Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230302

Dossier : IMM-5409-22

Référence : 2023 CF 297

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 mars 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

TIRATH SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Dans la présente instance, il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 10 mai 2022.

[2] La SAR a conclu que le demandeur était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »), car il disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable (la « PRI ») à Hyderabad, en Inde.

[3] Le demandeur a soutenu que la décision était déraisonnable selon les principes établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. La demande sera donc rejetée.

I. Les faits et les événements à l’origine de la demande

[5] Le demandeur est arrivé au Canada en janvier 2017 muni d’un visa de visiteur.

[6] Le 29 décembre 2018, le demandeur a demandé l’asile au titre de la LIPR, au motif qu’il craignait d’être persécuté par des membres de certains partis politiques et par la police en Inde en raison de son appartenance à un autre parti politique.

[7] Le demandeur a fondé sa demande sur les éléments qui suivent. Il a affirmé qu’en 2014, il s’était joint au parti Aam Aadmi (le « PAA »), un parti politique en Inde, et qu’il avait fait campagne pour un candidat de ce parti lors d’une élection provinciale subséquente. En décembre 2016, au cours de cette campagne, il a reçu des menaces de membres d’autres partis politiques. Des partisans de partis rivaux l’ont attaqué en janvier 2017. Le demandeur a indiqué que ces événements avaient été signalés à la police, mais que celle-ci n’avait pris aucune mesure. Puis, en juillet 2018, des policiers l’ont arrêté à son domicile, l’ont détenu illégalement et l’ont torturé. Ils ont pris ses empreintes digitales et une photo et lui ont dit qu’ils le trouveraient n’importe où en Inde.

[8] Lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés (la « SPR »), le demandeur a modifié sa demande d’asile. Il a déclaré qu’il n’était plus membre du PAA, mais qu’il s’était joint au mouvement pour le Khalistan, qui est en faveur d’un État indépendant pour les sikhs.

[9] Par une décision datée du 23 décembre 2021, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 ni celle de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle avait des doutes importants quant à la crédibilité du demandeur et a jugé qu’il disposait d’une PRI viable à Hyderabad.

[10] Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR. Dans une décision datée du 10 mai 2022, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI viable à Hyderabad.

II. Principes juridiques

A. Norme de contrôle applicable

[11] Les parties ont toutes les deux soutenu, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[12] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un examen empreint de déférence et rigoureux de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12-13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, particulièrement aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33, 61.

B. Possibilité de refuge intérieur

[13] L’une des questions importantes dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI est raisonnable.

[14] La Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets relatif à la PRI aux paragraphes 8 à 10 de l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706. Ce critère exige que la SAR soit convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que : 1) le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI; et 2) compte tenu de toutes les circonstances, dont celles étant particulières au demandeur d’asile, la situation dans la ville proposée comme PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge. Il incombe au demandeur d’établir que la PRI est déraisonnable. Voir également les décisions Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164 [Ranganathan] au para 15; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 aux pp 595-599.

[15] Dans l’arrêt Ranganathan, la Cour d’appel fédérale a conclu que le deuxième volet exige une preuve « réelle et concrète » de « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » : Ranganathan, au para 15. Elle a toutefois noté qu’il y avait une grande différence entre ces circonstances et les épreuves indues résultant de la perte d’un emploi, d’une diminution de la qualité de vie, de l’absence de parents ou d’êtres chers dans la ville proposée comme PRI et d’autres circonstances comparables.

III. Analyse

[16] Le demandeur a présenté deux arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle la décision de la SAR était déraisonnable. Je les examine à tour de rôle ci-après.

A. Absence d’éléments de preuve corroborants de la part des parents du demandeur

[17] En ce qui concerne le premier volet de l’analyse de la PRI, la SAR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté par des partis politiques rivaux en raison de son appui au PAA. Elle a examiné le témoignage du demandeur au sujet de sa prétendue arrestation et de sa détention par la police, ainsi que son allégation selon laquelle il avait ensuite été poursuivi par la police et des membres de partis politiques rivaux en raison de ses activités politiques. Le demandeur a déclaré que des opposants politiques et la police avaient continué à le chercher et s’étaient rendus à son domicile en Inde. La SAR a relevé l’absence de toute mention de ces visites dans l’exposé circonstancié du formulaire « Fondement de la demande d’asile » (le formulaire FDA) du demandeur.

