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Date : 20060320

Dossier : IMM-5312-05

Référence : 2006 CF 362

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2006

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

SAMSHER SINGH GHOTARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée du 13 juillet 2005. Le tribunal a conclu que le demandeur était exclu de l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention et de la qualité de personne à protéger en vertu des alinéas 1F(a) et 1F(c) de l'article premier de la Convention.

QUESTION EN LITIGE

[2]                Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour?

[3]                Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est négative et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Le demandeur est citoyen de l'Inde. Il est né le 26 octobre 1957 à Chhat Bir, dans l'état du Punjab.

[5]                Le demandeur était agriculteur avant de rejoindre les forces armées indiennes de 1976 à 1991. En 1992, il quitta l'armée pour travailler au sein de la police de la ville de Chandigarh jusqu'en 2004. De 2001 à 2004, le demandeur fit partie de l'unité anti-terroriste « CIA START » .

[6]                En juillet 2001, un suspect membre du groupe « International Sikh Youth Federation » meurt alors qu'il avait été détenu et torturé par les collègues du demandeur.

[7]                Suite à cet événement, le demandeur et certains de ses collègues commencèrent à recevoir des menaces de mort. Le demandeur reçut une première lettre de menaces en février 2002.

[8]                En novembre 2003, des inconnus visitèrent le domicile du demandeur alors qu'il était absent, et déclarèrent à ses enfants qu'ils allaient tuer leur père. Le demandeur envoya alors ses enfants et sa femme vivre chez ses beaux-parents et évita de demeurer dans sa résidence le plus possible.

[9]                En janvier 2004, il reçut une seconde lettre de menaces par la poste. C'est alors qu'il décida de démissionner et de quitter l'Inde, croyant qu'il ne pourrait nulle part y être en sécurité.

[10]            Le demandeur voyagea avec un faux passeport qu'il a détruit dans l'avion, et arriva au Canada le 5 août 2004. Il présenta immédiatement une demande d'asile.

DÉCISION CONTESTÉE

[11]            Dans ses motifs, le tribunal s'est appuyé sur Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.) en déterminant qu'il n'était pas nécessaire de statuer sur le bien-fondé de la demande d'asile du demandeur avant de se pencher sur la question de la possibilité d'une exclusion en vertu de l'article premier de la Convention.

[12]            Après avoir rappelé que le défendeur avait le fardeau de preuve d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime contre l'humanité, le tribunal s'est penché sur la question de la possibilité d'une exclusion en raison de la complicité du demandeur à des crimes contre l'humanité.

[13]            Le tribunal a cité les arrêts Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) et Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1209 (C.A.) (QL) pour définir le cadre juridique de son analyse.

[14]            La conclusion finale du tribunal s'appuie sur Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.) et Gutierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1494 (1re inst.) (QL), où il fut élaboré qu'un demandeur d'asile est exclu en vertu de l'article premier de la Convention pour complicité s'il a fait partie d'un groupe qui a commis un crime contre l'humanité, qu'il est conscient des activités de ce groupe, et qu'il a omis de s'en dissocier alors qu'il en avait la possibilité.

[15]            Le tribunal a alors analysé la preuve documentaire et testimoniale avant d'en venir à la conclusion que le demandeur avait été complice de crimes contre l'humanité. Cette détermination se fondait sur des rapports portant sur la brutalité des forces policières en Inde et leur recours à la torture. Le témoignage du demandeur a également révélé qu'il avait rejoint les forces policières de plein gré pour des raisons économiques, qu'il avait conduit des détenus au poste de police en sachant que ces derniers allaient y être torturés, et qu'il était en mesure de décrire en détail les méthodes de torture utilisées. Bien qu'il n'ait jamais directement torturé de détenus, le demandeur était clairement conscient des pratiques brutales de la police à l'égard des citoyens arrêtés. Il aurait pu quitter son travail mais ne l'a pas fait car dit-il, il n'y en avait pas d'autres et aussi parce qu'il n'aurait pas pu obtenir les mêmes revenus de sa ferme qu'étant au sein des forces de l'ordre.

