Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230321


Dossier : IMM-4627-22

Référence : 2023 CF 381

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JAYANT ARVIND MEWADA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Jayant Arvind Mewada, un jeune citoyen de l’Inde, a présenté une demande de permis d’études pour venir au Canada étudier la technologie du transport par camion au Red River College, à Winnipeg. Sa demande a été rejetée parce que l’agent des visas n’était pas convaincu, en raison du but de sa visite, qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour.

[2] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision défavorable, alléguant que l’agent des visas n’a pas tenu compte de la preuve produite et que ses motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou intelligible.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie.

I. Faits

[4] Le demandeur a obtenu, en 2016, un diplôme en génie mécanique de la Gujarat Technological University.

[5] Le demandeur avait déjà présenté deux demandes de permis d’études, qui avaient toutes deux été rejetées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Il avait présenté ces demandes en vue de suivre un programme d’études en technique mécanique au St. Clair College, à Toronto.

[6] Depuis 2021, le demandeur travaille pour Dash Technologies en tant que recruteur de candidats disponibles; ses fonctions ne semblent aucunement liées à ses études.

[7] En février 2022, le demandeur a reçu une lettre d’admission du Red River College pour un programme d’études en technologie du transport par camion. Il a versé un acompte de 17 070 $ sur les frais de sa première année d’études.

[8] L’agent des visas a rejeté la demande de permis d’études du demandeur en mai 2022, et le demandeur a déposé la présente demande peu après.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Dans sa lettre de refus, datée du 4 mai 2022, l’agent mentionne seulement ce qui suit :

[traduction]

[...] Je rejette votre demande pour les motifs suivants :

• Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de la raison de votre visite.

[10] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas révèlent deux motifs principaux de refus, soit la faiblesse des notes antérieures du demandeur et l’incompatibilité de ses objectifs d’études d’une demande à l’autre :

[traduction]

Après examen de tous les renseignements, y compris les antécédents d’études et d’emploi du demandeur principal, il semble que la motivation de celui-ci à faire des études au Canada à ce stade ne soit pas raisonnable étant donné que ses relevés de 2012 à 2015 indiquent des notes faibles et que ses objectifs d’études d’une demande à l’autre sont incompatibles.

[11] En ce qui concerne les antécédents d’études, l’agent explique en détail son examen des notes du demandeur et il conclut en déclarant : [TRADUCTION] « [J]e ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré les compétences scolaires requises pour réussir le programme d’études envisagé au Canada » :

[traduction]

Les notes antérieures du demandeur sont de faibles à moyennes-faibles, comme le montrent les documents d’études joints à la présente demande – plus particulièrement les notes figurant dans les relevés de la Gujarat Technological University (2012-2015). J’ai accordé davantage de poids aux notes obtenues dans les matières principales comme le génie, le génie informatique et la mécanique.

En ce qui concerne les notes faibles, j’ai tenu compte de celles indiquées dans le relevé de 2012 pour les cours de mathématiques, de génie physique et de gestion du risque, des notes alphabétiques équivalant toutes à DD (50 %). Dans le relevé de 2013, j’ai tenu compte des notes obtenues en mécanique appliquée et en science des matériaux, des notes alphabétiques équivalant à FF et DD (moins de 50 % et 50 %). Dans les relevés de 2014 et de 2015, j’ai tenu compte des notes obtenues en génie électrique et électronique appliqué, en résistance des matériaux, en génie thermique, en génie de fabrication, en mécanique des fluides et en matériel hydraulique, des notes alphabétiques équivalant toutes à DD (50 %).

Les relevés de notes présentés par le client montrent des notes antérieures allant de faibles à moyennes-faibles; par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré les compétences scolaires requises pour réussir le programme d’études envisagé au Canada.

[12] En ce qui concerne la compatibilité des objectifs d’études, les notes de l’agent indiquent ce qui suit :

[traduction]

De plus, le demandeur a déjà présenté deux demandes en vue de suivre le programme de technique mécanique au St. Clair College, demandes qui ont toutes deux été rejetées. Il présente maintenant une demande en vue de suivre un programme différent dans un autre établissement. Les objectifs d’études au Canada ne sont pas les mêmes d’une demande à l’autre et aucune explication n’est fournie. Dans ses première et deuxième demandes rejetées, le demandeur a indiqué qu’il souhaitait suivre un programme d’études en technique mécanique au St. Clair College. Dans la présente demande, il indique qu’il souhaite suivre un programme d’études en technologie du transport par camion au Red River College.

[13] L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le demandeur est un véritable étudiant. J’ai examiné les antécédents scolaires du demandeur et les refus antérieurs figurant au dossier. Au vu des renseignements dont je dispose en l’occurrence, le demandeur n’a pas établi qu’il est un véritable résident temporaire qui quittera le Canada une fois ses études terminées comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du RIPR.

La demande est rejetée.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[14] La seule question à trancher est celle de savoir si l’agent a commis une erreur en rejetant la demande de visa. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25).

IV. Analyse

La décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études du demandeur était-elle raisonnable?

[15] Le demandeur conteste les deux motifs principaux de refus invoqués par l’agent. En ce qui concerne le fait que l’agent ait tenu compte de ses faibles notes antérieures, le demandeur soulève deux questions principales. Premièrement, il soutient que l’appréciation de ses compétences scolaires ne relève pas du pouvoir discrétionnaire de l’agent. Il fait valoir qu’il appartient à l’établissement d’enseignement désigné (EED), et non à l’agent, d’apprécier ses compétences scolaires. Comme il avait été admis par le Red River College (l’EED), il affirme qu’en s’appuyant sur ses notes, l’agent a agi de façon inappropriée et a outrepassé ses pouvoirs.