[18] La SAR n’a pas souscrit à l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait commis une erreur en ne présumant pas de la véracité de son témoignage au sujet des visites des partis rivaux et de la police et en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant uniquement sur l’absence d’éléments de preuve corroborants. L’un des points litigieux était l’absence d’élément de preuve de la part des parents du demandeur.

[19] Devant la Cour, le demandeur a contesté la conclusion de la SAR selon laquelle il serait raisonnable de s’attendre à ce que ses parents corroborent sa détention illégale par la police. La position juridique du demandeur à l’égard de la fourniture d’éléments de preuve corroborants par ses parents est clairement résumée au paragraphe 24 de la décision Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, [2020] 4 RCF 617 :

Or, les éléments d’une demande d’asile ne sont pas tous susceptibles d’être corroborés. Étant donné que les actes de persécution sont généralement illégaux ou immoraux, l’on ne peut pas s’attendre à ce que les agents de persécution fournissent des preuves écrites de leurs méfaits. Ils peuvent tenter de supprimer ou de cacher de telles preuves : Ndjavera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 (Ndjavera), au paragraphe 7. Les tiers qui sont témoins d’actes de persécution peuvent s’exposer à des risques s’ils fournissent des déclarations écrites. Lorsque les demandeurs d’asile allèguent que la police ne les a pas protégés, il est inutile de demander un rapport de police attestant ce fait : Fontenelle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1155, aux paragraphes 46 et 47.

[20] Le demandeur a soutenu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que ses parents fournissent une déclaration ou des explications, et a mentionné qu’il n’avait pas demandé à ses parents de rédiger une lettre de soutien parce qu’ils avaient peur et que, ce faisant, ils se seraient exposés à des risques (ils vivaient dans le même village que la police). Il a fait valoir que la SAR n’avait pas évalué son explication et qu’elle n’avait pas tenu compte de ses arguments écrits ni de la jurisprudence à l’appui. Il a également affirmé qu’il était inutile de demander à la police des éléments de preuve à l’appui de sa position et qu’il avait déposé une déclaration du Sarpanch (chef du conseil du village) à l’appui de sa demande.

[21] Le défendeur a fait valoir qu’un décideur peut exiger des éléments de preuve corroborants s’il explique les raisons pour lesquelles il en exige, par exemple, s’il doute de la crédibilité du demandeur (Senadheerage, au para 34). Il a soutenu que la SAR avait bien expliqué les raisons pour lesquelles elle exigeait une corroboration. Elle avait notamment des doutes quant à la crédibilité du témoignage du demandeur au sujet d’une prétendue agression par la police en 2017 et quant à la crédibilité de ses allégations selon lesquelles la police et des membres de partis rivaux avaient continué à le rechercher, ce qui n’avait pas été mentionné dans le formulaire FDA. Le défendeur a également soutenu que les arguments du demandeur équivalaient à un désaccord avec les conclusions de la SAR sur le fond, mais qu’ils ne constituaient pas un motif de contrôle judiciaire (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 25).

[22] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR.

[23] La SAR a fourni plusieurs raisons pour expliquer son désaccord avec les observations du demandeur. Elle n’a pas fondé son analyse uniquement sur l’absence d’éléments de preuve corroborants de la part des parents du demandeur. En particulier :

  • a)La SAR a conclu que le témoignage du demandeur était « vague, évasif et contradictoire à première vue », une conclusion qui n’a pas été contestée devant la Cour. Cette conclusion était étayée par des motifs explicites, et il était raisonnablement loisible à la SAR de la tirer au vu du dossier.

  • b)La SAR a fait observer à juste titre que le formulaire FDA du demandeur ne contenait aucune mention des visites de la police et des membres de partis rivaux, et elle n’a trouvé aucune explication raisonnable pour justifier cette omission. Dans ses motifs, elle a noté que le formulaire FDA avait été déposé un an après l’arrivée du demandeur au Canada, et que ce dernier avait déclaré n’avoir inclus aucun renseignement au sujet des visites parce qu’il était « sous pression » et qu’il était « tellement stressé [qu’il ne s’en était] pas souvenu ».

  • c)La SAR s’est fondée sur l’absence d’éléments de preuve dans l’affidavit du Sarpanch attestant de la détention du demandeur par la police. À la lecture de l’affidavit, il était manifestement loisible à la SAR de tirer sa conclusion. Contrairement à ce que prétend le demandeur, je ne crois pas que la SAR s’attendait à ce que la police fournisse des éléments de preuve corroborants.

