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Date : 20230105

Dossier : T‑1458‑20

Référence : 2023 CF 27

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

NICHOLAS MARCUS THOMPSON, JENNIFER PHILLIPS,

MICHELLE HERBERT, KATHY SAMUEL, WAGNA CELIDON,

DUANE GUY GUERRA, STUART PHILP, SHALANE ROONEY,

DANIEL MALCOLM, ALAIN BABINEAU,

BERNADETH BETCHI, CAROL SIP, MONICA AGARD ET

MARCIA BANFIELD SMITH

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le défendeur présente une requête en radiation de trois affidavits d’experts figurant dans le dossier de réplique qu’ont déposé les demandeurs dans le cadre de leur requête en autorisation le 15 novembre 2022.

[2] Il est utile de présenter un résumé non exhaustif des démarches qui ont été faites et des affidavits qui ont été déposés avant la signification et le dépôt du dossier de réplique des demandeurs dans le cadre de leur requête en autorisation le 15 novembre 2022. Lorsque c’est pertinent, il est fait mention de l’échéancier établi par la Cour dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 24 juin 2022 [l’échéancier de juin]. Cet échéancier a été établi après que le défendeur a déposé une requête en ordonnance ajournant l’audience relative à l’autorisation, qui devait initialement avoir lieu en septembre 2022, et révisant l’échéancier qui avait été fixé par la Cour dans ses directives de février 2022. Les démarches pertinentes sont les suivantes :

  • 1er septembre 2021 : Les demandeurs ont déposé leur dossier de requête en autorisation. Il comprenait un affidavit souscrit par Mme Adele Furrie, qui est statisticienne, ainsi qu’un seul affidavit souscrit conjointement par Steve Prince et Stephanie Greenwald, qui sont tous deux associés chez RSM Canada [l’affidavit de RSM]. Le défendeur n’a pas contesté formellement la nature conjointe de cet affidavit.
  • 29 mars 2022 : Les demandeurs ont déposé un dossier de requête en autorisation complémentaire. Il comprenait une nouvelle déclaration modifiée, dans laquelle les demandeurs affirmaient qu’ils voulaient élargir la définition du groupe envisagé. La définition révisée engloberait plus clairement les personnes noires qui, à n’importe quel moment entre 1970 et aujourd’hui, ont postulé un emploi à la fonction publique et se sont vu refuser des perspectives d’emploi en raison de leur race, ainsi que les personnes noires qui [traduction] « travaillent » dans la fonction publique ou y [traduction] « ont travaillé » pendant cette période.
  • 23 septembre 2022 : Les demandeurs ont déposé un deuxième dossier de requête en autorisation complémentaire. L’échéancier de juin ne prévoyait pas le dépôt de ce dossier. Ce dernier comprenait un seul affidavit souscrit par M. Bernard Dussault, qui est actuaire.
  • 28 septembre 2022 : La Cour a communiqué la nouvelle déclaration modifiée contenant la définition élargie du groupe envisagé.
  • 3 octobre 2022 : Le défendeur a signifié et déposé deux dossiers de requête conformément à l’échéancier de juin, ainsi qu’un avis de requête en radiation (dont la signification et le dépôt n’étaient pas prévus dans l’échéancier). Premièrement (et il s’agit du point le plus pertinent en l’espèce), le défendeur a signifié et déposé son dossier de requête en réponse (concernant l’autorisation), qui comprenait un affidavit de John H. Johnson, qui est titulaire d’un doctorat et économiste du travail, en réponse à l’affidavit de RSM. Deuxièmement, le défendeur a déposé une requête en radiation des parties de la déclaration qui se chevauchent. Troisièmement, le défendeur a déposé un avis de requête en radiation de l’intégralité de la nouvelle déclaration modifiée pour défaut de compétence.
  • 1er novembre 2022 : Les demandeurs ont signifié, et ont ensuite déposé, le 2 novembre, leur dossier de requête en réponse à la requête en radiation du défendeur.
  • 15 novembre 2022 : Les demandeurs ont signifié, et ont ensuite déposé, le 23 novembre, leur réplique au dossier de réponse du défendeur (concernant l’autorisation).
  • 13 décembre 2022 : Le défendeur a déposé son dossier de requête concernant la présente requête en radiation d’éléments de preuve.

