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Date : 20230404


Dossier : IMM-5987-21

Référence : 2023 CF 474

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

BAOCHENG LIU

GUOLING ZHANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 août 2021 par un agent principal (l’« agent ») d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC »). L’agent a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2] Après avoir examiné les facteurs pertinents ainsi que les nombreuses lettres présentées à l’appui de la demande des demandeurs, l’agent a conclu que ceux-ci n’avaient pas présenté une preuve suffisante pour justifier l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[3] Les demandeurs soutiennent que l’agent a appliqué le mauvais critère relatif à l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR, et qu’il n’a pas accordé suffisamment d’importance à l’ensemble de leur preuve, ce qui rend la décision déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Faits

A. Les demandeurs

[5] Les demandeurs, Baocheng Liu (M.« Liu ») et son épouse, Guoling Zhang (Mme « Zhang »), sont des citoyens chinois. Ils résident actuellement au Canada avec leur fille (« Kun »), le mari de celle-ci (« Ruiqi ») ainsi que leur petit-fils (« Frederick »), qui sont des citoyens canadiens.

[6] Les demandeurs sont entrés au Canada pour la première fois en avril 2011 munis d’un visa de résident temporaire (« VRT ») et sont restés au pays jusqu’en octobre 2011. Ils ont visité le Canada une deuxième fois entre mars 2018 et août 2018.

[7] Les demandeurs sont entrés au Canada pour la dernière fois le 21 mars 2019 munis d’un VRT qui était valide jusqu’au 2 décembre 2020. Ils ont présenté une demande de prorogation de leur statut le 21 août 2019 afin de passer davantage de temps avec leur famille au Canada. L’avocate des demandeurs affirme qu’IRCC a renvoyé la demande de prorogation le 4 novembre 2019 et que le rejet de cette demande leur a seulement été communiqué le 27 février 2020, soit après l’expiration de leur statut. À ce moment-là, la pandémie de COVID‑19 se propageait et les demandeurs avaient peur de retourner en Chine. Ils ont présenté une demande de rétablissement de leur statut en mars 2020, laquelle a été rejetée le 12 août 2020.

[8] Le 27 octobre 2020, les demandeurs ont présenté une demande de permis de séjour temporaire (« PST »), qui comprenait une lettre de leur avocate ainsi que des documents à l’appui. La lettre indiquait que les demandeurs se trouvent au Canada sans statut et qu’ils sont potentiellement interdits de territoire malgré le fait qu’ils n’ont pas commis de manquement délibéré ou grave à la LIPR, et que tout manquement de leur part est manifestement involontaire et accidentel. À la date de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, aucune décision n’avait encore été rendue concernant la demande de PST.

[9] La demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs a été reçue le 26 avril 2021. Elle comprenait des observations, présentées par l’avocate des demandeurs, concernant les facteurs de la séparation potentielle de l’unité familiale, de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que des difficultés potentielles auxquelles les demandeurs seraient confrontés s’ils retournaient en Chine compte tenu de la preuve relative à la maltraitance des personnes âgées dans ce pays. La demande comprenait également des documents à l’appui, y compris des affidavits et des documents financiers présentés par Kun et Ruiqi, de la documentation relative à leur entreprise, ainsi que plusieurs lettres d’appui rédigées par des amis de la famille.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans sa décision du 18 août 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs.

[11] L’agent a examiné le facteur de l’établissement des demandeurs au Canada. Il a fait remarquer que les demandeurs habitent avec Kun, Ruiqi et Frederick dans leur maison de Markham (Ontario), et que c’est dans cette maison qu’ils ont séjourné à chacune de leurs visites au Canada. L’agent a donc accordé un certain poids à la question de la résidence des demandeurs en tant que composante de leur établissement. Il a fait remarquer que l’affidavit de Kun, qui était joint à la demande, indiquait qu’elle voulait rembourser les demandeurs pour tout ce qu’ils avaient fait pour elle.

[12] L’agent a ensuite résumé la preuve relative à la situation financière de Kun et de Ruiqi. Cette preuve comprenait des relevés bancaires, plusieurs avis de cotisation, le permis d’exploitation de l’entreprise de Ruiqi en Ontario, ainsi que des copies des déclarations de revenus de la société. L’agent a conclu que cette preuve justifiait l’octroi d’un certain poids à la capacité de Kun et de Ruiqi de soutenir financièrement les demandeurs s’ils devaient rester au Canada.

