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Date : 20230323


Dossier : IMM-8895-21

Référence : 2023 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2023

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

SARA HAMDY NASSEF HASSAN FOUDA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Fouda sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée. Comme l’ont fait remarquer les avocats des deux parties lors de l’audience, Mme Fouda et les membres de sa famille entretiennent une relation de longue date avec les autorités de l’immigration au Canada. Il est pertinent de tenir compte de certains aspects de cette relation dans l’examen de la présente demande.

Contexte

[2] Mme Fouda était la demanderesse principale dans une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Son époux, Haitham Fathalla, et le fils aîné du couple, Yahia Fathalla [Yahia] étaient inclus dans la demande à titre de personnes à charge accompagnant la demanderesse. Ils sont tous des citoyens de l’Égypte. Le fils cadet du couple, Yousef Fathalla [Yousef], est citoyen canadien de naissance.

[3] Mme Fouda et les membres de sa famille avaient auparavant le statut de résident permanent au Canada.

[4] M. Fathalla avait présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés en 2004. En août 2006, alors que cette demande était encore en instance, Mme Fouda et lui se sont mariés. Yahia est né en octobre 2007. La demande de résidence permanente a été mise à jour pour inclure l’épouse de M. Fathalla et leur fils comme personnes à charge l’accompagnant, et la demande a été accueillie en juin 2008. Les membres de la famille sont venus au Canada en juillet 2008 et ils ont obtenu le droit d’établissement à titre de résidents permanents.

[5] Les membres de la famille vivaient aux Émirats arabes unis depuis janvier 2008 et ils y sont retournés peu après avoir obtenu le droit d’établissement au Canada à titre de résidents permanents.

[6] En septembre 2009, Mme Fouda est revenue au Canada et a donné naissance à Yousef. Elle est retournée aux Émirats arabes unis avec son jeune fils peu après la naissance de celui-ci.

[7] Mme Fouda et M. Fathalla sont tous deux des pharmaciens diplômés de l’Université d’Alexandrie, en Égypte. Ils sont venus séparément au Canada en 2011 pour passer des examens d’évaluation – la première étape pour faire reconnaître leurs titres de compétence étrangers et leur permettre d’exercer leur profession au Canada. Après les examens, ils sont retournés aux Émirats arabes unis.

[8] Mme Fouda est revenue au Canada avec les enfants en août 2013 pour s’établir de façon permanente. Yahia avait six ans et Yousef, trois. Ils n’ont pas quitté le Canada depuis leur retour, il y a près de neuf ans.

[9] Avant que Mme Fouda et les enfants s’établissent au Canada en août 2013, les membres de la famille avaient présenté, en avril 2013, des demandes de renouvellement de leurs cartes de résidence permanente. Les demandes, préparées par M. Fathalla, contenaient de faux renseignements concernant la résidence des membres de la famille au Canada. En raison de ces fausses déclarations, M. Fathalla et Mme Fouda ont tous deux été accusés d’avoir fait des présentations erronées au titre de l’article 127 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Les accusations portées contre Mme Fouda ont par la suite été retirées.

[10] M. Fathalla a plaidé coupable à l’accusation. Il a payé une amende de 20 000 $.

[11] Comme les membres de la famille n’avaient pas passé au moins 730 jours au Canada au cours de leur période d’évaluation initiale de cinq ans, des mesures d’interdiction de séjour ont été prises contre Mme Fouda, M. Fathalla et Yahia en juin 2014 pour non-respect de l’obligation de résidence. Il est important de noter qu’ils n’ont pas fait l’objet de mesures d’exclusion pour fausses déclarations, car de telles mesures leur auraient valu d’être interdits de territoire durant une période de cinq ans et auraient empêché tout appel. Ainsi, la conclusion de non-respect de l’obligation de résidence a permis aux membres de la famille d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI], ce qu’ils ont fait en juin 2014. Ils n’ont pas contesté la validité juridique des mesures d’interdiction de séjour – ils ont reconnu qu’ils n’avaient pas respecté l’obligation de résidence – mais ils ont fait valoir que les considérations d’ordre humanitaire étaient suffisantes pour justifier l’appel.

[12] L’appel interjeté par les membres de la famille a été instruit par la SAI le 11 mai 2017 et a été rejeté dans une décision datée du 31 mai 2017. Par conséquent, Mme Fouda, M. Fathalla et Yahia ont perdu leur statut de résident permanent et ont fait l’objet de mesures de renvoi.

