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Date : 20230313


Dossier : IMM‑8393‑21

Référence : 2023 CF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

BACHIR FOUAD ABDELSALAM HARARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Bashir Fouad Abdelsalam Harara [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 8 novembre 2021 par laquelle la Section de l’immigration [la SI] l’a déclaré interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité au titre des alinéas 34(1)b), c) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur est né à Gaza, en Palestine. En 1981, il a obtenu son diplôme de médecine en Égypte. Vers le mois d’octobre 1983, il a commencé à travailler, en tant que médecin, auprès de la Société du Croissant-Rouge palestinien [le Croissant-Rouge] au Yémen. En 1986, il s’est enrôlé dans l’Armée de libération de la Palestine [l’ALP], qui lui a attribué le grade de capitaine, pour participer à des missions médicales en Afrique. Après plusieurs mois, il a quitté l’ALP et a réintégré ses fonctions au sein du Croissant-Rouge au Yémen. En 1990, il a quitté le Croissant-Rouge et a commencé à travailler pour le ministère de la Santé du Yémen, où il est resté jusqu’en 1993. En 1994, il s’est de nouveau enrôlé dans l’ALP, qui lui a réattribué le même grade, en vue de retourner à Gaza. Par la suite, il s’est joint aux Services médicaux militaires [les SMM] de l’Autorité palestinienne, jusqu’à sa retraite en avril 2008. Il avait alors atteint le grade de brigadier-général. En juillet 2018, il a quitté Gaza et a demandé l’asile au Canada.

[4] Le 6 août 2019, le demandeur a été reçu en entrevue par une agente d’audience de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] au sujet de son admissibilité au Canada. Le 15 octobre 2019, l’agente a rédigé un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR dans lequel elle concluait que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR en raison de son appartenance à l’Organisation de libération de la Palestine [l’OLP]. Après avoir examiné le rapport, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déféré l’affaire à la SI pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. L’enquête a eu lieu le 15 décembre 2020.

III. Décision contestée

[5] Le 8 novembre 2021, la SI a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, pour les actes visés aux alinéas 34(1)b) et c). En effet, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait été membre de l’OLP, une organisation s’étant livrée au terrorisme et à des actes visant au renversement des gouvernements de la Jordanie, du Liban et d’Israël par la force. Les principales conclusions de la SI sont résumées ci-après.

A. Appartenance à l’OLP

[6] La SI a passé en revue les principes juridiques relatifs au terme « membre ». Elle a indiqué que ce terme devait bénéficier d’une interprétation large et que la qualité de membre au sens de l’article 34 de la LIPR pouvait être établie par « participation officieuse » ou « par association » (TK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 327 au para 98 [TK]). Elle a adhéré à la proposition voulant que la reconnaissance de l’appartenance suffise à établir la qualité de membre pour l’application de cette disposition (Saleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 303 au para 17 [Saleh]).

[7] La SI a d’abord jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’ALP était un organe interne de l’OLP, comme le montrait la preuve documentaire des deux parties. Le demandeur n’est pas parvenu à établir de distinction entre ces deux entités. Sur la base des aveux du demandeur, la SI a ensuite conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que ce dernier avait été membre de l’OLP en 1986 et en 1994 pour l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Lors de son entrevue avec l’agente de l’ASFC, le demandeur a reconnu, à maintes reprises, qu’il s’était joint à l’OLP, d’abord au sein des [traduction] « services médicaux » en 1986, puis par l’entremise de la « sécurité nationale palestinienne » en 1994. La SI a noté que, dans son témoignage en entrevue, le demandeur avait lui-même affirmé que [traduction] « les équipes médicales faisaient partie de l’administration militaire ». Même si le demandeur a nié cette affirmation devant la SI et a plutôt déclaré que les [traduction] « services médicaux » faisaient partie de l’ALP, la SI a jugé le premier témoignage du demandeur plus crédible et lui a accordé davantage de poids. Elle a également réitéré qu’il importait peu de savoir si les « services médicaux » étaient affiliés à l’ALP ou à l’OLP, car, comme la première était un organe interne de la seconde, l’appartenance à l’ALP constituait une appartenance à l’OLP.