[3] Le défendeur demande à la Cour de radier trois affidavits figurant dans le dossier de réplique des demandeurs (qui a été déposé dans le cadre de la requête en autorisation). Deux de ces affidavits ont été souscrits par de nouveaux experts proposés, M. Richard Drogin et M. Raj Anand. Le troisième est un affidavit complémentaire souscrit par Mme Adele Furrie.

[4] Le défendeur soutient que les trois affidavits constituent une contre‑preuve irrégulière, mais il sollicite uniquement la radiation des affidavits de M. Drogin et de M. Anand.

[5] Même si, selon l’échéancier de juin, les contre‑interrogatoires devaient avoir lieu entre le 15 novembre 2022 et le 31 janvier 2023, le défendeur a indiqué qu’il s’opposera à la tenue de contre‑interrogatoires tant que cette question ne sera pas tranchée.

I. Questions en litige

[6] La seule question à trancher consiste à savoir si les affidavits de M. Richard Drogin et de M. Raj Anand devraient être radiés. Cette question comporte deux sous‑questions : 1) ces affidavits constituent‑ils une contre‑preuve irrégulière? 2) les demandeurs devraient‑ils obtenir, suivant l’article 52.4 des Règles, l’autorisation de produire plus de cinq témoins experts?

II. Position des parties

[7] Le défendeur affirme que les trois affidavits d’experts constituent une contre‑preuve irrégulière, car ils contiennent des éléments de preuve qui sont directement liés aux questions soulevées par les demandeurs dans leur preuve principale et qui auraient dû être inclus dans le dossier de requête en autorisation des demandeurs. Il conteste plus particulièrement l’affidavit de M. Drogin et soutient que ce document décrit une nouvelle méthode de calcul des dommages‑intérêts globaux qui est différente de celle utilisée par le premier expert en dommages-intérêts des demandeurs, RSM. Selon le défendeur, l’affidavit de M. Drogin vise à mettre en lumière les lacunes dans la méthode de RSM qu’avait relevées son expert en dommages-intérêts, M. John H. Johnson, dans son affidavit en réponse.

[8] Le défendeur souligne également que, avant l’affidavit de M. Drogin, aucun des affidavits d’experts des demandeurs n’énonçait de méthode pour calculer les dommages‑intérêts globaux relativement aux membres du groupe qui avaient postulé un emploi, mais qui n’avaient pas été embauchés. Le défendeur note que, dans l’affidavit qu’il a souscrit le 15 août 2022, M. Bernard Dussault indique simplement qu’il a les compétences nécessaires pour créer une [traduction] « autre méthode de calcul actuariel » pour calculer les dommages‑intérêts globaux, mais il ne fournit aucun autre détail au sujet de cette méthode.

[9] De plus, ou subsidiairement, le défendeur fait valoir que les affidavits de M. Drogin et de M. Anand devraient être radiés, car les demandeurs ont déposé des éléments de preuve provenant de huit experts proposés (RSM comptant pour un seul expert) sans demander d’autorisation à cet égard, comme l’exige le paragraphe 52.4(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[10] Le défendeur ne demande pas la radiation du deuxième affidavit de Mme Furrie, mais il souhaite avoir l’occasion d’y répondre.

[11] Les demandeurs, en revanche, soutiennent que les affidavits contestés répondent directement au dossier du défendeur en réponse à la requête en autorisation.

[12] Les demandeurs notent que l’échéancier de juin ne prévoyait pas le dépôt de la requête en radiation de l’intégralité de la déclaration pour défaut de compétence et que le défendeur a signifié cette requête en même temps que son dossier volumineux en réponse (concernant l’autorisation) sans fournir de préavis. Ils affirment que le défendeur n’a jamais soulevé la question de la compétence au cours des deux dernières années.

