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Date : 20230306


Dossier : IMM-2229-21

Référence : 2023 CF 309

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

DELE JIMOH AKANBI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le 16 avril 2015, alors que le demandeur conduisait son véhicule sur une autoroute à Austin, au Texas, il a été arrêté par un agent du service de police d’Austin. Le demandeur, un citoyen du Nigéria, s’était rendu aux États-Unis en 2012 à titre de visiteur et avait élu domicile dans la région d’Austin. Adeola Morenikeji Dosunmu, une citoyenne canadienne, était passagère de la voiture.

[2] Après avoir interrogé le demandeur et Mme Dosunmu, l’agent a conclu qu’il disposait de motifs valables pour fouiller le véhicule et les effets personnels du demandeur. Il a demandé et obtenu l’accord du demandeur pour ce faire. Deux autres policiers sont arrivés sur place et ont participé à la perquisition. Selon les rapports de police, les agents ont notamment trouvé plusieurs permis de conduire appartenant au demandeur et à Mme Dosunmu, de nombreuses cartes bancaires et des cartes de débit prépayées, ainsi qu’une [traduction] « pléthore » de documents relatifs à des renseignements bancaires et à des transferts d’argent. Des documents bancaires ont été trouvés partout dans le véhicule. La police a aussi déclaré qu’elle avait trouvé un document qui s’est avéré être une demande frauduleuse de remboursement d’impôt sur laquelle figurait l’ancienne adresse résidentielle du demandeur au Texas. Lorsqu’elle a examiné les messages texte dans le téléphone du demandeur, la police a trouvé un message de la part d’un certain « Coker », qui avait été envoyé au demandeur plus tôt dans la journée. Le message comprenait des directives concernant le transfert de 20 000 $ vers divers comptes bancaires.

[3] Compte tenu des éléments qu’ils ont découverts au cours de la perquisition, les agents ont conclu que le demandeur et Mme Dosunmu semblaient être liés à [traduction] « une sorte de fraude ». Les agents qui se trouvaient sur les lieux ont communiqué avec un détective des crimes financiers du service de police d’Austin, puis ont saisi un certain nombre d’articles qu’ils avaient trouvés. De plus, les agents ont été mis en contact avec l’agent Witt, un enquêteur local du service postal des États-Unis (USPS), qui enquêtait sur un réseau de fraudeurs ayant des liens avec le Nigéria et le Canada. (Le véhicule du demandeur avait déjà attiré l’attention de l’agent Witt et une alerte avait été mise en place pour faire en sorte que les forces de l’ordre le préviennent si elles l’apercevaient.)

[4] L’agent Witt s’est rendu sur les lieux du contrôle routier peu de temps après avoir été informé de la situation. Compte tenu de ce que la police avait trouvé, il a conclu que les éléments de preuve permettaient de croire à un vol d’identité. Tous les articles saisis par la police ont été remis à l’agent Witt.

[5] L’agent Witt a interrogé Mme Dosunmu sur place. Selon le rapport de l’interrogatoire établi par l’agent Witt, Mme Dosunmu a reconnu qu’elle était en possession de plusieurs pièces d’identité sur lesquelles figuraient les renseignements personnels d’autres personnes. Elle a déclaré que le demandeur (qu’elle soutenait avoir rencontré la semaine précédente dans une boîte de nuit) avait pris plusieurs photos d’elle, puis était revenu avec les pièces d’identité. Elle ne savait pas comment le demandeur avait obtenu les pièces d’identité. Mme Dosunmu a déclaré que, suivant les directives du demandeur, elle avait utilisé les pièces d’identité afin de virer plus de 20 000 $ en son nom au Canada. Il lui avait dit que les fonds étaient liés à la vente de véhicules automobiles.

[6] Deux agents de police ont été dépêchés à Austin, à l’adresse résidentielle que le demandeur avait transmise à la police lors du contrôle routier (une adresse qui figurait également sur un certain nombre de documents trouvés dans son véhicule), soit le 305 East Yager Lane, appartement 1122. Deux hommes s’y trouvaient : Ibrahim Alu et Basit Akintonde. (Il semble que M. Akintonde était simplement en visite à l’appartement. Il n’apparaît plus dans le présent récit.)

[7] M. Alu a accepté d’être interrogé. Il a aussi donné son accord pour que la police et l’agent Witt (qui était également sur place) fouillent l’appartement.

[8] M. Alu a déclaré qu’il louait l’appartement avec un certain George Ismail. Il a affirmé que le demandeur était un ami qui restait là de temps en temps, et qu’il avait une clé de l’appartement. Lorsqu’ils ont fouillé l’appartement, avec l’accord de M. Alu, les enquêteurs ont notamment trouvé des centaines de cartes de crédit prépayées dans un coffre-fort qui était dans une chambre, ainsi que des formulaires médicaux comprenant des renseignements personnels. Bon nombre de ces documents étaient éparpillés dans l’appartement, à la vue de tous. M. Alu a affirmé qu’il ne savait rien au sujet des cartes et des documents et a laissé entendre qu’ils appartenaient peut-être au demandeur. Les enquêteurs ont récupéré des documents semblables dans le véhicule de M. Alu, qu’ils ont aussi fouillé avec l’accord de celui-ci.

[9] Entre-temps, les policiers qui étaient sur les lieux du contrôle routier ont permis au demandeur et à Mme Dosunmu de poursuivre leur chemin.

[10] Le 12 juin 2015, le demandeur est entré au Canada depuis la ville de Windsor, en Ontario, muni d’un passeport américain frauduleux. Le 26 juin 2015, il a présenté une demande d’asile au Canada sous sa véritable identité. En août 2016, le demandeur et Mme Dosunmu se sont mariés à Brampton, en Ontario. En mai 2017, le demandeur, parrainé par Mme Dosunmu, a présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[11] L’enquête américaine sur le réseau de fraude par remboursement et vol d’identité s’est poursuivie. En avril 2016, les autorités sont retournées à l’appartement d’East Yager Lane afin de le fouiller, ainsi que le véhicule de M. Alu, en vertu d’un mandat de perquisition. Ils ont également saisi le téléphone cellulaire de M. Alu.

[12] En septembre 2017, le demandeur, Ibrahim Alu, George Ismail et George Najomo ont été mis en accusation par la cour de district des États-Unis (district de l’ouest du Texas, division d’Austin), et ont été accusés de diverses infractions en matière de fraude et de vol d’identité. Un mandat d’arrestation a été lancé contre le demandeur, mais il n’a pas été exécuté. Les trois autres personnes ont été arrêtées au Texas.

[13] Le 9 avril 2019, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rédigé un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), dans lequel il jugeait que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de cette loi compte tenu de son appartenance à une organisation criminelle, à savoir le réseau de vol d’identité au Texas. Le rapport a été déféré pour enquête à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[14] L’audience devant la SI a eu lieu le 11 février 2021. Le demandeur n’a pas nécessairement reconnu l’existence d’une organisation criminelle telle qu’elle est alléguée, mais il ne l’a pas sérieusement contesté non plus. Il faisait plutôt valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir sa participation dans les activités criminelles présumées de l’organisation.

[15] Dans sa décision rendue oralement le 19 mars 2021, la commissaire de la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR en raison de son appartenance à une organisation criminelle. Elle a également pris une mesure d’expulsion à son endroit. À la suite de cette décision, rendue le 16 avril 2021, la demande d’asile du demandeur a pris fin conformément à l’alinéa 104(2)a) de la LIPR. De plus, le 23 avril 2021, la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée pour le même motif.

[16] En l’espèce, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SI selon laquelle il est interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée. Il a aussi demandé le contrôle judiciaire des décisions par lesquelles sa demande de résidence permanente (IMM-3143-21) et sa demande d’asile (IMM-3456-21) ont été rejetées. Le dossier no IMM-3143-21 a été entendu en même temps que la présente affaire. Il fera l’objet de motifs distincts qui seront publiés en même temps que les présents motifs. Le dossier no IMM-3456-21 a été mis en suspens en attendant l’issue de la présente affaire.

