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Date : 20230329


Dossier : T‑633‑22

Référence : 2023 CF 439

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

DEBRA MICHAELS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Debra Michaels, sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise le 24 février 2022 [la décision] par un gestionnaire du Service de validation des prestations canadiennes d’urgence [l’agent] de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de refuser sa demande de la prestation canadienne de relance économique [la PCRE].

[2] La demanderesse affirme avoir démontré qu’elle avait gagné en 2020 un revenu légitime suffisant en tant que travailleuse autonome pour être admissible à cette prestation. Elle soutient que, à la suite de son entretien avec un premier agent de l’ARC, elle a déclaré son revenu et payé de l’impôt sur ce revenu. Elle fait valoir qu’elle a fait tout ce qui lui avait été demandé et estime maintenant avoir été injustement stéréotypée comme quelqu’un prétendant avoir travaillé, mais sans l’avoir fait.

[3] Le défendeur soutient que, selon la preuve produite, à savoir une liste manuscrite sans dates de montants sous le titre « Détails de facturation en 2020 » sans autre description, un reçu manuscrit pour 5 364,19 $ qui précède les services et les virements électroniques, il était raisonnable de conclure que la demanderesse était inadmissible à la PCRE. Il maintient que l’agent a raisonnablement tenu compte du fait que la demanderesse n’avait pas antérieurement tiré de revenu d’un travail à son compte et qu’elle avait déclaré dans une conversation téléphonique que son emploi en nettoyage et empaquetage avait pris fin lorsque sa cliente avait déménagé.

[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[5] La seule question à trancher est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[6] Pour être jugée raisonnable, une décision doit être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [l’arrêt Vavilov]).

[7] Il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable (arrêt Vavilov, au para 100). Pour que la cour de révision puisse intervenir, elle « doit être convaincue que [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (arrêt Vavilov, au para 100).

[8] Une cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la décision qu’elle aurait rendue à sa place. La cour ne doit pas modifier les conclusions de fait, sauf circonstances exceptionnelles. Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (arrêt Vavilov, au para 125).

III. Questions préliminaires

[9] La demanderesse a désigné l’ARC comme défenderesse. Je conviens avec le défendeur que la partie à désigner à ce titre est le procureur général du Canada.

[10] La demanderesse a inclus dans son dossier un affidavit qu’elle a souscrit après la décision contenant des renseignements dont ne disposait pas l’agent. La règle générale veut que le dossier de preuve qui est présenté à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [l’arrêt Access Copyright]; Heredia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 25 aux para 12 à 14). Il y a des exceptions à la règle générale (arrêt Access Copyright, au para 20), mais j’estime qu’elles ne s’appliquent pas à la présente affaire.

[11] C’est ainsi que l’affidavit de Jessica McLaren est inadmissible dans le cadre du contrôle judiciaire et n’a donc pas été pris en considération.

IV. Analyse

[12] La PCRE était une prestation d’aide financière aux personnes admissibles résidant au Canada et touchées par la pandémie de COVID‑19 pendant toute période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Pour être admissibles aux paiements de PCRE, les demandeurs doivent satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi]. Les critères d’admissibilité dont il est question dans la présente affaire consistent en une exigence d’admissibilité du revenu. Les alinéas 3(1)d) à f) de la Loi exigent qu’un demandeur démontre avoir reçu un revenu total d’au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de sa première demande de prestations et qu’il prouve que, pour des raisons liées à la COVID‑19, il n’avait pas un emploi ou un travail exécuté pour son compte ou encore avait subi une réduction d’au moins 50 % de son revenu hebdomadaire moyen.

[13] La demanderesse a sollicité des paiements de la PCRE pour des périodes de deux semaines de 1 à 20, soit du 27 septembre 2020 au 3 juillet 2021. Avant les périodes pour lesquelles elle a demandé la PCRE, elle était en congé d’invalidité. Elle déclare que, après son congé, elle a rendu des services à titre de travailleuse autonome à Jessica McLaren qu’elle avait aidée en faisant du nettoyage et de l’empaquetage dans son condo en Alberta, puisque Mme McLaren avait déménagé au Québec.

[14] En juin 2021, la demande de la demanderesse pour la période suivante a été refusée. La demanderesse a communiqué avec l’ARC, et un agent l’a avisée le 21 juin 2021 qu’elle était en congé d’invalidité et n’avait pas gagné les 5 000 $ requis. En réponse à ses demandes de renseignements, l’agent l’a informée qu’elle devait produire de la documentation pour attester son revenu tiré d’un travail à son compte.

