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Date : 20230228


Dossier : T‑1387‑21

Référence : 2023 CF 280

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

DREENA DAVIS

demanderesse

et

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Dreena Davis, agit pour son propre compte. Elle introduit la présente requête en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], pour interjeter appel de l’ordonnance par laquelle la juge responsable de la gestion de l’instance, la juge adjointe Catherine A. Coughlan, a accueilli la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration sans autorisation de la modifier [l’ordonnance].

[2] La demanderesse travaille à titre de praticienne en gestion informelle des conflits au sein du Groupe des responsabilités liées au milieu de travail du Bureau des relations employeur‑employés de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]. Elle est une fonctionnaire non représentée qui n’est assujettie à aucune convention collective. Elle n’est ni membre ni officière de la GRC. Selon la déclaration, la défenderesse [traduction] « s’est livrée à des pratiques de travail déloyales pendant une longue période, soit de 2014 à ce jour ».

[3] La défenderesse a déposé, au titre de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 [la Loi], une requête en radiation de la déclaration, au motif que la Loi interdit aux fonctionnaires d’intenter une action en justice à l’égard de questions qui peuvent faire l’objet d’un grief. S’appuyant sur l’article 236 de la Loi, la juge adjointe Coughlan a conclu que la Cour n’avait pas compétence pour entendre l’action de la demanderesse et a radié sa déclaration.

[4] La demanderesse interjette le présent appel en vue de faire annuler l’ordonnance de la juge adjointe. Comme la demanderesse agit pour son propre compte, il est utile d’énoncer mon rôle d’entrée de jeu. Selon la norme applicable, je n’ai pas à déterminer si j’aurais rendu la même ordonnance que la juge adjointe Coughlan. L’appel n’est pas une occasion d’exposer de nouveau ses arguments et de demander un résultat différent. Pour que notre Cour puisse annuler l’ordonnance, la demanderesse doit plutôt démontrer que la juge adjointe Coughlan a commis une grave erreur de droit ou que sa décision est fondée sur une mauvaise appréciation des faits qui équivaut à une erreur manifeste et dominante.

[5] Comme je l’explique plus loin, je conclus que la demanderesse n’a pas démontré qu’il existe une erreur justifiant l’intervention de notre Cour. Par conséquent, la requête de la demanderesse est rejetée.

I. Le contexte

[6] En 2014, la demanderesse a été embauchée par la GRC à titre de praticienne en gestion informelle des conflits. Comme je l’ai mentionné plus haut, la demanderesse est fonctionnaire. Elle est une fonctionnaire non représentée et elle n’est assujettie à aucune convention collective.

[7] Dans sa déclaration, la demanderesse affirme qu’elle [traduction] « a expliqué durant son entrevue qu’elle avait subi une lésion cérébrale et qu’elle était atteinte du syndrome de fatigue chronique » et que la GRC avait accepté son invalidité lorsqu’elle l’avait embauchée. Les documents qu’a déposés la demanderesse en l’espèce comprennent une lettre d’un médecin datée de 2019, qui confirme qu’elle avait reçu un diagnostic de syndrome de fatigue chronique et de fibromyalgie en 1999. Cette lettre ne figurait pas dans le dossier dont disposait la juge adjointe Coughlan. Lorsque je parle de l’invalidité de la demanderesse, je renvoie à ces affections.

[8] Dans sa déclaration, la demanderesse donne un aperçu de son expérience à la GRC :

[traduction]

3. La défenderesse est l’employeur de la demanderesse. Elle s’est livrée à des pratiques de travail déloyales pendant une longue période, soit de 2014 à ce jour.

4. La demanderesse travaillait dans un environnement très négatif et toxique depuis 2014. Elle s’est vu refuser des mesures d’adaptation appropriées eu égard à son invalidité. Son contrat de travail a été modifié unilatéralement au moyen d’une rétrogradation et d’un congédiement déguisés. Elle a subi beaucoup de harcèlement et de discrimination. Ses droits fondamentaux de participation n’ont pas été respectés.

[9] En mai 2017, la demanderesse a pris un congé de maladie. En juin 2017, comme elle n’était pas retournée au travail, son congé s’est transformé en congé sans solde. En novembre et en décembre 2017, il y a eu des discussions et une rencontre au sujet de son retour au travail et d’une possible médiation.

[10] À la fin de 2017, la gestionnaire de la demanderesse, la sergente MacNeil, a entamé une enquête administrative à son sujet [l’enquête administrative]. Il n’est pas clair où en est rendue cette enquête, puisque la demanderesse mentionne qu’il s’agit d’un obstacle à son retour au travail.

[11] Le 27 décembre 2018, la demanderesse a déposé une plainte de harcèlement auprès de la GRC, qui faisait état de 20 incidents. Ses allégations de harcèlement étaient ainsi formulées :

[traduction]

Entre le 1er janvier 2014 et le 28 décembre 2017, dans la ville de Regina (Saskatchewan) ou à proximité de celle‑ci, la sergente d’état‑major Kim MACNEIL a, dans l’exercice de ses fonctions à l’égard de la fonctionnaire Dreena DAVIS, nui à la plaignante en adoptant divers comportements, notamment les suivants : porter des accusations vexatoires ou sans fondement contre la plaignante; s’abstenir de fournir du soutien à la plaignante; priver la plaignante de possibilités d’avancement professionnel; omettre de fournir à la plaignante les documents ou les renseignements dont elle avait besoin pour exercer ses fonctions; prendre le parti d’autres personnes et ignorer les plaintes de la plaignante; crier contre la plaignante; rejeter l’expertise de la plaignante; écarter la plaignante; ne pas laisser la plaignante s’exprimer; ignorer la plaignante; faire pression sur la plaignante; demander des renseignements personnels et médicaux à la plaignante; ignorer les directives du médecin de la plaignante; déformer et exagérer les préoccupations et omettre de fournir des renseignements, ce qui a mené au rejet de la demande de prestations d’assurance‑invalidité de longue durée de la plaignante; lancer par représailles une enquête contre la plaignante, ce qui l’a fait pleurer et l’a fait se sentir déshonorée, stressée, isolée, désavantagée, irritable, fatiguée, anxieuse, humiliée et découragée. Par conséquent, il est allégué que la sergente d’état‑major Kim MACNEIL n’a pas traité autrui avec respect et courtoisie et qu’elle a fait preuve de harcèlement, contrevenant de ce fait à l’article 2.1 du code de déontologie.

[12] Un rapport d’enquête préliminaire a été remis à la plaignante et à la défenderesse, la sergente MacNeil, qui l’ont toutes deux contesté. Le 13 février 2020, le commissaire adjoint Mark Fisher a rendu sa décision sur la plainte de harcèlement [le rapport de décision]. Il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le bien‑fondé de la plainte de harcèlement n’avait pas été établi et que la sergente MacNeil n’avait pas enfreint le code de déontologie de la GRC. Il a également conclu que la demanderesse n’avait pas fait l’objet de discrimination puisqu’elle avait obtenu des mesures d’adaptation tout au long de son emploi et que la prise d’autres mesures d’adaptation était envisagée lorsqu’elle se préparait à reprendre le travail, même si elle ne l’a pas fait.

