analyse

[11] La seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de résidence permanente que les demandeurs ont présentée dans le cadre du programme Voie d’accès était raisonnable.

[12] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adenjij-Adele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[13] Le programme Voie d’accès comportait un certain nombre d’exigences d’admissibilité, mais la seule exigence d’admissibilité en cause dans la présente demande est la suivante :

4. A travaillé au Canada dans une ou plusieurs professions désignées (voir l’annexe A) où l’étranger offrait des soins directs aux patients dans un hôpital, un établissement de soins de longue durée ou un foyer avec services public ou privé, ou encore pour un organisme où l’étranger offrait des services de soins de santé aux aînés à domicile ou en établissement ou aux personnes handicapées dans des résidences privées [...]

[14] L’annexe A énumère les professions désignées en utilisant les codes de la CNP. La liste des professions désignées contient le code « 4412 – Aides familiaux résidents/aides familiales résidentes, aides de maintien à domicile et personnel assimilé uniquement ». Cependant, la remarque 1 de l’annexe A indique ce qui suit :

Les aide-ménagers ou aide-ménagères et les personnes ayant des professions connexes, qui sont les sous-professions comprises dans la catégorie CNP 4412, sont exclues des professions désignées sous la présente politique d’intérêt public.

Pour être éligible sous le code CNP 4412 en vertu de cette politique d’intérêt public :

Le demandeur doit participer à fournir des services de soins personnels de base et à offrir une assistance physique directement aux patients, en effectuant principalement une partie ou l’ensemble des tâches suivantes :

  • fournir des soins aux personnes et à leurs familles pendant les périodes d’incapacité, de convalescence ou de crise familiale, et leur tenir compagnie

  • dispenser des soins de chevet et des soins personnels aux clients, par exemple, les aider à marcher, à prendre leur bain, à s’occuper de leur hygiène personnelle, à s’habiller et à se déshabiller

  • administrer, s’il y a lieu, des soins médicaux courants, par exemple changer des pansements non stériles, aider à donner des médicaments et prendre des spécimens, sous la direction générale d’un surveillant du service de soins à domicile ou d’un infirmier

Le demandeur peut aussi, en plus des tâches principales mentionnées ci-dessus, effectuer les tâches énumérées ci-dessous :

  • planifier et préparer les repas et les régimes spéciaux et nourrir les clients ou les aider à se nourrir

  • accomplir des tâches ménagères courantes, telles que faire la lessive, laver la vaisselle et faire les lits

[Non en gras dans l’original]

[15] La remarque 2 de l’annexe A précise également que les aides familiaux résidents/aides familiales résidentes sont inclus, à condition que l’exécution des tâches ménagères ordinaires soit accessoire au rôle principal du demandeur, qui consiste à fournir à domicile des soins directs aux personnes :

Pour plus de précision, selon l’objectif visé par la politique d’intérêt public, le demandeur doit démontrer que les soins principaux fournis sont pour le patient directement et non pas pour sa famille. Également, il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il a surtout fourni des soins personnels et de soutien, conformément aux fonctions principales énoncées dans la description professionnelle de la CNP, et que toutes les tâches ménagères ordinaires, comme faire la lessive, laver la vaisselle, entre autres, sont accessoires à son rôle principal, lequel consiste à fournir à domicile des soins directs aux personnes.

[Non souligné dans l’original]

[16] Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas évalué adéquatement le fond de la demande de la demanderesse principale et qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents concernant son emploi. Son expérience de travail peut être prise en considération, étant donné qu’elle fournit des soins personnels et de l’aide physique directement aux résidents et aux patients, conformément aux principales fonctions du code 4412 de la CNP. Les demandeurs ajoutent que les motifs ne précisent pas pourquoi l’expérience de travail et les fonctions de la demanderesse principale ne sont pas admissibles dans le cadre du programme Voie d’accès à la lumière de la preuve, surtout compte tenu de la décision préliminaire selon laquelle la demanderesse principale satisfaisait aux exigences d’admissibilité. Ils font valoir que les motifs semblent indiquer que l’agent n’a pas regardé au-delà du titre de poste de la demanderesse principale et qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à l’emploi concernant la portée et la nature de ses principales fonctions. Ils soutiennent que l’agent doit examiner les éléments de preuve pertinents qui vont à l’encontre de sa décision, ce qu’il n’a pas fait.

[17] De plus, les demandeurs affirment que l’agent qui a refusé leur demande a entravé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de son évaluation parce qu’il a [traduction] « suivi aveuglément » la politique d’intérêt public. Ils ajoutent que les directives contenues dans les politiques d’intérêt public ne sont pas exécutoires ni censées être exhaustives ou restrictives. Ils soutiennent que le décideur devrait être prêt à faire une [traduction] « exception » dans le dossier d’une personne malgré le contenu de la politique d’intérêt public, surtout compte tenu de la dette morale envers les immigrants qui ont travaillé en première ligne pendant la pandémie.

[18] Il ne fait aucun doute que la demanderesse principale s’est acquittée de tâches importantes au plus fort de la pandémie de COVID-19 et qu’elle était exposée à un risque pour sa santé (et celle de sa famille), mais je ne vois aucune raison de modifier la décision de l’agent.

[19] La lettre d’emploi de la demanderesse principale décrit huit tâches professionnelles, dont deux (aider les patients à se rendre aux toilettes et aider les patients à s’installer dans une autre chambre) peuvent à juste titre être qualifiées de tâches liées à la prestation de services de soutien directs aux patients. Cependant, aucun des éléments de preuve dont disposait l’agent ne donnait à penser que ces deux fonctions étaient les fonctions prédominantes ou principales de la demanderesse principale. Au contraire, j’estime, à la lumière de la description des diverses fonctions exercées, qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que de telles tâches étaient accessoires aux principales fonctions d’entretien ménager de la demanderesse principale. De plus, même si un autre agent a rendu une décision préliminaire selon laquelle la demanderesse principale satisfaisait aux exigences en matière d’admissibilité, j’estime qu’il était loisible à l’agent d’examiner tous les aspects de la demande (y compris les exigences en matière d’admissibilité) au moment de rendre une décision définitive sur la demande.

[20] L’agent aurait pu fournir des motifs plus détaillés, mais j’estime que les motifs fournis permettent à la Cour « de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 97, citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11].

[21] En ce qui concerne le second argument soulevé par les demandeurs, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont prouvé que le pouvoir discrétionnaire de l’agent a été entravé. Les demandeurs affirment que l’agent aurait dû faire une exception dans leur cas, même si la demanderesse principale ne satisfaisait pas aux exigences du programme Voie d’accès, mais ils ne m’ont pas convaincue que l’agent avait le pouvoir discrétionnaire de faire une exception dans les circonstances, surtout compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas sollicité de dispense pour considérations d’ordre humanitaire relativement à l’un ou l’autre des critères du programme Voie d’accès.

[22] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[23] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1264-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1264-22

 

INTITULÉ :

VIRIDIANA ITZEL SALAZAR GODINEX ET JULIO CESAR BEDOLLA RIOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Zohra Safi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicola Shahbaz

 

POUR le défEndeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ZSN Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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