[17] Comme je l’expliquerai dans les motifs qui suivent, le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SI est déraisonnable. Les motifs cités par la SI à l’appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée sont loin d’être parfaits, mais la norme applicable n’est pas celle de la perfection (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 91). Je conviens avec le demandeur que la SI a tiré plusieurs conclusions de fait déraisonnables, mais aucune d’entre elles n’est suffisamment importante pour remettre en question le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. En outre, les motifs de la SI expliquent adéquatement le fondement de sa décision compte tenu de la preuve dont elle disposait, des positions des parties et de la nature de sa tâche au regard de la loi. En dépit des lacunes que comporte la décision, il est possible de discerner une explication motivée quant à son issue, laquelle repose sur une analyse rationnelle et une évaluation raisonnable de la preuve. Ce facteur est suffisant pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 30; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 7). La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. CONTEXTE

A. Les allégations du ministre

[18] Les allégations présentées par le ministre à l’appui de l’argument selon lequel le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée sont les mêmes que celles énoncées dans l’acte d’accusation américain.

[19] En résumé, le ministre a allégué que le demandeur (et ses trois complices aux États-Unis) a recueilli des renseignements personnels auprès de tiers sans méfiance dans le but de commettre des vols d’identité, notamment en présentant des déclarations fiscales frauduleuses pour demander un remboursement, ainsi qu’en obtenant des cartes de crédit au nom des victimes. Ils ont réalisé leur dessein en recueillant les renseignements personnels de patients qui avaient visité des établissements médicaux de la région d’Austin au Texas. Le groupe avait accès à ces installations par l’intermédiaire d’une entreprise de nettoyage détenue et exploitée par George Najomo, l’un des coaccusés dans l’acte d’accusation américain.

[20] Il a été allégué que M. Najomo copiait des formulaires comprenant des renseignements sur les patients et les transmettait à ses complices. Les renseignements ainsi obtenus auraient ensuite été utilisés pour demander des remboursements d’impôt frauduleux, ainsi qu’à d’autres fins frauduleuses. Par exemple, il a été allégué qu’en 2015, 56 déclarations de revenus frauduleuses, remplies à l’aide de renseignements personnels volés, ont été déposées pour demander des remboursements totalisant 827 230 $. Ces remboursements devaient être déposés directement dans un compte de banque associé à au moins une des cartes bancaires saisies auprès du demandeur le 16 avril 2015. (Aucun remboursement n’a été versé, car les déclarations avaient été signalées comme étant possiblement frauduleuses.) De plus, les renseignements personnels consignés dans les formulaires de renseignements sur les patients trouvés dans l’appartement d’East Yager Lane étaient liés à 50 déclarations de revenus suspectes produites en 2014 et 2015. En outre, un examen des cartes de débit prépayées qui avaient été saisies chez le demandeur le 16 avril 2015 a permis de déterminer que 18 d’entre elles avaient été créées à l’aide de renseignements personnels appartenant à d’autres personnes.

[21] Sur la foi de ces allégations, le demandeur et ses trois coaccusés ont été accusés, aux États-Unis, de complot en vue d’obtenir, de manière frauduleuse, des fonds à l’aide de renseignements personnels volés. Le complot se serait poursuivi au moins entre janvier 2013 et le 28 avril 2016. De plus, le demandeur a fait l’objet de l’accusation distincte d’avoir ouvert, de façon frauduleuse, deux comptes bancaires à l’aide des renseignements personnels volés de deux personnes, et d’avoir présenté une déclaration de revenus frauduleuse au nom d’une troisième personne. Les trois autres présumés complices faisaient aussi l’objet d’accusations distinctes dans le même acte d’accusation.

[22] À l’appui de l’allégation selon laquelle le demandeur est interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, le ministre a présenté la preuve documentaire suivante devant la SI :

  • a)Des copies des rapports circonstanciés de première main des policiers qui étaient présents lors des événements du 16 avril 2015 (le jour où la voiture du demandeur a été arrêtée et perquisitionnée et où l’appartement de M. Alu a été fouillé), ainsi que de l’agent Witt, l’enquêteur du service postal des États-Unis qui s’est rendu sur le lieu des diverses perquisitions ce jour-là.

  • b)Des copies de divers documents administratifs produits par le service de police d’Austin dans le cadre de l’enquête.

  • c)Des copies de photos de diverses cartes de crédit et de débit.

  • d)Des copies de relevés de transactions pour divers comptes bancaires de la Bank of America.

  • e)Une fiche de renseignement du patient sur laquelle sont consignées des notes manuscrites.

  • f)Une copie d’un affidavit souscrit le 21 avril 2016 par Jonathan Gebhart, un agent spécial de la direction des enquêtes criminelles du Internal Revenue Service (IRS). L’affidavit a été préparé à l’appui d’une demande visant à obtenir des mandats de perquisition pour l’appartement no 1122 du 305 East Yager Lane, situé à Austin au Texas (désigné comme étant la résidence de George Ismail et d’Ibrahim Alu), et pour le véhicule de M. Alu. L’affidavit donnait un compte rendu détaillé de l’enquête visant le demandeur et d’autres personnes qui auraient participé au réseau de vol d’identité et de fraude jusqu’au moment où l’affidavit a été souscrit. Il comprenait notamment une analyse de la preuve saisie en avril 2015 auprès du demandeur, dans son véhicule, et dans l’appartement d’East Yager Lane.

  • g)Une copie de l’acte d’accusation américain daté du 19 septembre 2017, qui énonce les accusations visant le demandeur et ses coaccusés.

  • h)Une copie du mandat d’arrestation américain délivré contre le demandeur et daté du 19 septembre 2017.

  • i)Une copie du communiqué de presse du 27 septembre 2017 dans lequel le bureau du procureur des États-Unis (district ouest du Texas) annonçait l’arrestation de M. Najomo, de M. Alu et de M. Ismail. Le communiqué de presse indiquait aussi que les autorités [traduction] « cherchaient toujours à arrêter » le demandeur.

  • j)Des copies de divers documents déposés dans le cadre des poursuites criminelles contre le coaccusé du demandeur. Parmi ces documents figurait un mémoire déposé au nom de M. Alu lors de son audience de détermination de la peine, dans lequel il était allégué que le demandeur était le [traduction] « magouilleur en chef » du réseau de vol d’identité, et qu’il avait « dupé tout le monde, y compris ses victimes et ses complices ».

  • k)Une copie d’un communiqué de presse du bureau du procureur des États-Unis (district de l’ouest du Texas) daté du 27 avril 2018. Le communiqué indique qu’en janvier 2018, M. Alu et M. Ismail ont plaidé coupables à un chef d’accusation de complot en vue de commettre une fraude. Il mentionne également que, le 27 avril 2018, M. Alu a été condamné à huit ans d’emprisonnement et M. Ismail à sept ans d’emprisonnement. De plus, ils ont tous deux été condamnés à payer, conjointement et solidairement, un dédommagement d’un montant de 1 358 489 $. (D’autres documents donnaient à penser que M. Najomo s’était enfui après avoir été libéré sous caution. Le dossier ne comprenait aucun renseignement au sujet d’une décision définitive quant aux accusations portées contre lui.)

B. La réponse du demandeur aux allégations

[23] Le demandeur a nié avoir commis l’acte criminel allégué par le ministre.

[24] Avant l’audience, le demandeur a produit des certificats de la police régionale de Peel, de la GRC, du FBI et de l’État du Texas confirmant qu’il n’avait pas de casier judiciaire au Canada ou aux États-Unis.

[25] Le demandeur a également produit des documents déposés en cour relatifs à son action en divorce au Texas. Les documents indiquaient que le demandeur s’était marié en juillet 2013, pendant qu’il vivait au Texas, mais que le couple s’était séparé en février 2015 et qu’une action en divorce avait été engagée à ce moment-là. La femme du demandeur avait demandé le divorce au motif qu’il ne lui avait pas révélé qu’il était déjà marié à une autre femme au Nigéria. Comme je l’expliquerai plus loin, ces documents visaient à corroborer le récit du demandeur selon lequel il avait uniquement séjourné dans l’appartement d’East Yager Lane de façon occasionnelle en raison de sa séparation. Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il a été obligé de quitter le dernier logement où il habitait avec sa femme en avril 2015.

[26] Le ministre a appelé le demandeur à témoigner dans le cadre de l’audience devant la SI.

