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Date : 20230412


Dossier : IMM-4496-23

Référence : 2023 CF 514

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

Rita HORVATH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Mme Rita Horvath [la demanderesse] demande qu’il soit sursis à l’exécution de son renvoi en Hongrie, prévu pour le 12 avril 2023, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision datée du 5 avril 2023 par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs [l’agent] a rejeté sa demande visant à reporter son renvoi [la décision].

[2] Après avoir examiné les documents déposés par les parties ainsi que les observations des avocats, je vais rejeter la demande de sursis.

I. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne rom de la Hongrie dont les antécédents en matière d’immigration au Canada sont quelque peu tortueux. Elle est entrée au Canada pour la première fois en décembre 2015 et elle a présenté une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile le 15 mars 2016, et la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel le 16 juin 2016. La demanderesse a été renvoyée du Canada le 13 mars 2017. Elle est entrée de nouveau au Canada le 10 décembre 2019 et a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] le 14 mai 2021. Sa demande d’ERAR a été rejetée le 20 décembre 2021.

[4] La demanderesse est entrée au Canada pour la dernière fois le 13 janvier 2023. Elle a été jugée inadmissible à présenter une demande d’asile le 24 janvier 2023 et une mesure d’expulsion a été prise contre elle. Elle a présenté une demande de statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire] le 8 mars 2023. Elle s’est vu signifier un ordre de se présenter le 30 mars 2023. Elle a présenté une demande de report le 4 avril 2023.

[5] Après avoir examiné les motifs de la demande de report du renvoi de la demanderesse, y compris les difficultés, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a conclu qu’un report du renvoi n’était pas approprié.

II. Questions en litige et critère juridique à appliquer pour obtenir un sursis

[6] La seule question en litige est de savoir s’il convient d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans les circonstances de l’espèce.

[7] Pour obtenir un sursis, la demanderesse doit satisfaire au critère à trois volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110; RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald] et R c Société Radio-Canada (Canada), 2018 CSC 5, qui est le critère applicable aux requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 CF 535, 1988 CanLII 1420 (CAF).

[8] Le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est justifié seulement si les trois volets du critère ont tous été respectés, à savoir : (i) la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une question sérieuse; (ii) la partie requérante subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et que la mesure de renvoi est exécutée; (iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

[9] L’application de ce critère dépend grandement du contexte et des faits. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, « [e]n définitive, il s’agit de déterminer s’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire » : Google Inc. c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 1.

III. Analyse

A. Question sérieuse

[10] Même si, dans de nombreux cas, le seuil de la question sérieuse n’est pas élevé, dans les cas où un sursis est demandé à la suite d’un refus de reporter un renvoi, un seuil plus élevé s’applique. Le demandeur doit démontrer qu’il est « vraisemblable que la demande [...] soit accueillie » ou faire valoir des « arguments assez solides » en ce qui a trait à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 682; Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 au para 67 et Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 43.

[11] Dans ses observations écrites, la demanderesse soulève plusieurs questions sérieuses relativement à la décision :

  1. L’agent a commis une erreur en refusant d’accorder un report temporaire de son renvoi en raison de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance. Vu ses considérations d’ordre humanitaire solides, la demanderesse fait valoir qu’elle mérite de se voir accorder plus de temps au Canada en attendant que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit tranchée.

  2. L’agent a commis une erreur en refusant de reporter son renvoi compte tenu de l’intérêt supérieur de ses petits-enfants.

  3. L’agent a commis une erreur en refusant de reporter son renvoi compte tenu de sa santé physique et mentale.

[12] Les arguments de la demanderesse ne me convainquent pas.

[13] En ce qui concerne la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance, l’agent a fait référence au chapitre IP5 du guide sur le traitement des demandes au Canada d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], selon lequel le dépôt d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne retardera pas le renvoi d’un demandeur et IRCC continuera de traiter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a également mentionné que le traitement de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse venait tout juste de commencer et que le délai de traitement d’une telle demande est actuellement de 25 mois. Il a décidé de ne pas reporter le renvoi de la demanderesse d’environ 24 mois pour permettre le traitement de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[14] Comme le souligne le défendeur, et comme l’a confirmé le juge en chef dans la décision Forde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029, il existe des limites temporelles au pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi de reporter un renvoi, et un agent de renvoi n’a pas le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi à une date indéterminée : au para 40.

[15] La demanderesse a fait valoir à l’audience que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire avait été présentée en temps opportun, mais je rejette cet argument. La demanderesse a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire seulement après avoir reçu un avis concernant son renvoi et après sa deuxième entrevue relative au renvoi.

[16] À la lumière des contraintes factuelles et juridiques découlant de la présente affaire, je ne vois aucune question sérieuse en lien avec la décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi de la demanderesse en attendant le traitement de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, car la décision n’est pas imminente.

[17] Ensuite, l’agent a abordé la question de l’intérêt supérieur de l’enfant en reconnaissant les problèmes de santé de la petite-fille de la demanderesse, S. Il a ensuite mentionné que la famille de la demanderesse vit au Canada sans son aide depuis des années et qu’il est plus approprié d’aborder la question de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre du processus de demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[18] La demanderesse fait valoir qu’elle a été effectivement présente pendant la majeure partie de la vie de S et que l’agent a commis une erreur en laissant entendre le contraire. Cependant, comme le défendeur le fait remarquer, la demanderesse a vécu en Hongrie, loin de sa petite-fille et de sa fille, pendant plus de deux ans depuis la naissance de S en 2018. Je conviens également avec le défendeur que l’agent a pris acte du problème de santé de S et des difficultés connexes pour la famille. Je ne peux pas conclure que le traitement par l’agent du facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant soulève une question sérieuse.