[13] Les demandeurs font observer que leur dossier de réplique renferme les éléments de preuve sur lesquels ils se sont appuyés pour répondre non seulement au dossier de réponse à la requête en autorisation, mais aussi à la requête en radiation pour défaut de compétence qu’avait déposée le défendeur. Ils donnent plus particulièrement comme exemple l’affidavit de M. Anand, qui traite de la question de la compétence.

[14] Lors de l’audience relative à la requête, les demandeurs ont reconnu que la méthode de M. Drogin est [traduction] « légèrement différente » de celle de RSM. Selon eux, cette différence s’explique, en partie du moins, par les changements apportés à l’information qui a été mise à leur disposition. Ils affirment que la Cour doit décider s’il est dans l’intérêt de la justice d’admettre l’affidavit de M. Drogin en déterminant si l’admission de cet élément de preuve l’aidera à exercer son rôle. Les demandeurs affirment en outre qu’il est possible de remédier à tout préjudice subi par le défendeur en lui donnant du temps pour présenter une réponse. Ils soulignent également la nature brève et ciblée des affidavits et indiquent qu’ils ont donné au défendeur la possibilité de répondre à l’affidavit de M. Drogin.

[15] Enfin, les demandeurs soutiennent que la norme relative à la contre‑preuve admissible doit être appliquée de manière moins rigoureuse aux requêtes et aux demandes qu’elle ne l’est lors d’un procès (citant Johnson v North American Palladium Ltd, 2018 ONSC 4496 aux para 13‑15).

[16] En ce qui concerne l’exigence énoncée au paragraphe 52.4(1) des Règles, les demandeurs font valoir que deux de leurs experts initiaux ont été consultés au sujet d’un fonds proposé pour la santé mentale. À un certain moment au cours de l’instance, ce fonds allait potentiellement faire l’objet d’une requête, mais, depuis, il a plutôt fait l’objet de discussions entre les parties. À l’audience relative à la présente requête, les demandeurs ont fait savoir qu’ils étaient prêts à retirer les affidavits de ces deux experts au besoin.

III. Analyse

[17] Les deux parties indiquent que les principes régissant l’admissibilité de la contre‑preuve sont ceux énoncés dans la décision Halford c Seed Hawk Inc, 2003 CFPI 141, au paragraphe 15 (lesquels principes ont été appliqués dans des décisions telles que : T‑Rex Property AB c Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership, 2022 CF 1008 au para 34, Merck Sharp & Dohme Corp c Wyeth LLC, 2020 CF 1087 au para 9, Jannsen Inc c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309 au para 16). Ces principes sont les suivants :

1. La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n’est pas admissible.

2. La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre‑interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n’est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

3. La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible.

4. Le tribunal acceptera d’examiner la preuve qui est exclue parce qu’elle aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale, pour déterminer s’il doit admettre cette preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

[18] Comme l’a indiqué le juge Zinn dans la décision Merck‑Frosst c Canada (Santé), 2009 CF 914, les autres facteurs dont la Cour doit tenir compte sont les suivants [au para 10] :

(i) ces éléments de preuve serviront‑ils les intérêts de la justice?

(ii) ces éléments de preuve aideront‑ils la Cour à trancher la question sur le fond?

(iii) l’accueil de la requête causera‑t‑il un préjudice grave ou substantiel à la partie adverse?

(iv) les éléments de la contre‑preuve étaient‑ils disponibles et (ou) était‑il possible d’en prévoir la pertinence à une date antérieure?

[19] Dans sa décision, le juge Zinn a également précisé que le quatrième facteur (iv) doit faire l’objet d’une analyse en deux étapes [Merck‑Frosst, aux para 23 et 25] :

[23] La première étape consiste à se demander si les éléments de preuve proposés répondent adéquatement aux éléments de preuve de l’autre partie. La preuve est adéquate s’il ne s’agit pas d’une simple déclaration contraire, mais qu’elle fournit une preuve qui critique, conteste ou réfute la preuve de l’autre partie. La preuve n’est pas adéquate si elle ne fait que répéter ou réitérer la preuve que la partie a initialement déposée.

