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Date : 20230227


Dossier : IMM‑2193‑22

Référence : 2023 CF 276

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

Waqas KHIZAR

Faryal SARFRAZ

Yashfa NOOR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont une famille pakistanaise; des parents et leur enfant mineur. Leur deuxième enfant, né au Canada, n’est pas partie à l’instance.

[2] Les demandeurs craignent d’être persécutés par le groupe Lashkar‑e‑Jhangvi [LeJ] en raison de leurs croyances musulmanes chiites et, en particulier, des activités religieuses du demandeur principal [DP], Waqas Khizar. Le DP affirme qu’il a été menacé et poursuivi par le groupe LeJ pour avoir organisé un Majlis en l’honneur de son père, décédé en janvier 2016.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) du Canada a rejeté la demande d’asile pour des motifs liés à la crédibilité. Les demandeurs ont contesté en appel la décision de la SPR; le ministre n’est intervenu que dans l’appel. Après avoir conclu que la SPR avait eu raison de considérer que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR a rejeté l’appel des demandeurs pour des motifs similaires [la décision] et elle a confirmé la décision de la SPR.

[4] Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Comme je l’explique ci‑dessous, j’estime que la SAR a commis une erreur importante dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve qu’elle a admis, ce qui justifie l’intervention de la Cour.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[5] Les demandeurs soulèvent trois questions dans leur demande de contrôle judiciaire :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant certains des nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas tenir d’audience?

  3. Les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR étaient‑elles déraisonnables?

[6] Comme j’estime que la troisième question est déterminante, je n’examinerai que celle‑ci dans mon analyse.

[7] Personne ne conteste que la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à la question déterminante en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. Pour que la décision contestée échappe à l’intervention de la Cour, elle doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (au para 99). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise (Vavilov, aux para 125‑126). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

[8] Contrairement à ce que soutient le défendeur, l’erreur de la SAR peut être qualifiée, à mon avis, d’erreur fondamentale de compréhension ou d’absence de prise en compte des éléments de preuve qui lui ont été soumis, plutôt que de déclaration erronée : Vavilov, au para 126.

[9] Parmi les nouveaux éléments de preuve que les demandeurs ont soumis dans le cadre de leur appel de la décision de la SPR se trouve l’affidavit du DP. Bien que je convienne avec le défendeur que la SAR aurait pu rejeter cet affidavit étant donné qu’il étayait de manière inadmissible le dossier soumis à la SPR, ce n’est pas ce que la SAR a fait et elle n’a pas non plus évoqué cette possibilité dans ses motifs. La SAR a plutôt tenu compte du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et elle a conclu que l’affidavit du DP contenait des éléments de preuve suffisamment nouveaux et crédibles pour pouvoir être admis, ce qu’elle a fait.

[10] La SAR a évalué de manière indépendante la preuve présentée à la SPR et a tiré ses propres conclusions en matière de crédibilité, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve admis en appel. Dans son examen, la SAR a pris en compte la preuve des demandeurs concernant le dernier événement qui, selon eux, les avait poussés à quitter le Pakistan.

[11] Le DP a affirmé avoir organisé un Majlis en janvier 2017 et un autre en janvier 2018, les deux fois aux environs de l’anniversaire du décès de son père. En janvier 2019, le DP a fait un don plutôt que d’organiser un Majlis. Dans le Fondement de la demande d’asile (FDA) modifié et dans son nouvel affidavit admis en appel, le DP précise qu’il préparait un Majlis en septembre 2019 pour le mois sacré de Muharram. Le DP raconte également qu’alors qu’il rentrait en moto après avoir fait des courses pour le Majlis, il a été pris en chasse par des hommes masqués à moto. Il a pu s’échapper, mais il est tombé de sa moto, ce qui lui a occasionné des blessures et des dommages au nez.

[12] Un rapport médical de l’hôpital portant la même date que cet incident fait état de blessures au visage et d’une fracture du nez subies par le demandeur. Après que le DP est sorti de l’hôpital, les demandeurs se sont cachés et ont fini par quitter le Pakistan en décembre 2019.

[13] La SAR a estimé que la preuve permettait de conclure qu’il y avait eu deux Majlis, l’un en janvier 2017 et l’autre en janvier 2018, mais non que le demandeur en organisait un en 2019. Elle a estimé qu’« il n’[était] pas clair pourquoi l’appelant principal préparait le Majlis en septembre 2019, alors que le prochain Majlis annuel était en janvier 2020 ». Elle a déclaré que « la conclusion selon laquelle les Majlis avaient lieu en janvier soulève la question de savoir pourquoi l’appelant principal aurait préparé un Majlis en septembre 2019 ». Ces déclarations soulèvent à leur tour la question de savoir si la SAR a correctement lu le FDA modifié et l’affidavit du DP qu’elle a admis en appel.

[14] La SAR n’a pas douté que le DP ait subi des blessures au nez et a pris note du rapport médical au dossier qui mentionnait la fracture du nez, mais elle a jugé que les éléments de preuve corroborants présentés par les demandeurs étaient globalement insuffisants pour démontrer que le DP avait subi la blessure en échappant au groupe LeJ. La SAR a donc conclu que « [m]ême lorsqu’ils sont examinés de façon cumulative, ces éléments de preuve ne corrigent pas les lacunes dans la preuve », ces lacunes étant attribuables au fait qu’elle s’est méprise sur la preuve soumise par le DP selon laquelle il organisait un Majlis en septembre 2019 à l’occasion du mois sacré de Muharram, ou qu’elle n’en avait pas tenu compte.

[15] À mon avis, l’incident de 2019 relatif à la poursuite en moto était au cœur des demandes d’asile des demandeurs. J’estime que la SAR a écarté cet incident de manière déraisonnable en raison des conclusions injustifiées qu’elle a tirées concernant le Majlis que le DP disait organiser pour septembre 2019, notamment la raison précise qu’il a donnée, à savoir que l’événement coïncidait avec le Muharram.

[16] En outre, étant donné que pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, il faut procéder à un examen cumulatif de tous les éléments de preuve, la Cour ne peut pas savoir ici, et le défendeur se livre à des conjectures, 1) comment la SAR aurait traité les éléments de preuve concernant la raison de la tenue du Majlis en septembre, et 2) comment la SAR aurait pris en compte ce traitement dans l’évaluation globale de la crédibilité : Marku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1096 au para 24.

IV. Conclusion

[17] Pour les raisons susmentionnées, je conclus que les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait. J’estime que la décision est déraisonnable, et j’accueille donc la demande. La décision est annulée. Un tribunal de la SAR différemment constitué procédera à un nouvel examen de l’affaire.

[18] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2193-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés du 15 février 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM‑2193‑22

 

INTITULÉ :

WAQAS KHIZAR, FARYAL SARFRAZ, YASHFA NOOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 27 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

Pour les demandeurs

 

Diane Gyimah

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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