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Date : 20230227


Dossier : IMM-3528-22

Référence : 2023 CF 275

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 février 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

JIAYI LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] M. Jiayi Liu [le demandeur], un citoyen de la Chine, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile.

[2] Le demandeur est âgé de 32 ans. Il a passé les quelque dix dernières années en Chine pour aider ses parents sur leur ferme louée à Shuguang, dans la province du Jilin. En janvier 2016, il a repris le contrat de location de ses parents qu’il a signé avec le comité du village.

[3] En mai 2018, l’administration municipale de Shuguang a informé la famille du demandeur et 27 autres ménages que leurs terres agricoles allaient être expropriées afin de permettre la construction d’une nouvelle autoroute, et qu’il leur faudrait quitter les terres au plus tard à la fin de juillet 2018.

[4] Insatisfaits de l’indemnisation offerte pour l’expropriation, le demandeur et quatre autres villageois ont tenté de faire part de leurs préoccupations aux administrations de la ville et du comté à cinq reprises entre juin et juillet 2018. Le demandeur allègue que ces préoccupations n’ont pas été entendues ou qu’elles ont été rejetées, et que l’administration municipale a refusé de modifier l’indemnisation. Il prétend que, sous le coup de la colère, il a critiqué l’administration municipale et a menacé de porter l’affaire devant le gouvernement provincial ou le gouvernement central à Beijing. Il affirme qu’il a été agressé par des agents de sécurité lors d’une manifestation spontanée et qu’il a, par la suite, été détenu par le Bureau de la sécurité publique [le BSP] de la ville de Shuguang durant deux semaines pendant lesquelles il a été interrogé et battu. Il a été libéré en juillet 2018.

[5] Le demandeur affirme qu’après sa libération, la terre concernée lui a été prise de force. Il soutient qu’il a refusé de signer l’accord d’indemnisation et qu’il a dit aux villageois qu’il avait l’intention de porter plainte auprès du gouvernement central, ce qui lui a valu d’être de nouveau détenu par le BSP durant deux nuits à la fin de juillet 2018.

[6] Le demandeur prétend qu’avec l’aide d’un passeur, il est arrivé au Canada en décembre 2018 et a présenté une demande d’asile au motif qu’il craignait d’être persécuté par les autorités chinoises en raison de ses opinions politiques. La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en septembre 2021.

[7] Bien qu’elle ait admis que la terre du demandeur avait été expropriée et que ce dernier avait participé à une manifestation, la SAR a, dans une décision datée du 17 mars 2022 [la décision], rejeté l’appel du demandeur et confirmé que celui-ci n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[8] Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[9] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève plusieurs questions. Il fait valoir, dans l’ensemble, que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve personnelle qu’il avait présentée en concluant qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Il fait aussi valoir que la SAR a eu tort de conclure qu’il n’existait aucun lien avec un motif prévu dans la Convention.

[10] À mon avis, la question déterminante en l’espèce porte sur les erreurs commises par la SAR dans l’appréciation de la preuve documentaire personnelle.

[11] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[12] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100). Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

A. La SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire du demandeur

[13] Le demandeur a présenté trois documents à la SPR à l’appui de ses allégations selon lesquelles il avait été détenu par le BSP.

[14] Le demandeur affirme qu’au moment de sa libération à la suite de sa deuxième détention par le BSP, il a été forcé de signer une promesse selon laquelle il s’engageait à ne faire aucune déclaration antigouvernementale et à se présenter tous les mois au poste du BSP de Shuguang à compter d’août 2018 [la décision relative à une sanction administrative]. Il s’est présenté au poste du BSP à deux reprises, en septembre et en octobre 2018, et il affirme qu’il a été interrogé, menacé et agressé les deux fois.

[15] Le demandeur allègue qu’après son départ de la Chine, le BSP l’a avisé qu’il avait omis de se présenter comme prévu. Des représentants du BSP se sont ensuite rendus chez ses parents et leur ont remis une citation à comparaître à son nom [la citation].

[16] En plus de la décision relative à une sanction administrative et de la citation, le demandeur a présenté une copie d’un certificat de mise en liberté délivré par le centre de détention de Meihekou, daté du 25 juillet 2018 [le certificat de mise en liberté].

[17] La SAR a conclu que la citation était frauduleuse et, pour ce motif, elle a décidé de n’accorder aucun poids aux deux autres documents.