[…]

[25] S’il est jugé que la preuve répond adéquatement, il faut alors se demander s’il était possible d’en anticiper la pertinence à une date antérieure. S’il était possible de prévoir qu’elle soit pertinente, elle est donc offerte dans le but de renforcer son point de vue en présentant de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu et auraient dû être inclus dans l’affidavit initial. Une telle preuve n’est pas une contre‑preuve adéquate, puisque la partie qui propose de la déposer scinde son dossier. Une partie doit présenter ses meilleurs arguments pour que l’autre y réponde; elle ne peut pas demeurer embusquée jusqu’à ce que la partie d’en face dépose sa réponse, puis déposer des éléments de preuve supplémentaires pour étayer sa thèse à la lumière des arguments soulevés en défense. C’est inacceptable, parce qu’elle aurait pu être déposée avec la preuve initiale, et que l’autre partie n’a pas la possibilité d’y répondre.

[20] Les principes formulés dans la décision Halford ont été appliqués auparavant par notre Cour dans le contexte d’une requête en autorisation d’un recours collectif envisagé (voir les motifs du juge Southcott dans la décision Sweet c Canada, 2022 FC 1228, aux para 52‑57).

[21] Je vais maintenant appliquer les principes précités aux affidavits qui ont été présentés à la Cour.

(1) Affidavit de M. Richard Drogin

[22] En appliquant les principes de la décision Halford, qui ont été davantage précisés dans la jurisprudence subséquente, je conclus que les sujets ou les « questions » soulevés dans l’affidavit de M. Drogin a) avaient déjà été soulevés dans la preuve principale des demandeurs ou b) auraient dû l’être pour ce qui est de mesurer l’insuffisance des embauches externes. Il suffit, pour le constater, de comparer l’affidavit de RSM (qui fait partie de la preuve principale des demandeurs) à celui de M. Drogin (qui figure dans le dossier de réplique des demandeurs).

[23] Le fait que ces deux affidavits traitent des mêmes questions est particulièrement évident si l’on compare le mandat de chaque expert. Cette comparaison révèle que, hormis la question des personnes noires qui ont postulé un emploi, mais qui n’ont pas été embauchées (que j’examine séparément), la description du mandat ou la question à laquelle M. Drogin a répondu était plus ou moins identique à celle présentée dans la preuve principale des demandeurs et à laquelle RSM a répondu. Dans son affidavit, M. Drogin affirme que son mandat était le suivant :

[traduction]

« fournir une méthode pour mesurer l’insuffisance des promotions internes et des embauches externes de personnes noires, le cas échéant, ainsi qu’un cadre pour calculer les dommages‑intérêts pécuniaires globaux en conséquence pour l’ensemble du groupe. »

(Affidavit de M. Drogin, au para 3)

[24] Pour sa part, RSM a décrit son mandat ainsi :

[traduction]

« concevoir un modèle et une méthode raisonnables et utiliser les données du gouvernement pour calculer les dommages‑intérêts en conséquence de la perte de revenus d’emploi et de revenus de pension en raison des écarts constatés, le cas échéant, sur le plan des promotions accordées à des employés noirs au sein de la fonction publique fédérale. »

(Affidavit de RSM, au para 8)

[25] Bien que les mandats généraux de M. Drogin et de RSM soient très similaires, la méthode qu’ils proposent est très différente. En effet, cette différence semble être intentionnelle selon l’observation de M. Drogin : [traduction] « On m’a demandé d’expliquer en quoi les critiques de M. Johnson ne s’appliquent pas à la méthode que je propose dans ce rapport. » Les demandeurs ont reconnu, à tout le moins, que la méthode de M. Drogin est [traduction] « légèrement différente » de celle de RSM.

[26] Je conclus que le rapport de M. Drogin constitue donc un nouvel élément de preuve présenté en réplique qui traite d’une question soulevée dans la preuve principale des demandeurs. Par conséquent, il s’agit d’un fractionnement inacceptable de la preuve. En d’autres termes, « [u]ne partie ne peut pas présenter ses preuves et attendre d’entendre les témoignages et de connaître les preuves de l’autre partie pour répondre ensuite avec des preuves supplémentaires, dans le but de pallier les faiblesses soulevées par un autre expert » [T‑Rex Property AB c Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership, 2022 CF 1008 au para 36]. C’est particulièrement vrai lorsqu’elle cherche à le faire en faisant appel à un nouvel expert.

