Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230328


Dossier : IMM‑6178‑21

Référence : 2023 CF 420

[TRADUCTION° FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ABDUL RAZZAQUE

AYESHA RAZZAQUE

HURAIN ABDUL RAZZAQUE

ABDUL RAFAY RAZZAQUE

JAMILA RAZZAQUE

MUHAMMED YOUSUF

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

  • [1]M. Abdul Razzaque (le demandeur principal), son épouse, Ayesha Razzaque, et leurs enfants, Hurain Abdul Razzaque, Abdul Rafay Razzaque, Jamila Razzaque, et Muhammed Yousuf, (collectivement, les demandeurs), demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ayant rejeté leur appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La SPR avait rejeté la demande d’asile des demandeurs, au motif de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

  • [2]Les demandeurs sont des citoyens pakistanais qui vivent à Lyari, un quartier de Karachi. Ils sont issus de la communauté des Kutchi. Ils ont allégué la crainte de persécution de la part du Groupe d’Uzair Baloch/Comité du peuple d’Aman (le GUB/CPA). Ils ont soutenu que ce groupe est un gang de criminels affilié au Parti du peuple pakistanais (le PPP).

  • [3]Le demandeur principal a soutenu qu’en avril 2018, le GUB/CPA avait exigé le paiement d’une grosse somme d’argent en menaçant de s’en prendre à sa famille s’il ne payait pas. Quand il leur a dit qu’il ne pouvait pas payer la somme exigée, les membres du gang l’ont battu.

  • [4]Le demandeur principal a également allégué avoir été victime, plus tard dans le mois d’avril, d’un vol à main armée perpétré par six hommes qui lui ont dérobé des documents d’identité originaux, un téléphone mobile et de l’argent.

  • [5]Le demandeur principal a porté plainte à la police le 2 mai 2018. Il prétend que cette dernière avait d’abord refusé d’enquêter sur l’incident, jusqu’à ce qu’il contacte un ami qui travaillait avec la police dans une autre juridiction.

  • [6]Le demandeur principal a allégué que la police avait arrêté des membres du GUB/CPA en juillet 2018 et qu’il avait identifié trois d’entre eux comme étant des auteurs du vol à main armée commis en avril 2018. L’une de ces personnes avait été libérée sous caution, et les demandeurs avaient reçu des menaces.

  • [7]En décembre 2018, les demandeurs ont quitté Karachi pour Hyderabad. Le 16 décembre 2018, munis de visas de visiteurs, ils sont partis pour le Canada.

  • [8]Dans sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR quant à l’existence d’une PRI au Pakistan, plus précisément à Islamabad ou à Lahore.

  • [9]Les demandeurs plaident aujourd’hui que la SAR a rendu une décision déraisonnable, parce qu’elle a appliqué le critère de la prépondérance des probabilités à l’égard d’un risque futur, parce qu’elle ne leur a pas accordé le bénéfice du doute, et enfin parce qu’elle a tiré des conclusions défavorables déraisonnables quant à la crédibilité.

  • [10]Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle et que sa décision est raisonnable.

  • [11]Selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653, la décision de la SAR, objet de la présente demande de contrôle judiciaire, doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

  • [12]En examinant le caractère raisonnable de la décision, la Cour doit se demander si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir l’arrêt Vavilov, précité, au para 99.

  • [13]La question déterminante pour la SAR était l’existence d’une PRI, à Islamabad ou Lahore, pour les demandeurs.

  • [14]Le critère d’une PRI valable est examiné dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (CA), [1992] 1 CF 706 aux p 710, 711. Ce critère à deux volets prévoit ce qui suit :

  • Premièrement, la Commission doit être convaincue que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région proposée comme PRI.

  • Deuxièmement, il doit être objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans une autre partie du pays avant de demander l’asile au Canada.

  • [15]Pour démontrer que la PRI est déraisonnable, un demandeur doit mettre en évidence que la situation, dans la partie du pays correspondant à la PRI proposée, mettrait en péril sa vie ou sa sécurité s’il devait y voyager ou s’y installer; voir l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589 aux p 596‑598.

