Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20230331


Dossier : IMM-4169-22

Référence : 2023 CF 462

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

OROBOSA GODWIN ASOWATA

AUGUSTINA OGHOGHO ASOWATA

DELIGHT EWINAOSA ASOWATA

DIVINE OBOSAMAGBE OLUWANIFEMI ASOWATA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 11 avril 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter la demande des demandeurs en raison de doutes quant à la crédibilité.

II. Question en litige

[2] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

  • 1)La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs?

  • 2)La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des quatre affidavits qui corroborent les aspects centraux de la demande d’asile des demandeurs?

  • 3)La SAR a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur le fondement de l’absence d’éléments de preuve corroborants?

  • 4)La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des deux lettres des aînés du village?

  • 5)La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’omission dans le formulaire FDA des demandeurs?

  • 6)La SAR a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet des circonstances dans lesquelles le demandeur principal est parti pour les États-Unis?

  • 7)La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles et pertinents montrant qu’il vivait dans l’État du Delta?

[3] En réponse, le défendeur rejette ces questions et soutient que la décision de la SAR est raisonnable.

[4] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

III. Norme de contrôle

[5] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[6] Cela dit, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». De telles circonstances n’existent pas en l’espèce. La Cour suprême du Canada donne les instructions suivantes :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[7] En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment statué dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

IV. Faits

[8] Les demandeurs sont le demandeur principal, son épouse et ses enfants mineurs, qui sont tous citoyens du Nigéria et originaires de l’État du Delta. Pour les motifs qui précèdent et parce que j’estime que la décision est raisonnable, j’adopte et énonce les faits tels qu’ils ont été exposés par la SAR :

Pendant des générations, les grands prêtres ont été choisis parmi sa famille, ce qui inclut son père qui, en raison de sa foi chrétienne, a refusé de devenir le prochain grand prêtre et qui [traduction] « a été assassiné en raison de son refus ».

En juin 2016, trois aînés du village ont fait savoir à l’appelant principal qu’il était désigné par l’oracle pour devenir le prochain grand prêtre, pour être ordonné pendant le couronnement de l’année en août 2016 et après le décès du jeune frère de son père, Acha, qui était le grand prêtre.

Quand l’appelant principal a rejeté la proposition en raison de sa foi chrétienne, les aînés du village ont renouvelé leur demande en juillet 2016, et il l’a rejetée de nouveau. Il a eu un an de plus pour y réfléchir. À l’expiration du délai en juin 2017, il a été accusé de prendre le village en otage et de l’exposer à la colère divine compte tenu de son refus, et il devait s’exiler ou être offert en sacrifice aux dieux.

Pendant la deuxième semaine de juin 2017, son cousin Health lui a dit que la station-service qu’il exploitait à Iduneha, au nord de son village (État de Delta) et qu’il avait héritée de son père a été rasée. Il lui a également dit que ses biens lui avaient été retirés en raison de son refus.

Le même jour, son ami Iyobosa l’a avisé que les aînés du village avaient envoyé quelqu’un pour l’assassiner. Il a donc envoyé les autres appelants en sécurité dans l’État de Lagos. Il affirme qu’il avait trop peur pour informer la police [traduction] « car [il] ne [veut] pas s’exposer au danger [qu’il fuit] et parce que la police n’interviendra pas dans ce qu’elle considère comme étant une affaire traditionnelle.

L’appelant principal s’est rendu dans l’État d’Ogun pour rester chez son ami Adeleke pendant une semaine, mais il ne sentait pas en sécurité car il a vu deux personnes de son village là-bas, [traduction] « qui [le] félicitaient même pour l’événement à venir, dans [son] dialecte ».

Après avoir discuté de l’affaire avec son épouse, l’appelant principal a quitté le pays à destination des États-Unis. Quand il a quitté la maison de son ami pour aller dans une église catholique, il lui a été conseillé de déménager au Canada, ce qu’il a fait.