[27] Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il était arrivé aux États-Unis en 2012 à titre de visiteur. Il n’avait pas de statut dans ce pays, mais il était prévu que sa femme le parraine. Le demandeur et son ex-femme ont vécu ensemble à deux adresses différentes au Texas; la première pendant environ trois ans et la seconde pendant seulement quelques mois avant leur séparation. Le demandeur a déclaré qu’Ibrahim Alu était son ami, et qu’il lui avait permis de rester dans son appartement en avril 2015 lorsqu’il n’avait nulle part où aller après sa séparation. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait jamais eu la clé de l’appartement. Il a déclaré qu’il connaissait George Ismail, qui était le colocataire de M. Alu. Il a aussi reconnu avoir rencontré George Najomo, un ami de M. Alu, qui était venu à l’appartement à quelques reprises lorsqu’il s’y trouvait, mais a déclaré qu’il ne savait rien au sujet de son entreprise de nettoyage.

[28] Le demandeur a reconnu qu’il a été arrêté par la police à Austin, au Texas, le 16 avril 2015, et que Mme Dosunmu était avec lui à ce moment-là. Dans son témoignage, il a affirmé que Mme Dosunmu rendait visite à des amis à Austin et qu’ils venaient tout juste de se rencontrer. Il a nié avoir séjourné dans l’appartement d’East Yager Lane à ce moment-là (même si, comme je l’ai déjà mentionné, il a déclaré qu’il y était resté pendant environ deux semaines plus tôt ce mois-là). Il a reconnu que la police avait fouillé sa voiture avec son autorisation. Cependant, le demandeur a affirmé qu’il ne savait rien des articles que la police affirme avoir trouvés durant la perquisition. En fait, il a nié le fait que la police ait trouvé ou saisi quoi que ce soit qui se trouvait dans sa voiture ou qu’il avait sur lui. Il a nié avoir consenti à ce que ses appareils électroniques soient fouillés et, de toute façon, la police n’a pas fouillé ses appareils ce jour-là. Il a aussi déclaré que Mme Dosunmu lui avait dit qu’elle n’avait pas tenu les propos que l’agent Witt lui avait attribués dans son rapport. (Mme Dosunmu n’a pas témoigné à l’audience devant la SI.)

[29] Le demandeur a aussi déclaré qu’il n’avait jamais vu, au cours de son séjour dans l’appartement d’East Yager Lane, les articles que les enquêteurs ont affirmé avoir trouvés le 16 avril 2015. Quoi qu’il en soit, il ne savait rien à ce sujet. Le demandeur a soutenu que les articles trouvés par la police ne lui appartenaient pas, contrairement à ce que M. Alu a affirmé. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait déjà vu quoi que ce soit de suspect dans l’appartement, le demandeur a seulement déclaré que différentes personnes y allaient et venaient fréquemment. Il ne savait pas ce qu’elles y faisaient puisqu’il s’occupait de ses propres affaires lorsqu’il était à l’appartement. Ce n’est qu’en rétrospective, après avoir lu les documents communiqués par le ministre, qu’il a commencé à penser que cela pouvait être suspect.

[30] Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas été en contact avec M. Alu ou M. Ismail depuis qu’il a quitté les États-Unis pour le Canada en juin 2015.

C. Les observations des parties

[31] L’avocat du ministre a reconnu qu’il incombait au ministre d’établir l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR (citant Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40). L’avocat a expliqué que la norme des motifs raisonnables de croire [traduction] « n’est pas une norme de preuve stricte et exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». L’avocat du ministre a essentiellement fait valoir qu’« il existe des motifs raisonnables de croire lorsqu’il y a un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et crédibles ». Il a aussi mentionné l’article 173 de la LIPR, qui énonce que la SI « n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve », et qu’elle « peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ».

[32] Après avoir examiné les allégations que j’ai résumées en l’espèce, l’avocat du ministre s’est tout particulièrement fondé sur les documents suivants pour étayer l’allégation du ministre selon laquelle le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée : 1) les rapports du service de police d’Austin concernant le contrôle routier du 16 avril 2015; 2) le rapport d’enquête préparé par l’agent Witt (l’enquêteur du service postal des États-Unis); 3) l’affidavit de l’agent spécial Gebhart (l’enquêteur de l’IRS) à l’appui de la demande de mandat de perquisition; 4) l’acte d’accusation américain.

[33] L’avocat du ministre a fait valoir qu’une lecture de ces documents par ordre chronologique [traduction] « énonce la genèse de l’enquête relative à l’activité frauduleuse ». Les divers rapports des enquêteurs [traduction] « sont cohérents sur le plan interne et comprennent des renseignements très similaires »; ils présentent les éléments de preuve relatifs à l’activité frauduleuse, depuis leur saisie jusqu’à leur analyse par les enquêteurs. L’avocat a fait valoir que l’agent Witt, de l’USPS, ainsi que l’agent spécial Gebhart, de l’IRS, ont une formation ainsi qu’une expérience approfondies et spécialisées dans les enquêtes sur les fraudes. De plus, ils n’avaient [traduction] « aucun intérêt direct dans l’issue de l’espèce ». En revanche, le demandeur [traduction] « a bel et bien un intérêt direct dans l’issue de la présente instance ». L’avocat a fait remarquer que, bien que le demandeur [traduction] « nie avoir commis un acte répréhensible, il n’a présenté aucune pièce justificative à l’appui ». L’avocat a fait valoir que davantage de poids devrait être accordé à la preuve présentée par le ministre qu’au témoignage du demandeur.

[34] L’avocat du ministre a également souligné qu’il n’est pas nécessaire d’établir que des accusations criminelles ont été prouvées ou même portées pour établir l’interdiction de territoire (bien qu’en l’espèce, la preuve montrait que le demandeur avait été accusé aux États-Unis).

[35] En somme, selon l’avocat du ministre, la preuve présentée par le ministre est crédible et digne de foi, et elle énonce tous les éléments requis pour établir l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR conformément à la norme de preuve applicable des motifs raisonnables de croire. En revanche, le témoignage du demandeur n’est pas crédible ni digne de foi, et il devrait être rejeté.

[36] En réponse, l’avocat du demandeur (pas M. Kingwell) a soutenu que le ministre n’avait pas présenté une preuve crédible ou digne de foi établissant que le demandeur faisait partie de l’organisation criminelle. Selon l’avocat du demandeur, le ministre [traduction] « affirme que le gouvernement américain a bien présenté ces affidavits, mais ceux-ci renferment de simples affirmations non corroborées, sans qu’aucun témoin n’ait comparu aujourd’hui devant madame la commissaire afin d’éprouver la véracité de ces éléments de preuve ». La preuve présentée par le ministre est uniquement [traduction] « circonstancielle » et ne « démontre pas une participation réelle » de la part du demandeur. En outre, les différents rapports sur lesquels le ministre s’est fondé n’étaient pas fiables en soi, car ils renfermaient [traduction] « plusieurs incohérences », notamment en ce qui concerne les événements du 16 avril 2015. De plus, la crédibilité et la fiabilité des rapports de police consignés lors du contrôle routier ont été mises en doute, car le premier policier avait fait du profilage racial lorsqu’il a décidé d’arrêter le demandeur. L’avocat a également soutenu que la preuve du ministre était déficiente puisqu’aucun des articles qui auraient été saisis auprès du demandeur le 16 avril 2015 n’a été produit en preuve. De plus, aucun document original n’établissait de lien entre le demandeur et les diverses cartes bancaires lui ayant été attribuées ou les comptes qu’il aurait gérés.

[37] L’avocat du demandeur a soutenu que, dans la mesure où la preuve démontrait l’existence d’un réseau de fraude, c’était M. Alu qui en était le principal dirigeant. M. Alu essayait de rejeter le blâme sur le demandeur, qui n’avait absolument rien fait. L’avocat du demandeur a aussi fait remarquer que l’activité criminelle s’était poursuivie au Texas bien après que le demandeur eut déménagé au Canada.

[38] En résumé, l’avocat du demandeur est d’avis que la preuve sur laquelle s’est fondé le ministre [traduction] « relève d’une croisade visant à jeter le blâme sur [le demandeur] en l’absence de preuve à l’appui ou de preuve corroborante ». En l’absence de témoignage direct à l’appui des allégations du ministre, les démentis du demandeur doivent être préférés à la preuve du ministre. Finalement, l’avocat du demandeur a fait référence au [traduction] « casier judiciaire vierge » du demandeur au Canada et notamment au Texas, « où il fait supposément l’objet d’accusations ».

III. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[39] La présentation de la preuve et des observations a pris fin le 11 février 2021. La commissaire de la SI a pris sa décision en délibéré. Elle a rendu sa décision oralement le 19 mars 2021. Elle a conclu que le ministre avait établi que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[40] Les motifs de la commissaire semblent avoir été rendus de façon improvisée. Ils sont mal organisés et parfois difficiles à suivre. Néanmoins, il est possible de dégager les conclusions principales suivantes à partir de ses motifs :

  • Les rapports d’incident établis par les membres du service de police d’Austin, le rapport de l’agent Witt de l’USPS, ainsi que l’affidavit souscrit par l’agent spécial Gebhart, de l’IRS, sont crédibles et dignes de foi. L’information présentée dans ces documents est [traduction] « logique et intrinsèquement cohérente », et « les personnes ayant participé à l’enquête semblent expérimentées, bien formées dans leur domaine et, par conséquent, très probablement bien renseignées ». Par conséquent, la commissaire a jugé exacts les comptes rendus présentés dans ces documents en ce qui concerne la perquisition du véhicule et des effets personnels du demandeur survenue le 16 avril 2015, ainsi que la perquisition de l’appartement d’East Yager Lane dans la même journée. La commissaire a aussi reconnu que les documents établissaient l’existence d’un réseau de fraude d’identité à grande échelle, et que la preuve saisie auprès du demandeur montrait qu’il était lié à ce réseau.

  • Rien ne permet de conclure que le demandeur a été arrêté par la police le 16 avril 2015 parce qu’il a été victime de profilage racial. Au contraire, le demandeur a lui-même avoué que sa conduite automobile avait donné à la police un motif valable pour l’arrêter.

  • Le 22 avril 2015, l’IRS a déposé un remboursement d’impôt frauduleux dans un compte bancaire de la Bank of America associé à une carte de débit prépayée dont le demandeur était en possession lors du contrôle routier du 16 avril 2015. La commissaire a conclu que cette preuve était crédible et digne de foi, et qu’elle établissait un lien direct entre le demandeur et les activités frauduleuses en cause.

  • Des messages texte extraits du téléphone cellulaire de M. Alu (qui avait été fouillé en 2016 conformément au mandat obtenu par l’agent spécial Gebhart) établissaient que M. Alu, M. Ismail et le demandeur s’étaient écrit concernant une carte Mastercard obtenue frauduleusement en 2016. Ce [traduction] « type d’information » confirmait la relation entre le demandeur et ses complices, et indiquait que le demandeur s’était « effectivement livré à une activité frauduleuse en connaissance de cause ».

  • Le demandeur a été aperçu à trois reprises dans son véhicule à l’extérieur d’une résidence [traduction] « soupçonnée d’être directement liée au réseau de fraude canado-nigérien actif à Austin, au Texas ».

  • ·Le nombre considérable de documents et autres éléments de preuve saisis par la police [traduction] « laissent entendre, selon toute vraisemblance, que le demandeur s’est livré aux activités frauduleuses qui sont alléguées dans l’acte d’accusation américain à de nombreuses reprises ».

  • L’allégation de M. Alu selon laquelle le demandeur est le chef de l’organisation criminelle n’est pas crédible compte tenu de la preuve selon laquelle il était [traduction]« en mesure de présenter de fausses déclarations très importantes » dans sa demande d’asile ainsi que de son manque général de crédibilité. La preuve donne plutôt à penser que M. Alu était le chef de l’organisation et que le demandeur en était le numéro deux.

  • Les certificats de police produits par le demandeur n’étaient pas incompatibles avec les allégations du ministre, puisque rien n’indiquait que le demandeur avait été arrêté ou déclaré coupable aux États-Unis. De plus, en l’absence d’information quant aux paramètres exacts des perquisitions dans les documents, les certificats ne soulevaient aucune question en ce qui concerne la crédibilité ou la fiabilité de la preuve du ministre selon laquelle le demandeur fait l’objet d’accusations en instance au Texas.

  • Le demandeur [traduction] « manquait de crédibilité » pour plusieurs motifs.
  • oLes démentis du demandeur concernant sa connaissance du groupe et sa participation dans la fraude étaient [traduction] « très difficiles à croire dans les circonstances », et « il existait des éléments de preuve crédibles et dignes de foi à l’effet contraire ».

  • oEn ce qui concerne le contrôle routier du 16 avril 2015, la commissaire a conclu que [traduction] « la preuve présentée par l’avocat du ministre donne un compte rendu plus exact et digne de foi de ce qui s’est réellement passé » que le récit du demandeur. La commissaire a conclu qu’il était [traduction] « difficile de croire » que la police affirmerait qu’il y avait des documents dans la voiture du demandeur alors que ce n’était pas le cas. En bref, les rapports de police relatant la découverte d’une preuve incriminante dans la voiture du demandeur étaient plus crédibles que les démentis du demandeur.

  • oEn ce qui concerne la déclaration faite par Mme Dosunmu à l’agent Witt le 16 avril 2015, la commissaire a conclu que l’agent Witt l’avait consignée avec exactitude, que Mme Dosunmu aurait dit au demandeur ce qu’elle avait dit à l’agent Witt, et que l’affirmation du demandeur selon laquelle Mme Dosunmu avait nié avoir dit quoi que ce soit à l’agent Witt avait [traduction] « une incidence sur sa crédibilité ». En effet, la commissaire n’a pas accepté que Mme Dosunmu [traduction] « ait menti au demandeur ».

  • oL’allégation du demandeur selon laquelle il n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis parce qu’il ne savait pas qu’il pouvait le faire n’était pas crédible compte tenu de la notoriété du processus d’asile dans ce pays et du fait que le demandeur avait vécu avec deux personnes (M. Alu et M. Ismail) qui avaient présenté une demande d’asile aux États-Unis. Comme ils étaient tous amis, la commissaire a présumé que M. Alu et M. Ismail auraient parlé de leurs demandes d’asile au demandeur. De même, l’allégation du demandeur selon laquelle il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis parce qu’il craignait d’être détenu n’était pas crédible, car il aurait su que ni M. Alu ni M. Ismail n’ont été détenus même s’ils avaient demandé l’asile. Le demandeur a menti lorsqu’il a donné ces explications.

  • oLa commissaire a conclu que le demandeur avait probablement séjourné dans l’appartement d’East Yager Lane [traduction] « pendant une période assez longue », et pas seulement à l’occasion, comme il l’avait déclaré. Il était donc [traduction] « assez incroyable », voire « extrêmement difficile à croire », que le demandeur ait pu vivre dans l’appartement d’East Yager Lane sans remarquer les centaines de cartes bancaires et de formulaires de renseignements sur les patients éparpillés à la vue de tous, comme l’ont constaté les enquêteurs le 16 avril 2015.

  • oÉtant donné que des documents liés à des activités frauduleuses ont été trouvés dans la voiture du demandeur, et que ce dernier vivait avec deux amis qui ont par la suite été reconnus coupables de fraude, il était [traduction] « très difficile de croire » que le demandeur n’ait pas non plus participé à des activités frauduleuses.

[41] La commissaire s’est fondée sur cette évaluation de la preuve pour conclure que le demandeur était membre d’une organisation criminelle composée de lui-même, de M. Alu, de M. Ismail et de M. Najomo, et que l’organisation s’était livrée à diverses activités frauduleuses en ayant recours à des renseignements personnels volés.

[42] En résumé, la commissaire a conclu que le ministre avait présenté une preuve crédible et digne de foi [traduction] « en ce qui concerne l’allégation » et, compte tenu de cette preuve, elle était convaincue que le ministre s’était acquitté de son « fardeau de prouver que l’allégation est exacte ». Par conséquent, la commissaire a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

IV. LA NORME DE CONTRÔLE

[43] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision de la SI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le contrôle judiciaire selon cette norme concerne non seulement le résultat, mais aussi la justification du résultat (lorsque des motifs sont requis) (Société canadienne des postes, au para 29). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Une décision qui présente ces caractéristiques appelle une certaine retenue de la part de la cour de révision (Ibid.). En outre, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136).