[13] Les mesures d’interdiction de séjour étant en vigueur, les membres de la famille se sont vu offrir la possibilité de demander un examen des risques avant renvoi [ERAR] en octobre 2017. La demande d’ERAR a été rejetée le 31 mai 2018.

[14] Mme Fouda, M. Fathalla et Yahia ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en juin 2018 afin d’être autorisés à demander la résidence permanente depuis le Canada. Ils ont fondé leur demande sur leur établissement au Canada, sur les liens qu’ils avaient tissés au Canada, sur l’intérêt supérieur des enfants et sur le risque auquel ils seraient exposés advenant leur retour en Égypte. Les membres de la famille n’ont rien caché du fait que leur statut de résident permanent avait été révoqué en raison de fausses déclarations et que M. Fathalla avait plaidé coupable à l’accusation et s’était vu infliger une amende. Dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les membres de la famille ont demandé à être dispensés de l’application du paragraphe 36(2) et des articles 28 (non-respect de l’obligation de résidence), 40 (fausses déclarations) et 41 (interdiction de territoire pour manquement à la loi en raison du maintien de l’emploi malgré la perte du statut de résident permanent après l’échec d’un appel devant la SAI) de la Loi.

[15] Le 14 novembre 2019, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été approuvée à la première étape. La décision reposait sur l’intérêt supérieur des enfants. L’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]
Après avoir examiné attentivement la totalité de la preuve dont je disposais, je conclus que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur déterminant. Je suis d’avis que des soins médicaux continus prodigués par des médecins au Canada seront bénéfiques à Yousef. Ainsi, je conclus qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que les demandeurs restent avec lui au Canada pour continuer à prendre soin de lui et le soutenir.

J’ai examiné tous les renseignements et la totalité de la preuve concernant la présente demande. J’ai tenu compte de la situation personnelle des demandeurs, y compris leur établissement au Canada, les liens qu’ils ont tissés au Canada, l’intérêt supérieur de l’enfant et le risque auquel ils seraient exposés advenant leur retour en Égypte. Après avoir examiné les facteurs pertinents et la preuve présentée en l’espèce, je suis convaincu que les demandeurs ont établi que des considérations d’ordre humanitaire justifient l’octroi d’une dispense. [Non souligné dans l’original.]

La demande est accueillie.

[16] Malgré l’affirmation de l’agent selon laquelle il avait examiné tous les renseignements contenus dans la demande, la décision a été infirmée dans un « addenda » non daté et non signé qui indique ce qui suit :

[traduction]
Le 14 novembre 2019, une décision favorable a été rendue à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les clients mentionnés précédemment. Dans les motifs écrits de la décision, j’ai conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant, Yousef, était un facteur déterminant.

Il a été porté à mon attention que le demandeur, Haitham Mohamed Tawik Adebelfattah, avait été déclaré coupable d’avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, à savoir qu’il a fourni de faux renseignements dans une demande de renouvellement de la carte de résident permanent du Canada et qu’il a omis de se conformer à l’ordonnance no 1776350 de Sa Majesté la Reine du chef de la province datée du 10 juillet 2015. Le demandeur s’est vu infliger une amende de 20 000 $.

Après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée, j’accorde un poids défavorable important au mépris total du demandeur à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration. Ainsi, je conclus que son comportement l’emporte sur l’intérêt supérieur de l’enfant, Yousef. J’ai examiné la situation en Égypte et je suis d’avis que Yousef pourra obtenir des soins de santé suffisants dans ce pays. Je reconnais que le niveau de vie varie d’un pays à l’autre. Dans de nombreux pays, la population n’a pas la chance de bénéficier des mêmes mesures de soutien social que celles offertes au Canada, notamment sur les plans financier et médical. Toutefois, l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) n’était pas de compenser un niveau de vie inférieur à l’étranger par un niveau supérieur au Canada. L’objet de l’article 25 est plutôt de donner au ministre la souplesse nécessaire pour régler des situations extraordinaires non prévues par la LIPR lorsque des considérations d’ordre humanitaire le forcent à agir.