V. Décision faisant l’objet du contrôle et analyse

[9] Dans les grandes lignes, la SAR a confirmé le bien-fondé de la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et elle a rejeté leur appel. Elle a, plus précisément, conclu que leurs nouveaux éléments de preuve ne satisfaisaient pas aux exigences légales pour la présentation de documents en appel à la SAR et que les demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui a trait à leur demande d’asile, qui avait été rejetée à juste titre.

[10] Je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle. J’énonce brièvement ci-après la décision de la SAR et expose les conclusions de la Cour à l’égard de celle-ci, qui reposent en grande partie sur l’application des principes juridiques contraignants mentionnés plus haut.

A. Nouveaux éléments de preuve

[11] Avant de commencer l’évaluation, je précise que je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur en énonçant les principes juridiques contraignants relatifs au pouvoir de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et de la jurisprudence pertinente, à savoir les facteurs bien connus énoncés dans les arrêts Raza et Singh.

[12] Entre autres documents supplémentaires présentés à la SAR, le demandeur principal a présenté deux affidavits et un courriel de la sœur de son épouse ainsi qu’une photo de la prétendue station-service lui appartenant et une saisie d’écran du statut du permis de son entreprise.

[13] Je suis également d’avis que les motifs de la SAR à cet égard sont à la fois rigoureux et détaillés. En toute déférence, cet aspect de la demande de contrôle judiciaire ainsi que les observations sur le fond sont essentiellement une invitation à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et le témoignage des demandeurs ainsi que les inférences qui en découlent, et de tirer des conclusions en faveur des demandeurs quant à la crédibilité, à la vraisemblance, au poids, à l’évaluation de la preuve et aux inférences. Comme la jurisprudence à laquelle j’ai renvoyé l’établit, il ne s’agit pas du rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. Celle-ci doit plutôt décider du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble, compte tenu des principes de transparence, d’intelligibilité et de justification énoncés dans l’arrêt Vavilov.

[14] En ce qui concerne les deux nouveaux affidavits, la SAR a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas survenus avant la décision de la SPR, mais elle a mentionné que les renseignements qu’ils contiennent étaient antérieurs à la décision de la SPR. Elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi que les affidavits n’étaient pas normalement accessibles au moment de la décision de la SPR. Par conséquent, la SAR a conclu que le demandeur principal avait eu amplement le temps de transmettre les éléments de preuve avant que la décision ne soit rendue et elle a refusé d’admettre les affidavits. À mon avis, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion sur le fondement du dossier et il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle; il s’agit simplement d’un différend sur une question relevant de la compétence de la SAR.

[15] En ce qui concerne le courriel, la SAR a indiqué que les renseignements qu’il contient ne sont pas nouveaux, puisqu’ils reprennent les allégations que la déposante avait formulées dans un courriel précédent, soumis à la SPR. Ce courriel n’indique pas non plus que des faits nouveaux sont survenus depuis la décision de la SPR. Il n’a donc pas été admis en preuve. Encore une fois, il est demandé à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle refuse de faire.

[16] En ce qui concerne la photo de la station-service, la SAR a constaté que le demandeur principal avait présenté la même photo à la SPR. Par conséquent, elle a considéré qu’elle faisait déjà partie du dossier de la SPR et ne l’a pas admise en preuve. Cela ne constitue manifestement pas une erreur susceptible de contrôle.

[17] Enfin, en ce qui concerne la capture d’écran du permis d’entreprise, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi que cet élément de preuve n’était pas normalement accessible au moment de la décision de la SPR ou, s’il l’était, qu’il ne l’aurait pas normalement présenté à l’audience, dans les circonstances. De plus, la SAR a mentionné que, même si le document satisfait aux exigences de l’article 110 de la LIPR, il ne respectait pas tous les facteurs énoncés dans les arrêts Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96, et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385. Plus précisément, la SAR avait des doutes quant à la crédibilité du document parce que sa source n’était pas précisée ou accessible. Encore une fois, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion.