B. Terrorisme et subversion

[8] La SI a déterminé que l’OLP était une « organisation » pour l’application de l’article 34 de la LIPR et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’OLP, y compris ses factions et organes constitutifs, s’était livrée à du terrorisme. Selon la preuve documentaire, l’organisation a perpétré de nombreux attentats destinés à tuer ou à blesser grièvement des civils, ce qui répond à la définition de « terrorisme » établie dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au para 98.

[9] La SI a également conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’OLP, y compris ses factions et organes constitutifs, avait commis des actes de violence dans l’intention de renverser les gouvernements de la Jordanie, du Liban et d’Israël par la force. Le critère de « renversement d’un gouvernement par la force » aux termes de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR est donc rempli.

C. Défense de nécessité

[10] La SI a jugé que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait été exposé à un danger imminent et évident ou qu’il n’avait eu d’autre solution raisonnable que celle de se joindre à l’OLP (R c Latimer, 2001 CSC 1 aux para 29‑31 [Latimer]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Aly, 2018 CF 1140 au para 13 [Aly]; Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Seifert, 2007 CF 1165 au para 182 [Seifert]).

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Après avoir examiné les observations des parties, je suis d’avis que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

  2. La décision était-elle raisonnable?

    1. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’ALP était un organe interne de l’OLP?

    2. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était membre de l’OLP?

    3. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi la défense de nécessité?

[12] La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est, pour l’essentiel, celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CP]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). L’examen des questions d’équité procédurale par la Cour ne suppose aucune marge d’appréciation ni retenue. Au moment d’évaluer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la cour de révision doit plutôt déterminer si le décideur a suivi un processus équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (CP, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux p 837‑841).

  • [13]La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer à la décision sur le fond est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne s’applique en l’espèce. La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est donc pas réfutée (Vavilov, aux para 16‑17).

  • [14]Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci pour déterminer si la décision, dans son ensemble, possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, aux para 15, 99). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Une décision sera jugée déraisonnable si elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

A. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

1) Thèse du demandeur

[15] Les services d’interprétation fournis lors de l’audience de la SI ne satisfaisaient pas à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance (Mohammadian c MCI, 2001 CAF 191 au para 4 [Mohammadian]). Ils n’étaient pas non plus conformes à la norme prescrite par le Guide de l’interprète de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Les erreurs commises ont empêché le demandeur de bien répondre aux questions qui se trouvaient au cœur des conclusions de la SI. Bien que le demandeur ait exprimé ses préoccupations à l’audience devant la SI, il ne lui appartenait pas de sauvegarder son propre droit à une procédure équitable.

[16] De plus, l’audience s’est déroulée selon une formule linguistique hybride : le demandeur a fait appel à l’interprète pendant certaines parties de l’audience et a témoigné en anglais à d’autres moments. Ce manque d’uniformité a nui à la capacité du demandeur de présenter des éléments de preuve. Celui-ci mentionne six extraits de l’audience à l’appui de sa thèse.

2) Thèse du défendeur

[17] Le demandeur n’a fourni aucune preuve d’une erreur de traduction qui aurait compromis la compréhension linguistique entre les parties et la SI, d’autant plus qu’il a reconnu avoir une [traduction] « maîtrise raisonnable de l’anglais ». Il n’a pas non plus indiqué quelle était l’erreur de traduction qui aurait mené la SI à tirer une conclusion erronée sur un point important. Contrairement à ce qu’il affirme, le demandeur n’a pas directement soulevé de préoccupations devant la SI au sujet de l’interprétation, de sorte qu’il aurait pu y avoir un changement d’interprète ou une vérification de la traduction.

