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Date : 20230411


Dossier : IMM-1915-22

Référence : 2023 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

CHUKWUDI KINGSLEY KALU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire datée du 16 février 2022 visant l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile daté du 7 janvier 2021, présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] En bref, le demandeur a présenté une demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés [la SPR] à son entrée au Canada en juin 2019. Il a par la suite été accusé de fraude aux États‑Unis, ce qui a mené la Section de l’immigration [la SI] à enquêter afin de savoir s’il était interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR. Par suite d’un rapport d’interdiction de territoire, l’affaire a été déférée à la SI pour décision le 30 avril 2020. La SPR a sursis à l’étude de la demande d’asile en attendant que la SI rende sa décision.

[3] Peu de temps après, à la suite d’un deuxième rapport daté du 5 mai 2020, l’affaire a été déférée à la SI pour déterminer si le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. La SI a mené une enquête et a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Cette décision a été rendue le 18 décembre 2020.

[4] Au verso de sa décision datée du 18 décembre 2020, la SI a indiqué que, dans les circonstances, le demandeur avait [traduction] « le droit conformément à l’article 72 de la LIPR de déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ». Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision du 18 décembre 2020.

[5] Le 7 janvier 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a envoyé un avis d’irrecevabilité de la demande d’asile au demandeur et à la SPR pour les informer que la demande d’asile avait été jugée irrecevable au titre des alinéas 104(1)b) et 101(1)f) de la LIPR.

[6] L’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile a mis fin à la procédure devant la SPR.

[7] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile au motif qu’il a été privé de son droit à l’assistance d’un avocat durant l’enquête de la SI.

[8] La demande sera rejetée, car la jurisprudence a établi que la délivrance de l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile visé au paragraphe 104(1) de la LIPR n’est pas une mesure discrétionnaire, mais constitue plutôt la conséquence découlant de la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

II. Le contexte

[9] Le demandeur est citoyen du Nigéria. Après être entré au Canada en provenance des États‑Unis le 8 juin 2019, il a présenté une demande d’asile. Le 18 septembre 2019, un mandat d’arrestation a été délivré contre lui et ses acolytes aux États‑Unis. Il a été inculpé, avec sept complices, de plusieurs infractions liées à un stratagème visant à escroquer des veuves sur Internet en vue de leur soutirer un montant totalisant de six millions de dollars. Selon l’enquête du FBI et du service d’inspection postale des États‑Unis, le demandeur a reçu et déposé dans son compte bancaire la somme de 480 000 $US provenant des victimes ainsi que d’autres commandes d’espèces inexpliquées.

[10] Les complices et les autres personnes qui auraient participé au stratagème aux États-Unis ont été arrêtés ou sont recherchés en vertu de mandats d’arrestation pour fraude aux États-Unis. Le demandeur est entré au Canada après avoir appris l’arrestation des participants américains.

[11] En avril 2020, dans un rapport établi au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Par conséquent, un mandat d’arrestation a été délivré et l’affaire a été déférée pour enquête conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR. En mai 2020, l’affaire a encore été déférée pour enquête, cette fois pour déterminer si le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée, une infraction plus grave visée à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[12] Le demandeur a été arrêté et détenu le 18 août 2020. Le 21 août 2020, la SPR a suspendu l’étude de sa demande d’asile en attendant l’issue de l’enquête conformément à l’article 103 de la LIPR. Le 26 août 2020, le demandeur a retenu les services d’un avocat relativement au contrôle des motifs de détention. Il n’est pas clair si cet avocat a continué d’assister le demandeur au cours de l’enquête.

[13] Le demandeur, par l’entremise de l’affidavit d’un tiers, allègue qu’il a été incarcéré et qu’il a été privé de son droit d’être représenté par un avocat durant l’enquête convoquée par la SI relativement à ses activités de criminalité organisée.

[14] Le demandeur n’a déposé aucune preuve à l’appui de cette information ou de tout autre aspect de sa demande.

[15] Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et une mesure de renvoi a été prise contre lui le 18 décembre 2020.

[16] Il est établi que le demandeur n’a pas contesté la décision de la SI.