  • [16]Je ne suis pas convaincue que la SAR ait appliqué la mauvaise norme de preuve. Selon ma lecture de la décision, elle a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités pour apprécier la suffisance des éléments de preuve, présentés par les demandeurs, relativement aux moyens dont disposaient les agents de persécution pour les retracer dans la région proposée comme PRI. C’est à raison que la SAR a appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités pour déterminer l’existence d’une PRI.

  • [17]Le fardeau de démontrer l’inexistence de la PRI repose sur les demandeurs. La SAR a conclu qu’ils ne s’en étaient pas déchargés. Ce faisant, la SAR n’a pas appliqué le mauvais critère juridique.

  • [18]Les demandeurs plaident que la SAR a commis une erreur en ne leur accordant pas le bénéfice du doute concernant les éléments de preuve donnant à penser qu’il existait des liens entre le PPP et le GUB/CPA.

  • [19]Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle le principe du « bénéfice du doute » n’est pas applicable aux spéculations et j’approuve la référence qu’il fait à l’arrêt de la Cour suprême Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, à cet égard.

  • [20]Dans cet arrêt, aux pages 669 et 670, la Cour suprême du Canada a statué que le bénéfice du doute ne devrait être accordé que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été produits et que le décideur n’a pas de doute quant à la crédibilité.

  • [21]À mon avis, la SAR a apprécié la preuve et a raisonnablement conclu que le GUB/CPA, en dépit de ses liens avec le PPP à Karachi, n’avait pas les moyens de retracer les demandeurs, ni à Islamabad ni à Lahore.

  • [22]Les demandeurs contestent aussi la conclusion de la SAR sur le deuxième volet du critère. Ils plaident que la SAR a commis une erreur en concluant à l’insuffisance de la preuve quant au fait que les préjugés, à l’égard des peuples kutchi, étaient tels qu’ils rendaient les villes proposées pour la PRI déraisonnables.

  • [23]Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle il n’y a pas de preuve solide quant au fait que les villes proposées pour la PRI seraient des choix déraisonnables, et ce, même s’il existe des préjugés à l’égard des origines ethniques des demandeurs.

  • [24]Les demandeurs allèguent que les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité, fondées sur les incohérences entre le contenu du formulaire Fondement de la demande d’asile (le FDA) et le témoignage produit devant la SPR, concernant les faits ayant conduit à l’arrestation d’un policier, sont déraisonnables. S’appuyant sur la décision Manan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 150, ils allèguent que la SAR n’aurait pas dû tirer de conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur principal, au motif qu’il avait fourni, dans le cadre de son témoignage, des renseignements qui n’étaient pas contenus dans le FDA.

  • [25]Dans la décision Manan, précitée, la Cour a décidé que les renseignements qui ne figurent pas dans un formulaire de renseignements personnels ne doivent pas avoir pour effet de remettre en question la crédibilité d’un demandeur, à condition que les renseignements omis n’aient pas une incidence importante sur l’issue la demande. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SAR a accordé un poids important à l’omission des renseignements, sans tenir compte du reste de la preuve dans sa globalité.

  • [26]Je suis d’avis que la SAR a raisonnablement confirmé les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas réussi à prouver que les policiers seraient les agents de persécution. L’omission de faire état de l’arrestation du policier est importante, puisque le rôle de la police est au centre de la demande des demandeurs.

  • [27]En dépit des arguments habiles de l’avocat des demandeurs, je suis convaincue que la décision de la SAR est raisonnable et qu’il n’existe aucun motif d’intervention judiciaire.

  • [28]La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y aura aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6178‑21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6178‑21

 

INTITULÉ :

ABDUL RAZZAQUE, AYESHA RAZZAQUE, HURAIN ABDUL RAZZAQUE, ABDUL RAZZAQUE, JAMILA RAZZAQUE ET MUHAMMED YOUSUF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER NOVEMBRE 2022

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 28 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.