[27] Pour ce qui est de la seule différence importante entre l’affidavit de M. Drogin et l’affidavit de RSM, soit la méthode de calcul des dommages‑intérêts globaux à octroyer aux membres visés par la définition élargie du groupe envisagé, je conclus que cette méthode aurait dû être présentée dans la preuve principale des demandeurs.

[28] Comme l’a souligné l’expert du défendeur, RSM n’a pas présenté de méthode de calcul des dommages‑intérêts globaux pour ce sous‑groupe de membres du groupe envisagé (et les demandeurs ne semblent pas lui avoir demandé de le faire). Cependant, l’affidavit de RSM a été souscrit des mois après que les demandeurs ont déposé leur nouvelle déclaration modifiée dans laquelle ils proposaient d’élargir la définition du groupe. Cette déclaration modifiée constituait en effet la pièce C de l’affidavit de RSM. Bien que la déclaration modifiée n’ait été déposée qu’en septembre 2022 (après la signature de l’affidavit de RSM), les demandeurs ont constamment fait valoir que les membres du sous‑groupe visé par la définition élargie du groupe envisagé auraient toujours dû faire partie du recours. À supposer que je reconnaisse qu’il était nécessaire de fournir une méthode pour calculer les dommages‑intérêts de ces membres du groupe envisagé seulement après le dépôt de la déclaration modifiée, il demeure que les demandeurs n’ont jamais demandé l’autorisation de présenter un affidavit modifié dans lequel RSM traiterait de cette question.

[29] Par conséquent, je conclus que cette question est visée par le deuxième principe établi dans la décision Halford (la preuve aurait dû faire partie de la preuve principale des demandeurs) et appartient à la catégorie des preuves dont « il était possible d’en anticiper la pertinence à une date antérieure ». Il est inapproprié d’avoir soulevé cette question seulement après que l’expert du défendeur a lui‑même signalé qu’elle n’avait pas été soulevée par l’expert des demandeurs, d’autant plus que les demandeurs soutiennent que l’affidavit de M. Drogin est un élément crucial pour que soit tranchée l’une des questions sur lesquelles la Cour doit se prononcer, à savoir la méthode de calcul des dommages‑intérêts globaux pour l’ensemble du groupe.

[30] Je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’admettre le rapport de M. Drogin au motif que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de le faire (comme l’affirment les demandeurs). Comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale, il existe de bonnes raisons de limiter la preuve en réplique. Le défendeur doit connaître la preuve qu’il doit réfuter lorsqu’il présente sa défense et les parties doivent éviter qu’il y ait une suite sans fin de présentation d’éléments de preuve (Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CAF 121 au para 12). Je tiens particulièrement compte de cette dernière exigence dans le contexte de l’espèce, car une autre ronde de présentation d’éléments de preuve pourrait retarder davantage le déroulement de la présente instance.

(2) Affidavit de M. Raj Anand

[31] En ce qui a trait à l’affidavit de M. Anand, je conviens avec les demandeurs que son contenu répond en effet aux éléments de preuve du défendeur ou porte sur des questions de compétence qui se rapportent à la requête en radiation.

[32] Je suis d’avis que certaines parties de l’affidavit entrent dans la catégorie des preuves qui critiquent, contestent ou réfutent la preuve du défendeur, comme la réponse de M. Anand aux éléments de preuve du défendeur concernant la sous‑délégation. De plus, l’affidavit de M. Anand contient des éléments de preuve utiles à la Cour que le défendeur avait en sa possession, mais qu’il n’a pas présentés, tels que des rapports demandés par le défendeur.

[33] M. Anand répond en effet aux éléments de preuve du défendeur concernant la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne, du Tribunal canadien des droits de la personne et d’autres processus et tribunaux des relations de travail et de la dotation pour les employés tant syndiqués que non syndiqués. Le contenu de ces éléments de preuve diffère de celui des autres éléments de la contre‑preuve, car il traite d’une question qui a été soulevée pour la première fois dans l’avis de requête en radiation pour défaut de compétence qu’avait déposé le défendeur.

