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Date : 20230302


Dossier : IMM‑8004‑21

Référence : 2023 CF 291

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

CESAR OSWALDO SAUCEDO VILLAVERDE

NOEMI EUNICE RIVAS BOLANOS

ANNA VICTORIA SAUCEDO RIVAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,
DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, qui forment une famille originaire du Mexique, craignent le Cartel de Jalisco Nouvelle Génération [le CJNG]. Le demandeur principal, Cesar Oswaldo Saucedo Villaverde, allègue que le CJNG l’a pris pour cible parce qu’il travaillait dans une clinique médicale du Jalisco, au Mexique, où avaient été soignées des victimes de fusillades dont le CJNG voulait la mort. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[2] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR rejetant leur demande d’asile. Les demandeurs ayant été jugés généralement crédibles, la question déterminante que les deux tribunaux devaient trancher était celle de savoir s’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [la PRI] à Mérida, au Yucatán.

[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR [la décision contestée].

[4] Je ne suis pas convaincue que les demandeurs se soient acquittés de leur fardeau d’établir que l’analyse de la SAR concernant la PRI est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[5] Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, la preuve au dossier et la jurisprudence applicable, j’estime que la présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne traitant pas de la preuve établissant que le CJNG est présent au Yucatán?
  1. La conclusion de la SAR selon laquelle le CJNG ne prendrait pas les demandeurs pour cibles est‑elle dénuée de fondement en preuve?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en exigeant une preuve corroborante?

[6] La norme de contrôle présumée s’appliquer aux questions en litige ci‑dessus est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10 et 25. Pour être à l’abri d’une intervention judiciaire, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (au para 99). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise (aux para 125‑126). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (au para 100).

III. Analyse

[7] Une demande d’asile sera rejetée si le demandeur dispose d’une PRI viable : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Pour que sa demande soit accueillie, le demandeur d’asile a le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, i) qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la région proposée à titre de PRI et ii) que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, il serait objectivement déraisonnable ou trop sévère de s’attendre à ce qu’il y déménage : Thirunavukkarasu, précité; Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706; Olasina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 103 au para 4; Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 29.

[8] Je souligne que les demandeurs n’ont pas contesté la décision en ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Par conséquent, seul le caractère raisonnable de la décision concernant le premier volet du critère est pertinent en l’espèce.

[9] De plus, la SAR a conclu que la SPR avait formulé à tort le critère de la PRI en ces termes : « si, selon la prépondérance des probabilités, il existe pour eux une possibilité sérieuse de persécution […] ». Plus précisément, la SAR a conclu que la combinaison des notions de « prépondérance des probabilités » et de « possibilité sérieuse de persécution » était incorrecte. Or, cette formulation est conforme à celle de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thirunavukkarasu.

[10] À mon avis, cette erreur de la SAR n’affaiblit pas le caractère raisonnable de la décision contestée, car la SAR a conclu, comme la SPR, que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre leurs allégations et un motif prévu par la Convention et visé à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ou un risque visé au paragraphe 97(1) de cette même loi. La question au cœur de l’affaire dont je suis saisie est celle de savoir si les demandeurs se sont acquittés de leur fardeau d’établir que la décision contestée, y compris les motifs de la SAR, manque de justification, de transparence ou d’intelligibilité au point d’être susceptible de contrôle, ce qui justifierait l’intervention de la Cour. Comme je l’expliquerai ci‑dessous, je ne suis pas convaincue qu’ils l’aient fait.

[11] J’analyserai maintenant les questions soumises à la Cour.

A. La SAR a‑t‑elle omis de traiter de la preuve établissant que le CJNG est présent au Yucatán?

[12] À mon avis, contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, il ne s’agit pas d’une situation où la SAR a omis de mentionner des éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion : Malveda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 447 au para 43; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF).

[13] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve figurant dans le cartable national de documentation [le CND] de la CISR qui démontre que le CJNG est actif au Yucatán. Or, la SAR a analysé la preuve documentaire précise citée par les demandeurs et ne l’a pas contestée. Bien qu’elle ait pris acte de la preuve selon laquelle le CJNG avait étendu sa présence, au moyen, entre autres, d’alliances possibles, et que le cartel était puissant et violent, elle en est néanmoins venue à une conclusion à mon avis raisonnable, à savoir que la preuve n’établissait pas que le groupe était actif au Yucatán ou particulièrement à Mérida.

