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Date : 20230406


Dossier : IMM-6107-22

Référence : 2023 CF 499

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

SHAGHAYEGH SHAHREZAEI

HAMIDREZA SAVEH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Shaghayegh Shahrezaei et son mari, Hamidreza Saveh, sont des citoyens de l’Iran. Mme Shahrezaei demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté sa demande de permis d’études en vue d’obtenir un diplôme en techniques des systèmes informatiques du Collège Seneca. L’agent a également rejeté une demande de permis de travail connexe présentée par M. Saveh, qui espérait accompagner sa femme au Canada.

[2] L’agent n’était pas convaincu que Mme Shahrezaei quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Les principales préoccupations de l’agent concernaient le but de la visite de Mme Shahrezaei et le fait qu’elle n’avait pas de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada.

[3] Mme Shahrezaei est âgée de 30 ans. Elle et son époux n’ont pas d’enfants. Les parents des deux époux résident en Iran, et la sœur de Mme Shahrezaei réside aux États-Unis d’Amérique.

[4] Mme Shahrezaei et son époux sont tous deux titulaires d’un baccalauréat en génie logiciel décerné par une université iranienne. De 2015 à 2020, Mme Shahrezaei a travaillé en tant que conceptrice de sites Web WordPress pour Pardazesh Hoorad Padra [Shabakesabz], une entreprise de technologies de l’information [TI] qu’elle a créée avec son mari. Shabakesabz a suspendu ses activités en 2020. Depuis, Mme Shahrezaei travaille à titre de technicienne de réseau informatique pour l’entreprise Arya Pardazeshgar Rayaneh [Arya].

[5] En mars 2022, Mme Shahrezaei a été acceptée dans un programme de deux ans menant à l’obtention d’un diplôme en techniques des systèmes informatiques au Collège Seneca. Les droits de scolarité pour la première année du programme sont évalués à 16 113,79 $, et les frais de subsistance, à 14 364 $. Mme Shahrezaei a versé un acompte de 8 578,55 $ sur ses droits de scolarité. Elle a également fourni des éléments de preuve démontrant qu’elle disposait de fonds disponibles d’un montant de 50 300 $, ainsi que les titres de propriété des biens immobiliers de ses parents en Iran et d’une voiture d’une valeur de 24 000 $.

[6] Mme Shahrezaei a déclaré ce qui suit concernant le but du programme d’études qu’elle propose de suivre :

[traduction]

Le Collège Seneca a fait ses preuves. Faire partie de ce formidable environnement d’études me permettra de poursuivre mes objectifs professionnels. Grâce à ce programme, je pourrai acquérir de l’expérience et des compétences qui m’ouvriront un plus grand nombre de portes dans le secteur des TI. Après avoir obtenu mon diplôme, je reviendrai en Iran et j’explorerai les possibilités de carrière offertes ici. Arya m’a offert un emploi lucratif en tant que gestionnaire de réseau informatique, à condition que j’obtienne mon diplôme en techniques des systèmes informatiques du Collège Seneca.

Personnellement, j’aimerais vraiment relancer Shabakesabz. Le diplôme obtenu au Collège Seneca rehaussera énormément mon profil. Ces études me permettront d’acquérir les connaissances nécessaires pour relancer Shabakesabz et lui donner une avance sur ses concurrents, et je pourrai enfin réaliser mes objectifs professionnels.

[7] Une lettre d’Arya a confirmé que l’entreprise embauchera Mme Shahrezaei [traduction] « à temps plein et lui offrira un salaire et des indemnités plus élevés ainsi qu’une promotion » lorsqu’elle aura son diplôme.

[8] Mme Shahrezaei a également affirmé qu’elle retournerait en Iran à la fin de ses études parce que ses parents et les parents de son mari y seront. Elle a dit qu’elle avait une [traduction] « relation très étroite » avec eux et qu’elle était déterminée à les aider autant qu’elle le pourrait. De plus, M. Saveh aurait une [traduction] « grande obligation envers sa famille », soit de s’occuper de plusieurs propriétés agricoles familiales en Iran.

[9] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si « la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[10] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[11] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font partie des motifs de la décision faisant l’objet du contrôle (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5). Voici les extraits pertinents de ces notes :

[traduction]

[...] La demandeure, âgée de 29 ans, a demandé un permis d’études en vue d’obtenir un diplôme en techniques des systèmes informatiques du Collège Seneca. Je note que la demandeure a obtenu un baccalauréat en génie logiciel en 2015. Rien n’indique qu’elle a fait d’autres études depuis. La demandeure travaille à titre de technicienne de réseau depuis 2020. Aucun relevé de notes ou diplôme récent n’est fourni. La lettre d’explication de la demandeure a été examinée. La demandeure ne soulève pas de raisons suffisantes pour me convaincre que ce programme d’études serait avantageux. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu du parcours professionnel et scolaire de la demandeure. Je note ce qui suit : – la cliente a déjà fait des études d’un degré supérieur à celui des études proposées au Canada; – les études proposées par la cliente ne sont pas raisonnables étant donné son parcours professionnel; – les études proposées par la cliente sont répétitives et ne sont pas raisonnables étant donné son parcours professionnel. Les explications fournies ne suffisent pas à établir comment le programme d’études choisi avantagerait la cliente ni comment il améliorerait ses perspectives d’emploi dans son pays d’origine. Je ne vois pas comment le programme proposé démontre adéquatement la progression logique de ses études ou de sa carrière. Comme la demandeure travaille déjà dans un domaine connexe, il est difficile de comprendre pourquoi elle voudrait suivre ce programme d’études ni les avantages qu’elle en tirerait. Je ne suis pas convaincu que la demandeure quittera le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je souligne ce qui suit : – la demandeure est mariée ou a des personnes à charge ou déclare entretenir de solides liens familiaux dans son pays d’origine, mais qu’elle n’y est pas suffisamment établie. De plus, il est prévu que sa famille immédiate l’accompagne au Canada, ce qui affaiblit ses liens avec l’Iran puisque la présence de sa famille immédiate au Canada diminuera la motivation de la demandeure à retourner en Iran. La demandeure n’a pas démontré l’existence de liens assez solides la rattachant à son pays de résidence. Le but de sa visite ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socioéconomique de la demandeure, et, par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. […].