[13] Le 9 mars 2020, la demanderesse a déposé un grief en vertu de la Loi concernant le rapport de décision et sa plainte de harcèlement. Dans l’introduction de son grief, elle affirme que le rapport de décision [traduction] « contient de nombreuses erreurs et n’est pas du tout impartial » et que le commissaire adjoint n’a pas tenu compte de la plupart des éléments de preuve qu’elle avait présentés. Elle signale dans son grief 20 incidents et précise qu’il [traduction] « porte sur l’arrogance de la défenderesse, soit l’arrogance de penser qu’elle en savait plus qu’un expert en la matière, l’arrogance de penser que les pratiques exemplaires, la politique et les lois étaient muettes et l’arrogance de ne pas être capable d’admettre qu’elle avait commis une erreur ou qu’elle était dépassée ».

[14] Sur consentement des parties, le grief a été renvoyé directement au troisième niveau de la procédure de règlement des griefs. Une audience a eu lieu le 2 mars 2021. Le 23 juin 2021, le grief de la demanderesse a été rejeté [la décision relative au grief]. La décideuse, la dirigeante principale des Ressources humaines [la DPRH], a conclu qu’aucun élément de preuve n’étayait l’allégation selon laquelle le commissaire adjoint Mark Fisher n’avait pas tenu compte de tous les renseignements qui lui avaient été présentés. La DPRH a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Je ne vois rien montrant que la politique ou la procédure d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement de la GRC a été enfreinte durant le traitement de la plainte [de la demanderesse]. Je n’ai pas non plus relevé de preuve de harcèlement ou de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

[15] Dans sa déclaration, la demanderesse indique qu’elle a déposé une plainte auprès de la [traduction] « commission des relations de travail fédérale » le 20 avril 2020 concernant les procédures de la GRC et qu’elle sollicite le contrôle du rapport de décision. La défenderesse affirme qu’il n’est pas clair à quel organisme administratif la demanderesse fait ainsi référence et qu’il ne semble pas y avoir de plainte de la part de la demanderesse en instance devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

[16] La défenderesse affirme que, le 20 avril 2020, la demanderesse a déposé une plainte de violence en milieu de travail contre la GRC auprès d’Emploi et Développement social Canada et que cette plainte est en instance. Dans sa déclaration, quoiqu’elle fasse référence à la commission des relations de travail fédérale, la demanderesse mentionne un échange qui a eu lieu en avril 2021, au cours duquel elle a demandé que la personne compétente chargée d’enquêter sur sa plainte de violence en milieu de travail applique la [traduction] « norme sur le harcèlement ».

[17] Le 23 juillet 2021, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire (dossier de la Cour no T‑1186‑21) de la décision relative au grief et de la décision du 1er avril 2021 de [traduction] « modifier la portée de l’enquête en appliquant la norme sur la violence en milieu de travail au lieu de la norme sur le harcèlement ». La demanderesse souhaitait faire annuler le rapport de décision et la décision relative au grief pour cause de partialité et d’iniquité de la procédure, ainsi que faire annuler l’enquête administrative. Elle voulait également obtenir une copie non caviardée du rapport d’enquête de la personne compétente et une décision sur sa plainte de harcèlement. Enfin, elle demandait une indemnisation, des dommages‑intérêts exemplaires et des dommages‑intérêts punitifs.

[18] Le 3 septembre 2021, la demanderesse a déposé un avis de désistement relativement à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[19] Le 9 septembre 2021, la demanderesse a déposé sa déclaration en l’espèce, dans laquelle elle formule de nombreuses allégations concernant les pratiques de travail déloyales qui ont eu cours durant sa période d’emploi. Par exemple, elle soutient qu’elle faisait l’objet d’une enquête administrative, que la GRC lui avait dissimulé des renseignements, qu’elle s’était vu refuser des mesures d’adaptation pour son invalidité, que son contrat de travail avait été modifié unilatéralement, que sa réputation avait été entachée, qu’elle avait été victime de harcèlement et de discrimination et que l’iniquité de la procédure avait nui à ses nombreuses tentatives d’obtenir un règlement.

[20] Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite : une ordonnance annulant le rapport de décision et la décision relative au grief pour cause de partialité et d’iniquité de la procédure; une ordonnance enjoignant à la GRC de mettre fin à l’enquête administrative; une ordonnance enjoignant la divulgation d’une copie non caviardée du rapport d’enquête de la personne compétente; une décision concernant sa plainte de harcèlement; une indemnisation pour la perte de salaire et d’avantages; des dommages‑intérêts exemplaires pour souffrance morale et atteinte à la réputation; des dommages‑intérêts punitifs.

[21] Le 5 novembre 2021, la juge adjointe Coughlan a été désignée responsable de la gestion de l’instance dans la présente affaire. La demanderesse a présenté des observations écrites pour s’opposer à la gestion de l’instance, car elle croyait que cette procédure retarderait l’instance puisqu’elle permettrait à la défenderesse de déposer des requêtes et qu’elle l’empêcherait de [traduction] « contre‑interroger le personnel ou de poser des questions en contre‑interrogatoire sur des documents ». L’instance a néanmoins suivi son cours à titre d’instance à gestion spéciale.

[22] Le 4 décembre 2021, la demanderesse a déposé une lettre adressée au juge en chef, dans laquelle elle demandait que la juge adjointe Coughlan soit remplacée parce qu’elle avait représenté le procureur général et la GRC avant sa nomination à la magistrature. La demanderesse craignait que la juge adjointe soit en conflit d’intérêts, qu’elle ait des préjugés inconscients, qu’elle soit incapable d’être impartiale et que la situation donne lieu à une apparence de partialité potentielle.

[23] Le 9 décembre 2021, à la suite d’une conférence de gestion de l’instance au cours de laquelle les parties se sont exprimées sur la question de la partialité, la juge adjointe Coughlan a déclaré qu’elle n’avait aucune partialité, réelle ou apparente. La demanderesse n’a pas interjeté appel de cette ordonnance rendue le 9 décembre 2021.

[24] Le 14 janvier 2022, la défenderesse a déposé une requête en radiation de la déclaration pour les motifs suivants : (i) les allégations de la demanderesse reposent essentiellement sur des questions liées à l’emploi qui relèvent d’un régime de relations de travail exclusif, et la demanderesse n’a donc aucun droit d’action au titre de l’article 236 de la Loi; (ii) le recours qui s’offre à la demanderesse est de déposer un grief pour chacune de ses allégations liées à l’emploi et d’attendre qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de ses griefs, car, si elle procédait autrement, un régime parallèle serait créé; (iii) si la demanderesse allègue qu’elle est insatisfaite de décisions administratives, le recours approprié est de demander le contrôle judiciaire de toute décision définitive après avoir utilisé la procédure de règlement des plaintes; (iv) la déclaration constitue un abus de procédure, car la demanderesse essaie d’y contester accessoirement des conclusions administratives.

[25] En réponse à la requête en radiation, la demanderesse affirme que [traduction] «[l]a partie 2 de la [Loi] ne s’applique ni aux fonctionnaires exclus ni aux fonctionnaires non représentés en raison de l’erreur législative ». Elle soutient que cette erreur législative a été commise en 2003 lorsque le législateur a tenté d’inclure les fonctionnaires exclus et les fonctionnaires non représentés dans la Loi en modifiant la définition de « fonctionnaire ». Elle fait valoir que les motifs invoqués par la défenderesse dans sa requête en ce qui a trait à l’ensemble du code compris dans la Loi, dont l’article 236, sont donc [traduction] « théoriques » parce que la Loi ne s’applique pas aux fonctionnaires non représentés en raison de cette erreur législative.