[15] Le 23 juillet 2021, la demanderesse a présenté a) une liste manuscrite sans dates des montants versés par mois sans autre description sous le titre « Détails de facturation en 2020 », b) un reçu manuscrit du 3 janvier 2020 décrivant les services rendus du 3 janvier au 31 décembre 2020 et c) des copies numérisées des confirmations par courriel des virements électroniques.

[16] Le 10 novembre 2021, un gestionnaire du Service de validation des prestations canadiennes d’urgence de l’ARC a pris une première décision en jugeant que la demanderesse était inadmissible à la PCRE, n’ayant pas gagné au moins 5 000 $ avant impôt en revenu d’emploi dans la période en cause.

[17] À la suite de cette première décision, la demanderesse a interjeté appel. Le 22 novembre 2021, elle produisait pour 2020 une déclaration de revenus révisée indiquant 5 364 $ comme « autres revenus ». Le 18 février 2022, elle déposait les documents supplémentaires suivants pour le second examen, à savoir a) une liste de virements électroniques de Jessica McLaren à elle par la RBC et b) un imprimé de son compte Mon dossier Service Canada.

[18] En février, l’agent s’est entretenu avec la demanderesse. Selon les notes de l’agent, a) la demanderesse était en congé d’invalidité mais avait pris l’emploi pour un revenu supplémentaire; b) son travail de nettoyage, d’empaquetage et de déménagement pour la cliente avait pris fin lorsque celle‑ci s’était réinstallée; c) elle avait obtenu l’emploi par l’entremise d’une personne qu’elle connaissait; d) elle n’avait offert ses services à personne d’autre et elle n’avait pas fait d’annonces non plus; e) elle attendait de savoir si son emploi reprendrait en juin 2021, allant y retourner; f) elle n’avait pas de revenu antérieur d’un travail à son compte.

[19] Le 24 février 2022, l’agent a rendu sa décision, jugeant que la demanderesse était inadmissible à la PCRE, au motif qu’elle (i) n’avait pas gagné 5 000 $ pendant la période en cause et (ii) n’avait pas subi pour des raisons liées à la COVID‑19 de réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente.

[20] La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions, évoquant notamment les difficultés qu’elle avait connues dans ses conversations avec l’ARC, les problèmes avec son comptable qui n’avait pas inclus son revenu d’un travail à son compte dans sa première déclaration et le fait de son emploi auprès de Mme McLaren. Elle dit avoir fait un travail de nettoyage et d’empaquetage pour Mme McLaren dans son condo, puisque celle‑ci ne pouvait revenir du Québec à Calgary pour les raisons liées à la COVID‑19. Elle fait valoir qu’elle a présenté tout ce que l’ARC lui demandait et qu’elle était donc admissible.

[21] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable au vu du dossier, et notamment de la liste manuscrite et du reçu général et compte tenu de l’absence de revenu antérieur d’un travail à son compte et des renseignements fournis à l’agent au téléphone. Il souligne que rien au dossier n’indique que la demanderesse a subi une réduction de revenu pour des raisons liées à la COVID‑19. L’agent avait plutôt été informé que l’emploi avait pris fin parce que Mme McLaren avait déménagé.

[22] Ayant examiné le dossier dont disposait l’agent, y compris les notes de l’ARC sur les conversations téléphoniques avec la demanderesse, et ayant tenu compte des observations des parties à l’audience, je ne suis pas convaincue que l’agent ait commis une erreur susceptible de contrôle. La demanderesse a été incapable de faire voir une lacune suffisamment grave qui rendrait la décision déraisonnable. Bien que je reconnaisse la frustration de la demanderesse dans son expérience avec l’ARC et l’attente qu’elle avait qu’une certaine documentation fournie soit jugée suffisante, elle ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans l’arrêt Vavilov. Comme il a été mentionné, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par l’agent sauf circonstances exceptionnelles. Je ne crois pas qu’une telle exception existe dans la présente affaire.

[23] C’est pourquoi je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. La demanderesse n’a pas sollicité de dépens. Dans ce cas, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑633‑22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié et le procureur général du Canada est désigné comme le défendeur.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑633‑22

INTITULÉ :

DEBRA MICHAELS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 NOVEMBre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Debra Michaels

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Tristen Cones

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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