[17] Le 7 janvier 2021, un agent de l’ASFC a envoyé un avis d’irrecevabilité de la demande d’asile au demandeur pour l’informer que la SPR ne statuerait pas sur sa demande parce qu’il avait été déclaré interdit de territoire au titre des alinéas 104(1)b) et 101(1)f) de la LIPR.

[18] Le 1er mars 2022, l’avocat du demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire datée du 16 février 2022 visant l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile.

[19] L’avocat du demandeur a déposé une lettre fondée sur l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés pour exiger une copie de l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile du 7 janvier 2021. L’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile et le dossier certifié du tribunal [le DCT] ont été transmis.

[20] Comme aucune demande de contrôle visant la décision du 18 décembre 2020 de la SI n’a été présentée, le dossier à cet égard est incomplet. Par exemple, il n’y a dans le dossier rien concernant le rapport et le renvoi liés à la grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)c) ni aucun document faisant état des éléments dont disposait la SI ou des parties ayant comparu devant elle lors de son enquête menant à sa décision du 18 décembre 2020, pas plus que dans le DCT.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[21] Le 7 janvier 2021, l’agent a envoyé au demandeur un avis d’irrecevabilité de la demande d’asile conformément aux paragraphes 104(1) et 104(2) de la LIPR. Il a informé la SPR et le demandeur que la demande d’asile ne pouvait être tranchée par la SPR conformément aux alinéas 104(1)b) et 101(1)f) de la LIPR, et il a avisé cette dernière qu’elle devait, « dès réception du présent avis, mettre fin à toute procédure en cours de la demande, en application de [l’alinéa] 104(2)a) » de la LIPR.

[22] L’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile indique ce qui suit :

[traduction]
Vous êtes un étranger qui est interdit de territoire pour criminalité organisée parce que vous êtes membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan.

IV. Les questions en litige

[23] La question consiste à savoir si l’avis s’irrecevabilité de la demande d’asile est déraisonnable et devrait être annulé.

V. La norme de contrôle

[24] En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu par la Cour suprême du Canada en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], le juge Rowe a expliqué, au nom des juges majoritaires, les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99),citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[25] Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable parce qu’il n’a pas été en mesure de consulter son avocat lors de l’enquête.

[26] Cette allégation principale ne me convainc pas.

[27] La Cour a maintes fois conclu que le droit à l’assistance d’un avocat en matière d’immigration n’est pas absolu, contrairement au droit à une audience équitable : Aiyathurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1278 au para 9 [Aiyathurai]; Gabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 150 au para 40; Ait Elhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1068 au para 15 [Ait Elhocine]. Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423 [Austria], au paragraphe 6, le demandeur doit être capable de participer utilement à l’audience pour que celle-ci soit équitable, ce qui peut donner lieu au droit à l’assistance d’un avocat :

[6] Comme l’indique clairement cet arrêt, qui précise qu’une aide juridique rémunérée par l’État ne s’impose en vertu de la Constitution que dans certains cas, le droit aux services d’un avocat n’est pas absolu. En matière d’immigration plus précisément, la Cour fédérale a statué à maintes reprises que ce droit n’est pas absolu : Mervilus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, [2004] A.C.F. no 1460 (C.F.) (QL), aux paragraphes 17 à 25, où le juge Sean Harrington examine les règles de droit applicables au droit à un avocat. Ce qui est absolu, toutefois, c’est le droit à une audience équitable. Pour qu’une audience se déroule équitablement, le demandeur doit être capable de « participer utilement » à l’instance : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, 2001 CFPI 1269, [2002] 3 C.F. 373 (C.F.), aux paragraphes 46 et 47.

[28] La seule preuve que le demandeur a présentée pour démontrer qu’il n’était pas représenté est l’affidavit souscrit par Cynthia Eleanya, qui pourrait être sa conjointe. Dans son affidavit, elle allègue que le demandeur n’a pas eu accès à un avocat et n’a donc pas eu droit à une audience équitable. Malgré cette allégation, le demandeur, par l’entremise de son avocat, n’a pas contesté la décision de la SI en ce qui concerne l’interdiction de territoire rendue à l’issue de l’enquête.