[26] La demanderesse a également fait observer en réponse que [traduction] « les fonctionnaires non représentés travaillant pour la GRC n’ont pas accès à une procédure de règlement des griefs ». Elle demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel, parce que le harcèlement et la négligence systémique constituent des circonstances exceptionnelles. Elle soutient que la procédure de règlement des griefs est trompeuse et corrompue, tout comme le régime de règlement des griefs en général. À titre subsidiaire, la demanderesse a demandé d’être autorisée à présenter une demande au tribunal compétent.

[27] La demanderesse a également déposé un long affidavit qui contenait à la fois des énoncés de faits et des allégations, dont des allégations selon lesquelles [traduction] « la procédure de règlement des griefs était entachée par des déclarations malhonnêtes et frauduleuses » et [traduction] « rien n’autoris[ait] la demanderesse à avoir légalement et légitimement accès à la procédure ». La demanderesse alléguait en outre que [traduction] « l’audience d’une heure au troisième niveau de la procédure de règlement des griefs était délibérément inadéquate, car le temps alloué n’était pas suffisant pour présenter un dossier complexe », et que [traduction] « la procédure est propice aux déclarations frauduleuses, car à aucun moment l’une ou l’autre des parties ne peut procéder à un contre‑interrogatoire pour établir la crédibilité ».

[28] Le 1er février 2022, avant l’audience relative à la requête en radiation, la demanderesse a envoyé une lettre à la juge adjointe Coughlan, dans laquelle elle a écrit ce qui suit : [traduction] « J’ai une invalidité depuis l’enfance qui m’empêche parfois de prononcer ou de lire des mots. » La demanderesse a expliqué qu’il lui arrive de devoir épeler un mot au lieu de le prononcer et qu’il lui faut parfois quelques minutes pour trouver le mot qu’elle souhaite dire. Elle termine sa lettre en posant la question suivante : [traduction] « Comment souhaiteriez‑vous gérer ces aspects durant l’audience? »

[29] Le 2 février 2022, la juge adjointe Coughlan a autorisé la demanderesse à être accompagnée, si elle le souhaitait, par un représentant qui pourrait l’aider au besoin.

[30] Le 10 février 2022, la demanderesse a informé la Cour qu’elle avait reçu un résultat positif à un test de dépistage de la COVID‑19 et qu’elle ne pouvait pas attester sous serment certains documents. Elle a également informé la Cour qu’elle [traduction] « présent[ait] des symptômes légers et [qu’elle pouvait] travailler de la maison et [qu’elle préférait] donc que l’audience ait lieu à la date prévue afin de ne pas retarder davantage l’instance ».

[31] L’audience relative à la requête en radiation a eu lieu comme prévu le 17 février 2022.

[32] Le 16 mars 2022, la juge adjointe Coughlan a ordonné la radiation de la déclaration. Elle a fait observer, à titre préliminaire, que la déclaration ne respectait pas les Règles parce qu’elle était vague, argumentative et alambiquée. Bien qu’elle ait conclu que la déclaration « omet[tait] d’indiquer à la défenderesse par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a[vait] été engagée », elle a néanmoins examiné la requête en radiation sur le fond.

[33] La juge adjointe Coughlan a conclu que les préoccupations liées au milieu de travail soulevées par la demanderesse pouvaient, de par leur nature, faire l’objet d’un grief et que la demanderesse avait pu se prévaloir de ce recours. La juge adjointe a déclaré que l’article 236 de la Loi soustrait explicitement ces questions à la compétence de notre Cour. Elle a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la Loi comportait des lacunes ou des erreurs et a conclu que la Cour n’a pas compétence pour instruire l’action de la demanderesse. Elle a conclu que, compte tenu de sa conclusion concernant la compétence de la Cour, il n’y avait pas lieu d’examiner les autres arguments de la défenderesse concernant l’abus de procédure et le défaut de révéler une cause d’action justiciable.

[34] La demanderesse a déposé un avis de requête portant en appel l’ordonnance de la juge adjointe, dans lequel elle alléguait que la juge adjointe avait commis de nombreuses erreurs de fait et de droit, dont les erreurs suivantes : elle n’a pas tenu compte de l’incidence de son invalidité; elle ne lui a pas donné accès à des mesures d’adaptation appropriées; elle ne lui a pas fourni [traduction] « de renseignements sur le droit et les règles de procédure qui s’appliquent aux réponses à une requête en radiation »; elle n’a pas appliqué le droit de manière équitable; elle n’a pas [traduction] « expliqué les recours mis à sa disposition pour contester une erreur législative »; elle n’a pas analysé les exceptions qui permettent l’intervention de la Cour; elle ne lui a pas permis de préserver sa déclaration; elle ne lui a pas posé d’autres questions sur son invalidité et elle ne lui a pas offert d’autres options; elle l’a empêchée de faire valoir tous ses arguments et l’a distraite par ses interventions; elle n’a pas tenu compte de son argument concernant le fait qu’elle avait été [traduction] « mal conseillée ».

[35] Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que les erreurs suivantes ont été commises : aucun service ne lui a été offert relativement à sa déclaration durant la gestion de l’instance; la juge ajointe ne lui a pas permis de contester l’applicabilité de la partie 2 de la Loi ni de faire valoir ses arguments sur ce point; la juge adjointe a commis une erreur en concluant que son affirmation concernant l’existence d’une erreur législative était sans fondement. La demanderesse soutient en outre que la juge adjointe n’a pas analysé ses arguments, n’a pas examiné si la procédure constituait un mécanisme de recours adéquat et n’a pas tenu compte de ses arguments concernant la mauvaise foi.

[36] La défenderesse soutient que la juge adjointe n’a pas commis d’erreur et que la demanderesse cherche à faire valoir de nouveau le bien‑fondé de sa déclaration. Elle soutient que la demanderesse tente en grande partie de faire annuler l’ordonnance de la juge adjointe au motif que la Cour ne lui a pas offert de mesures d’adaptation appropriées eu égard à son invalidité et qu’elle ne lui a pas fourni d’aide adéquate alors qu’elle agissait pour son propre compte. La défenderesse fait valoir qu’étant donné que la Cour n’a pas compétence pour entendre la déclaration, aucune modification n’est susceptible de corriger ce manquement. De plus, elle exprime des réserves quant au fait que les observations écrites de la demanderesse contiennent des arguments et des motifs d’appel qui n’avaient pas été soulevés dans son avis d’appel.

[37] La présente requête portant l’ordonnance en appel a été entendue sur deux jours. L’audience du 26 mai 2022 devait initialement durer une heure, mais, d’entrée de jeu, la demanderesse m’a informée qu’il lui faudrait à elle seule une heure pour présenter ses observations. J’ai également discuté avec la demanderesse du contenu de son affidavit en l’espèce, qui indiquait que, en raison de son invalidité, elle ne devait pas être interrompue pendant qu’elle parlait et qu’il faudrait attendre à la fin de la présentation de ses observations pour lui poser des questions. Je l’ai également informée que je serais disposée à dépasser légèrement le temps alloué si elle avait besoin d’une pause pendant l’audience.

[38] La demanderesse a informé la Cour qu’elle avait divisé la présentation de ses observations en trois parties et qu’elle prendrait une pause après chacune d’elles afin de permettre à la Cour de lui poser des questions si elle le souhaitait. L’audience a suivi son cours et la demanderesse a passé 1 heure et 45 minutes à présenter ses observations avant que l’audience doive être ajournée. Une deuxième journée d’audience a été prévue afin de permettre à la défenderesse de présenter ses observations. Le 6 juin 2022, l’audience s’est poursuivie et a duré 1 heure et 50 minutes, au cours desquelles la demanderesse a répondu aux questions de la Cour au sujet d’éléments abordés durant la première audience et a passé un peu plus de 30 minutes à faire d’autres observations en lien avec les questions de la Cour, puis la défenderesse a présenté ses observations pendant 45 minutes et la demanderesse a utilisé le temps qu’il restait pour présenter des observations en réplique.