[18] En outre, les extraits auxquels renvoie le demandeur ne démontrent aucune véritable erreur de traduction entre les réponses qu’il a données en arabe et celles que l’interprète a rendues en anglais. Là encore, le demandeur n’a pas démontré quelque lacune que ce soit dans la compréhension linguistique ni qu’une telle lacune aurait entraîné une erreur importante dans la décision.

3) Conclusion

[19] Je conclus que le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante pour établir que la traduction ne satisfaisait pas à la norme « de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance » (Mohammadian, au para 4). Par conséquent, il n’a pas démontré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[20] Après avoir examiné les observations du demandeur, je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a soulevé aucune véritable erreur de traduction ni aucun défaut de compréhension linguistique. Si le demandeur estimait que l’interprète n’avait pas correctement traduit ses réponses, il aurait dû le mentionner dès que possible et expliquer les malentendus entre lui et l’interprète (Mohammadian, au para 13). De plus, les extraits invoqués par le demandeur montrent que celui-ci a répondu à la plupart des questions en anglais, ce qui signifie qu’il comprenait les questions qui lui étaient posées. Autrement dit, les extraits illustrent simplement la formule « hybride » employée, conformément à la démarche adoptée par le demandeur lui-même, et non la présence de malentendus ou d’erreurs de traduction.

[21] Les extraits montrent également que, en fait, la SI est intervenue plusieurs fois pour confirmer la qualité de l’interprétation. La SI a suggéré à maintes reprises qu’il était dans l’intérêt du demandeur de répondre uniquement en arabe, ce qui montre qu’elle a tenté de sauvegarder le droit de ce dernier à une procédure équitable. En dépit des suggestions de la SI, le demandeur a continué de s’exprimer en anglais.

B. La décision était-elle raisonnable?

[22] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SI était raisonnable.

1) La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’ALP était un organe interne de l’OLP?

a) Thèse du demandeur

[23] La SI n’a pas fait preuve de prudence lorsqu’elle a assimilé une partie d’une organisation à l’OLP dans son ensemble (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 30). Plus précisément, la SI s’est seulement demandé si l’ALP était une organisation distincte de l’OLP; elle n’a pas tenu compte de la preuve concernant l’appartenance du demandeur au Croissant-Rouge et aux SMM, qui sont des organisations distinctes. Même si le demandeur était tenu de s’inscrire auprès de l’ALP pour travailler auprès du Croissant-Rouge et des SMM, cela n’était pas suffisant pour conclure qu’il était membre de l’OLP. Pour parvenir à cette conclusion, la SI a donné une interprétation exagérément large au terme « membre » au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

b) Thèse du défendeur

[24] La SI a raisonnablement conclu que l’ALP constituait la branche militaire de l’OLP et qu’elle en était donc un organe interne. Selon la preuve présentée par le demandeur lui-même, les SMM faisaient partie de l’ALP. Bien que le demandeur ait fait référence à un article mettant en évidence l’indépendance des SMM au sein du système de santé palestinien, il n’y était aucunement question de leur indépendance envers l’ALP.

[25] Il incombe au demandeur d’établir de manière objective « que [la faction] existe, qu’elle a une identité propre et quelles sont ses activités » par rapport à celles de l’organisation (Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 au para 44 [Nassereddine]). Le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau pour démontrer que l’ALP, ou ses SMM, était une organisation distincte de l’OLP. Son emploi au sein du Croissant-Rouge n’était pas pertinent aux fins de la décision de la SI.

c) Conclusion

[26] L’article 33 de la LIPR exige seulement qu’il y ait des « motifs raisonnables de croire » qu’il existe des circonstances donnant lieu à une interdiction de territoire.