[13] Lorsqu’il a examiné les liens familiaux des demandeurs, l’agent a fait remarquer que l’ex-mari de Mme Zhang est décédé du cancer alors que Kun avait 10 ans. Mme Zhang a épousé M. Liu quatre ans plus tard, et le couple n’a pas eu d’autres enfants afin d’offrir à Kun une vie et une éducation de qualité. L’agent a pris acte des photos de famille jointes à la demande des demandeurs. Il a conclu qu’un poids important devait être accordé aux liens familiaux des demandeurs dans le contexte de leur établissement au Canada.

[14] L’agent a résumé les affidavits présentés par Kun, Ruiqi et Frederick. Dans son affidavit, Kun a expliqué qu’elle et Ruiqi travaillaient au sein de l’entreprise familiale, que M. Liu l’avait toujours traitée comme sa propre fille et qu’il avait fait de son éducation une priorité, que ses parents l’ont aidée à élever son fils pendant qu’elle travaillait, et qu’ils apportaient un soutien constant à la famille lors de leurs visites au Canada. Kun s’est dite inquiète que ses parents retournent en Chine à leur âge, car ils n’ont pas d’autres enfants pour s’occuper d’eux là‑bas, et qu’elle ne croit pas qu’une femme de chambre ou une maison de retraite puisse leur fournir le niveau de soins adéquat, notamment compte tenu de l’ampleur des mauvais traitements infligés aux aînés en Chine. Dans son affidavit, Frederick a expliqué que ses grands-parents s’occupaient de lui et qu’ils pourraient difficilement voyager pendant la pandémie de COVID‑19. Dans son affidavit, Ruiqi a expliqué que ses beaux-parents l’ont toujours soutenu, qu’ils se sont occupés de Frederick et de Kun lorsqu’il ne pouvait pas subvenir à leurs besoins, et qu’il souhaitait les aider pendant leur vieillesse.

[15] L’agent a pris acte des nombreuses lettres d’appui supplémentaires qui ont été présentées, et a souligné qu’elles réitéraient le fait que les demandeurs sont des personnes bienveillantes et accueillantes, qui sont désireuses de contribuer à leur communauté. Il a finalement accordé un poids modéré aux lettres d’appui en ce qui concerne l’établissement des demandeurs au Canada.

[16] L’agent n’a accordé aucun poids au facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le dossier des demandeurs au motif que leur petit-fils est maintenant un étudiant universitaire de 18 ans et qu’il est capable de prendre soin de lui-même.

[17] L’agent a tenu compte du facteur relatif aux soins médicaux ou de santé pour les demandeurs vieillissants, et a fait remarquer que leur demande comprenait plusieurs articles portant sur le système de soins de santé pour les personnes âgées en Chine. Ces articles portent sur le vieillissement de la population chinoise, l’absence de système de soins adéquat pour répondre à la forte demande chez les personnes âgées, le manque de ressources accessibles, ainsi que le besoin d’aide internationale, et ce, en dépit des récents changements apportés, de l’[traduction] « atmosphère déprimante » des maisons de soins infirmiers, ainsi que de l’étendue de la maltraitance des aînés en Chine. La lettre présentée par l’avocate des demandeurs à l’appui de leur demande indiquait que ceux-ci seraient exposés à de telles conditions en Chine en tant que couple de personnes âgées isolé de leur famille. L’agent a conclu que rien n’indiquait que les demandeurs auraient besoin de soins à domicile ou de déménager dans une maison de retraite s’ils retournaient en Chine, puisqu’ils semblaient en bonne santé, et il a accordé peu de poids à ce facteur pour cette raison.

[18] L’agent a finalement conclu que la situation des demandeurs ne justifiait pas l’octroi de la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Il a fait remarquer que le programme de parrainage parental, le programme de super visa, ou l’accueil potentiel de leur demande de PST en suspens constituaient des solutions viables pour leur permettre de revenir au Canada.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[19] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[20] Nul ne conteste la norme de contrôle applicable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.