II. Les questions en litige

[39] La question cruciale que soulève le présent appel est de savoir si la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en accueillant la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration sans autorisation de la modifier. Les questions que soulève l’appel peuvent être reformulées et divisées de la manière suivante :

  1. La juge adjointe Coughlan a‑t‑elle omis de fournir des mesures d’adaptation à la demanderesse eu égard à son invalidité et de prendre en considération le fait qu’elle agissait pour son propre compte?

  2. La juge ajointe Coughlan a‑t‑elle commis une erreur en concluant, sur le fondement de l’article 236 de la Loi, que la Cour n’a pas compétence pour entendre la déclaration de la demanderesse?

III. La norme de contrôle applicable

[40] Les décisions portant sur des requêtes en radiation sont de nature discrétionnaire (Feeney c Canada, 2022 FCA 190 [Feeney]). La norme de contrôle applicable aux appels interjetés au titre de l’article 51 des Règles à l’encontre d’une ordonnance discrétionnaire d’un juge adjoint est énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], aux paragraphes 64, 66 et 79. De telles ordonnances sont assujetties à la norme civile applicable aux appels (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen]) et « ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au para 64). Les questions mixtes de fait et de droit sont contrôlées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit et les questions mixtes dont il est possible d’isoler une question de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte (Worldspan Marine Inc c Sargeant III, 2021 CAF 130 au para 48).

[41] Le juge adjoint qui exerce un pouvoir discrétionnaire applique des normes juridiques aux faits constatés. Pour l’application du cadre établi dans l’arrêt Housen, l’exercice du pouvoir discrétionnaire constitue une question mixte de droit et de fait (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 au para 72 [Mahjoub]). Les questions mixtes de droit et de fait, y compris l’exercice du pouvoir discrétionnaire, peuvent être annulées uniquement en présence d’une erreur manifeste et dominante, à moins qu’il y ait une erreur à l’égard d’une question de droit ou d’une règle de droit qu’il est possible d’isoler (Mahjoub, au para 74).

[42] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue (Feeney, au para 4). Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire (Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46 [South Yukon]). Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout; on doit plutôt faire tomber l’arbre tout entier (South Yukon, au para 46; Mahjoub, au para 61).

[43] La juge adjointe Coughlan est responsable de la gestion de l’instance dans la présente affaire. Comme l’a mentionné mon collègue le juge Andrew D. Little dans un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles, « le juge responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’instance » et ses « décisions [...] doivent être traitées avec déférence, surtout en ce qui concerne les questions où les faits dominent » (Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 au para 67).

IV. Analyse

A. Les mesures d’adaptation offertes à la demanderesse en raison de son invalidité et du fait qu’elle agissait pour son propre compte

[44] Dans son avis de requête, ses observations écrites et les observations orales qu’elle a présentées à l’audience, la demanderesse formule plusieurs allégations concernant le fait que des mesures d’adaptation ne lui ont pas été offertes compte tenu de son invalidité et que la juge adjointe Coughlan ne lui a pas fourni de renseignements et ne l’a pas [traduction] « conseillée » relativement aux questions de procédure et aux éléments qu’elle aurait dû mentionner dans sa déclaration. La défenderesse soutient que la demanderesse n’a jamais informé la juge adjointe Coughlan que les mesures d’adaptation fournies n’étaient pas adéquates. De plus, la défenderesse affirme que la demanderesse a des attentes irréalistes quant à l’aide que peut offrir la Cour aux personnes qui ne sont pas représentées par un avocat tout en s’acquittant de son obligation d’impartialité.

[45] J’examinerai d’abord la question des mesures d’adaptation offertes à la demanderesse compte tenu de son invalidité. Comme je l’ai mentionné plus haut, la demanderesse a indiqué dans sa déclaration qu’elle [traduction] « avait expliqué durant son entrevue [à la GRC] qu’elle avait subi une lésion cérébrale et qu’elle était atteinte du syndrome de fatigue chronique ». Dans l’affidavit figurant dans le dossier de requête qu’elle avait présenté à la juge adjointe Coughlan, elle affirme avoir souffert d’une [traduction] « grave récidive du syndrome de fatigue chronique ». De plus, dans son affidavit, elle parle de son invalidité et de l’absence de mesures d’adaptation à la GRC sans toutefois préciser en quoi consisteraient ces mesures, si ce n’est pour l’aider dans sa recherche d’un nouvel emploi ou pour lui offrir une promotion dans un autre service où elle subirait moins de stress. Elle fait remarquer qu’elle a de la difficulté à postuler d’autres emplois parce que son invalidité [traduction] « rend presque impossible la réussite d’un examen » et elle indique que les questions à choix multiples peuvent constituer un obstacle.

[46] Le 1er février 2022, soit 17 jours avant l’audience relative à la requête en radiation, la demanderesse a envoyé la lettre suivante à la juge adjointe Coughlan :

[traduction]

À l’attention de la protonotaire Catherine Coughlan

J’ai une invalidité depuis l’enfance qui m’empêche parfois de prononcer ou de lire des mots.

Il peut y avoir une très grande différence entre les mots que je lis et ceux que lisent les autres. Je surmonte généralement ce problème en demandant à une autre personne de lire le mot, puis je dis le mot que je voulais lire.

J’ai particulièrement du mal à prononcer les noms et je ne peux pas les remplacer par un autre mot. Le mieux que je puisse faire est d’épeler les noms pour la Cour.

Parfois, il me faut quelques minutes pour trouver le mot que je veux prononcer ou je prononce le mauvais mot et je dois me corriger.

Comment souhaiteriez‑vous gérer ces aspects au cours de l’audience?

Veuillez agréer, Madame la protonotaire, l’expression de mes sentiments distingués.

Dreena Davis

[47] Le lendemain, en réponse à cette lettre, la juge adjointe Coughlan a donné la directive suivante :

[traduction]

« La Cour a reçu une lettre datée du 1er février 2022 de la demanderesse, Mme Davis, qui faisait part des difficultés qu’elle pourrait avoir à communiquer oralement ses observations à la Cour. Lors de l’audience relative à la requête en radiation de la défenderesse, le 17 février 2022, la Cour autorise Mme Davis à être accompagnée, si elle le souhaite, par un représentant qui pourra l’aider au besoin. »

[48] Le 10 février 2022, la demanderesse a écrit à la juge adjointe Coughlan au sujet du rejet par le greffe du dépôt de sa réponse à la requête en radiation et de son affidavit de signification. Elle a également informé la Cour qu’elle avait reçu un résultat positif à un test de dépistage de la COVID‑19 et qu’elle était en quarantaine. De ce fait, elle ne pouvait ni signer ni numériser ses documents, mais elle souhaitait néanmoins que l’audience se tienne à la date prévue, car elle était en mesure de travailler de la maison et elle voulait éviter que l’instance soit davantage retardée. Le 14 février 2022, la Cour a ordonné que les documents soient acceptés pour dépôt.