[27] La SI a analysé la période où le demandeur avait travaillé au sein des SMM. En plus de sa déclaration initiale à l’agente de l’ASFC selon laquelle il s’était joint à l’OLP pour travailler au sein des [traduction] « équipes médicales », selon la transcription de l’audience de la SI, le demandeur a également déclaré qu’il avait pris « [p]art aux SMM, qui faisaient partie de l’ALP ». Comme l’a plaidé le défendeur, l’article fourni par le demandeur ne faisait pas mention de l’indépendance des SMM au sein de l’ALP, mais désignait plutôt ceux-ci comme un [traduction] « organisme indépendant » du système de santé. Comme la SI avait déterminé que l’ALP était la branche militaire de l’OLP, il était raisonnable de sa part de conclure que la participation du demandeur aux SMM, qui faisaient partie de l’ALP, constituait une appartenance à l’OLP.

[28] En ce qui concerne les observations du demandeur au sujet du Croissant-Rouge, je conviens avec le défendeur que, selon la SI, le demandeur « a toujours fait la distinction entre le Croissant-Rouge palestinien et le groupe des “services médicaux” auquel il s’est également joint, et le ministre n’a pas fait valoir que la participation du [demandeur] au Croissant-Rouge constituait une appartenance à l’OLP ». Je ne vois aucune erreur dans l’approche de la SI, et je conviens avec le défendeur que l’association du demandeur avec le Croissant-Rouge ou sa participation aux activités de cette organisation n’a eu aucune incidence sur l’évaluation globale de la question de savoir s’il était membre de l’OLP.

2) La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était membre de l’OLP?

a) Thèse du demandeur

[29] Le terme « membre » doit avoir un certain sens et une certaine limite (TK, au para 117). À cet égard, la SI a appliqué le critère de la décision Saleh de manière déraisonnable en s’appuyant uniquement sur le fait que le demandeur ait reconnu son appartenance pour conclure qu’il était membre de l’OLP. Le demandeur a nié le fait qu’il avait reconnu son appartenance à l’OLP, car il travaillait comme médecin auprès des organisations distinctes qu’étaient le Croissant-Rouge et les SMM. Lorsque la question de l’appartenance est contestée, il convient d’examiner les facteurs qui la définissent (TK, au para 105). Des doutes sur la crédibilité du demandeur ne prouvent pas en soi que celui-ci était membre d’une organisation (Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342 au para 30 [Krishnamoorthy]).

[30] Si la SI avait appliqué les bons critères pour déterminer l’appartenance, elle n’aurait pas trouvé suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était membre de l’OLP. Au contraire, le travail de médecin que le demandeur accomplissait auprès du Croissant-Rouge et des SMM était de nature humanitaire, ce qui va totalement à l’encontre des visées terroristes de l’OLP.

b) Thèse du défendeur

[31] La notion d’appartenance au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR doit être interprétée au sens large. Il n’y a pas de critère particulier pour établir l’appartenance, bien que la Cour ait énuméré certains facteurs à prendre en considération, comme la nature et la durée des activités de la personne au sein de l’organisation.

[32] La SI est en droit de soupeser la preuve, d’apprécier la crédibilité et de privilégier la preuve documentaire au témoignage de l’intéressé dans le cadre des procédures d’admissibilité (Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1213 au para 32 [Gebreab]; Intisar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 1128 aux para 22‑23 [Intisar]; Nassereddine, aux para 43‑44).

[33] Qui plus est, le seuil de preuve exigé dans le cadre des procédures d’admissibilité est relativement bas (Ugbazghi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 694 au para 47). Les personnes qui satisfont aux critères d’appartenance peuvent toujours demander au ministre d’admettre une exception au titre de l’article 42.1 de la LIPR.

[34] Il n’est pas nécessaire d’appliquer les critères d’appartenance lorsque celle-ci a été reconnue, comme en l’espèce. L’affaire Krishnamoorthy se distingue de l’espèce en ce que les déclarations du demandeur comportaient des contradictions mineures (aux para 9, 30). Dans la présente affaire, l’aveu du demandeur était la principale question sur laquelle la SI était appelée à statuer.

[35] Comme je le fais remarquer plus haut, les observations du demandeur au sujet du Croissant-Rouge ne sont ni applicables ni déterminantes quant à quelque question que ce soit.