[21] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[22] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[23] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas effectué une évaluation globale des considérations d’ordre humanitaire pertinentes telle qu’elle est énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy). Les demandeurs soutiennent que l’agent a indûment examiné chacun des facteurs de façon séparée alors que l’arrêt Kanthasamy prévoit qu’une évaluation des considérations d’ordre humanitaire doit comprendre un examen global et cumulatif des facteurs pertinents. Les demandeurs font remarquer que, dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a souligné qu’il fallait adopter une approche empreinte de compassion et d’empathie dans l’évaluation des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, comme la Cour l’a mentionné précédemment au paragraphe 34 de la décision Damte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1212. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas adopté cette approche lorsqu’il a évalué leur situation, ce qui rend la décision déraisonnable. Ils soulignent en outre que la déclaration de l’agent selon laquelle la décision reposait sur une [traduction] « évaluation globale de l’ensemble des facteurs soulevés » n’était pas suffisante pour faire en sorte que ce soit le cas.

[24] Les demandeurs soutiennent que la décision sous-jacente est analogue à celle que mon collègue le juge Campbell a jugée déraisonnable dans l’affaire Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1081 (Paul), qui mettait également en cause un couple de personnes âgées cherchant à obtenir la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Dans la décision Paul, la Cour a souscrit à l’observation des demandeurs selon laquelle l’agent « n’a pas tenu compte de leur réalité » en concluant qu’ils pouvaient « toujours compter l’un sur l’autre » alors que l’essentiel de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur le soutien continu et la proximité de leur famille au Canada (aux para 2 et 4). En l’espèce, les demandeurs font valoir que l’agent a, de façon similaire, mal interprété l’essentiel de leur demande en concluant qu’ils pourraient revenir au Canada par d’autres moyens.

[25] Les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agent concernant la preuve relative aux mauvais traitements réservés aux aînés en Chine, notamment sa conclusion selon laquelle rien n’indique que les demandeurs ont besoin de soins, démontrent qu’il n’a pas fait preuve du degré d’empathie requis dans son évaluation des considérations d’ordre humanitaire, et qu’il était déterminé à trouver des motifs pour rejeter la demande.

[26] Les demandeurs soutiennent en outre que les motifs de l’agent consistent en un compte rendu de la demande et de la preuve plutôt qu’en une analyse indépendante de la preuve en vue de tirer une conclusion. L’agent a résumé la preuve et indiqué le poids qu’il convenait d’accorder à certains facteurs plutôt que d’expliquer le lien entre la preuve et la conclusion. Les demandeurs soutiennent que cette absence de justification rend la décision déraisonnable.

[27] Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable et que les demandeurs n’ont pas relevé d’erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour. Le défendeur fait remarquer que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire prévue à l’article 25 de la LIPR est une mesure exceptionnelle qui ne doit pas constituer un régime d’immigration parallèle, n’a pas pour but de combler l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui dans d’autres pays, et que les difficultés à elles seules ne sauraient généralement justifier l’octroi d’une telle dispense. Le défendeur soutient que l’agent a respecté ces principes dans son évaluation de la demande sous-jacente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[28] Le défendeur soutient en outre que les demandeurs demandent simplement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dont disposait le décideur, ce qui ne relève pas de son rôle dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur fait valoir que la décision Paul se distingue de la situation des demandeurs au motif que l’agent en l’espèce a expressément affirmé qu’il accordait un poids important aux liens familiaux des demandeurs dans son évaluation de leur établissement.

[29] Le défendeur soutient que l’observation des demandeurs selon laquelle l’agent n’a pas fait preuve du degré d’empathie et de compassion requis dans ses motifs n’est pas intelligible. Il fait remarquer que les motifs de l’agent démontrent qu’il comprenait les faits et la situation des demandeurs, et que ceux-ci n’ont pas relevé, dans ses motifs, un élément précis qui dénote un manque d’empathie ou une méprise fondamentale de la demande. Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de proposer d’autres moyens par lesquels les demandeurs pourraient visiter au Canada.

[30] Le défendeur soutient que les motifs de l’agent démontrent qu’il a effectué une analyse suffisante de la demande, et qu’ils indiquent clairement à quels éléments de preuve il a accordé du poids dans le cadre de son évaluation. Il fait valoir que le fait que les demandeurs sont en désaccord avec le poids accordé à certains éléments de leur demande revient à demander à la Cour de soupeser la preuve à nouveau, ce qui n’est pas l’objectif du contrôle judiciaire. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent d’accorder peu de poids aux considérations d’ordre médical et de santé dans le dossier des demandeurs, puisqu’une de leurs lettres d’appui mentionnait qu’ils sont présentement en assez bonne santé. Il fait valoir qu’en fin de compte, la décision de l’agent est conforme à la preuve présentée et possède toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable.