Après avoir mis en balance les considérations d’ordre humanitaire invoquées en l’espèce et le mépris total et délibéré du demandeur à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration, je conclus que le comportement du demandeur l’emporte sur les considérations d’ordre humanitaire. Je reconnais que les liens tissés par les demandeurs au Canada et les enfants eux-mêmes constituent des facteurs importants. Cependant, je suis d’avis que ces facteurs combinés ou tout autre facteur soulevé par les demandeurs ne suffisent pas à compenser le mépris du demandeur à l’égard des lois en matière d’immigration.

Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[17] Après que la Cour eut accordé l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision, le ministre a accepté de procéder à un nouvel examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la famille si celle-ci acceptait de se désister de la demande de contrôle judiciaire. Cette entente a donné lieu à un nouvel examen de la demande, lequel a été défavorable, et la décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[18] Comme dans leur première demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les membres de la famille ont soutenu que leur établissement au Canada, leurs liens avec le Canada, l’intérêt supérieur des enfants et le risque auquel ils seraient exposés advenant un retour en Égypte justifiaient que leur demande soit accueillie. Des éléments de preuve supplémentaires ont été présentés à l’appui de la demande.

Questions en litige et analyse

[19] La demanderesse affirme que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire soulève deux questions :

  1. L’agent a-t-il manqué aux principes de justice fondamentale en suscitant une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la demande?

  2. La décision était-elle déraisonnable?

[20] Les deux avocats ont reconnu que les décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire comptent parmi les plus difficiles qu’un agent ait à prendre en raison de leur nature discrétionnaire. Je suis d’accord. Cependant, les tribunaux ont fourni une jurisprudence abondante pour aider et guider les agents dans leur examen. Dans l’affaire dont est saisie la Cour, je juge que l’agent n’a pas suivi cette jurisprudence, ce qui a donné lieu à une décision déraisonnable.

[21] Bon nombre des observations formulées au sujet d’une crainte raisonnable de partialité portent en fait sur la question du caractère raisonnable de la décision. Même s’il ressort clairement de la décision que l’agent a été offusqué par la conduite de M. Fathalla, je ne suis pas convaincu que cela suffise à établir une crainte raisonnable de partialité.

[22] Voici les aspects problématiques des motifs qui m’amènent à conclure que la décision ne peut pas être maintenue.

[23] Le premier aspect préoccupant est que l’agent s’est attardé de façon inappropriée sur les circonstances de la naissance de Yousef.

[24] En appréciant le facteur lié à l’établissement, l’agent a fait observer que les membres de la famille avaient perdu leur statut en raison des fausses déclarations faites par M. Fathalla concernant le temps passé au Canada. En outre, l’agent a noté que l’appel qu’ils avaient interjeté à l’encontre de la mesure de renvoi avait été rejeté. L’agent a reproduit les paragraphes suivants de la décision par laquelle la SAI avait rejeté leur appel :

Le 24 juillet 2008, la famille est venue au Canada. Selon ce que les appelants ont déclaré à l’audience, leur but était alors de rester quelques jours au pays pour entamer les démarches et explorer différents endroits où ils pourraient s’installer. L’appelante est ensuite revenue au Canada en septembre 2009. L’appelant est venu la rejoindre quelques semaines plus tard. Un deuxième fils est né. Tous sont repartis à la fin du mois d’octobre 2009. Les appelants n’ont pas caché qu’ils avaient fait en sorte que cet enfant naisse au Canada. Ils considéraient que cela faciliterait leur établissement et allait de pair avec leurs plans. L’appelant a aussi témoigné à l’effet qu’il [était] en contact, pendant cette période, avec un consultant d’Halifax qui avait pour objectif de faciliter leur installation. Il y aurait alors eu des discussions avec ce dernier quant à la possibilité de prétendre se trouver au Canada alors que les appelants étaient ailleurs. Je ne sais pas si c’est ce qui a été convenu ou s’il s’agissait simplement d’une conversation générale. Toujours est-il que vers la fin de leur séjour, les appelants ont loué un logement qu’ils n’ont pas habité, puisqu’il n’était pas meublé. Ils ont aussi acquis un numéro de téléphone canadien à leur nom. [Caractères gras ajoutés par l’agent.]

[25] L’agent a fait le choix d’employer des caractères gras pour mettre l’accent sur les circonstances de la naissance de Yousef au Canada. L’agent était fondé à s’intéresser aux fausses déclarations faites quant au temps passé au Canada, mais pas à la naissance de Yousef. Il est impossible d’expliquer pourquoi l’agent était aussi offusqué des circonstances entourant la naissance de l’enfant.