(a) Citation

[18] La citation comporte une ligne réservée à [traduction] « la personne citée à comparaître (signature) », sur laquelle figure la signature du demandeur. De plus, la citation indique que « [l’]heure d’arrivée de la personne citée à comparaître » était 11 h 30 et que « [l’]heure de fin de l’interrogatoire » était 12 h 30 le 9 janvier 2019. Le demandeur a déclaré à l’audience devant la SPR que la citation avait été laissée au domicile de ses parents le 8 janvier 2019 et que son épouse avait signé son nom à lui sur la ligne de signature. En ce qui concerne les heures indiquées sur la citation, le demandeur a déclaré ce qui suit : « Je ne suis pas au courant de cette information. Ils l’ont simplement donnée à mon épouse. »

[19] La SPR a mis en doute l’authenticité de la citation et du témoignage du demandeur à ce sujet. La SAR a aussi mis en doute le témoignage du demandeur concernant la signature de son épouse et les heures de début et de fin indiquées sur la citation. Elle a jugé inadéquate l’explication donnée par le demandeur au sujet de ces « irrégularités majeures qui touch[aient] au fond et au contenu essentiel du document ». Elle a aussi jugé qu’aucun élément de preuve objectif ne donnait à penser que les autorités chinoises acceptaient des signatures contrefaites sur les documents officiels.

[20] La SAR a conclu que la citation était frauduleuse et ne lui a accordé aucun poids. Elle a jugé que la citation frauduleuse minait la crédibilité du demandeur quant à sa crainte d’être arrêté à son retour en Chine, puisque la citation était l’élément de preuve central de ses allégations.

[21] Le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle la citation était frauduleuse et soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité générale en se fondant sur les irrégularités relevées dans la citation.

[22] Le demandeur affirme que les irrégularités relevées par la SAR n’étaient pas suffisantes pour justifier une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, étant donné que, selon la jurisprudence, « une conclusion selon laquelle un document jugé faux ou irrégulier peut miner la crédibilité globale d’un demandeur “commande la prudence” » (Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170 [Mohamudd] au para 9, citant Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400 [Guo] au para 7).

[23] Je fais remarquer que les contextes factuels des décisions Mohamud et Guo diffèrent de celui en l’espèce, mais je conviens que les décideurs devraient néanmoins tenir compte de la mise en garde de la Cour.

[24] En concluant que la citation était frauduleuse, la SAR a tenu le raisonnement suivant :

[21] Sur la [citation], il est clair que la signature de la personne citée à comparaître est celle [du demandeur]. Rien au vu de la [citation] n’indique qu’elle a été signée par l’épouse [du demandeur] en son nom ou que son épouse a été interrogée par le [BSP]. Notamment, lorsque la SPR l’a interrogé sur la raison pour laquelle l’heure d’arrivée et l’heure de fin de l’interrogation étaient inscrites sur la [citation], [le demandeur] n’avait aucune explication et a déclaré qu’il ne le savait pas. [Le demandeur] n’explique pas pourquoi son épouse serait tenue de signer la citation à comparaître avec son écriture à lui plutôt que d’y apposer sa propre signature en son nom à lui. [...] Selon moi, l’explication [du demandeur] n’est pas adéquate. Il n’a fourni aucun élément de preuve objectif suggérant qu’il s’agit d’une pratique acceptable en Chine pour les autorités d’autoriser une personne autre que la personne citée à comparaître à imiter une signature sur un document officiel.

[Non souligné dans l’original.]

[25] Je fais toutefois remarquer que l’échange entre le commissaire de la SPR et le demandeur au sujet de la citation a été bref, comme en témoigne l’extrait suivant de la transcription de l’audience devant la SPR :

[traduction]
COMMISSAIRE : D’accord. Et puisque nous en sommes au sujet de la citation que vous avez reçue le 8 janvier 2019. Voulez-vous le lui traduire?

INTERPRÈTE : Oui.

COMMISSAIRE : Et je [...] je me suis trompé en disant 2019, je suis désolé. Maintenant, je regarde le document et même lorsque je regarde le [...] la traduction, il est indiqué « personne citée à comparaître » et c’est [...] c’est signé. Et [...]

DEMANDEUR : Oui.

COMMISSAIRE : Eh bien, qui a signé?

DEMANDEUR : Mon épouse a signé en mon nom en utilisant mon écriture.

COMMISSAIRE : D’accord, je vais [...] je vais vous montrer mon écran. Pouvez-vous [...] j’ai quelques [...] pouvez-vous voir clairement? Ou dois-je agrandir l’image?