[49] L’audience a eu lieu le 17 février 2022, comme prévu. La demanderesse n’était pas accompagnée par un représentant. Durant l’audience, la juge adjointe Coughlan a posé plusieurs questions à la demanderesse. À un certain moment, elle a noté que la demanderesse s’était prévalue du droit de déposer un grief, ce à quoi la demanderesse a répondu qu’elle avait effectivement exercé ce droit, mais que la procédure de règlement des griefs était trompeuse. Elle a indiqué qu’elle essayait de trouver dans ses documents plusieurs de ses arguments sur ce point. La juge adjointe lui a dit : [traduction] « Très bien, prenez votre temps, Mme Davis. Je ne veux pas vous faire perdre le fil de votre argumentation. » La demanderesse a ensuite commencé à présenter ses observations sur ce point. Elle a parlé pendant environ deux minutes avant de dire : [traduction] « Je suis désolée. J’ai été déstabilisée. » La juge adjointe lui a alors dit : [traduction] « Que diriez‑vous, Mme Davis, si nous prenions dès maintenant la pause du matin afin que vous puissiez vous ressaisir avant la reprise de l’audience? De combien de temps auriez‑vous besoin? » La demanderesse a répondu qu’une pause de [traduction] « 10 minutes [serait] suffisante » et la juge adjointe Coughlan a fait une pause en conséquence.

[50] À la reprise de l’audience, la demanderesse a continué de présenter ses observations sur ce point, sans indiquer que la durée de la pause n’avait pas été suffisante. La demanderesse a ensuite passé une quarantaine de minutes à présenter ses observations, elle a répondu aux questions, elle a renvoyé à la jurisprudence et elle a fait valoir des arguments pour étayer sa position. Elle n’a pas demandé d’ajournement ou de pause supplémentaire et elle ne semblait avoir aucune difficulté à présenter ses arguments.

[51] À la suite de la réponse de la défenderesse, qui a parlé pendant une dizaine de minutes, la juge adjointe Coughlan a déclaré ce qui suit : [traduction] « Mme Davis, la Cour n’accorde habituellement pas de droit de réplique, mais si vous souhaitez dire quelque chose, n’hésitez pas à le faire, en demeurant brève. » La demanderesse a ensuite répliqué très brièvement.

[52] La demanderesse soutient que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en lui offrant de prendre une pause au lieu d’ajourner l’audience pour qu’elle puisse préparer adéquatement la présentation de ses observations. Selon elle, la Cour aurait dû lui offrir un ajournement sans qu’elle ait à en faire la demande. Elle affirme que les questions l’ont surprise et qu’elle n’arrivait plus à penser ni à s’exprimer clairement lorsque la juge adjointe Coughlan l’a [traduction] « interrompue abruptement ».

[53] La défenderesse fait valoir que la demanderesse avait été amplement informée des questions en jeu, qu’elle avait déposé de nombreux documents, qu’elle n’avait pas hésité à faire part de ses préoccupations à la Cour avant l’audience, et que les questions de la juge adjointe Coughlan portaient sur les documents contenus dans les dossiers de requête et sur des questions que la demanderesse avait soulevées. Il n’y avait donc aucune surprise. La défenderesse affirme que la demanderesse soulève la question des interruptions après coup et qu’elle n’explique pas pourquoi elle ne l’avait pas soulevée avant ou pendant l’audience ou pourquoi elle n’avait pas indiqué que, en raison de son invalidité, elle avait du mal à s’exprimer lorsqu’on l’interrompait.

[54] Pour ce qui est de savoir pourquoi elle n’avait pas soulevé la question des interruptions pendant l’audience, la demanderesse réplique que, parfois, ce n’est qu’après coup que les personnes ayant subi une lésion cérébrale arrivent à communiquer ce qui s’est passé.

[55] Après avoir visionné l’intégralité de l’enregistrement vidéo de l’audience devant la juge adjointe Coughlan, je suis d’avis que, aux yeux d’une personne externe, la demanderesse ne semblait avoir eu aucune difficulté à présenter ses observations, si ce n’est le moment mentionné plus haut où elle a affirmé qu’elle avait été [traduction] « déstabilisée », ce après quoi la juge adjointe a accordé une pause de 10 minutes. La demanderesse était plutôt cohérente, elle a répondu aux questions, elle s’exprimait bien et elle a fait valoir sa position de façon admirable pour une personne qui n’était pas représentée par un avocat. Compte tenu des renseignements qui ont été communiqués à la juge adjointe Coughlan avant et pendant l’audience, il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle vérifie si la demanderesse préférait que la Cour attende après la présentation de ses observations pour lui poser des questions ou si, après chaque question posée, la demanderesse préférait que l’audience soit ajournée. De plus, j’estime que les questions de la juge adjointe Coughlan n’étaient ni inattendues ni inhabituelles au vu du contenu des dossiers de requête et que la façon dont elle les a posées ne sortait pas de l’ordinaire pour un membre de la magistrature.

[56] Quant à l’observation de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas indiqué pendant l’audience que les interruptions lui posaient problème parce que les personnes ayant subi des lésions cérébrales ne peuvent exprimer leur sentiment qu’après coup, je note trois choses. Premièrement, la demanderesse aurait su qu’être interrompue lui posait problème avant la tenue de l’audience. Il lui était donc loisible d’en informer la juge adjointe Coughlan avant l’audience ou pendant celle‑ci après avoir vu l’avocate de la défenderesse répondre à des questions pendant la présentation de ses observations. Deuxièmement, durant l’audience relative à la requête en radiation, la demanderesse avait en effet été capable d’indiquer qu’elle avait été [traduction] « déstabilisée » par l’une des questions et elle s’était donc vu offrir de prendre une pause. Troisièmement, l’audience relative à la requête en radiation a eu lieu le 17 février 2022 et l’ordonnance a été rendue le 16 mars 2022. Rien n’empêchait la demanderesse de soulever la question des interruptions après l’audience en écrivant à la Cour.

[57] La demanderesse soutient que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en ne lui fournissant pas de mesures d’adaptation appropriées en ce qui concerne un représentant. Elle reconnaît certes que la juge adjointe Coughlan l’avait autorisée à être accompagnée par un représentant si elle le souhaitait, mais, selon elle, cette mesure était insuffisante. Lorsque la demanderesse a été questionnée à ce sujet au cours de l’audience en l’espèce, il a été constaté qu’elle s’attendait à ce que ce représentant soit payé par la Cour, qu’il connaisse les procédures de la Cour fédérale et qu’il l’aide à préparer ses actes de procédure. En réponse à d’autres questions, la demanderesse a indiqué qu’elle s’attendait à ce qu’un représentant soit en mesure de lui fournir des conseils juridiques et de relever les questions manquantes, comme le ferait un avocat spécialisé en droit du travail.

[58] La défenderesse fait valoir que la demanderesse n’a jamais informé la juge adjointe Coughlan que la mesure d’adaptation offerte par la Cour n’était pas suffisante. Le processus est fondé sur la coopération : la demanderesse est censée aider la Cour à comprendre ses besoins. La défenderesse ne sait pas ce que la Cour aurait pu faire d’autre dans les circonstances. On ne peut pas blâmer la juge adjointe Coughlan pour quelque chose qu’elle ignorait. La défenderesse affirme que la demanderesse a des attentes irréalistes en ce qui a trait à l’aide qu’elle aurait dû recevoir.

[59] Je comprends que la demanderesse a subi une lésion cérébrale et qu’elle est atteinte du syndrome de fatigue chronique, mais il lui incombait d’informer la Cour que la mesure d’adaptation offerte n’était pas suffisante compte tenu de son invalidité. Cette mesure a été accordée plus de deux semaines avant l’audience relative à la requête en radiation. La demanderesse n’a pas signalé les problèmes que lui posait cette mesure avant ou pendant l’audience relative à la requête en radiation.