  • d)Enfin, la SAR a fait remarquer que le demandeur n’était plus membre du PAA, alors que sa participation servait de fondement à sa demande d’asile. Plus loin dans ses motifs, la SAR a mentionné que le demandeur avait mis fin à ses activités au sein du PAA et qu’il avait commencé à appuyer le mouvement pour le Khalistan en 2020.

[24] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la déclaration de la SAR selon laquelle « il serait raisonnable de s’attendre à ce que les parents [du demandeur] corroborent non seulement les visites, mais également sa supposée détention par la police, étant donné qu’ils ont payé un pot-de-vin pour obtenir sa mise en liberté ».

[25] La Cour a conclu dans la décision Senadheerage qu’un décideur ne peut exiger des éléments de preuve corroborants que dans les cas suivants : 1) il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité du demandeur d’asile, l’invraisemblance du témoignage du demandeur d’asile ou le fait qu’une grande partie de la demande d’asile repose sur le ouï-dire; 2) on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve soient accessibles et, après avoir été invité à le faire, le demandeur d’asile a omis de donner une explication raisonnable pour ne pas avoir pu les obtenir : Senadheerage, au para 36.

[26] En l’espèce, l’analyse de la SAR montre clairement qu’elle connaissait les deux critères établis dans la décision Senadheerage et qu’elle les a appliqués. En ce qui concerne le premier, elle a souscrit aux doutes de la SPR concernant la crédibilité du demandeur. La SAR a conclu que le témoignage du demandeur au sujet des visites de la police et de membres de parti rivaux était vague, évasif et contradictoire à première vue. Elle a également expressément convenu avec la SPR qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables démontrant qu’il avait été arrêté et détenu par la police en 2017. En ce qui concerne le deuxième critère, la SAR a conclu que le demandeur avait omis de mentionner les visites de la police et des membres de partis rivaux dans son exposé du formulaire FDA, et qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable. Plus haut dans ses motifs, elle a également cité le demandeur qui, dans son témoignage, avait expliqué pourquoi il n’avait pas présenté de lettres de ses parents pour corroborer les visites (« ils ont peur »). La SAR a expressément conclu qu’il serait « raisonnable » de s’attendre à ce que les parents du demandeur corroborent les visites.

[27] Par conséquent, la première observation du demandeur sera rejetée.

B. Omission de tenir compte de la persécution en tant que sikh et partisan du Khalistan

[28] Le demandeur a soutenu que la SAR avait commis une erreur dans son analyse de la PRI en examinant uniquement la question de savoir s’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur en Inde en tant que sikh. Selon lui, la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’il était un sikh fervent qui appuie et préconise également la création d’un État sikh indépendant du Khalistan dans son analyse.

[29] Le demandeur a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’une lacune fatale d’avoir mis à jour son formulaire FDA au début de l’audience de la SPR afin d’ajouter qu’il était un défenseur du Khalistan et un électeur inscrit lors d’un référendum en faveur de celui-ci. Il a soutenu que la SAR n’avait pas analysé les paragraphes de ses observations écrites décrivant les risques auxquels il serait exposé en tant que défenseur d’un Khalistan indépendant et expliquant qu’il ne pouvait pas exprimer ses convictions politiques en toute sécurité où que ce soit en Inde.

[30] Le défendeur a fait remarquer que la SPR et la SAR avaient conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait des croyances profondes en faveur d’un État du Khalistan ni qu’il était un membre actif du mouvement pour le Khalistan. Il a fait valoir que la SAR était parvenue à cette conclusion en se fondant raisonnablement sur le changement tardif et important apporté à la demande d’asile du demandeur.

[31] Je suis en grande partie d’accord avec le défendeur.

[32] La SAR a rédigé 11 paragraphes détaillés pour expliquer son raisonnement sous la rubrique « Aucune possibilité sérieuse de persécution en tant que défenseur d’un Khalistan indépendant ». Ses conclusions sur cette question étaient les suivantes (aux paragraphes 32 et 35 des motifs de la SAR) :

À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conviens avec la SPR que [le demandeur] n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est un membre actif du mouvement pour le Khalistan ou qu’il a des opinions profondes sur le sujet, à part le fait d’avoir présenté une carte d’inscription de l’électeur au référendum du Pendjab sur le Khalistan.

[…]

Malgré les simples observations [du demandeur], je conviens avec la SPR que ce dernier n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son appui au Khalistan représente une opinion politique profonde et un aspect inné de son identité, si bien que le fait de s’abstenir d’exprimer son appui au Khalistan ne porterait pas atteinte à un droit fondamental et ne constituerait pas de la persécution.