[29] Je fais observer que le demandeur n’a pas déposé d’affidavit personnel, ce qui aurait bien sûr satisfait à la règle de la meilleure preuve. Aucune explication n’a été donnée pour justifier cette lacune dans la preuve.

[30] Je remarque également plusieurs erreurs très importantes dans l’affidavit de Mme Eleanya. Par exemple, elle affirme que le demandeur a obtenu l’asile au Canada. Cette affirmation est tout simplement fausse. Elle déclare que l’ASFC a procédé à une enquête, alors que c’est la SI qui a mené l’enquête. Je ne suis pas convaincu qu’elle a décrit avec exactitude les événements à l’origine de la présente instance.

[31] Plus important encore, puisque ni la décision de la SI ni le DCT n’ont été présentés à la Cour, il n’est pas possible de savoir ce qui s’est passé devant la SI ni qui a comparu au nom du demandeur, le cas échéant.

[32] La capacité du demandeur à participer utilement à l’audience est une préoccupation centrale pour savoir si l’audience est inéquitable : Badran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1292 au para 56; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 927 au para 38; Aiyathurai, au para 12; Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206 au para 26.

[33] Or, en tout respect, rien ne démontre que le demandeur a demandé l’assistance d’un avocat, ni que la SI a joué un rôle quelconque en ne permettant pas au demandeur d’être représenté par un avocat. Les mesures, ou l’absence de mesures, qu’un demandeur prend pour se trouver un avocat peuvent également être un facteur déterminant dans l’évaluation de l’équité de l’audience. En l’espèce, nous n’avons aucun renseignement à cet égard : Larrab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 135 au para 18; Tandi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1413 aux para 18‑19.

[34] De même, les mesures que prend le demandeur pour reporter ou ajourner une audience afin de retenir les services d’un avocat sont également des facteurs importants. Là encore, nous n’avons aucun renseignement à cet égard : Kikewa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 40 au para 35; Ait Elhocine, au para 17; Castillo Avalos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 383 au para 46; Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 274 au para 38; Austria, au para 8. Rien ne démontre que le demandeur a sollicité l’ajournement de l’audience. En raison de cette absence de preuve, il est impossible d’établir que le demandeur a été privé d’une audience équitable.

[35] Si je comprends bien l’argument du demandeur, il était déraisonnable pour l’agent de donner l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile, car il n’a pas tenu compte du fait que le demandeur n’était pas représenté par un avocat durant l’enquête.

[36] Or, il s’agit d’un autre vice fondamental et fatal dans l’argumentation du demandeur, car la mesure prise par l’agent n’est pas discrétionnaire. Il s’agit d’une mesure purement administrative et, de ce fait, elle n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, comme je l’explique ci‑dessous.

[37] Dans la décision Tjiueza c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1247 [Tjiueza], la Cour a d’abord déterminé que, lorsqu’il donne un avis d’irrecevabilité d’une demande d’asile conformément au paragraphe 104(1) de la LIPR, l’agent n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire. Dans cette décision, le juge de Montigny (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) est arrivé à la même conclusion que celle à laquelle est parvenue la juge Mactavish (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans la décision Haqi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1246 [Haqi CF], qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Haqi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 256 [Haqi CAF].

[38] Plus récemment, le juge Roy a appliqué ces décisions dans la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1187 [Ali].

[39] L’esprit de la LIPR est tel que l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile n’est pas discrétionnaire. Lorsque l’instance devant la SPR est suspendue conformément à l’alinéa 103(1)a) de la LIPR au motif que la SI doit déterminer si le demandeur est interdit de territoire pour, entre autres, criminalité organisée, cette dernière doit forcément informer la SPR de sa décision. Autrement, la demande d’asile du demandeur demeurerait suspendue indéfiniment. Il est tout à fait normal qu’une fois que la question liée à la suspension est tranchée, cette information soit communiquée à la SPR afin qu’elle puisse poursuivre l’instance ou non.