[44] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer de nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple formalité; ce type de contrôle demeure rigoureux (Vavilov, au para 13). Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[45] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SI est déraisonnable. Afin de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

V. ANALYSE

[46] Le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision de la SI pour plusieurs motifs, que je résumerais de la façon suivante : 1) la commissaire n’a pas expliqué de façon transparente et intelligible pourquoi elle considérait que les documents présentés par le ministre étaient crédibles et dignes de foi, et n’a pas fait de lien entre les nombreuses conclusions de fait et les éléments de preuve dont elle disposait; 2) les conclusions défavorables de la commissaire en ce qui concerne la crédibilité du demandeur sont déraisonnables parce qu’elles reposent sur des hypothèses non fondées, des considérations non pertinentes, ainsi que des incohérences relativement à d’autres éléments de preuve dont la crédibilité et la fiabilité n’ont pas été expliquées; 3) la commissaire n’a pas expliqué de façon transparente et intelligible pourquoi les éléments de preuve jugés crédibles et dignes de foi constituaient des motifs raisonnables de croire que les faits emportant interdiction de territoire se sont produits.

[47] Avant d’examiner ces motifs, il peut être utile d’énoncer le cadre juridique qui régit les décisions en matière d’interdiction de territoire rendues au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

A. Le cadre juridique applicable

[48] Le ministre a allégué que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Cette disposition énonce ce qui suit :

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

37 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern;

[49] Ainsi, pour établir qu’un étranger ou un résident permanent est interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, le ministre doit établir 1) qu’il existe (ou existait) une organisation criminelle (telle que cette expression est définie) et 2) que la personne en question en est (ou en était) membre. Il incombe au ministre d’établir l’interdiction de territoire (Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 751 au para 14).

[50] Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur n’a pas véritablement contesté l’existence du réseau de vol d’identité et de fraude au Texas (tel qu’il est allégué) ou du fait que ce réseau correspondait à la définition d’organisation criminelle. Il faisait plutôt valoir que le ministre n’avait pas produit une preuve crédible ou digne de foi établissant qu’il avait participé aux activités du groupe.

[51] L’article 33 de la LIPR énonce les règles d’interprétation qui régissent, entre autres, les décisions rendues au titre de l’alinéa 37(1)a) de cette loi. Il énonce ce qui suit :

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[52] L’arrêt Mugesera prévoit que, dans le présent contexte, la norme des « motifs raisonnables [de penser] » exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile [renvois omis] » (au para 114). « La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Ibid.). La norme de preuve n’est pas censée être trop lourde pour le ministre, mais, en même temps, la norme des motifs raisonnables « assure une protection contre l’arbitraire et les mesures étatiques injustifiées », et constitue « un seuil important et significatif » (Thanaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349 au para 21; Pascal, au para 16).

[53] Lorsqu’elle rend sa décision, la SI « n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve », et elle « peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision » (alinéas 173c) et d) de la LIPR). Par conséquent, la SI peut prendre en considération des éléments de preuve provenant de sources susceptibles de ne pas être admissibles devant un tribunal (Bruzzese c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230 au para 50; Pascal, au para 15). Ces sources peuvent comprendre des rapports de police (Pascal, aux para 20-37), des articles de journaux (Bruzzese, aux para 57-58), ou même un livre de type [traduction] « documentaire criminel » écrit par un journaliste (Pascal, aux para 53-62), pour autant que le décideur juge que la source est crédible ou digne de foi. Bien entendu, ce pouvoir discrétionnaire de recevoir des éléments de preuve doit être exercé de manière raisonnable (Pascal, au para 15; Stojkova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 368 au para 15), et tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire « doit être conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé » (Vavilov, au para 108).

[54] Si une certaine latitude est donc accordée à la SI à l’égard des questions de preuve, « le critère minimal des motifs de croire ne justifie pas une absence des faits pour appuyer la croyance raisonnable » (Ariyarathnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 162 au para 70). Une conclusion d’interdiction de territoire doit être fondée sur des faits étayés par la preuve, qui doivent soulever davantage qu’un simple soupçon (Demaria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 489 au para 66).

[55] En bref, pour conclure qu’une allégation d’interdiction de territoire est établie, la SI doit conclure que les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi sont convaincants et crédibles, et qu’ils donnent un fondement objectif permettant de conclure que la personne concernée est interdite de territoire. Pour être raisonnables, ces conclusions doivent être justifiées, transparentes et intelligibles.

B. Les motifs de contrôle

1) L’évaluation de la preuve du ministre par la SI

[56] Le demandeur soutient que l’évaluation, par la SI, de la preuve sur laquelle le ministre s’est appuyé pour établir l’interdiction de territoire est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité. En particulier, le demandeur soutient que la SI a tenu pour acquis le fait que tous les éléments de preuve étaient également pertinents quant à la question de savoir s’il avait eu le comportement qu’on lui reprochait, alors que, dans les faits, la pertinence de ces éléments de preuve était nettement variable. Le demandeur affirme que cela remet en question le caractère raisonnable de la conclusion de la SI selon laquelle la preuve sur laquelle le ministre s’est appuyé est crédible et digne de foi. De plus, selon le demandeur, la commissaire n’a pas établi de lien entre un nombre important de ses principales conclusions de fait et la preuve dont elle disposait.

[57] Comme je l’expliquerai, même si je conviens avec le demandeur que l’évaluation, par la SI, de la preuve du ministre n’est pas aussi transparente ou intelligible qu’elle aurait pu l’être, je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle compromet le caractère raisonnable général de la décision.

[58] Le ministre a présenté plusieurs types d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’article 173 de la LIPR n’impose aucune restriction quant au type de preuve que la SI peut recevoir. La seule exigence prévoit que les éléments de preuve doivent être jugés « crédibles ou dignes de foi en l’occurrence » avant de pouvoir fonder une conclusion de la SI. Néanmoins, lorsqu’elle évalue la preuve qui lui est présentée, la SI doit toujours se demander la nature du fait qu’un élément de preuve vise à établir, autrement dit, la pertinence de la preuve. En effet, le même élément de preuve peut s’avérer crédible ou digne de foi à l’égard d’un fait et ne pas l’être relativement à un autre fait. Par exemple, le communiqué de presse du 27 septembre 2017 pourrait constituer une preuve crédible ou digne de foi concernant l’arrestation de M. Alu, de M. Ismail et de M. Najomo au Texas et la délivrance d’un mandat d’arrestation contre le demandeur, mais pas une preuve crédible ou digne de foi selon laquelle les allégations visant le demandeur sont avérées.

[59] Dans ses observations à la commissaire, l’avocat du ministre s’est tout particulièrement appuyé sur les rapports de police et le rapport de l’agent Witt relatifs aux événements du 16 avril 2015, l’affidavit à l’appui du mandat de perquisition, ainsi que l’acte d’accusation américain. Lorsqu’elle a conclu que le ministre avait établi l’interdiction de territoire du demandeur pour criminalité organisée, la commissaire de la SI a mis ces différents types de preuve sur un même pied d’égalité en ce qui concerne la véracité des allégations portées contre le demandeur sans tenir compte des limites qu’ils renfermaient.

[60] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable, de la part de la commissaire, de se fonder sur deux éléments de preuve connexes afin d’étayer ses conclusions de fait : 1) l’acte d’accusation américain et 2) la preuve selon laquelle M. Alu et M. Ismail ont plaidé coupables au chef de complot figurant dans cet acte d’accusation.

[61] Examinons d’abord le fait que la commissaire se soit fondée sur l’acte d’accusation pour conclure que le demandeur avait été accusé aux États-Unis, mais aussi comme preuve d’un fait clé impliquant le demandeur dans le stratagème frauduleux, c’est-à-dire que le téléphone de M. Alu renfermait des messages texte échangés avec le demandeur au sujet d’une carte Mastercard obtenue frauduleusement. La commissaire a conclu que [traduction] « ce type d’information confirme la relation entre le demandeur, M. Alu et M. Ismail, et indique donc que le demandeur était partie prenante à l’activité frauduleuse et en avait connaissance ». Cependant, aucune autre preuve n’a été produite à l’appui de cette allégation contenue dans l’acte d’accusation (p. ex. un rapport de police faisant état de la perquisition du téléphone de M. Alu).