DEMANDEUR : Oui, je peux voir.

COMMISSAIRE : D’accord. Donc, selon ma traduction, l’heure d’arrivée de la personne citée à comparaître était 11 h 30 le 9 janvier 2019 et l’heure de fin de l’interrogatoire était 12 h 30 le 9 janvier. Je me demande donc simplement pourquoi cette partie est remplie alors que vous ne [...] vous ne vous êtes pas présenté à l’interrogatoire.

DEMANDEUR : Je ne suis pas au courant de cette information. Ils l’ont simplement donnée à mon épouse.

COMMISSAIRE : D’accord. Alors, dites-moi ce qui vous a amené à présenter une demande d’asile ici, au Canada.

[26] Il ressort clairement de l’échange cité ci-dessus que la SPR n’a jamais demandé au demandeur d’expliquer pourquoi son épouse aurait été tenue de signer la citation. La SPR n’a pas non plus demandé au demandeur de préciser ce qu’il voulait dire lorsqu’il a dit que son épouse avait signé [traduction] « en utilisant son écriture ». Pourtant, la SAR a conclu que le demandeur avait permis à son épouse « [d’]imiter » sa signature et elle a reproché au demandeur de ne pas avoir expliqué pourquoi son épouse l’avait fait alors que la question ne lui avait jamais été posée.

[27] De plus, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les doutes concernant le fait que son épouse avait signé la citation « en utilisant son écriture » ne suffisent pas pour conclure que la citation est frauduleuse.

[28] À l’audience, le demandeur a présenté des observations supplémentaires fondées sur le point 9.11 du cartable national de documentation [le CND] du 31 octobre 2018, intitulé « Chine : information sur les circonstances donnant lieu à la délivrance de citations à comparaître ou d’assignations à témoigner et sur les autorités responsables; le droit procédural; information indiquant si les citations à comparaître et les assignations à témoigner sont signifiées aux personnes ou aux ménages; information sur leur mise en forme et leur aspect; information indiquant s’il est possible de contester la légalité de ces documents; information sur les peines infligées pour non-respect d’une citation à comparaître ou d’une assignation à témoigner ». Plus précisément, le demandeur a souligné l’énoncé suivant figurant dans le CND :

La chercheuse invitée a fait valoir que les procédures de délivrance des citations à comparaître [décrites dans la présente section] [traduction] « ne sont pas toujours appliquées en pratique ». Elle a ajouté que :[traduction] les chercheurs en droit et les médias officiels et non officiels font état de diverses entorses aux procédures, allant du défaut de notifier à l’égard des citations à comparaître jusqu’à leur signification par des policiers auxiliaires ou privés, en passant par leur utilisation répétée.

[29] Je remarque que le même document tiré du CND contient l’observation suivante :

La chercheuse invitée a ajouté que [traduction] « une citation à comparaître écrite doit être signée par le suspect, qui a toutefois le droit de ne pas y apposer sa signature »; elle n’a toutefois pas donné de renseignements sur les conséquences susceptibles de découler du refus de signer, le cas échéant.

[30] Les renseignements contenus dans le CND donnent à penser qu’il existe une « variété » de pratiques en matière de citations à comparaître. Ils confirment le droit d’une personne de refuser de signer, mais ils ne décrivent pas les conséquences d’un refus de signer. Compte tenu de cette preuve objective, je conclus qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que la citation était frauduleuse parce que le demandeur « n’[avait] fourni aucun élément de preuve objectif suggérant qu’il s’agi[ssait] d’une pratique acceptable en Chine pour les autorités d’autoriser une personne autre que la personne citée à comparaître à imiter une signature sur un document officiel ».

[31] Je conviens qu’il incombait au demandeur d’établir son allégation. Cependant, je rejette l’observation du défendeur selon laquelle la décision de la SAR de tirer une telle conclusion en se fondant sur des invraisemblances et le bon sens était défendable (Moualek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 539 au para 1; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 26).

[32] Premièrement, je fais observer que la SAR n’a tiré aucune conclusion d’invraisemblance à l’égard de la preuve testimoniale du demandeur. Elle a plutôt conclu que l’explication du demandeur était inadéquate. Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, la brève réponse du demandeur était proportionnelle à l’interrogatoire tout aussi bref de la SPR.