[60] Aux termes de l’article 119 des Règles, la partie qui comparaît devant notre Cour peut habituellement agir seule ou se faire représenter par un avocat. Comme il a été expliqué à la demanderesse au cours de l’audience en l’espèce, le fait que la juge adjointe Coughlan l’avait autorisée à être accompagnée d’un représentant qui aurait pu l’aider au besoin est une dispense spéciale que la Cour n’accorde pas souvent. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la demanderesse avait des attentes irréalistes concernant l’aide qui aurait dû lui être fournie. La juge adjointe Coughlan n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ne vérifiant pas si la demanderesse était d’avis que la mesure d’adaptation offerte était insuffisante ou en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour lui offrir gratuitement les services d’un conseiller juridique.

[61] Pendant la présentation de ses observations en réplique, la demanderesse a affirmé que la Cour aurait dû désigner une personne pour la représenter conformément à l’article 115 des Règles. Elle soutient qu’elle est une « personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice » au sens de l’alinéa 115(1)b) des Règles. Durant l’audience, j’ai expliqué à quel type de personnes l’article 115 des Règles s’applique habituellement. La demanderesse a reconnu que ses capacités sont généralement supérieures à celles des personnes que j’ai décrites, mais elle soutient qu’elle est incapable de naviguer dans le système judiciaire et qu’elle s’est vu refuser l’accès à la justice. Elle demande donc qu’un avocat ou un représentant compétent soit désigné pour l’aider à cheminer dans la procédure.

[62] L’alinéa 115(1)b) des Règles est libellé ainsi :

Nomination de représentants

Appointment of representatives

115(1) La Cour peut désigner une ou plusieurs personnes pour représenter :

115(1) The Court may appoint one or more persons to represent

[…]

b) une personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice contre laquelle une instance est introduite ou qui en prend l’initiative.

(b) a person under a legal disability against or by whom a proceeding is brought.

[63] L’article 121 des Règles dispose que, à moins que la Cour n’en ordonne autrement, la partie qui n’a pas la capacité d’ester en justice peut se faire représenter par un avocat. Cette disposition est libellée ainsi :

Partie n’ayant pas la capacité d’ester en justice ou agissant en qualité de représentant

Parties under legal disability or acting in representative capacity

121 La partie qui n’a pas la capacité d’ester en justice ou qui agit ou demande à agir en qualité de représentant, notamment dans une instance par représentation ou dans un recours collectif, se fait représenter par un avocat à moins que la Cour, en raison de circonstances particulières, n’en ordonne autrement.

121 Unless the Court in special circumstances orders otherwise, a party who is under a legal disability or who acts or seeks to act in a representative capacity, including in a representative proceeding or a class proceeding, shall be represented by a solicitor.

 

[64] Je ne suis pas certaine que la demanderesse soit pleinement consciente des répercussions de l’alinéa 115(1)b) et de l’article 121 des Règles. Si, compte tenu des éléments de preuve dont elle dispose, la Cour concluait que la demanderesse « n’a pas la capacité d’ester en justice » au sens de l’article 121 des Règles, elle suspendrait son action en attendant la désignation d’un avocat. Les honoraires de cet avocat ne seraient pas payés par la Cour.

[65] Aux termes des articles 115 et 121 des Règles, une « personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice », qui est appelée en anglais « a person under a legal disability », désigne la partie à une instance qui est incapable de défendre sa propre cause. La partie qui n’est pas en mesure de comprendre la nature de l’instance ou de fournir des renseignements ou des instructions utiles peut être considérée comme une personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice (Mawut c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 1155 aux para 7, 16 [Mawut]). Le fait qu’une personne a une incapacité qui l’empêche de prendre des décisions de niveau plus élevé, qui influe sur le temps dont elle a besoin pour comprendre l’information reçue ou qui l’oblige à demander de l’aide ou des conseils pour que tous les aspects importants de la situation soient pris en compte n’est pas suffisant pour conclure qu’elle est une personne qui « n’a pas la capacité d’ester en justice » au sens de l’article 121 des Règles lorsque son invalidité ne diminue pas gravement sa capacité de réagir à son environnement de façon appropriée ou d’avoir des relations avec autrui (Holland c Canada (Commission des droits de la personne), 2011 CF 1125 aux para 15‑19; conf par 2012 CAF 187).

[66] Dans la décision Guimond c Canada (1re inst), 1991 CanLII 13541 (CF), [1991] 3 CF 254 [Guimond], la Cour a conclu, en s’appuyant sur l’ancienne version de l’article 115 des Règles (l’article 1700), que la principale question à examiner concernant la nomination d’un représentant est de savoir si cette personne est capable de donner des instructions et d’exercer son jugement au sujet des points litigieux et d’un règlement possible en la matière, comme une personne saine d’esprit devrait être en mesure de le faire (à la p 259).

[67] Il faut donc déterminer si la personne est en mesure de donner des directives à son avocat ou si elle comprend la nature de l’instance (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Seifert, 2003 CF 875 aux para 3, 6; Guimond, à la p 259; Mawut, au para 7). La question de l’absence de « capacité d’ester en justice » au sens de l’article 121 des Règles n’a rien à voir avec la question de savoir si une personne a une formation juridique ou si elle connaît les règles de procédure et de pratique de la Cour.

[68] La preuve dont dispose actuellement la Cour, qui comprend la lettre d’un médecin datée de 2019, laquelle confirme que la demanderesse avait reçu un diagnostic de syndrome de fatigue chronique et de fibromyalgie, ne permet pas de conclure que la demanderesse est une « personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice » au sens des articles 115 et 121 des Règles. De plus, cette lettre ne figurait pas dans le dossier de requête qui avait été présenté à la juge adjointe Coughlan. Par conséquent, la juge adjointe n’a pas commis d’erreur en n’ordonnant pas qu’un avocat soit désigné pour représenter la demanderesse.

[69] J’examine maintenant le fait que la demanderesse agit pour son propre compte. La demanderesse désigne plusieurs aspects à l’égard desquels la juge adjointe Coughlan aurait dû lui fournir de l’aide ou des conseils. Elle soutient que la juge adjointe a commis une erreur en ne lui expliquant pas la procédure à suivre pour contester des dispositions légales ou plaider l’existence d’une erreur dans un texte de loi. Elle affirme que la juge adjointe n’a pas vérifié si elle comprenait la procédure, qu’elle ne lui a pas fourni les renseignements dont elle avait besoin et qu’elle ne lui a fourni aucun service quant à la manière de modifier ses actes de procédure. À l’audience, la demanderesse a indiqué que, dans le cadre de la gestion de l’instance, la juge adjointe aurait dû lui fournir de l’information sur les éléments que devait contenir sa déclaration. La demanderesse s’appuie sur l’Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat daté de 2006 [l’énoncé de principes].

[70] La défenderesse soutient que cet énoncé de principes renferme des conseils et que, même s’il prévoit que les juges peuvent fournir des explications et de l’aide, il n’en demeure pas moins qu’ils sont tenus de faire preuve d’impartialité. Elle affirme que la demanderesse a eu amplement le temps d’informer la Cour que la procédure lui posait problème ou qu’elle avait besoin d’aide. Ce n’est qu’après la radiation de sa déclaration qu’elle a fait valoir que l’issue aurait été différente si elle avait obtenu de plus amples directives de la Cour.

[71] Je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur manifeste et dominante en ne fournissant pas de conseils ou de renseignements à la demanderesse. Le fait de ne pas avoir bien compris les répercussions des Règles ou de ne pas avoir fait valoir des arguments plus convaincants ne constitue pas un motif d’appel. Je souscris à l’avis de la défenderesse selon lequel il incombait à la demanderesse de faire valoir ses arguments.