[19] La demanderesse soutient également qu’elle a besoin de soins médicaux de temps à autre en raison de ses problèmes de santé et renvoie à l’affidavit lié à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire concernant son incapacité, en Hongrie, à avoir un accès continu à [traduction] « l’ensemble des traitements » dont elle a besoin en raison de son origine ethnique rom. L’agent a noté que la demanderesse avait présenté un rapport rédigé en 2021 par IG Vital Health à l’appui de sa demande d’ERAR. L’agent a pris acte des observations de la demanderesse concernant ses problèmes de santé, mais il a fait remarquer que selon la décision relative à l’ERAR, la demanderesse n’avait pas tenté d’obtenir un traitement de suivi. Par conséquent, il a conclu qu’il était impossible de savoir si la demanderesse avait demandé des soins depuis son retour en janvier 2023. La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter les conclusions de l’agent. En outre, je conviens avec le défendeur qu’il était loisible à l’agent de conclure que la demanderesse pouvait poursuivre son plan de traitement avec IG Vital Health à distance, grâce à la télésanté, depuis la Hongrie.

[20] À l’audience, la demanderesse a soulevé un nouvel argument, affirmant qu’elle est exposée à de nouveaux risques de violence familiale qui n’ont pas été évalués dans sa demande d’asile antérieure ni dans sa demande d’ERAR. Elle a attiré l’attention sur deux paragraphes de son affidavit lié à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et sur un paragraphe de ses observations connexes à l’appui de cet argument. Elle a fait valoir que l’agent disposait de l’ensemble de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’il devait donc examiner le nouveau risque évoqué : Haghighi c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 372 au para 23.

[21] L’argument qui précède ne me convainc pas. Comme l’a indiqué le défendeur, les motifs pour lesquels la demanderesse a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont trait à ses expériences de discrimination en tant que Rom en Hongrie. La demanderesse n’a pas décrit clairement les risques de violence familiale auxquels elle est exposée ni fournis de preuve de violence familiale dans le cadre de sa demande de report, de sorte que l’agent ne pouvait les examiner. Je remarque que la demanderesse a bel et bien mentionné de tels incidents de violence familiale dans sa demande de report du renvoi, mais qu’elle n’a pas mentionné qu’il s’agissait de l’un des motifs de sa demande. Compte tenu du pouvoir discrétionnaire limité de l’agent lié au report d’un renvoi, j’estime qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher à cet égard.

[22] En conclusion, je juge que la demanderesse n’a pas établi qu’il y a des questions sérieuses à trancher.

B. Préjudice irréparable

[23] Même s’il n’est pas nécessaire que je le fasse vu les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je me penche sur la question de savoir s’il y a un préjudice irréparable en l’espèce, afin de m’assurer d’avoir examiné tous les facteurs en equity qui peuvent justifier l’octroi d’un sursis.

[24] Un préjudice irréparable est un préjudice qui ne peut être réparé par un dédommagement pécuniaire; c’est la nature du préjudice subi plutôt que son étendue qu’il faut examiner : RJR-MacDonald, à la p. 135. Dans le contexte d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, il est habituellement question du risque que la personne subisse un préjudice par suite de son renvoi du Canada. Cela peut aussi inclure des préjudices précis qui sont subis par toute personne directement touchée par le renvoi et qui reste au Canada : Tesoro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148.

[25] Le droit exige que le préjudice irréparable soit établi en fonction de la preuve, et non d’affirmations ou d’hypothèses : Singh Atwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427 aux para 14-15. Cependant, la norme appropriée pour évaluer le risque de préjudice irréparable n’est pas la certitude absolue : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 CF 206 (CA) au para 12.

[26] Je comprends la situation de la demanderesse et les difficultés auxquelles elle est confrontée en tant que Rom en Hongrie, mais, compte tenu de mes conclusions énoncées ci-dessus concernant l’absence de question sérieuse, je dois rejeter son argument selon lequel le caractère potentiellement théorique de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente équivaut à un préjudice irréparable.

[27] J’estime que l’observation de la demanderesse selon laquelle sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire deviendra illusoire en cas de renvoi ne suffit pas à démontrer l’existence d’un préjudice irréparable. La preuve concernant les conditions dans le pays est l’élément le plus pertinent. Cependant, en l’espèce, l’agent a examiné les affirmations générales de la demanderesse concernant les difficultés en Hongrie à la lumière des rapports sur les conditions dans le pays, mais il a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait en quoi la demanderesse avait été personnellement touchée. Selon moi, il faut tirer la même conclusion.

[28] Par conséquent, je conclus que la demanderesse n’a pas satisfait au critère du préjudice irréparable.

[29] Je veux qu’il soit clair que le défaut de la demanderesse d’établir l’existence d’un préjudice irréparable dans une requête en sursis ne signifie pas nécessairement qu’elle n’a pas d’arguments solides dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le traitement de la demande fondée sur les considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse se poursuivra, et cette demande devrait recevoir toute l’attention qu’elle mérite.

C. Prépondérance des inconvénients

[30] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées ci-dessus, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur.

[31] Le défendeur a demandé une ordonnance visant à modifier l’intitulé. Je vais rendre une ordonnance en ce sens.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-4496-23

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant la décision relative à la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.
  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné à titre de défendeur.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4496-23

 

INTITULÉ :

RITA HORVATH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 AVRIL 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Oltion Toro

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicola Shahbaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oltion Toro

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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