[33] De plus, comme le confirme la jurisprudence, un demandeur jouit d’une présomption de véracité (MalDonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CAF)). Par ailleurs, les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents (Zaiter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 908 au para 8, citant Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776).

[34] À mon avis, la présente affaire ne faisait pas partie des « cas les plus évidents » dans lesquels une conclusion d’invraisemblance est justifiée. Le demandeur n’a pas tenté d’expliquer de façon fantaisiste la raison pour laquelle son épouse avait signé la citation en son nom. Comme le demandeur était déjà au Canada à ce moment-là, il a plutôt déclaré que son épouse avait signé la citation et qu’il ne savait rien des heures indiquées sur le document. Si l’explication du demandeur manquait de clarté, elle ne défiait toutefois pas le bon sens, surtout compte tenu de la diversité des pratiques entourant les citations à comparaître énoncées dans le CND de 2018.

[35] Enfin, je juge que la conclusion défavorable tirée par la SAR quant à la crédibilité était déraisonnable compte tenu de la preuve objective tirée du CND, de la teneur des irrégularités et de la jurisprudence qui indique que des conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents.

(b) Certificat de mise en liberté

[36] Le certificat de mise en liberté mentionne [traduction] « le sabotage de la construction du gouvernement et les remarques antigouvernementales » faits par le demandeur et indique que ce dernier a été libéré conformément à l’article 65 du code de procédure pénale de la République populaire de Chine [le code de procédure pénale].

[37] La SAR a examiné la traduction anglaise du code de procédure pénale de 2018, qui se trouve au point 9.5 du CND du 31 mai 2021, qui indique ce qui suit :

[traduction]
Les frais de transport, d’hébergement, de repas et autres engagés par les témoins pour s’acquitter de leur obligation de témoigner sont subventionnés. Les subventions pour le témoignage des témoins sont incluses dans les dépenses de fonctionnement des organes de sécurité publique. Lorsque les témoins d’un lieu de travail témoignent, leur lieu de travail ne doit pas retenir, directement ou indirectement, leur salaire, leurs avantages sociaux ou autres avantages.

[38] La SAR a fait remarquer que cette disposition n’avait aucun lien avec les circonstances particulières du demandeur et elle a conclu qu’il s’agissait d’une « irrégularité importante à la lecture du document lui-même ».

[39] La SAR a aussi fait remarquer que la décision relative à une sanction administrative et le certificat de mise en liberté avaient été produits par la même autorité que la citation. Elle a noté que la présentation d’un document frauduleux (soit la citation) pouvait avoir une incidence sur le poids accordé aux autres documents présentés par le demandeur, d’autant plus qu’ils étaient liés ou avaient une source commune. Ainsi, se fondant sur « [l’]irrégularité importante » concernant l’article 65 du code de procédure pénale et sur le fait qu’il s’agissait de la même autorité que celle qui avait délivré la citation, la SAR a accordé peu de poids au certificat de mise en liberté.

[40] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur fatale en s’appuyant sur le CND de 2021 lorsqu’elle a examiné le renvoi fait au code de procédure pénale dans le certificat de mise en liberté. Même si le code de procédure pénale cité dans le CND de 2021 est daté de 2018, la date d’accès au document est le 23 octobre 2020. Le demandeur affirme que le CND du 31 octobre 2018 était le bon CND à utiliser puisque le certificat de mise en liberté est daté du 25 juillet 2018. Le CND de 2018 contient une traduction anglaise de l’article 65 contenu dans le code de procédure pénale de 2012, lequel article est directement lié au certificat de mise en liberté et à son contenu :

[traduction]
Article 65 Un tribunal populaire, un parquet populaire et un organe chargé de la sécurité publique peuvent autoriser la mise en liberté sous caution d’une personne suspectée ou accusée dans une affaire criminelle dans l’attente de son procès dans l’une ou l’autre des conditions suivantes :

(1) la personne suspectée ou accusée dans une affaire criminelle commet un crime passible de la surveillance publique, de la détention criminelle ou de peines supplémentaires infligées séparément;

(2) la personne suspectée ou accusée dans une affaire criminelle commet un crime passible d’une peine d’emprisonnement à durée déterminée ou de peines plus sévères, mais ne constituerait pas une menace pour la société si elle était libérée sous caution dans l’attente de son procès;

(3) la personne suspectée ou accusée dans une affaire criminelle souffre d’une maladie grave et ne peut pas prendre soin d’elle-même, ou elle est enceinte ou allaite, et ne constituerait donc pas une menace pour la société si elle était libérée sous caution dans l’attente de son procès;

(4) son dossier n’a pas été clos à l’expiration de la période de détention et, par conséquent, elle doit être libérée sous caution dans l’attente de son procès.