[40] Comme l’a expliqué le juge Roy au paragraphe 111 de la décision Ali :

[111] L’esprit de la loi semble être plutôt simple. Les instances devant la SPR concernant une demande d’asile sont suspendues « sur avis de l’agent portant que le cas a été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité [...] » (al. 103(1)a) de la LIPR). Il paraît normal qu’un autre avis doive être donné pour signaler que la demande d’asile est devenue irrecevable une fois que la SI a statué que la personne qui demande l’asile est interdite de territoire (al. 101(1)f)). En vertu de l’article 42.1, la question de la sécurité (art. 34) peut ne pas emporter interdiction de territoire si la dispense du ministre est accordée. Mais pour l’instant, le demandeur est interdit de territoire. C’est ainsi que fonctionne la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Dans la version anglaise du paragraphe 104(1), le mot « may » est utilisé, ce qui peut supposer un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, comme la Chambre des lords l’a conclu dans la décision Julius v Lord Bishop of Oxford, [1880] 5 App Cas 214, l’utilisation du mot « may » n’est pas déterminante et le contexte de la disposition dans son ensemble doit être pris en considération : bien souvent, le mot « may » peut signifier « shall » dans le sens obligatoire.

[42] À mon sens, l’esprit de la LIPR décrit plus haut suppose que l’agent de l’ASFC « doit » (shall) donner un avis d’irrecevabilité de la demande d’asile. Cette interprétation concorde également avec le texte français, qui emploie l’indicatif présent, ce qui indique que la délivrance d’un avis d’irrecevabilité de la demande est une obligation imposée aux agents de l’ASFC. Comme l’a conclu le juge Roy au paragraphe 117 de la décision Ali :

Quoi qu’il en soit, non seulement la Cour ne refuse‑t‑elle pas de suivre les précédents Haqi et Tjiueza, mais elle endosse entièrement le raisonnement dans les deux causes. J’aimerais ajouter, comme l’a fait la juge Mactavish dans ses observations finales, que l’emploi du mot « may » dans la version anglaise de l’article 104 n’a pas d’équivalent dans la version française de cette disposition Comme le prévoit la version française de l’article 11 de la Loi d’interprétation (LRC 1985, c I‑21), l’emploi de l’indicatif présent exprime une obligation. Cela correspond au libellé employé dans la version française de l’article 104 de la LIPR, qui est compatible avec l’esprit de la loi qui exige des avis à la SPR pour suspendre ses instances ou pour en annuler la suspension. Se contenter du mot « may » ne suffit pas. L’interprétation de l’économie de la loi qui a été faite dans les deux causes mène à une seule conclusion.

[43] Le demandeur n’a pas dit pourquoi la Cour devrait s’éloigner de la jurisprudence que je considère comme établie et n’a pas non plus tenté d’établir une distinction entre sa cause et l’arrêt Haqi CAF, auquel la Cour est liée. Ainsi, dès lors que la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée, l’agent devait envoyer un avis d’irrecevabilité de la demande d’asile.

[44] Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 5 de l’arrêt Haqi CAF, « [l]e fait que ce soit une personne physique, l’agent, qui prend connaissance des faits et qui en communique la conséquence juridique qui découle de la Loi à la partie impliquée et à la Section de la protection des réfugiés ne fait pas de l’agent un décideur investi d’un pouvoir discrétionnaire ».

[45] À mon avis, la nature non discrétionnaire de l’avis d’irrecevabilité de la demande d’asile permet de trancher la demande.

[46] La demande en l’espèce constitue également une contestation incidente inadmissible des conclusions de la SI, à l’appui de laquelle le demandeur n’a donné aucune justification, ce qui constitue une autre raison de rejeter la demande.

[47] En plus de ce qui précède, le défendeur a fait valoir que, comme il n’y a aucun litige possible entre les parties, la demande est théorique en application du critère à deux volets établi dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. La Cour refuse respectueusement d’examiner cette observation supplémentaire.

VII. Conclusion

[48] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[49] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1915-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1915-22

 

INTITULÉ :

CHUKWUDI KINGSLEY KALU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Sola Kadiri

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sola’s Law Office

Avocat

Oshawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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