B. Production des affidavits

[18] La SAR a convenu avec les demandeurs que les affidavits n’avaient pas tous été signés le même jour comme la SPR l’avait mentionné. Cependant, elle a conclu que l’erreur n’était pas grave au point de miner le caractère correct de la décision générale de la SPR. La SAR a déclaré que la SPR avait eu raison de conclure que l’explication fournie par le demandeur principal n’était pas crédible. Plus précisément, la SPR n’a pas trouvé raisonnable que les souscripteurs d’affidavit parcourent des centaines de kilomètres depuis un État donné jusqu’à Lagos pour faire signer les affidavits. La SAR a reconnu que c’était possible, mais elle a conclu sur le fondement de la preuve que ce n’était pas ce qui s’était passé. L’évaluation du caractère raisonnable est un élément essentiel du travail de recherche des faits et d’appréciation et d’évaluation des faits confié à la SAR et ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

[19] De plus, la SAR a relevé d’importantes divergences dans le témoignage et les éléments de preuve présentés par les demandeurs quant à la raison pour laquelle les affidavits avaient été coordonnés et à la façon dont ils l’avaient été. Plus précisément, la SAR a mentionné que, si les affidavits n’ont pas été signés le même jour comme les demandeurs le soutiennent, cela mine la crédibilité des allégations du demandeur principal portant qu’ils ont tous été signés à Lagos parce qu’un autobus les y a tous amenés dans le but de coordonner la prestation du serment. Je refuse l’invitation à apprécier à nouveau la preuve à cet égard.

[20] En outre, la SAR n’a pas admis l’explication des demandeurs concernant le fait qu’ils ont choisi Lagos comme endroit où prêter serment. Les demandeurs avaient affirmé que les déposants ne pouvaient pas le faire dans l’État du Delta, puisque les aînés du village avaient des acolytes dans la région qui pourraient finir par leur causer un préjudice. Cependant, la SAR n’a pas trouvé cela convaincant, compte tenu du témoignage du demandeur selon lequel les aînés du village avaient également des gens qui travaillaient à Lagos. Encore une fois, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion.

[21] La SAR a également relevé de nombreuses contradictions entre les renseignements contenus dans les affidavits et le témoignage de vive voix et écrit des demandeurs. Compte tenu de ces problèmes, la SAR a accordé peu de valeur probante aux documents. Encore une fois, l’appréciation de la preuve relève du tribunal, et, en l’espèce, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle.

C. Absence d’éléments de preuve corroborants

[22] La SAR a reconnu que la présomption établie dans l’arrêt Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA), suppose que le fait d’exiger des éléments de preuve objectifs et corroborants pour appuyer les déclarations découlant d’une connaissance personnelle qu’a un demandeur d’asile n’est généralement pas justifié; cependant, en ce qui concerne l’application des principes de droit contraignants, elle a mentionné à juste titre que la présomption est réfutable lorsque la preuve au dossier ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, lorsqu’il y a des motifs de conclure que le témoignage du demandeur d’asile manque de crédibilité ou lorsque la Commission n’est pas convaincue par les explications d’un demandeur d’asile concernant les incohérences dans la preuve. À cet égard, l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, exige qu’un demandeur d’asile transmette « des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile ». S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents. En l’espèce, la SAR a précisément relevé le défaut du demandeur principal de produire un certificat de décès pour son père. Elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas démontré qu’il avait fait des efforts raisonnables pour obtenir le certificat après son départ du Nigéria par l’intermédiaire de membres de la parenté afin de corroborer cet aspect central de sa demande d’asile. Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans cette appréciation de la preuve.

[23] La SAR a également confirmé l’attente de la SPR à l’égard d’éléments de preuve corroborants pour montrer que le père de l’appelant a été tué par le prétendu agent du préjudice. De l’avis de la SAR, cette allégation est au cœur de la demande d’asile du demandeur et a mené à son départ du Nigéria. Il me semble que c’est exactement la position des demandeurs. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion soit déraisonnable, compte tenu de la jurisprudence sur la preuve corroborante.