[14] Je conclus que les observations des demandeurs traduisent un désaccord avec la manière dont la SAR a examiné et apprécié la preuve sur laquelle ils avaient attiré l’attention; essentiellement, les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision contestée : Vavilov, précité, au para 125.

B. La conclusion de la SAR selon laquelle le CJNG ne prendrait pas les demandeurs pour cibles est‑elle dénuée de fondement en preuve?

[15] Contrairement aux demandeurs, je ne suis pas convaincue que la SAR ait commis une erreur dans son évaluation de la question de savoir si le CJNG est motivé à les poursuivre et s’il a les moyens de le faire. À mon avis, dans les circonstances, la SAR a raisonnablement conclu qu’ils ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau d’établir que le CJNG était motivé à les rechercher. De plus, les moyens dont dispose le CJNG pour les retrouver n’étaient la question déterminante ni pour la SPR ni pour la SAR.

[16] Les demandeurs font valoir que la SAR a admis que le CJNG les prenait pour cibles et que, de façon illogique, elle a supposé qu’ils n’étaient pas suffisamment en vue pour que le cartel mobilise des ressources importantes pour les retrouver. Cependant, la SAR a conclu que le CJNG ne serait pas motivé à rechercher les demandeurs non pas en raison des ressources nécessaires pour y parvenir, mais plutôt parce que la preuve ne suffisait pas à établir que le cartel y verrait un intérêt.

[17] À mon avis, il était loisible à la SAR, et il n’était pas déraisonnable dans les circonstances, d’appuyer cette conclusion sur l’insuffisance de la preuve : Torres Zamora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1071 au para 14.

C. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en exigeant une preuve corroborante?

[18] J’estime que cette question se rattache aussi aux conclusions de la SAR concernant l’insuffisance de la preuve. Par conséquent, comme je l’explique, la réponse courte à la question est non.

[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en exigeant qu’ils produisent, en plus de leur témoignage crédible, une preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que le CJNG les prenait pour cibles ou les recherchait : Dayebga c Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 842 aux para 26‑28.

[20] Cependant, la SAR s’est concentrée sur l’insuffisance de la preuve présentée pour établir que le CJNG avait la motivation de poursuivre les demandeurs. Elle a souligné que la preuve était généralement insuffisante, notamment en ce qui concerne la question de savoir si le CJNG avait également pris pour cibles des collègues du demandeur principal à la clinique au moment de l’incident qui l’avait amené à prendre les demandeurs pour cibles. Elle a également souligné l’insuffisance de la preuve présentée pour établir que le CJNG était l’agent du préjudice, qu’il recherchait activement les demandeurs, qu’il surveillait leurs allées et venues, ou qu’il saurait ou découvrirait qu’ils sont de retour au Mexique, le cas échéant, et à quel endroit.

[21] Là encore, je conclus qu’il était loisible à la SAR, et qu’il n’était pas déraisonnable dans les circonstances, de conclure que la preuve, dans un contexte où l’on s’attendrait à ce que d’autres éléments soient produits, était insuffisante pour établir l’existence d’un risque pour les demandeurs : Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 26.

[22] En outre, le fait que la SAR aurait pu tirer une conclusion différente à partir de la preuve dont elle disposait ne rend pas son analyse viciée ou déraisonnable : Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 563 au para 11; Solis Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 203 au para 43.

IV. Conclusion

[23] Je conclus que la SAR a fourni des motifs qui, considérés dans leur ensemble, permettent à la Cour de comprendre pourquoi elle a rejeté l’appel : Vavilov, précité, aux para 102‑104. Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[24] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑8004‑21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8004‑21

 

INTITULÉ :

CESAR OSWALDO SAUCEDO VILLAVERDE, NOEMI EUNICE RIVAS BOLANOS, ANNA VICTORIA SAUCEDO RIVAS c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Luis Antonio Monroy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alison Engel‑Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Luis Antonio Monroy

Monroy Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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