[72] Dans le système accusatoire, ce sont les parties, et non le juge, qui ont la responsabilité première de déterminer les questions en litige et de soumettre le litige au système judiciaire (Miglialo c Banque Royale du Canada, 2018 CF 525 au para 30 [Miglialo]). Bien que la Cour affiche généralement une certaine souplesse et une certaine ouverture à l’égard des parties non représentées par un avocat et qu’elle soit consciente du fait que ces parties n’ont pas l’avantage d’avoir de l’expérience, le fait de ne pas être représenté par un avocat n’exempte pas la partie de son obligation de s’acquitter de son fardeau (Ballantyne c Canada, 2014 CF 242 au para 11; Barkley c Canada, 2014 CF 39 au para 18). Le fait qu’une partie à un litige n’est pas représentée par un avocat ne lui donne aucun droit additionnel ni aucune dispense spéciale en raison de son manque de connaissances ou de compétences dans le domaine juridique (Brunet c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 551 au para 10; Cotirta c Missinnipi Airways, 2012 CF 1262).

[73] Bien que, comme le prévoit l’énoncé de principes, le juge puisse fournir des explications et des renseignements, il ne peut pas être partie à l’instance ni se soustraire à son obligation d’impartialité. Souvent, le fait qu’une personne ne soit pas représentée par un avocat justifiera que l’on fasse preuve d’une certaine indulgence, mais cela ne justifiera habituellement pas que cette personne soit assujettie à une norme moins élevée de conformité aux règles et aux ordonnances de la Cour, car il lui incombe de faire valoir ses arguments (Miglialo, au para 30).

[74] Je comprends la frustration de la demanderesse, car il n’est pas facile d’intenter une action en justice, particulièrement pour les personnes qui ne sont pas représentées par un avocat. La juge adjointe Coughlan avait toutefois l’obligation de rester impartiale. Je suis d’avis que plusieurs des attentes qu’exprime la demanderesse dans ses observations en ce qui concerne la juge adjointe semblent frôler, voire franchir, la ligne de démarcation entre lui fournir de l’aide et défendre sa cause. Par exemple, la demanderesse affirme que la juge adjointe [traduction] « [a commis] une erreur de droit relativement à l’Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat lorsqu’elle ne lui a pas conseillé de poser la question de droit de savoir si le droit du travail s’applique aux fonctionnaires non représentés ». Pendant l’audience, la demanderesse a déclaré que la juge adjointe aurait dû lui fournir des renseignements sur les éléments qui auraient dû figurer dans sa déclaration, notamment en ce qui concerne la contestation des dispositions de la Loi elle‑même.

[75] Même si l’on supposait que fournir ce type d’aide ou de conseils ne franchit pas la ligne de démarcation mentionnée plus haut, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’« [o]n ne peut [...] pas blâmer un juge qui n’a pas prévu ou recommandé une mesure qu’aurait pu prendre un justiciable » (Erdmann c Canada, 2002 CAF 240 au para 4).

[76] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur manifeste et dominante en n’aidant pas davantage la demanderesse. Par ailleurs, je peux résumer de la façon suivante une bonne partie des arguments que m’a présentés la demanderesse : selon cette dernière, l’issue aurait été différente si la juge adjointe lui avait fourni des conseils juridiques et de l’aide. Comme je l’explique dans la section suivante, je doute que ce soit vrai.

[77] En résumé, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur susceptible de contrôle dans la façon dont elle a tenu compte, en fonction des renseignements dont elle disposait, de l’invalidité de la demanderesse et du fait que celle-ci agissait pour son propre compte.

B. La compétence de la Cour d’entendre la déclaration de la demanderesse

[78] Il convient de rappeler que je dois déterminer, en me fondant sur les questions soulevées par les parties, si la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en concluant que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la cause de la demanderesse compte tenu du contenu de la déclaration et du dossier dont elle disposait. Durant l’audience, la juge adjointe a rappelé à la demanderesse la norme de contrôle qui s’applique et lui a indiqué qu’elle devait tenir compte de cette norme lors de la présentation de ses observations.

[79] La demanderesse soutient que la juge adjointe a commis une erreur en radiant sa déclaration sur le fondement de l’article 236 de la Loi. Elle a présenté de longues observations, orales et écrites, concernant la procédure de règlement des griefs, l’« erreur législative » qu’aurait commise le législateur en incluant les fonctionnaires non représentés dans la Loi, et la distinction qui existe entre le droit de l’emploi et le droit du travail. La demanderesse affirme que la procédure de règlement des griefs ne s’applique pas à elle, mais que, si tel est le cas, elle pourrait se prévaloir de l’une des exceptions prévues par la Loi, car la procédure est inadéquate, entachée d’erreurs, partiale, corrompue et trompeuse. Elle ajoute qu’elle [traduction] « a tout à fait le droit de contester la validité ou la constitutionnalité de toute disposition d’une loi ».

[80] La difficulté pour la demanderesse vient du fait qu’une grande partie des observations qu’elle présente en l’espèce, en particulier en ce qui a trait à la validité de la Loi relativement aux fonctionnaires non représentés, ne figurent pas dans sa déclaration. Lorsque je lui ai posé des questions à ce sujet à l’audience, elle a répondu que sa déclaration indiquait qu’elle était une fonctionnaire non représentée et que cela suffisait pour soulever la question de la validité.

[81] À mon avis, il y a visiblement un manque de cohérence entre le contenu de la déclaration et les arguments qu’a présentés la demanderesse à la juge adjointe Coughlan et à moi‑même. Pendant l’audience relative à la requête en radiation, la juge adjointe Coughlan a informé la demanderesse que certaines des questions soulevées dans la requête ne figuraient pas dans sa déclaration. Elle a ensuite informé la demanderesse que, en tant que décideuse, elle devait tenir compte des éléments contenus dans la déclaration.

[82] Comme me l’avait demandé la demanderesse, je ne l’ai pas interrompue durant la présentation de ses observations. Cependant, lorsqu’elle a eu terminé, j’ai essayé d’obtenir des renseignements sur les erreurs qui, selon elle, auraient été commises par la juge adjointe relativement aux éléments qu’aurait dû contenir sa déclaration. Après avoir examiné l’ensemble des observations orales et écrites qu’a présentées la demanderesse en l’espèce, ainsi que celles qu’elle avait présentées à la juge adjointe Coughlan, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe a commis une erreur susceptible de contrôle au vu du contenu de la déclaration.

[83] Le fondement de la procédure intentée par la demanderesse, tel qu’elle l’énonce dans sa déclaration, découle d’incidents qui se seraient produits sur son lieu de travail ou qui y seraient liés. La demanderesse allègue qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination, que son contrat de travail a été modifié unilatéralement, qu’il y avait de l’animosité, que des mesures d’adaptation ne lui ont pas été fournies à l’égard de son invalidité, et qu’elle a fait l’objet d’une rétrogradation et d’un congédiement déguisés.

[84] La juge adjointe Coughlan a conclu que, compte tenu de la nature des préoccupations liées au milieu de travail soulevées par la demanderesse, cette dernière pouvait se prévaloir de la procédure de règlement des griefs, ce qu’elle a fait. Je ne suis pas convaincue que la juge adjointe a commis une erreur manifeste ou dominante dans son appréciation de la nature de la déclaration de la demanderesse ou son application de la disposition légale applicable – l’article 236 de la Loi – et de la jurisprudence aux faits pertinents.