[24] La SAR n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal aurait dû présenter des éléments de preuve pour corroborer son allégation selon laquelle son oncle était également grand prêtre avant de mourir. La SAR a tiré cette conclusion parce que la SPR n’avait pas soulevé la question auprès des demandeurs durant l’audience. Malgré cela, la SAR n’a pas conclu que l’erreur de la SPR était suffisamment grave pour miner le caractère correct de la conclusion générale selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui a trait à des aspects centraux de leur demande d’asile. C’est encore là une question d’appréciation de la preuve et du témoignage, ainsi que des inférences faites à partir de ceux-ci. À cet égard, comme dans ce qui précède, la Cour a conclu qu’elle fera preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SAR et ne voit aucune raison d’intervenir, vu leur caractère raisonnable.

D. Éléments de preuve non crédibles

[25] Dans sa décision, la SPR a conclu que deux lettres présentées comme provenant des aînés du village n’étaient pas authentiques. Selon le tribunal, il en est ainsi parce que le papier à en-tête montre l’image de Guy Fawkes, qui est le symbole d’un célèbre groupe de pirates informatiques anonyme. Dans sa propre évaluation, la SAR a conclu à l’inverse que la SPR avait eu tort de tirer une conclusion défavorable de l’image sur le papier à en-tête, car elle n’a aucun moyen de savoir à quoi devrait ressembler le papier à en-tête du village. Cependant, la SAR n’a pas conclu que l’erreur était suffisamment grave pour miner la décision de la SPR. Après avoir effectué sa propre évaluation des lettres, la SAR a conclu que les documents avaient peu de valeur probante pour ce qui est d’établir les allégations du demandeur principal selon lesquelles il serait exposé à un préjudice de la part des aînés du village. En somme, la SAR a conclu que ni l’une ni l’autre des lettres ne corroborait l’affirmation des demandeurs selon laquelle les aînés du village cherchent à leur causer un préjudice ou à les tuer s’ils retournent au Nigéria, plutôt que de retourner au village, en raison du refus du demandeur principal de devenir grand prêtre. Cela relève de l’appréciation de la preuve, et il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle.

E. Formulaire Fondement de la demande d’asile insuffisant

[26] La SPR avait tiré une conclusion défavorable du défaut des demandeurs de mentionner dans leurs exposés circonstanciés écrits un cambriolage qui avait eu lieu chez eux en novembre 2016, pour lequel ils ont présenté un rapport de police et un affidavit du demandeur principal. La SAR a rejeté la décision de la SPR de tirer une conclusion défavorable du fait que le rapport de police n’avait été présenté qu’en août 2021. De l’avis de la SAR, les demandeurs avaient le droit de produire des documents avant la tenue de l’audience de la SPR, pourvu que la procédure appropriée soit suivie. Cependant, elle a conclu que la SPR avait eu raison de souligner à l’épouse du demandeur principal que, même si elle se souvenait de l’événement, elle ne l’avait pourtant pas inclus dans son exposé circonstancié, bien qu’elle ait eu amplement de temps pour mettre à jour cet exposé circonstancié depuis le moment où elle l’avait initialement rédigé en 2017. À mon avis, cette conclusion est raisonnable à la lumière du dossier.

[27] La SAR n’a pas non plus souscrit à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR attendait d’eux une récitation encyclopédique de la preuve. De plus, après avoir évalué l’affidavit du demandeur principal et le rapport de police, la SAR n’a pas estimé qu’ils corroboraient leur allégation selon laquelle les agresseurs ont été envoyés par les aînés du village. Plus précisément, la SAR n’a relevé dans le rapport de police aucune mention selon laquelle les voleurs avaient été envoyés par les aînés du village. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion soulève une erreur susceptible de contrôle.

F. Écart dans les exposés circonstanciés

[28] La SAR a souscrit à la décision de la SPR de tirer une conclusion défavorable des divergences dans les témoignages écrits et de vive voix du demandeur principal et de son épouse concernant le départ du demandeur principal du Nigéria. Elle a convenu que les explications sont mutuellement exclusives et que l’écart mine la crédibilité de la demande d’asile. De plus, la SAR n’a pas trouvé convaincante l’explication des demandeurs concernant la divergence, puisqu’elle a trait à un élément essentiel de leurs allégations. À mon avis, le fait de tirer des inférences est au cœur du rôle de la SAR, qui consiste en premier lieu à apprécier la preuve. Comme une grande partie de ce qui précède, voir tout ce qui précède, il s’agit simplement d’un autre aspect à l’égard duquel les demandeurs contestent les conclusions défavorables tirées à leur égard, et ils demandent à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et les inférences, ce qui n’est pas son rôle à moins de circonstances exceptionnelles, qui n’existent pas en l’espèce.