[33] Pour arriver à cette conclusion, la SAR a effectué une analyse détaillée, que je décris ci‑dessous :

  • Elle a reconnu qu’il était bien établi en droit qu’il ne peut être demandé à un demandeur d’asile de renoncer à des croyances profondes ou de cesser d’exercer ses droits fondamentaux, ou encore de cacher, de nier ou de refouler des aspects innés de son identité pour éviter la persécution.

  • Elle a pris acte de la position du demandeur selon laquelle il n’y avait rien de mal à mettre à jour son exposé circonstancié au début de l’audience et qu’il n’était pas nécessaire de présenter d’autres éléments de preuve à l’appui. La SAR a expliqué que les Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles de la SPR) énonçaient clairement la procédure à suivre pour apporter des changements ou ajouter des renseignements à un formulaire FDA et précisaient que ces modifications devraient être transmises sans délai et être reçues par la SPR au plus tard dix jours avant la date fixée pour l’audience. Étant donné l’importance des allégations du demandeur au sujet de son appui au mouvement pour le Khalistan, et comme il était représenté par un conseil, la SAR a jugé que les explications qu’il avait données pour ne pas avoir présenté de version modifiée du formulaire FDA n’étaient pas raisonnables et qu’elles entachaient la crédibilité de ses allégations.

  • Elle a conclu que, comme le temple sikh du demandeur se trouvait au Canada et que ses prétendues activités à l’appui du mouvement pour le Khalistan avaient toutes eu lieu au Canada, l’explication donnée par le demandeur pour ne pas avoir fourni de lettres corroborant ses activités n’était pas raisonnable. L’explication déraisonnable et l’absence d’effort de sa part pour obtenir de telles lettres appuyaient une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

· Elle a exposé la position du demandeur selon laquelle il s’était inscrit comme électeur au référendum de 2020 sur le Khalistan, qu’il militait pour le Khalistan au temple sikh afin de demander aux gens d’élever leur voix en faveur du Khalistan, et qu’il continuera de le faire partout où il ira en Inde.

· Elle a analysé le témoignage du demandeur au sujet de sa participation au mouvement pour le Khalistan, qui a révélé qu’il avait mis fin à ses activités au sein du PAA environ un an avant l’audience de la SPR, alors qu’il se trouvait au Canada. Le demandeur a déclaré qu’il avait prononcé des discours au temple et qu’il avait demandé aux gens de voter pour une patrie sikhe distincte. Il avait commencé à prononcer ces discours six mois avant l’audience et il en avait fait cinq ou six. Il n’avait participé à aucune autre activité.

· Elle a examiné les raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas mentionné sa participation au mouvement pour le Khalistan au Canada avant l’audience de la SPR, à savoir qu’il n’avait pas eu l’occasion d’en parler plus tôt, qu’il était occupé à faire son travail de camionneur et qu’il avait ensuite parlé à son conseil.

· Elle a examiné le contenu d’une réponse à une demande d’information de 2019 préparée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada concernant le traitement des partisans du Khalistan à l’extérieur du Pendjab, intitulée « Information sur la situation des sikhs à l’extérieur de l’État du Pendjab, y compris le traitement qui leur est réservé par les autorités et la société; information sur la possibilité pour les sikhs de se réinstaller ailleurs en Inde; information sur le traitement réservé aux partisans ou aux présumés partisans du Khalistan à l’extérieur du Pendjab (2017-octobre 2019) ».

· Elle a pris acte des observations du demandeur selon lesquelles la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’était pas un membre actif du mouvement pour le Khalistan et qu’il n’avait pas d’opinions profondes en faveur du Khalistan qui donneraient lieu à une possibilité sérieuse de persécution en Inde. Elle a également pris acte de l’observation du demandeur selon laquelle il était un ardent partisan et défenseur du Khalistan et qu’il continuerait de défendre cette cause, peu importe où il se trouve en Inde.

[34] Le demandeur n’a pas contesté l’évaluation par la SAR des risques auxquels il serait exposé en tant que sikh de retour en Inde. Il a soutenu que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle n’avait pas tenu compte de ses observations écrites, dans lesquelles il décrivait les risques auxquels il craignait d’être exposé en tant qu’homme sikh et en tant que défenseur d’un Khalistan indépendant.