[12] Mme Shahrezaei conteste l’appréciation de l’agent concernant les facteurs suivants : a) sa situation socioéconomique; b) le but de sa visite; c) ses liens avec l’Iran.

[13] Mme Shahrezaei a présenté des éléments de preuve pour établir la situation financière de son couple, notamment des relevés de comptes bancaires, un reçu de l’acompte versé sur ses droits de scolarité, ainsi que les titres des propriétés de ses parents en Iran et d’une voiture. Dans la décision Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324, la juge Janet Fuhrer a fait valoir que le paiement des droits de scolarité attestait raisonnablement une intention sincère d’étudier et constituait un facteur qui devait être considéré ou mentionné (au para 19).

[14] Même si les notes consignées par l’agent dans le SMGC indiquent que des [traduction] « facteurs positifs » ont été considérés, elles n’indiquent pas exactement comment ces facteurs ont été soupesés ni lesquels, le cas échéant, ont été jugés déficients (Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 au para 18). L’agent n’a ni expliqué ni justifié la conclusion qu’il avait tirée à l’égard de la situation socioéconomique de Mme Shahrezaei (Najmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 132 au para 16).

[15] En ce qui a trait au but de la visite de Mme Shahrezaei, il est difficile de comprendre exactement pourquoi l’agent a conclu que le plan d’études de Mme Shahrezaei était déraisonnable. L’agent a jugé que le baccalauréat de la demanderesse était d’un « degré supérieur » au programme d’études qu’elle proposait. Cependant, son baccalauréat et le diplôme proposé portaient sur des disciplines connexes, mais distinctes. Son baccalauréat était en génie logiciel, tandis que le programme d’études proposé vise le domaine pratique du soutien en TI (voir Monteza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 530 au para 13).

[16] Dans son plan d’études, Mme Shahrezaei a mentionné les aspects suivants : il n’existait aucun programme comparable en Iran; le Canada était un pionnier dans le secteur des TI; le programme donnait accès à [traduction] « des laboratoires et des technologies modernes »; une expérience de stage coopératif était offerte; le diplôme proposé améliorerait ses perspectives de carrière en Iran. La lettre d’Arya, dont l’agent n’a pas fait mention dans sa décision, confirmait que la demanderesse serait admissible à une promotion lorsqu’elle aurait terminé ses études au Canada.

[17] Un agent des visas est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve, à moins d’une preuve du contraire, et n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 28). Les conclusions de l’agent doivent néanmoins être fondées sur une analyse rationnelle et intelligible (Vavilov, aux para 85-86). Bien que l’agent semble avoir pris en considération le plan d’études de Mme Shahrezaei, il n’a pas mentionné le contenu de ce plan dans ces motifs. Dans son plan d’études, Mme Shahrezaei expliquait pourquoi elle voulait obtenir un diplôme en techniques des systèmes informatiques du Collège Seneca, comment ce diplôme s’inscrivait dans la progression logique de ses études et en quoi il était avantageux pour sa carrière. La décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas analysé en détail le contenu du plan d’études.

[18] En ce qui concerne ses liens avec l’Iran, Mme Shahrezaei reconnaît qu’il était raisonnable pour l’agent de prendre en considération le fait que son mari l’accompagnerait au Canada. Toutefois, elle soutient que l’agent a négligé d’apprécier cet élément en tenant compte des éléments de preuve qu’elle a présentés pour son établissement en Iran. Comme l’a conclu la juge Cecily Strickland dans la décision Vahdati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1083 [Vahdati] au paragraphe 10 :

À mon avis, même s’il peut être pertinent de tenir compte du fait que l’époux de la demanderesse compte accompagner celle-ci au Canada (Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 268 aux para 15-16), et même s’il est raisonnable d’en conclure que les liens familiaux qu’entretient la demanderesse en Iran seraient affaiblis, le problème en l’espèce est que l’agent des visas a terminé ainsi son analyse. Il n’a pas évalué ces éléments de preuve par rapport à ce qui suit : (1) le fait que tous les autres membres des familles de la demanderesse et de son époux demeureront en Iran; (2) le fait que les demandeurs n’ont pas de famille au Canada; (3) les autres éléments de preuve concernant l’établissement contenus dans le dossier, comme la lettre de l’employeur de la demanderesse. En l’espèce, je conviens avec la demanderesse que l’agent des visas semble s’être contenté de généraliser pour en arriver à sa conclusion quant à l’absence d’établissement.

[19] Le ministre répond que la décision de l’agent était raisonnable pour les motifs suivants : la sœur de Mme Shahrezaei réside aux États-Unis; la possibilité de promotion de Mme Shahrezaei au sein d’Arya était « vague »; il était difficile de savoir quand elle ou son mari hériteront des propriétés en Iran; aucun élément de preuve ne suggérait que l’un ou l’autre des parents des époux était financièrement dépendant des demandeurs. Bien que ces considérations puissent être valables, l’agent n’en a soulevé aucune dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC. La conclusion de l’agent n’était ni intelligible ni justifiée (Vahdati, aux para 8-12).

[20] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6107-22

INTITULÉ :

SHAGHAYEGH SHAHREZAEI et HAMIDREZA SAVEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 avril 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

Alexandra Scott

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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