[36] Enfin, le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SI selon laquelle l’OLP est une organisation se livrant à des actes de terrorisme et de subversion.

c) Conclusion

[37] Selon la jurisprudence récente, dont la décision Intisar, « la jurisprudence sur les critères à prendre en compte pour déterminer si une personne est membre d’une organisation s’applique lorsque l’intéressé n’a pas admis son appartenance à l’organisation en question » (au para 23, non souligné dans l’original; Nassereddine, aux para 57‑59).

[38] En l’espèce, le demandeur a admis son appartenance à la fois à l’ALP et à l’OLP lors de son entrevue avec l’ASFC. La décision Gebreab énonce ceci :

[32] […] Lors d’une enquête, le pouvoir d’admettre et de soupeser des éléments de preuve relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Commission (Sittampalam, précité, aux paragraphes 45 à 49). Après avoir examiné les éléments de preuve portant sur le EPRP relativement à la période pertinente, la Commission a conclu que « le EPRP a été une seule organisation politique existant [des années 1970] jusqu’à la période au cours de laquelle vous en avez été membre, au cours des années 1980 et par la suite ». Compte tenu de cette conclusion, M. Gebreab, étant un membre de cette organisation, appartenait donc à une organisation pour laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait à des actes de terrorisme au sens des alinéas 34(1)b) et c) de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[39] Si la SI a relevé une contradiction dans le témoignage du demandeur lors de l’enquête, il lui était tout à fait loisible d’accorder davantage de poids à l’entrevue antérieure de ce dernier avec l’ASFC.

[40] La jurisprudence établit également que l’appartenance n’exige pas une participation active. En fait, « si une personne est “membre” d’une organisation, elle est “membre” aux fins de l’alinéa 34(1)f) avec toutes les conséquences que comporte une telle appartenance, toute exception à cette règle étant à la discrétion du ministère de la Couronne en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR et non à la discrétion des agents d’immigration ou de la Cour » (Saleh, au para 19).

[41] En résumé, compte tenu de la jurisprudence de la Cour et du dossier de l’espèce, j’estime que la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur était membre de l’OLP est raisonnable.

3) La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi la défense de nécessité?

a) Thèse du demandeur

[42] La SI a commis une erreur lorsqu’elle a analysé l’existence d’un danger imminent et évident sur le fondement d’une définition étroite selon laquelle un danger réel exige la présence d’une menace immédiate de lésions corporelles et d’une souffrance intense. La SI aurait dû envisager le danger imminent selon son sens élargi, car l’exigence d’immédiateté viole la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte] (R c Ruzic, 2001 CSC 24 aux para 86 et 90 [Ruzic]).

[43] De plus, la SI n’a pas appliqué le critère objectif modifié aux deux éléments de la défense de nécessité. Par conséquent, elle n’a pas tenu compte de l’expérience personnelle du demandeur ni de sa perception des circonstances. Plus précisément, elle n’a pas été sensible au fait que l’OLP est une organisation-cadre présente dans tous les aspects de la vie des Palestiniens ni au fait que le demandeur, pour subvenir aux besoins de sa famille, était tenu de mener sa carrière de médecin selon les contraintes imposées par cette organisation-cadre. Elle a plutôt analysé la situation du point de vue d’un citoyen canadien.

[44] Enfin, la SI a commis une erreur en s’appuyant sur la décision Seifert pour conclure que le fait de poursuivre un objectif économique était incompatible avec la défense de nécessité, car les faits de l’affaire Seifert sont distincts de ceux de l’espèce (au para 182). En ce qui concerne la présence d’une solution raisonnable et légale, les tribunaux ont déjà tenu compte de facteurs économiques, y compris l’absence d’autorisation de travail d’un demandeur et la probabilité de trouver un emploi ailleurs, pour confirmer le bien-fondé d’une défense de nécessité (Aly).