[26] La SAI a fait observer que les parents avaient fait en sorte que leur benjamin naisse au Canada, ce qui « faciliterait leur établissement et allait de pair avec leurs plans ». Comme le fait remarquer l’avocat, [traduction] « si Yousef était né à l’étranger, il n’aurait pas eu de statut au Canada et ses parents auraient dû le parrainer afin qu’il obtienne la résidence permanente ». Plus important encore, il fait aussi remarquer qu’il n’était en rien inadéquat ou douteux que Mme Fouda revienne au Canada pour donner naissance à son fils puisqu’elle était une résidente permanente à l’époque. Elle avait parfaitement le droit de le faire. Bref, il était déraisonnable pour l’agent d’accorder à ce fait un poids défavorable.

[27] Le deuxième aspect préoccupant est l’appréciation faite par l’agent des liens tissés par les membres de la famille, en particulier les enfants, au sein de leur collectivité au Canada.

[28] L’agent n’a pas traité de façon distincte des liens tissés par les membres de la famille au sein de la collectivité et de leur établissement.

[traduction]
Les observations les plus récentes de l’avocat, datées du 5 novembre 2021, donnent à penser que les quatre membres de la famille cumulent un nombre impressionnant de nouvelles accréditations, de certificats, de distinctions, de prix et de réalisations, et qu’ils ont pris part à la vie communautaire. L’avocat a fourni plus de 30 confirmations d’emploi, d’excellence scolaire et d’engagement communautaire (en plus des observations antérieures) et il affirme que les membres de la famille participent plus activement à la vie communautaire que la plupart des Canadiens qu’il connaît. Il soutient que les enfants suivent largement les traces de leurs parents, lesquels encouragent la réussite scolaire et professionnelle, l’engagement auprès de la mosquée locale et au sein de la collectivité en général, l’activité physique, les efforts artistiques et l’engagement civique. Il indique que la demanderesse travaille maintenant comme pharmacienne professionnelle au sein des pharmacies de Walmart et qu’elle travaille aussi au CBBC Community College auprès des étudiants dans le domaine pharmaceutique. Il ajoute que le demandeur a réussi tous ses examens d’aptitude pour exercer la profession de pharmacien et qu’en plus d’occuper un poste à temps plein à l’Université Dalhousie, il fait son stage obligatoire au sein de la chaîne de pharmacies Lawtons. L’avocat a présenté une lettre d’emploi de l’Université Dalhousie datée du 21 octobre 2021, dans laquelle il est indiqué que Haitham Fathalla (le demandeur) travaille pour la faculté de pharmacie de l’Université à titre d’administrateur du programme de premier cycle et que son contrat est valide jusqu’au 31 octobre 2024. [Non souligné dans l’original.]

[29] L’emploi par l’agent de l’expression « donnent à penser » est inapproprié, car la preuve présentée fait plus que donner à penser; elle établit que les membres de la famille, comme l’a déclaré l’avocat, [traduction] « participent plus activement à la vie communautaire que la plupart des Canadiens ». Elle établit aussi l’intégration exceptionnelle des enfants dans leur collectivité et à l’école ainsi que l’excellence de leurs résultats scolaires.

[30] Après avoir apprécié ce facteur, l’agent a conclu ce qui suit : [traduction] « Les demandeurs affirment qu’ils sont bien établis au Canada, qu’ils ont tissé des liens solides au sein de la collectivité et qu’ils se sont bâti un réseau de soutien. Cependant, compte tenu de leurs antécédents et de leur expérience, je dispose de peu d’éléments de preuve indiquant qu’ils ne seraient pas en mesure de se réinstaller en Égypte ou aux Émirats arabes unis. »

[31] Aucun élément de preuve ne montrait que les membres de la famille avaient le droit de retourner aux Émirats arabes unis, et il était déraisonnable pour l’agent de l’envisager.

[32] De plus, l’agent a écrit que [traduction] « les demandeurs n’[avaient] pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les difficultés qu’entraînerait le fait de devoir recommencer à zéro en Égypte ou aux Émirats arabes unis seraient insurmontables [non souligné dans l’original] ».