[16] En ce qui concerne le deuxième motif de refus de l’agent, soit l’incompatibilité des objectifs d’études, le demandeur soutient que les motifs de l’agent ne font pas état d’une analyse rationnelle. Il fait valoir que les motifs n’offrent aucune justification intelligible ou transparente, car ils ne contiennent aucun renseignement sur la façon dont l’agent est parvenu à sa conclusion. De plus, il fait remarquer que sa lettre de motivation expliquait qu’il souhaitait trouver du travail comme ingénieur de maintenance de machinerie lourde.

[17] Le défendeur soutient que l’agent a pris une décision raisonnable, alléguant que le plan d’études du demandeur était général et qu’il n’établissait aucun lien entre les études envisagées par le demandeur, son emploi antérieur ou ses projets de carrière. Le défendeur fait valoir que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve expliquant pourquoi un diplôme d’un collège ou d’une université de l’Inde n’aurait pas suffi. Il ajoute qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le plan d’études n’était pas logique étant donné que le programme d’études envisagé n’était pas lié aux antécédents d’études et d’emploi du demandeur.

[18] Après avoir examiné les arguments des parties, je conviens avec le demandeur que les motifs de l’agent sont insuffisants.

[19] La jurisprudence de la Cour permet à un agent d’immigration de tenir compte des notes d’un demandeur lorsqu’il examine la question de savoir si le demandeur est un véritable étudiant qui quittera le Canada à la fin de ses études. Elle prévient toutefois que cette approche doit être utilisée avec prudence, sous réserve de certaines limites, et qu’elle exige des motifs plus détaillés.

[20] Dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 [Patel], le juge John Norris a fait observer que le fait pour un demandeur de vouloir entreprendre des études qu’il est peu susceptible de réussir pourrait soulever des doutes quant à la question de savoir s’il est un véritable étudiant. Cependant, il a ajouté qu’il s’agit d’une question que les agents devraient aborder avec prudence. Il a expressément noté la faiblesse du lien entre les deux concepts et le fait que les agents des visas n’ont pas nécessairement l’expertise requise pour évaluer les perspectives de réussite d’un demandeur dans un programme d’études donné (Patel, au para 24).

[21] Dans la décision Bougrine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 528 [Bougrine], le juge Peter Pamel a conclu qu’il n’y avait rien de déraisonnable à ce qu’un agent d’immigration tienne compte des notes, mais il a souligné que les motifs de l’agent doivent montrer une certaine compréhension des exigences relatives à la charge de cours du demandeur et expliquer les doutes qu’il pourrait avoir (Bougrine, aux para 15, 23). Le juge Pamel a conclu, dans l’affaire dont il était saisi, que l’agent n’avait pas fait preuve de la prudence recommandée ou qu’il n’avait pas montré qu’il avait une compréhension générale des capacités requises pour réussir le programme d’études envisagé par le demandeur.

[22] Je conviens avec le demandeur qu’en l’espèce, les motifs de l’agent sont insuffisants à cet égard. L’agent n’a pas expliqué en quoi les matières dans lesquelles le demandeur avait obtenu des notes faibles formeraient l’essence de son programme d’études en technologie du transport par camion.

[23] S’il était logique de tenir compte des notes obtenues par le demandeur en mécanique, il est difficile de comprendre en quoi les cours dans le domaine du génie, notamment du génie informatique, seraient au cœur du programme d’études envisagé par le demandeur. De plus, je note que le programme comprend un volet d’alternance travail-études ou de stage. Les relevés du demandeur montrent à la fois une note « pratique » et une note « théorique » pour chaque matière, la première étant systématiquement plus élevée que la seconde pour le demandeur, ce qui donne à penser qu’il a peut-être une plus grande aptitude à l’apprentissage appliqué. Dans l’ensemble, ce qui précède va logiquement à l’encontre des conclusions de l’agent concernant la capacité du demandeur à réussir le programme d’études envisagé.

[24] En ce qui concerne l’autre motif principal de refus invoqué par l’agent, à savoir l’incompatibilité des objectifs d’études du demandeur, je suis également d’accord avec le demandeur pour dire que les motifs ne sont pas suffisamment détaillés. Le demandeur a étudié le génie mécanique, mais il travaille maintenant dans un tout autre domaine. Compte tenu de ses faibles notes en génie, il serait logique pour le demandeur de se tourner vers un domaine plus pratique de la mécanique. Encore une fois, le contenu du dossier certifié du tribunal ne permet pas de comprendre les motifs insuffisants de l’agent.

[25] Je suis consciente que les agents des visas ont un volume important de demandes à examiner et qu’ils ne sont pas tenus de fournir des motifs détaillés, mais le contenu du dossier devrait, à tout le moins, étayer la décision (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), 2001 CAF 345 au para 32; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15-17).

V. Conclusion

[26] L’agent n’a pas expliqué en quoi les objectifs d’études du demandeur étaient incompatibles ni en quoi ses faibles notes antérieures dans certains domaines du génie lui causeraient des problèmes dans son programme d’études en technologie du transport par camion. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[27] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et les faits de l’affaire n’en soulèvent aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4627-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent des visas datée du 4 mai 2022 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4627-22

INTITULÉ :

JAYANT ARVIND MEWADA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 février 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mars 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

Pour le demandeur

Ely-Anna Hidalgo-Simpson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.