[62] Si l’acte d’accusation peut constituer une preuve crédible ou digne de foi du fait que le demandeur a été accusé d’infractions criminelles aux États-Unis, il n’établit pas que le demandeur a adopté le comportement qui y est décrit; il s’agit plutôt d’une simple série d’allégations. Il est bien établi qu’« il faut établir une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous-tend les accusations en question » (Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607 au para 35). La commissaire de la SI n’a pas reconnu cette distinction et a plutôt considéré l’acte d’accusation lui-même comme une preuve que les allégations qu’il renfermait étaient véridiques.

[63] Aux fins des présentes, il n’est pas nécessaire d’établir s’il est jamais permis de se fonder sur un acte d’accusation (à lui seul) comme preuve de la véracité des allégations qu’il renferme. L’important, c’est que la commissaire de la SI a simplement présumé que l’acte d’accusation avait la même valeur probante que les rapports de première main rédigés par la police ainsi que l’affidavit de l’agent spécial Gebhart. À cet égard, la décision est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[64] La commissaire a affirmé ce qui suit en ce qui concerne le fait que M. Alu et M. Ismail ont plaidé coupables au chef d’accusation de complot dont le demandeur fait également l’objet :

[traduction]
J’ai beaucoup de mal à croire que vous ayez pu vivre dans ces circonstances, avec deux personnes qui étaient clairement mêlées à cette affaire, lesquelles ont maintenant été condamnées pour fraude, et que vous n’ayez pas été au courant, pas du tout au courant.

Et c’est ce que vous dites également, c’est-à-dire que vous… d’après votre témoignage, vous n’êtes absolument pas au courant de tout cela.

Vous n’avez connaissance d’aucune activité frauduleuse, en dépit des documents trouvés dans votre voiture, de votre lien avec les autres, du fait que vous viviez avec deux personnes qui sont vos amis et qui ont par la suite été déclarés coupables de fraude.

J’ai beaucoup de difficulté à croire, dans ces circonstances, que vous n’ayez pas non plus participé à des activités frauduleuses.

[65] La preuve selon laquelle M. Alu et M. Ismail avaient été déclarés coupables de fraude était constituée d’une note de détermination de la peine préparée par l’avocat de M. Alu ainsi que d’un communiqué de presse daté du 27 avril 2018, qui mentionnait que les deux hommes avaient plaidé coupables à une accusation de complot et avaient été condamnés par la cour de district des États-Unis à Austin, au Texas. Devant la SI, l’avocat du demandeur n’a pas soutenu que ces documents ne constituaient pas une preuve crédible et digne de foi selon laquelle M. Alu et M. Ismail avaient plaidé coupables et avaient été condamnés en lien avec le stratagème auquel le demandeur aurait participé. Par conséquent, la plainte du demandeur selon laquelle la commissaire a commis une erreur relativement à cette preuve en l’absence du dossier de l’instance aux États-Unis est injustifiée à mes yeux. De même, il est tout à fait hypothétique d’affirmer, comme le fait maintenant le demandeur, que les plaidoyers de culpabilité puissent signifier autre chose qu’un aveu sincère de culpabilité de la part des deux hommes. En l’espèce, la question la plus importante — et la plus complexe — est plutôt celle de savoir si leurs plaidoyers de culpabilité constituent une preuve de la participation du demandeur dans le stratagème frauduleux.

[66] À mon avis, la commissaire n’a pas véritablement répondu à cette question. En droit canadien, le plaidoyer de culpabilité d’un coaccusé ne fait pas foi de la culpabilité de l’accusé qui subit son procès : voir, par exemple, R c Simpson, [1988] 1 RCS 3 aux p 16-19; R v Dawkins, 2021 ONCA 113 aux para 13-15. Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence de « règles légales ou techniques » de présentation de la preuve auxquelles la SI n’est pas liée. Ce qui importe, c’est que la commissaire ne s’est pas du tout intéressée à la pertinence de cette preuve. Au contraire, elle a simplement supposé que le fait que les amis et présumés complices du demandeur aient été déclarés coupables aux États-Unis montrait que le demandeur avait aussi joué un rôle dans le stratagème. Cette présomption était aussi déraisonnable. (À la décharge de la commissaire, cette question n’a pas été soulevée par l’avocat du demandeur à l’audience.)

[67] Néanmoins, je ne suis pas convaincu que ces lacunes dans le raisonnement de la commissaire remettent en cause le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. En effet, comme il a été présenté dans les observations à la commissaire, la preuve du ministre reposait sur 1) les rapports de police et le rapport de l’agent Witt concernant les événements du 16 avril 2015 et 2) l’affidavit souscrit par l’agent spécial Gebhart. À la différence de l’acte d’accusation, de la note de détermination de la peine et du communiqué de presse, ces documents sont incontestablement pertinents quant à la question centrale de savoir si le demandeur a effectivement adopté le comportement censé constituer le fondement de son interdiction de territoire. La commissaire a expressément conclu que ces documents constituaient des éléments de preuve crédibles et dignes de foi relativement à cette question. Elle a conclu que l’information consignée dans les documents était [traduction] « logique et intrinsèquement cohérente », et que « les personnes ayant participé à l’enquête semblent expérimentées, bien formées dans leur domaine et, par conséquent, très probablement bien renseignées ». Il était loisible à la commissaire de tirer ces conclusions compte tenu du dossier dont elle disposait. Les facteurs sur lesquels elle s’appuie pour conclure que les rapports et l’affidavit sont crédibles et dignes de foi étayent raisonnablement cette conclusion. En outre, il ressort au moins implicitement des conclusions expresses de la commissaire qu’elle comprenait que les rapports décrivent les méthodes d’enquête de première main utilisées par leurs auteurs, ainsi que leurs propres observations directes sur des éléments de preuve substantiels. Aucun des rapports ne présente simplement l’opinion non fondée selon laquelle le demandeur est (ou était) membre du réseau de fraude par remboursement et vol d’identité.

[68] De même, la commissaire a souligné que l’affidavit de l’agent spécial Gebhart énonçait les motifs probables pour lesquels le demandeur et ses trois présumés complices participaient à une fraude par remboursement et vol d’identité. Il faut présumer que la commissaire comprenait que l’affidavit constitue un témoignage sous serment préparé à l’appui d’une demande d’autorisation judiciaire, et que ce facteur a aussi une incidence sur la crédibilité et la fiabilité de cette preuve.

[69] De plus, la commissaire a expressément examiné au moins une partie des observations du demandeur quant aux raisons pour lesquelles ces documents n’étaient pas crédibles ou dignes de foi. Elle a soulevé des motifs valables pour rejeter l’allégation du demandeur selon laquelle le policier qui l’avait arrêté le 16 avril 2015 avait fait du profilage racial. Elle a aussi rejeté, pour de bonnes raisons, l’argument du demandeur selon lequel les divers rapports de police renfermaient des incohérences importantes.

[70] Considérés ensemble, les documents que la commissaire a expressément jugés crédibles et dignes de foi sont raisonnablement susceptibles d’établir les faits qui constituent le fondement de son constat d’interdiction de territoire. En d’autres termes, la commissaire a raisonnablement conclu que ces documents constituaient une preuve crédible et digne de foi quant à la véracité des allégations portées contre le demandeur. Le fait que la commissaire se soit déraisonnablement fondée sur l’acte d’accusation américain ou sur le fait que M. Alu et M. Ismail ont été déclarés coupables ne change rien à cette décision. Si l’on fait abstraction des conclusions précises concernant les messages texte échangés entre le demandeur, M. Alu et M. Ismail, et du fait que ces derniers ont été déclarés coupables, la commissaire a raisonnablement conclu que la preuve restante était crédible et digne de foi. Plus important encore, la preuve relative aux documents et autres éléments de preuve trouvés dans la voiture du demandeur lors de la perquisition du 16 avril 2015 constitue un fondement suffisant pour conclure que le demandeur fait (ou faisait) partie du réseau de fraudeurs, comme il est allégué. Le fait que la commissaire se soit appuyée à tort sur l’acte d’accusation et le fait que M. Alu et M. Ismail ont été déclarés coupables ne changent rien à la valeur de cette preuve à l’appui des allégations du ministre.