b) Thèse du défendeur

[45] Les observations du demandeur sont sans fondement et les conclusions de la SI sont raisonnables. L’analyse de la SI n’est pas déficiente simplement parce que les décisions sur lesquelles cette dernière s’est appuyée ne conviennent pas au demandeur. Celui-ci demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. La SI a pris acte de la preuve du demandeur au sujet d’un présumé appauvrissement, mais ne l’a pas jugée convaincante. Le demandeur n’a pas fourni d’explication suffisante concernant son incapacité à chercher un emploi qui n’aurait pas relevé de l’ALP, que ce soit en tant que médecin ou dans une autre fonction. Il n’appartenait pas à la SI de combler les lacunes à ce sujet.

c) Conclusion

[46] Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la SI. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’aurait pas pu chercher un autre emploi au moment où il a dû se joindre à l’OLP. Notamment, il n’a pas expliqué pourquoi il n’aurait pas pu retourner au Yémen s’il avait refusé de se joindre à l’ALP en Tunisie. Il n’a pas non plus décrit la menace à laquelle il aurait été exposé s’il avait refusé de se joindre à l’OLP. Pour ces motifs, la SI a conclu que le demandeur ne s’était pas joint à l’OLP par nécessité (Latimer).

[47] Le demandeur renvoie à l’affaire Aly, mais la Cour établit une distinction entre celle-ci et la présente affaire en ce que le défendeur avait su démontrer qu’il était exposé au danger imminent d’un renvoi en Égypte, où il craignait d’être détenu, arrêté et torturé (aux para 14, 37). On ne peut pas en dire autant en l’espèce.

[48] Le demandeur s’appuie également sur l’affaire Ruzic pour faire valoir que, lorsque l’exigence applicable à la défense de nécessité se limite à devoir démontrer la présence de menaces immédiates de mort ou de lésions corporelles, elle contrevient à la Charte, puisque c’est précisément ce que la Cour suprême du Canada a conclu au sujet de la défense de contrainte. Après avoir examiné les liens qui unissent les normes objectives modifiées respectivement applicables aux défenses de nécessité et de contrainte, la Cour suprême du Canada a récemment déclaré ce qui suit, dans l’arrêt R c Wong, 2018 CSC 25 [Wong] :

[88] [D]ans l’arrêt R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 32, [la Cour] a appliqué un critère objectif modifié aux éléments du moyen de défense fondé sur la nécessité et souligné que le critère « comporte une évaluation objective, mais […] tient compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé en question » (par. 32). Une norme semblable a été appliquée au moyen de défense fondé sur la contrainte. Dans l’arrêt R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 61, notre Cour s’est inspirée de l’arrêt Latimer pour appliquer une « norme à la fois objective et subjective » afin de déterminer la gravité des menaces dans le contexte de ce moyen de défense. Elle a expliqué que, pour appliquer cette norme, « [l]es tribunaux prendront en considération la situation particulière dans laquelle se trouvait le prévenu et la capacité de celui-ci de discerner une solution raisonnable autre que celle de commettre un crime, compte tenu de ses antécédents et de ses caractéristiques essentielles » (par. 61).

[49] Cependant, la Cour établit une distinction entre l’affaire Ruzic et l’espèce, puisque la SI n’avait à sa disposition aucune preuve de préjudice, imminent ou autre. En outre, les arrêts Latimer et Wong nous indiquent qu’il faut procéder à une évaluation objective tout en tenant compte de la situation et des caractéristiques de la personne en cause. En l’espèce, les motifs de la SI démontrent que c’est précisément ce qui a été fait.

[50] Pour les motifs qui précèdent, la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur n’a pas établi la défense de nécessité était raisonnable.

VI. Conclusion

[51] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La SI n’a pas porté atteinte aux droits du demandeur en matière d’équité procédurale et sa décision était raisonnable.

[52] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑8393‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑8393‑21

 

INTITULÉ :

BASHIR FOUAD ABDELSALAM HARARA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Joshua Slayen

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert L. Gibson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Murphy & Company LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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