[31] À mon avis, la décision de l’agent ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence; elle est donc déraisonnable (Vavilov, au para 100). Une grande partie des motifs de l’agent consistent simplement en une reproduction textuelle de la preuve des demandeurs, laquelle est suivie d’une brève conclusion concernant le poids accordé à la preuve dans son évaluation globale. Par exemple, lorsqu’il a examiné les liens familiaux et les lettres de soutien présentés à l’appui de la demande, l’agent a longuement résumé les affidavits de Kun, de Ruiqi et de Frederick. Ces paragraphes sont suivis d’une seule phrase dans laquelle l’agent conclut qu’il convient d’accorder [traduction] « un poids modéré à cet élément de l’établissement ».

[32] Une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique, et la cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur » au moyen d’un « mode d’analyse » établissant un lien entre le dossier de preuve, les contraintes juridiques ainsi que la décision finale (Vavilov, au para 102). Les motifs de l’agent en l’espèce ne font pas état d’un mode d’analyse rationnel; il s’est contenté de réitérer la preuve avant de présenter une conclusion brève et inexpliquée, qui ne possède pas les attributs requis de justification ou de transparence. Le raisonnement n’est guère plus qu’une évaluation machinale d’une liste de contrôle de facteurs (Salde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 386 au para 23).

[33] La décision de l’agent n’est pas non plus conforme à l’approche requise dans le cadre d’une évaluation des considérations d’ordre humanitaire telle que la Cour suprême l’a énoncée dans l’arrêt Kanthasamy. Dans ses motifs, l’agent semble évaluer chaque facteur isolément. Il omet ainsi d’évaluer la situation des demandeurs dans son ensemble. En réponse à l’observation du défendeur selon laquelle l’évaluation, par l’agent, d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est hautement discrétionnaire, et qu’il peut exister un large éventail d’issues raisonnables, je souscris à l’argument des demandeurs selon lequel ce pouvoir discrétionnaire ne décharge pas l’agent de son obligation de suivre l’approche requise, énoncée dans l’arrêt Kanthasamy, qui prévoit qu’« il faut examiner les considérations d’ordre humanitaire globalement plutôt que séparément » (au para 28). En l’espèce, l’agent a conclu à tort que les demandeurs ne seraient pas exposés aux difficultés alléguées en tant que couple de personnes âgées en Chine au motif que [traduction] « rien n’indiquait qu’ils auraient besoin de soins à domicile ou de déménager dans une maison de retraite ».

[34] Ce raisonnement donne à penser que l’agent entretenait une vision étroite et simpliste des difficultés auxquelles les demandeurs pourraient être exposés, et qu’il n’a pas examiné leur situation de façon globale et cumulative, tout en accordant une attention déraisonnable à la nature « exceptionnelle » de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Il ne tient pas compte du fait que les demandeurs n’ont pas de famille encore en vie pour les soutenir en Chine; qu’ils ont offert un soutien indispensable à leur fille et sa famille au Canada pendant une grande partie de leur vie; qu’ils ont établi une communauté au Canada; et que leur vieillesse les rend vulnérables aux problèmes de santé ainsi qu’aux mauvais traitements en Chine, en particulier s’ils sont isolés de leur famille. Le défaut de l’agent d’examiner la situation des demandeurs dans son ensemble lorsqu’il s’est penché sur le facteur essentiel des difficultés dans le cadre de son évaluation des considérations d’ordre humanitaire ne respecte pas l’approche globale requise par l’arrêt Kanthasamy et, comme le soutiennent les demandeurs, montre qu’il n’a pas adopté une approche fondée sur la compassion, laquelle joue un rôle clé dans l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au para 25; Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 au para 21). À mon avis, cette erreur est suffisante pour rendre la décision déraisonnable dans son ensemble.

V. Conclusion

[35] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agent n’a pas établi un mode d’analyse reliant la preuve à la conclusion ni procédé à une évaluation adéquate et globale des considérations d’ordre humanitaire comme il était tenu de le faire. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5987-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5987-21

 

INTITULÉ :

BAOCHENG LIU ET GUOLING ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Allison Grandish

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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