G. Lieu de résidence et d’affaires au Nigéria

[29] La SAR a souscrit à la décision de la SPR de tirer une conclusion défavorable de contradictions ou d’omissions importantes dans les témoignages de vive voix et écrits des demandeurs concernant leur lieu de résidence habituel au Nigéria. Encore une fois, cela fait manifestement partie du contrôle selon la norme de la décision correcte auquel procède la SAR lorsqu’elle apprécie la preuve présentée dans l’affaire dont elle est saisie.

[30] En outre, la SPR a relevé des incohérences semblables et un manque d’éléments de preuve en ce qui a trait au permis d’exploitation pétrolière et gazière du demandeur principal. Elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas produit des éléments de preuve qui, selon la SPR, auraient été normalement accessibles dans sa situation et qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier de ne pas avoir produit de tels documents. Plus précisément, la SAR a relevé une contradiction entre le témoignage initial du demandeur principal selon lequel le seul document qu’il avait était son permis d’exploitation et sa déclaration ultérieure selon laquelle il avait bel et bien conservé des documents d’entreprise, mais ne les avait pas communiqués parce que l’entreprise avait été détruite.

[31] Je ne suis pas convaincu, dans un cas comme dans l’autre, que les demandeurs ont établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle : ils contestent simplement les conclusions quant à la crédibilité tirées à leur égard.

[32] La SAR a rejeté la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal ne peut pas utiliser un permis d’entreprise qui restreint l’exploitation commerciale à un endroit précis. Elle n’a trouvé dans le cartable national de documentation sur le Nigéria aucun renseignement qui contredit le témoignage du demandeur principal ou qui corrobore de quelque façon que ce soit les conclusions de la SPR selon lesquelles il ne peut utiliser un tel permis d’exploitation. Cependant, dans son évaluation indépendante de l’affaire, la SAR n’a pas conclu que l’erreur était suffisamment grave pour miner la décision globale de la SPR. Lorsqu’elle a procédé à une évaluation indépendante du document, la SAR a constaté que le permis d’exploitation indiquait Lagos comme lieu d’affaires, sans autres succursales. Il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion sur le fondement du dossier.

[33] La SAR n’était pas convaincue non plus que le demandeur principal avait hérité de la station-service ou d’un lopin de terre de son père, comme il l’avait prétendu. Elle a tiré cette conclusion parce qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir cette allégation; il s’agit également d’une conclusion qui s’inscrit manifestement dans la portée de l’évaluation indépendante de la SAR.

[34] De même, la SAR a rejeté deux photos présentées par le demandeur principal qui montrent le lopin de terre hérité et une pancarte qui indique « Do Not Enter-Native Area » [défense d’entrer-zone autochtone]. La SAR a conclu que les photos n’établissaient pas de façon convaincante qu’il s’agissait des biens du demandeur principal.

[35] Les deux conclusions qui précèdent sont des questions d’appréciation de la preuve et des inférences tirées à partir de celle-ci et sont des conclusions à l’égard desquelles je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle.

VI. Conclusion

[36] Je ne suis pas convaincu que l’une ou l’autre des conclusions de la SAR en ce qui a trait à son appréciation de la preuve en l’espèce exigent une intervention judiciaire, et je ne suis pas non plus convaincu qu’elles exigent un contrôle judiciaire lorsqu’elles sont évaluées collectivement. Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VII. Question certifiée

[37] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4169-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4169-22

INTITULÉ :

OROBOSA GODWIN ASOWATA, AUGUSTINA OGHOGHO ASOWATA, DELIGHT EWINAOSA ASOWATA, DIVINE OBOSAMAGBE OLUWANIFEMI ASOWATA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Justin Heller

POUR LES DEMANDEURS

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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