La mise en liberté sous caution dans l’attente d’un procès est exécutée par les organes chargés de la sécurité publique.

[41] Le demandeur soutient que la SAR ne disposait d’aucun renseignement indiquant que le code de procédure pénale de 2018 était en vigueur avant le 30 octobre 2018 ou, plus précisément, le 25 juillet 2018. Il affirme que la SAR [traduction] « s’est ouvertement reposée » sur « de faux renseignements » pour apprécier le certificat de mise en liberté et qu’elle s’est déraisonnablement fondée sur celui-ci, étant donné qu’aucune autre irrégularité n’a été relevée.

[42] Compte tenu de la preuve objective, je conviens que la SAR a commis une erreur en ne se demandant pas si le code de procédure pénale consulté était en vigueur en juillet 2018.

[43] Le défendeur reconnaît que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur le mauvais CND pour conclure que le certificat de mise en liberté présentait une irrégularité. Cependant, il soutient que cette erreur n’est pas déterminante pour l’ensemble de la décision, puisque la SAR n’était néanmoins pas convaincue que le demandeur avait été détenu par les autorités chinoises au vu des autres éléments de preuve, y compris de sa conclusion [traduction] « claire et sans équivoque » selon laquelle la citation était frauduleuse.

[44] Je rejette l’argument du défendeur. J’ai déjà conclu que l’appréciation de la citation faite par la SAR était déraisonnable. L’appréciation erronée de la citation faite par la SAR a, par extension, entaché sa conclusion concernant le certificat de mise en liberté.

(c) Décision relative à une sanction administrative

[45] À l’instar du certificat de mise en liberté, la SAR a accordé peu de poids à la décision relative à une sanction administrative, étant donné que celle-ci avait été rendue par la même autorité que la citation qu’elle avait jugée frauduleuse.

[46] Comme le soutient le défendeur, les trois documents sont interreliés. Compte tenu de mes conclusions à l’égard des deux autres documents, je conclus que la conclusion de la SAR concernant la décision relative à une sanction administrative était aussi déraisonnable.

B. Autres questions

[47] Étant donné les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres observations du demandeur.

[48] Je mentionnerai simplement que les conclusions de la SAR concernant la preuve documentaire personnelle du demandeur constituaient le fondement de son rejet de l’allégation du demandeur selon laquelle le BSP s’intéressait à ses allées et venues. Cette analyse a mené la SAR à conclure que le demandeur ne serait exposé à aucun risque prospectif advenant son retour en Chine. Toute erreur commise par la SAR concernant la preuve documentaire du demandeur a nécessairement eu une incidence sur son appréciation du risque prospectif.

[49] En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle la SAR avait commis une erreur en concluant qu’il n’existait aucun lien avec un motif prévu dans la Convention, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la question ne porte pas sur ce qui l’a motivé à manifester, mais plutôt sur la façon dont les autorités chinoises perçoivent de telles manifestations (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 747).

[50] Je prends acte des décisions invoquées par le défendeur pour conclure que le fait de contester une indemnisation pour expropriation de terres ne constitue pas une manifestation politique et ne crée pas un lien avec un motif prévu dans la Convention (voir, par exemple, Ni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 948 et Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 781). En outre, je reconnais qu’en l’espèce, la SAR a conclu que le demandeur avait renoncé à intenter une procédure contre le gouvernement en raison du manque de soutien des autres villageois.

[51] Je remarque toutefois que, lors de son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait refusé de signer l’offre d’indemnisation, car cela aurait signifié qu’il renonçait complètement aux terres. De plus, le demandeur a déclaré qu’il ferait [traduction] « tout en son pouvoir pour conserver les terres ». Le témoignage du demandeur peut étayer, dans une certaine mesure, son argument selon lequel sa contestation de l’expropriation des terres, qui concernait initialement l’indemnisation offerte, avait pris une tournure politique. Il appartient au nouveau tribunal de décider si ce changement est suffisant pour établir un lien avec un motif prévu dans la Convention.

IV. Conclusion

[52] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[53] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3528-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3528-22

 

INTITULÉ :

JIAYI LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Vakkas Bilsin

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vakkas Bilsin

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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