[33] Pour qu’une décision favorable puisse être rendue à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent n’était pas tenu de conclure que les membres de la famille ne seraient pas en mesure de se réinstaller en Égypte. Le seuil à atteindre pour qu’une décision favorable soit rendue serait beaucoup trop élevé.

[34] Le troisième aspect préoccupant est le fait que l’agent ait laissé les fausses déclarations des parents teinter son examen des autres facteurs.

[35] Le ministre soutient que [traduction] « [l]a Cour a conclu que le décideur chargé d’examiner une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne commet pas d’erreur s’il examine l’établissement par rapport aux fausses déclarations et accorde peu de poids à l’établissement ». Sont citées à l’appui les décisions Zou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 368 [Zou] et Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27.

[36] Dans les deux cas, l’établissement de l’auteur de la faute n’a pas été pris en compte. En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur les fausses déclarations pour écarter l’établissement des parents, ainsi que l’établissement des enfants et les liens qu’ils avaient tissés au sein de la collectivité. Aucun enfant ne devrait être tenu responsable d’une faute commise par son père.

[37] De plus, comme il a été conclu dans la décision Zou, il est important de ne pas compter deux fois les fausses déclarations. Comme elles avaient été soupesées par rapport à l’établissement des parents au Canada, les fausses déclarations ne devaient pas être prises en compte dans l’examen des autres facteurs d’ordre humanitaire soulevés. Je ne puis conclure que l’agent a limité l’incidence des fausses déclarations à l’établissement des parents.

[38] Le cinquième aspect préoccupant est l’analyse superficielle que l’agent a faite de l’intérêt supérieur des enfants, et plus particulièrement de l’intérêt de Yousef, qui constituait le fondement de la première décision favorable rendue à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[39] Au sujet de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a écrit ce qui suit : [traduction] « Je suis convaincu que l’intérêt supérieur des enfants serait respecté si ceux-ci continuaient à bénéficier des soins personnels et du soutien de leurs parents. » Je conviens avec les demandeurs qu’il serait inhabituel de conclure qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants de rester auprès de parents aimants. Conclure que c’est la seule chose qui est dans l’intérêt supérieur de ces enfants équivaut à ne rien dire. En se concentrant sur l’évidence, l’agent a écarté de façon déraisonnable les autres circonstances qui donnaient à penser qu’il serait davantage dans l’intérêt des enfants de rester au Canada.

[40] Bien que l’agent ait énuméré les éléments de preuve relatifs à l’éducation et aux réalisations des enfants au Canada, ainsi que ceux relatifs aux problèmes de santé de Yousef et aux traitements intensifs qu’il suit au Canada, l’agent a écrit ce qui suit : [traduction] « Je ne dispose pas d’une preuve suffisante concernant la capacité des enfants à obtenir une éducation, des soins de santé ou d’autres commodités en Égypte. » Il a conclu ce qui suit : [traduction] « J’ai examiné attentivement l’intérêt supérieur des enfants et je ne suis pas convaincu qu’il sera compromis » s’ils sont renvoyés du Canada.

[41] Ce n’est pas là une bonne approche à adopter pour examiner l’intérêt supérieur des enfants. L’agent est tenu de déterminer ce qui serait dans l’intérêt supérieur des enfants et de soupeser ce facteur par rapport à l’ensemble des circonstances pour savoir si l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est justifié. Je ne conteste pas qu’il puisse être approprié pour un agent d’examiner la situation d’un enfant au Canada par rapport à celle qu’il connaîtrait s’il était renvoyé, mais le critère ne consiste pas à savoir si son intérêt supérieur serait compromis. Voici un exemple de question qu’il y aurait eu lieu de se poser : Serait-il dans l’intérêt supérieur des enfants de poursuivre leurs études au Canada ou plutôt de les poursuivre dans un nouveau pays doté d’un régime d’éducation différent?