[16]            Le tribunal en est venu à la conclusion que le demandeur était exclu en vertu des alinéas 1F(a) et 1F(c) en raison de sa complicité aux crimes commis par les forces policières indiennes.

ANALYSE

[17]            L'article 98 de la Loi se lit comme suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[18]            Les alinéas a), b) et c) de la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés se lisent comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

[19]            La norme de contrôle applicable à des questions de droit est celle de la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).

[20]            Les conclusions tirées par le tribunal sur des questions purement factuelles relèvent de son expertise et de son rôle spécialisé, et cette Cour ne devrait intervenir qu'en présence d'une erreur manifestement déraisonnable (Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 887, [2002] A.C.F. no 1154 (1re inst.) (QL), Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.) (QL)).

[21]            Enfin, la conclusion du tribunal quant à la complicité du demandeur à des actes de torture commis par les forces policières indiennes et son exclusion en vertu de l'article premier de la Convention est une question mixte de droit et de fait. La norme de contrôle applicable est celle de la décision déraisonnable simpliciter (Harb, ci-dessus, Salgado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1, [2006] A.C.F. no 1 (1re inst.) (QL)).

[22]            Quoiqu'il en soit, même si j'appliquais la norme la plus sévère à l'ensemble des conclusions tirées par le tribunal dans ce dossier, je suis d'avis que l'intervention de cette Cour ne serait justifiée à l'encontre d'aucune d'entre elles.

[23]            Le demandeur allègue que le décideur a basé sa décision sur une preuve documentaire prévue à M-2, M-3 et M-6 pour déterminer que la police indienne procédait à des crimes contre l'humanité alors que d'autres documents démontraient que dans les années pertinentes, ces activités avaient cessé.

[24]            Le tribunal a commencé par rappeler les principes juridiques dans le cadre de son analyse du droit applicable en matière d'exclusion pour complicité à des crimes contre l'humanité. La lecture des motifs du tribunal indique clairement qu'il a procédé à une analyse poussée de la participation du demandeur aux activités de la police indienne, conformément aux principes formulés par le juge Andrew MacKay dans Gutierrez, ci-dessus :

Fondamentalement, trois, conditions préalables doivent donc être établies pour qu'il y ait complicité dans la perpétration d'une infraction internationale: (1) l'appartenance à une organisation ou la perpétration des infractions internationales fait continûment et régulièrement partie de l'opération, (2) la participation personnelle et consciente, et (3) l'omission de se dissocier de l'organisation dès qu'il est possible de le faire en toute sécurité.

[25]            La preuve documentaire et testimoniale dont disposait le tribunal a établi que les forces policières indiennes avaient recours à la torture contre des citoyens détenus, que le demandeur en était conscient pour en avoir vu lui-même, et qu'il ne s'en est dissocié que lorsqu'il en vint à craindre des représailles du International Sikh Youth Federation, et non par objection aux pratiques policières.

[26]            La Cour considère que la preuve documentaire supporte les conclusions du tribunal. Ce dernier peut choisir les documents qu'il considère les plus importants. Les décisions de la Commission de l'Immigration et du Statut de Réfugié citées par le procureur du demandeur pour réfuter les conclusions du tribunal quant aux activités brutales des forces policières indiennes sont moins pertinentes compte tenu du témoignage personnel du demandeur.

[27]            Ainsi, je ne peux déceler dans les motifs et conclusions du tribunal aucune erreur susceptible de justifier l'intervention de cette Cour.

[28]            Les parties ont décidé de ne pas soumettre des questions à certifier et ce dossier n'en contient aucune.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5312-05

INTITULÉ :                                        SAMSHER SINGH GHOTARA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 14 mars 2006

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       le 20 mars 2006

COMPARUTIONS:

Olivier Chi Nouako                                                       POUR LE DEMANDEUR

Michèle Joubert                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Olivier Chi Nouako                                                       POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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