[71] Le demandeur soutient aussi que l’évaluation réalisée par la commissaire au sujet des rapports d’enquête et de l’affidavit est déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’un de ses principaux arguments à savoir pourquoi ces documents ne devraient pas être considérés comme crédibles ou dignes de foi, c’est-à-dire l’absence de preuve sous-jacente aux affirmations factuelles contenues dans les documents (p. ex. des copies des éléments de preuve saisis dans la voiture du demandeur le 16 avril 2015 ou des copies de documents établissant un lien entre le demandeur et les comptes bancaires liés à l’activité frauduleuse). Comme l’indique l’arrêt Vavilov, « le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (au para 128).

[72] Le demandeur a raison de dire que la SI n’a pas examiné cette observation. Néanmoins, je ne suis pas d’avis que le défaut de la commissaire d’examiner cet argument remet expressément en cause le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. La commissaire a certainement compris que l’une des questions clés de l’affaire était celle de la crédibilité ou de la fiabilité des rapports d’enquête sur lesquels le ministre s’était fondé. Il aurait peut-être été préférable que la commissaire explique pourquoi, contrairement à l’observation du demandeur, l’absence de preuve sous-jacente ou de témoignage de vive voix de la part des auteurs des rapports ne minait pas la crédibilité ou la fiabilité des rapports, mais son défaut de le faire ne porte pas atteinte au caractère raisonnable de sa décision selon laquelle les rapports d’enquête sont crédibles ou dignes de foi. En fait, dans les circonstances de l’espèce, le fait d’accorder du poids à cet argument aurait constitué, en soi, une erreur susceptible de contrôle.

[73] À l’appui de sa position, le demandeur renvoie à la règle de la « meilleure preuve », mais il s’agit précisément du genre de règle de présentation de la preuve qui, conformément à l’alinéa 173c) de la LIPR, ne s’applique pas à une procédure d’interdiction de territoire. L’objet des alinéas 173c) et d) de la LIPR est de décharger le ministre du fardeau de produire une telle preuve et de lui permettre de se fonder sur des éléments de preuve indirects ou de seconde main, pour autant qu’ils soient crédibles ou dignes de foi dans les circonstances. Le ministre peut plaider sa cause comme il l’entend; c’est à ses propres risques qu’il prend la décision de ne pas déposer la preuve la meilleure et la plus fiable (Bruzzese, au para 61). En l’absence de décision selon laquelle le demandeur ne bénéficierait pas d’une audience équitable s’il n’avait pas accès à la preuve sous-jacente ni l’occasion de contre-interroger les témoins (et aucun argument en ce sens n’a été présenté devant la SI), le ministre n’est pas tenu de produire cette preuve.

[74] En l’espèce, même si l’on suppose, aux fins de l’argumentation, que la preuve initiale sous-jacente est plus crédible et digne de foi que les rapports à son sujet, cela ne veut pas dire que ces rapports ne sont pas crédibles ou dignes de foi (Bruzzese, au para 61). Toute idée selon laquelle la preuve sous-jacente pourrait miner la crédibilité ou la fiabilité des rapports qui en traitent est entièrement hypothétique. L’argument selon lequel la commissaire ne pouvait pas, de façon raisonnable, établir la crédibilité ou la fiabilité des rapports sans tenir compte de la preuve sous-jacente ou entendre les auteurs des rapports est dénué de fondement.

[75] En résumé, les éléments sur lesquels la commissaire s’est fondée pour tirer ses conclusions de fait sont transparents et intelligibles pour ce qui est des documents clés sur lesquels le ministre s’est fondé. Les facteurs sur lesquels la commissaire s’est appuyée pour conclure que ces documents sont crédibles ou dignes de foi peuvent raisonnablement étayer cette conclusion. Ce constat est suffisant pour répondre aux exigences énoncées dans l’arrêt Vavilov. De plus, les rapports ayant été jugés crédibles et dignes de foi, la commissaire pouvait raisonnablement tirer les conclusions de fait nécessaires pour étayer sa décision définitive concernant l’interdiction de territoire.

2) L’évaluation du témoignage du demandeur par la SI

[76] Le demandeur soutient que les conclusions défavorables de la SI concernant sa crédibilité sont déraisonnables puisqu’elles sont fondées sur des hypothèses non fondées, des considérations non pertinentes, ainsi que des incohérences relativement à d’autres éléments de preuve dont la crédibilité et la fiabilité n’ont pas été expliquées. Bien que je convienne avec le demandeur que les facteurs sur lesquels la commissaire s’est appuyée ne résistent pas tous à un examen minutieux, je ne suis pas d’accord pour dire que la conclusion selon laquelle son témoignage manque de crédibilité est déraisonnable.

[77] À mon avis, la SI a franchi la ligne entre inférence raisonnable et hypothèse injustifiée relativement à trois aspects précis de son évaluation de la crédibilité du demandeur.

[78] Premièrement, comme je le mentionne plus haut, le demandeur a déclaré dans son témoignage que Mme Dosunmu lui avait dit qu’elle n’avait pas tenu les propos que lui attribuait l’enquêteur lors de sa conversation avec l’agent Witt à l’occasion du contrôle routier (voir le paragraphe 5 des présents motifs). La commissaire a conclu que le demandeur avait menti au sujet de ce que Mme Dosunmu lui avait dit sur cette conversation au motif qu’elle avait accepté que l’agent Witt avait consigné l’interrogatoire avec exactitude. Elle a ajouté qu’elle [traduction] « ne [pouvait] faire autrement que croire que [sa] femme serait honnête avec [lui] et [lui] dirait la vérité », en d’autres termes, que Mme Dosunmu aurait admis avoir tenu les propos que lui avait attribués l’agent Witt. Cependant, même si, comme l’a conclu la commissaire, l’agent Witt a consigné l’interrogatoire avec exactitude, la commissaire ne disposait d’aucun motif raisonnable pour présumer que Mme Dosunmu aurait dit la vérité au demandeur concernant l’information qu’elle avait transmise à l’enquêteur. Au vu de la preuve dont disposait la commissaire, il était à tout le moins également possible que Mme Dosunmu ait nié avoir incriminé le demandeur. Par conséquent, il était déraisonnable pour la commissaire de conclure que le demandeur n’avait pas dit la vérité à propos de ce que Mme Dosunmu lui avait dit, pour ensuite contester la crédibilité générale du demandeur pour ce motif.

[79] Deuxièmement, la commissaire a conclu qu’il était [traduction] « extrêmement difficile de croire » que le demandeur pensait réellement qu’il pourrait être détenu s’il présentait une demande d’asile aux États-Unis. Étant donné que le demandeur avait déclaré, dans son témoignage, qu’il le pensait réellement, la commissaire a conclu qu’il avait [traduction] « menti lorsqu[’il a] donné cette information ». La commissaire est arrivée à cette conclusion au motif que le processus de détermination du statut de réfugié aux États-Unis est bien connu et largement médiatisé. Elle a également jugé que, puisque le demandeur, M. Alu et M. Ismail étaient amis, le demandeur aurait su que ceux-ci avaient demandé l’asile aux États-Unis et qu’ils n’avaient pas été détenus.

[80] Encore une fois, la commissaire a formulé des hypothèses à ce sujet. Même si l’on suppose que le demandeur était au courant de la couverture médiatique entourant le processus de détermination du statut de réfugié aux États-Unis (il n’a jamais été interrogé à ce sujet), rien n’indique que les renseignements dont il disposait étaient incompatibles avec son impression selon laquelle les demandeurs d’asile aux États-Unis sont susceptibles d’être détenus. De plus, rien n’indique qu’il savait quoi que ce soit au sujet du statut d’immigrant de M. Alu et de M. Ismail (il n’a pas été interrogé à ce sujet non plus). Dans le même ordre d’idées, compte tenu de l’ampleur de la couverture médiatique du processus de détermination du statut de réfugié aux États-Unis, la commissaire a également conclu qu’il était [traduction] « très difficile de croire » que le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis parce qu’il ne savait pas qu’il pouvait le faire. Or, le demandeur n’a rien dit de tel. La seule raison pour laquelle il n’a pas demandé d’asile aux États-Unis était sa crainte d’être détenu. Pour ces motifs, la conclusion défavorable de la commissaire à ce sujet est déraisonnable.

[81] Le demandeur soutient également que toute la question de savoir pourquoi il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis n’a rien à voir avec les allégations centrales portées contre lui et qu’il était donc déraisonnable pour la commissaire de contester sa crédibilité globale pour ce motif. Comme je vais l’expliquer, je ne suis pas d’accord pour dire que le défaut du demandeur de solliciter l’asile aux États-Unis n’est pas pertinent relativement aux motifs pour lesquels le ministre a allégué qu’il est interdit de territoire.