[34] Tout préjudice causé au défendeur pourra être corrigé en lui donnant la possibilité de répondre. La Cour exerce donc son pouvoir discrétionnaire pour admettre l’affidavit de M. Anand.

(3) Affidavit de Mme Adele Furrie

[35] Comme le défendeur ne cherche pas à faire radier le deuxième affidavit de Mme Adele Furrie, il demeure dans le dossier et l’échéancier pour la présentation d’une réponse par le défendeur fera l’objet de discussions lors de la prochaine conférence de gestion de l’instance.

(4) Autorisation prévue à l’article 52.4 des Règles

[36] Après avoir examiné les facteurs énoncés à l’article 52.4, qui sont présentés ci‑après, j’autorise les demandeurs à déposer l’affidavit de M. Anand (qui est leur septième expert proposé, RSM comptant pour un seul expert).

[37] M’appuyant sur l’alinéa 52.4(2)a), je conclus que la nature de l’instance et son importance pour le public font nettement pencher la balance en faveur de l’octroi de l’autorisation. Il s’agit très clairement d’une affaire dont les répercussions sont particulièrement vastes et ont des conséquences qui se répercuteront sur de nombreuses personnes. Je constate que ce contexte est différent de celui des affaires de propriété intellectuelle ou de nature largement commerciale qui ont été invoquées par le défendeur sur cette question (Conseil canadien pour les réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 829 aux para 16‑17). Je constate également que le défendeur reconnaît que l’instance a de l’importance pour le public et que la somme en litige (qui est supérieure à 2,5 milliards de dollars) est considérable. Par rapport à cette somme, les coûts probables afférents à la production d’autres témoins experts sont relativement minimes, ce qui constitue un facteur selon l’alinéa 52.4(2)c).

[38] D’autres facteurs à prendre en considération, tels que la proportionnalité et la redondance, ont été recensés dans la jurisprudence de la Cour. J’ai déjà conclu que les sujets abordés par M. Anand constituent une réponse et ne sont pas trop redondants. Par contre, j’ai déjà radié l’affidavit de M. Drogin, qui est le meilleur exemple d’un élément de preuve redondant.

[39] Bien que, dans la présente requête, le défendeur n’ait pas contesté directement la question de savoir si les demandeurs ont omis de demander l’autorisation de déposer leur sixième affidavit d’expert (l’affidavit de M. Bernard Dussault), la Cour doit encore trancher cette question. La Cour reviendra sur cette question lors d’une conférence de gestion de l’instance, après avoir entendu les deux parties, car la décision des demandeurs de retirer des affidavits d’experts qu’ils ne jugent plus pertinents pourrait avoir une incidence sur la décision de la Cour à cet égard.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1458‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. L’affidavit de M. Richard Drogin est radié.

  2. La requête du défendeur concernant l’affidavit de M. Raj Anand est rejetée.

  3. Les demandeurs sont autorisés à déposer l’affidavit de M. Raj Anand suivant l’article 52.4 des Règles.

  4. Le défendeur aura la possibilité de répondre à l’affidavit de M. Anand et au deuxième affidavit de Mme Adele Furrie. L’échéancier pour la présentation de ces réponses doit être fixé dans une directive que rendra la Cour à la suite d’une conférence de gestion de l’instance avec les parties.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1458‑20

 

INTITULÉ :

NICHOLAS MARCUS THOMPSON, JENNIFER PHILLIPS, MICHELLE HERBERT, KATHY SAMUEL, WAGNA CELIDON, DUANE GUY GUERRA, STUART PHILP, SHALANE ROONEY, DANIEL MALCOLM, ALAIN BABINEAU, BERNADETH BETCHI, CAROL SIP, MONICA AGARD ET MARCIA BANFIELD SMITH c SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 DÉCEMBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Hugh Scher

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Paul J. Martin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Scher Law Professional Corporation

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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