[85] Bien que la demanderesse affirme qu’il y a une erreur législative en ce qui concerne les fonctionnaires non représentés et que l’article 236 de la Loi n’invalide donc pas sa déclaration, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en tirant une autre conclusion. La juge adjointe Coughlan s’est appuyée sur des jugements de notre Cour et de la Cour d’appel de l’Ontario pour conclure que, en l’espèce, l’article 236 de la Loi écarte la compétence de la Cour (Bron v Canada, 2010 ONCA 71 [Bron]; Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2020 CF 481; Murphy c Canada (Procureur général), 2022 CF 146). Il est bien établi que l’article 236 de la Loi écarte explicitement la compétence de la Cour (Bron, au para 4; Wojdan c Canada (Procureur général), 2021 CF 1341 au para 21 [Wojdan]; Hudson c Canada, 2022 CF 694 au para 73 [Hudson]; Murphy c Canada (Procureur général), 2023 CF 57 au para 70 [Murphy (appel)]; Murphy, au para 24; Adelberg c Canada, 2023 FC 252 au para 13 [Adelberg]). De plus, le mécanisme de règlement des griefs prévu par la Loi s’applique à la fois aux fonctionnaires syndiqués et aux fonctionnaires non syndiqués (Adelberg, au para 11; Wojdan, au para 17; Hudson aux para 43, 47).

[86] La demanderesse fait valoir que la juge adjointe a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que sa déclaration ne constitue pas une exception à l’article 236 de la Loi. Elle soutient que la procédure de règlement des griefs est inadéquate, entachée d’erreurs, corrompue et trompeuse, qu’elle la prive de son dernier recours et que la décision rendue à l’issue de cette procédure peut seulement faire l’objet d’un contrôle judiciaire, ce qui l’empêcherait d’appeler des témoins et de contre‑interroger les témoins de la défenderesse. En outre, elle affirme que la juge adjointe n’a pas indiqué ce qui constituerait une exception.

[87] En réponse, la défenderesse affirme que la juge adjointe a compris la question d’une possible exception à l’article 236 de la Loi et en a tenu compte, parce que, au paragraphe 18 de son ordonnance, elle fait référence aux « exceptions limitées qui ne s’appliquent pas en l’espèce » et, aux paragraphes 20 et 21, elle conclut, après avoir examiné si le régime législatif comportait des lacunes, que de telles considérations n’entraient pas en jeu en l’espèce. La défenderesse fait valoir que la juge adjointe a noté que la demanderesse était d’avis que la procédure de règlement des griefs était trompeuse et corrompue et s’est donc penchée sur cet argument.

[88] Il incombe à la demanderesse de démontrer pourquoi, compte tenu de sa situation personnelle, la procédure de règlement des griefs ne lui est pas ouverte et pourquoi la Cour a donc compétence (Murphy (appel), aux para 80‑82; Hudson, au para 93; Lebrasseur c Canada, 2007 CAF 330 au para 19). Dans sa réponse à la requête en radiation de la défenderesse dont était saisie la juge adjointe, la demanderesse a affirmé que la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel, [traduction] « parce que, comme dans l’affaire Greenwood c Canada 2020, la négligence systémique et le harcèlement constituent des “circonstances exceptionnelles” ». Elle a également indiqué que, comme dans l’affaire Bron, la procédure de règlement des griefs ne pouvait pas lui offrir de réparation appropriée et que, de toute façon, elle n’avait pas accès à cette procédure en tant qu’employée non représentée. S’appuyant sur l’opinion dissidente formulée dans l’arrêt Vaughan c Canada, 2005 CSC 11, au paragraphe 64, elle a également fait valoir que le recours dont elle pouvait se prévaloir à l’égard de la décision rendue à l’issue de la procédure de règlement des griefs, à savoir une demande de contrôle judiciaire, est inadéquat en comparaison avec la procédure devant un décideur indépendant.

[89] Au vu du dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur en concluant que les exceptions limitées prévues par la Loi ne s’appliquaient pas. J’ai examiné minutieusement les allégations de la demanderesse relativement à son expérience avec la procédure de règlement des griefs, de même que les exceptions qu’elle a invoquées. La demanderesse s’est en fait prévalue de la procédure de règlement des griefs, un point mis en évidence par la juge adjointe. La juge adjointe n’a pas commis d’erreur manifeste ou dominante en ne concluant pas que la procédure de règlement des griefs est corrompue, qu’il existe des circonstances exceptionnelles ou que la demanderesse a été privée de son dernier recours.

[90] La demanderesse soutient qu’elle [traduction] « a tout à fait le droit de contester la validité ou la constitutionnalité de toute disposition d’une loi », que ses [traduction] « droits ont été violés lorsqu’elle a été privée de la possibilité de présenter pleinement et équitablement ses arguments », et que la juge adjointe [traduction] « a commis une erreur lorsqu’elle [ne lui] a pas permis [...] de contester la validité et la constitutionnalité de la partie 2 de la [Loi] en ce qui a trait aux fonctionnaires non représentés ».

[91] Le problème, dans le cas de la demanderesse, est que ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle n’a pas contesté la constitutionnalité de la Loi et elle n’a pas soulevé cette question dans sa déclaration. On ne peut pas reprocher à la juge adjointe Coughlan de ne pas avoir tenu compte de cette question lorsqu’elle a analysé la déclaration, car la demanderesse n’a soulevé cette question que lorsqu’elle a répondu à la requête en radiation de la défenderesse.

[92] De plus, lorsqu’il examine une déclaration, le juge doit aller au‑delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée afin de s’assurer que l’acte de procédure « ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour » (Canada c Roitman, 2006 CAF 266 au para 16 [Roitman]). Le demandeur n’est pas autorisé à présenter son action de façon un peu artificielle afin de contourner l’application d’une loi (Vaughan c Canada, 2005 CSC 11 au para 11; Roitman, au para 16). En réponse à la requête en radiation, la demanderesse a contesté la validité et la constitutionnalité de la partie de la Loi qui aurait pour effet d’invalider sa déclaration. Je ne suis pas convaincue que la juge adjointe a commis une erreur manifeste ou dominante en ne lui permettant pas de contester la validité et la constitutionnalité de la partie 2 de la Loi dans le contexte de la requête en radiation de la défenderesse.

[93] Enfin, la juge adjointe Coughlan a conclu que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la déclaration de la demanderesse et que les exceptions limitées prévues par la Loi ne s’appliquaient pas en l’espèce. Par conséquent, elle a radié la déclaration de la demanderesse, sans autorisation de la modifier. Je comprends fort bien les difficultés qu’éprouvait la demanderesse et les contrecoups émotionnels que le différend en milieu de travail en l’espèce a eus sur elle, mais elle ne m’a pas convaincue que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la Cour n’avait pas compétence pour entendre sa déclaration.

V. Conclusion

[94] Pour les motifs qui précèdent, la présente requête portant en appel l’ordonnance rendue par la juge adjointe Coughlan le 16 mars 2022 est rejetée.

[95] La défenderesse sollicite les dépens. Compte tenu des faits de l’affaire, et en vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles, la somme de 500 $ sera adjugée à la défenderesse au titre des dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1387‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête portant en appel l’ordonnance rendue par la juge adjointe Coughlan le 16 mars 2022 est rejetée.

  2. Des dépens de 500 $ sont adjugés à la défenderesse.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1387‑21

INTITULÉ :

DREENA DAVIS c LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Dreena Davis

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Amanda Neudorf

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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