[42] À mon avis, l’erreur la plus flagrante dans la décision de l’agent concerne les problèmes de santé dont souffre Yousef. Il convient de noter que la première décision favorable rendue à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur cet aspect de la demande. L’agent qui a rendu cette décision a écrit ce qui suit :

[traduction]

L’avocat fait valoir que le plus jeune fils des demandeurs, Yousef, est citoyen canadien et qu’il est un enfant vulnérable sur le plan médical qui a la chance de profiter des soins constants d’une équipe de professionnels de la santé au Canada. Il soutient que les symptômes de Yousef lui causent de la détresse physique et de la souffrance personnelle et qu’ils sont une source de grande inquiétude pour ses parents. Yousef présente un déficit en IgA – une forme d’immunodéficience qui occasionne ou aggrave plusieurs problèmes et provoque divers types d’infections (bronchite, conjonctivite, diarrhée chronique, inflammation gastro-intestinale, vomissements et autres types d’infections virales). Il fait constamment l’objet d’examens médicaux dirigés par l’équipe d’immunologie et de gastroentérologie de l’IWK, un hôpital pour enfants situé à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Yousef souffre également d’asthme, d’hypertension, de pancréatite/hépatite aiguë et de reflux gastro-œsophagien pathologique. Plus récemment, il a vécu des épisodes presque quotidiens de nausées et de vomissements; des examens sont en cours, mais la cause demeure inconnue. Il souffre aussi d’hypertension artérielle. L’avocat fait valoir que, même si la situation médicale de Yousef est compliquée et incertaine, il a la chance d’être pris en charge par une équipe de fournisseurs de soins dévoués en Nouvelle-Écosse. Il est malade depuis sa naissance et il est suivi et soigné par une équipe de médecins spécialistes du IWK Health Care Centre à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Il reçoit actuellement des soins des médecins et spécialistes suivants : Dr Gerges (médecin de famille), Dr McLaughlin (pédiatre), Dr Wornell (pédonéphrologue), Dr Otley (gastroentérologue pédiatrique) et un immunologiste. Des documents médicaux ont été fournis à l’appui de la présente demande.

Après avoir examiné attentivement la totalité de la preuve dont je disposais, je conclus que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur déterminant. Je suis d’avis que des soins médicaux continus prodigués par des médecins au Canada seront bénéfiques à Yousef. Ainsi, je conclus qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que les demandeurs restent avec lui au Canada pour continuer à prendre soin de lui et le soutenir.

[43] Le dossier montre que l’état de santé de Yousef n’a pas changé de façon importante depuis lors. L’agent n’a pas tenu compte de la dépendance de cet enfant à l’égard de son régime de soins de santé actuel en concluant ce qui suit : [traduction] « la preuve documentaire révèle que des soins médicaux sont accessibles en Égypte et que, bien qu’ils ne soient peut-être pas d’une aussi grande qualité qu’au Canada, des traitements médicaux peuvent être obtenus ». En minimisant ainsi l’intérêt supérieur de cet enfant né au Canada, l’agent a rendu une décision déraisonnable.

Conclusion

[44] L’avocat a demandé à la Cour de ne pas renvoyer la présente demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue, mais plutôt d’ordonner que l’approbation à la première étape soit rétablie. Je n’en ferai rien. Il revient à un agent du ministère de l’Emploi et de l’Immigration, et non à la Cour, d’apprécier la demande. Cependant, comme la demande a maintenant été examinée deux fois, il convient de donner certaines directives à l’agent chargé du prochain examen. Plus précisément, au moment de déterminer le poids à accorder aux fausses déclarations faites quant au temps passé par la famille au Canada, l’agent chargé de l’examen devra tenir compte de la conduite de M. Fathalla en ce qu’il a plaidé coupable, qu’il a payé une amende élevée et qu’il a exprimé de véritable remords. L’agent devra également accorder un poids important à l’état de santé de Yousef. Les nombreux problèmes de celui-ci sont traités au Canada depuis un certain nombre d’années par son équipe de soins de santé, et l’agent chargé de l’examen devra tenir compte des effets préjudiciables sur sa santé que pourrait entraîner, dans une certaine mesure, son renvoi en Égypte. Enfin, l’agent chargé de l’examen ne devrait pas écarter entièrement l’établissement des membres de la famille au Canada simplement en raison des fausses déclarations faites quant au temps qu’ils ont passé ici. Une véritable appréciation de la preuve est requise.

[45] Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8895-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande est accueillie; l’intitulé est modifié avec effet immédiat afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur; la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire doit être réexaminée par un autre agent; aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8895-21

 

INTITULÉ :

SARA HAMDY NASSEF HASSAN FOUDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Lee Cohen, c.r.

 

Pour la demanderesse

 

Mary Anne MacDonald

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lee Cohen & Associates

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

BoyneClarke LLP

Avocats

Dartmouth (Nouvelle-Écosse)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

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