[35] À mon avis, pour que la SAR soit légalement tenue d’analyser le risque allégué pour le demandeur par rapport à ces motifs, le demandeur devait démontrer (et la SAR devait accepter) qu’il possédait des caractéristiques personnelles qui l’exposaient à une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’article 96 de la LIPR ou à des mauvais traitements au titre du paragraphe 97(1), à la fois en tant que sikh et en tant que défenseur du Khalistan, comme il le prétendait. Selon la preuve, il ne satisfaisait pas au deuxième élément. Aux paragraphes 32 et 35 de ses motifs, la SAR a conclu que le demandeur ne possédait pas de telles caractéristiques personnelles; il n’avait pas démontré que le fait qu’il défendait la cause du Khalistan constituait un motif de persécution reconnu par la Convention. Sans ce fondement factuel, la SAR n’était pas tenue en droit de procéder à une analyse plus approfondie des risques possibles auxquels le demandeur serait exposé en tant que défenseur du Khalistan. Autrement dit, la SAR n’a pas admis que le demandeur était un membre actif du mouvement pour le Khalistan ou qu’il avait des opinions profondes sur le sujet et, par conséquent, elle n’avait pas à se demander s’il risquait d’être persécuté ou maltraité pour cette raison à son retour en Inde.

[36] Le demandeur a également soutenu que les conclusions de la SAR découlaient d’une erreur dans l’analyse de la question de savoir s’il était autorisé à modifier son formulaire FDA à l’audience. Il a fait valoir qu’il n’avait apporté qu’un seul changement (pour préciser qu’il soutenait le Khalistan plutôt que le PAA) et que le défendeur n’avait subi aucun préjudice. Il a ajouté que la SAR n’aurait donc pas dû tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[37] La Cour a souvent déclaré que tous les faits et détails importants relatifs à une demande d’asile doivent figurer dans le formulaire FDA initial et que l’omission de les mentionner peut nuire à la crédibilité d’un demandeur d’asile : voir, par exemple, Oketokun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 232 au para 17; Occilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 374 aux para 20-21, 23-24.

[38] Le demandeur n’a pas allégué que la SAR avait commis une erreur de droit lorsqu’elle a tiré ses conclusions en matière de crédibilité à cette étape de ses motifs.

[39] À mon avis, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir relativement aux conclusions de la SAR. Les événements qui ont fait en sorte que le demandeur modifie sa demande sont survenus après qu’il a déposé son formulaire FDA, soit environ un an avant l’audience de la SPR, et le demandeur n’a pas modifié sa demande avant que l’audience ne débute. Les motifs de la SAR démontrent qu’elle était consciente des circonstances et qu’elle a pris en compte plusieurs facteurs, y compris les doutes quant à la crédibilité du demandeur, avant de conclure que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’il était un membre actif du mouvement pour le Khalistan ou qu’il avait des opinions profondes sur le sujet (à part le fait d’avoir présenté une carte d’inscription de l’électeur au référendum du Pendjab sur le Khalistan). La SAR a tenu compte du changement tardif apporté à la demande d’asile du demandeur ainsi que des règles applicables de la SPR, du fait que le changement était important et que le demandeur était représenté par un conseil, de son témoignage visant à expliquer le changement, de l’étendue de sa participation au mouvement pour le Khalistan et de l’absence de lettres d’appui de la part de personnes fréquentant son temple au Canada pour corroborer l’allégation selon laquelle il menait des activités de défense du Khalistan. Avant de tirer ses conclusions générales sur ce sujet (au paragraphe 35 de ses motifs), la SAR a également examiné les éléments de preuve objectifs contenus dans la réponse à une demande d’information de la CISR concernant le traitement réservé aux partisans du Khalistan à l’extérieur du Pendjab, en Inde, ainsi que les observations du demandeur.

[40] Le demandeur n’a pas démontré que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables, étant donné que le changement important touchait le cœur de sa demande d’asile. Dans ses observations sur la crédibilité, il demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et les circonstances qui ont mené à une conclusion défavorable en matière de crédibilité, et de ne pas tenir compte des autres motifs fournis par la SAR qui n’ont pas été contestés dans la présente demande, afin de contester la conclusion générale. Selon l’arrêt Vavilov, aucun fondement admissible ne permet de le faire dans la présente demande : Vavilov, aux para 100, 125-126.

[41] Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la question de savoir si le demandeur sera victime de persécution en tant qu’homme sikh et en tant que partisan du Khalistan.

IV. Conclusion

[42] En conséquence, la demande sera rejetée.

[43] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5409-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5409-22

INTITULÉ :

TIRATH SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A. D. LITTLE

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2023

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

Pour le demandeur

Erica Louie

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aman Sandhu

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Erica Louie

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.