[82] Compte tenu de la preuve, il est possible d’affirmer que le demandeur a rapidement fui les États-Unis pour le Canada muni d’un faux passeport après que les autorités américaines ont découvert qu’il était lié au réseau de fraude. On peut soutenir que son omission de demander l’asile aux États-Unis même s’il y a vécu sans statut pendant une longue période est sans doute pertinente relativement à la validité de la demande d’asile qu’il a présentée au Canada dans les jours qui ont suivi son arrivée au pays. En outre, la validité de cette demande est pertinente quant à la question de savoir si la véritable préoccupation du demandeur se rapportait davantage au risque qu’il soit poursuivi au Texas pour ses activités criminelles plutôt que persécuté au Nigéria. Ainsi, compte tenu du fait que cette question pourrait donner lieu à une preuve circonstancielle supplémentaire concernant la participation du demandeur au réseau de fraude, on ne peut pas dire qu’elle est sans rapport avec les allégations sous-jacentes. Par conséquent, contrairement à l’observation du demandeur, il n’était pas déraisonnable pour la commissaire d’examiner sa crédibilité relativement à cette question. Néanmoins, comme je l’ai expliqué, je conviens que la manière dont la commissaire a évalué la crédibilité du demandeur à cet égard est déraisonnable.

[83] Troisièmement, comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a déclaré qu’il avait uniquement séjourné dans l’appartement d’East Yager Lane de façon occasionnelle. Après que sa femme et lui se soient séparés, le demandeur avait parfois besoin d’un endroit où habiter, et M. Alu lui permettait de rester à l’appartement. La commissaire a rejeté la preuve du demandeur à cet égard et a plutôt conclu qu’il habitait à l’appartement [traduction] « la plupart du temps ». Pour ce motif, la commissaire a aussi conclu que le demandeur aurait eu connaissance des documents incriminants et autres articles que la police a trouvés dans l’appartement le 16 avril 2015. Cependant, la conclusion selon laquelle le demandeur habitait à l’appartement [traduction] « la plupart du temps » ne reposait sur aucun fondement raisonnable. Aucun effet personnel appartenant au demandeur n’a été trouvé dans l’appartement. La seule preuve selon laquelle le demandeur passait davantage de temps à l’appartement qu’il ne l’a admis émanait de M. Alu, qui avait déclaré à la police que le demandeur possédait une clé de l’appartement. La commissaire a présenté des motifs convaincants selon lesquels M. Alu n’était pas crédible; toutefois, elle n’a présenté aucun motif raisonnable permettant de croire les dires de M. Alu concernant la clé de l’appartement.

[84] Il s’agit de lacunes non négligeables dans l’évaluation, par la commissaire, de la crédibilité du demandeur. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que ces lacunes remettent en cause le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. En ce qui concerne la question centrale de savoir ce qu’il s’est passé le 16 avril 2015, il était loisible à la commissaire de conclure que le témoignage du ministre était crédible et digne de foi, et que le récit, très différent, présenté par le demandeur au sujet des événements survenus ce jour-là ne l’était pas. La commissaire a donné des motifs valables pour évaluer cette preuve comme elle l’a fait. Le bien-fondé de ces motifs n’est pas remis en cause par l’évaluation erronée de la crédibilité du demandeur à d’autres égards. Dans l’ensemble, la preuve du ministre concernant les articles trouvés lors de la perquisition du véhicule du demandeur et de ses effets personnels, les renseignements incriminants présentés par Mme Dosunmu à l’agent Witt, les éléments de preuve trouvés dans l’appartement d’East Yager Lane ainsi que le lien du demandeur avec cette résidence (y compris son séjour pendant environ deux semaines en avril 2015) étaient plus que suffisants pour fournir un fondement objectif permettant de conclure que le demandeur participait aux activités du réseau frauduleux, comme il est allégué.

[85] En bref, le demandeur ne m’a pas convaincu que ces erreurs sont suffisamment importantes, dans le sens où l’évaluation de sa crédibilité par la commissaire aurait probablement été différente si les erreurs n’avaient pas été commises (Rinchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 437 aux para 19 et 21).

3) L’application de la norme de preuve par la SI.

[86] Enfin, le demandeur soutient que la SI n’a pas expliqué de façon transparente et intelligible pourquoi la preuve qui avait été jugée crédible et digne de foi donnait des motifs raisonnables de croire que les faits emportant interdiction de territoire étaient survenus. Le demandeur souligne que le fait que la SI n’a jamais mentionné, de façon explicite, la norme de preuve applicable (telle qu’elle est énoncée à l’article 33 de la LIPR et interprétée dans l’arrêt Mugesera) ou expliqué pourquoi la commissaire avait conclu que la preuve du ministre satisfaisait à cette norme était déterminant.

[87] Même s’il aurait certainement été préférable que la commissaire explique pourquoi le témoignage du ministre, qui avait été jugé crédible et digne de foi, était suffisant pour établir l’interdiction de territoire du demandeur pour criminalité organisée, son omission de le faire ne compromet pas le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[88] Il est bien établi que le fait que les motifs à l’appui d’une décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas à lui seul un fondement justifiant l’annulation de la décision (Vavilov, au para 91, citant Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). De plus, « [o]n ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance » (Vavilov, au para 91). La cour de révision doit « interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus » (Vavilov, au para 94). Cette interprétation comprend les positions des parties devant le décideur administratif (Vavilov, au para 94).

[89] En l’espèce, il n’a pas été contesté que la norme applicable était celle des motifs raisonnables de croire : voir l’article 33 de la LIPR. Dans ses observations devant la SI, l’avocat du ministre a cité l’arrêt Mugesera et a exposé sa position centrale relative au sens de cette norme de preuve (voir le paragraphe 31 des présents motifs). Devant la SI, le demandeur n’a pas laissé entendre que les [traduction] « motifs raisonnables de croire » renvoyaient à autre chose que ce que l’avocat du ministre avait exposé dans ses observations. Au contraire, il a cité les mêmes passages de l’arrêt Mugesera que l’avocat du ministre, et s’est également fondé sur ceux‑ci. Sa position consistait plutôt à dire que cette norme n’avait pas été satisfaite à l’aide d’une preuve crédible ou digne de foi.

[90] Comme je l’ai déjà mentionné, à l’exception de l’acte d’accusation américain et des plaidoyers de culpabilité de M. Alu et de M. Ismail, les principaux éléments de preuve sur lesquels le ministre s’est appuyé étaient incontestablement pertinents quant à la question de savoir si le demandeur s’était livré au comportement présumé établir son appartenance à une organisation criminelle. Compte tenu de la nature de cette preuve, qui établissait des liens à la fois directs et circonstanciels entre le demandeur et les activités du réseau de fraude, l’affaire reposait entièrement sur la question de savoir si la preuve était crédible ou digne de foi. Le demandeur n’a jamais laissé entendre que, même si la preuve du ministre était crédible et digne de foi, elle était insuffisante pour satisfaire à la norme juridique relative aux motifs raisonnables de croire que les faits emportant interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR étaient survenus. Son témoignage et ses observations visaient plutôt à établir que la preuve documentaire du ministre n’était pas crédible ou digne de foi.

[91] Comme je l’ai déjà mentionné, je suis convaincu que la commissaire a raisonnablement conclu que les principaux éléments de preuve documentaire sur lesquels le ministre s’est appuyé étaient crédibles et dignes de foi. Compte tenu de la nature de cette preuve documentaire et de l’exposé factuel qui s’en dégage, une fois cette décision rendue, la seule conclusion raisonnable à laquelle la commissaire pouvait arriver était qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les faits emportant interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR s’étaient produits. De plus, compte tenu de la nature de ces faits, la seule conclusion raisonnable à laquelle la commissaire pouvait arriver était que le demandeur était effectivement interdit de territoire au titre de cette disposition. Même si la commissaire aurait certainement pu en dire davantage quant à l’application de la norme de preuve, son omission de le faire ne laisse aucun doute concernant le raisonnement qui a mené à sa conclusion définitive.

VI. CONCLUSION

[92] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[93] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2229-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2229-21

 

INTITULÉ :

DELE JIMOH AKANBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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