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Date : 20230221

Dossier : IMM-2373-23

Référence : 2023 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 21 février 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

JHONNY PRECIADO CORDOBA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 20 février 2023, un commissaire de la Section de l’immigration a ordonné la mise en liberté du défendeur, Jhonny Preciado Cordoba (« M. Preciado Cordoba »). Je comprends que, selon l’ordonnance de mise en liberté rendue par la Section de l’immigration, un cautionnement devait être fourni avant la mise en liberté. À la fermeture des bureaux hier, le 20 février 2023, le cautionnement n’avait pas été fourni et M. Preciado Cordoba était toujours en détention. Hier, le ministre a présenté une requête en sursis provisoire à la mise en liberté de M. Preciado Cordoba et a demandé la tenue d’une séance spéciale pour que la requête soit entendue. M. Preciado Cordoba ne semble pas être représenté par un avocat. Le ministre a signifié la requête en sursis provisoire à l’établissement de détention où M. Preciado Cordoba est toujours détenu. Je ne sais pas si M. Preciado Cordoba a reçu la requête du ministre.

[2] J’ai décidé d’entendre la requête du ministre afin de clarifier les motifs pour lesquels celui‑ci demande un sursis à la mise en liberté de M. Preciado Cordoba. J’ai entendu la requête en sursis provisoire du ministre lors d’une audience ex parte tenue aujourd’hui. À la fin de l’audience, j’ai informé le ministre que j’allais rejeter sa requête. Les motifs de ma décision sont exposés ci‑après.

  1. Contexte et historique procédural

[3] M. Preciado Cordoba est citoyen de la Colombie. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont toutes les deux rejeté sa demande d’asile. La Cour a rejeté la demande d’autorisation de contester la décision défavorable de la Section d’appel des réfugiés. La demande d’examen des risques avant renvoi de M. Preciado Cordoba a également été rejetée. Ce dernier doit être renvoyé du Canada le 27 février 2023.

[4] M. Preciado Cordoba a été arrêté et placé en détention le 13 février 2023 à la suite d’une entrevue avec un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. D’après ce que je comprends, l’agent de l’ASFC craignait que M. Preciado Cordoba ne se présente pas pour son renvoi en raison de son refus de signer la convocation en vue de son renvoi ainsi que des commentaires qu’il avait faits lors de l’entrevue préalable au renvoi. Selon ces commentaires, son expulsion était illégale et il devait rester au Canada pour présenter une demande devant la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.

[5] La Section de l’immigration a effectué un contrôle des motifs de détention après 48 heures qui a commencé le 15 février 2023. Je crois comprendre que l’audience n’était pas terminée après cette séance. L’audience a repris le 20 février 2023, après le week‑end. La Section de l’immigration a rendu une ordonnance de mise en liberté le 20 février 2023.

II. Analyse

[6] Dans la requête en sursis provisoire, la question sérieuse soulevée par le ministre concerne la conclusion du commissaire selon laquelle il existait une solution de rechange appropriée à la détention et, plus particulièrement, la façon dont le commissaire a traité la caution. Selon l’ordonnance de mise en liberté, Diego Fernando Rios Rios (« M. Rios Rios ») doit fournir des garanties d’exécution de 1 500 $ et de 500 $. M. Rios Rios était présent à l’audience et a été interrogé.

[7] Le ministre m’a informée que M. Rios Rios, même s’il était désigné comme la personne qui allait fournir la garantie d’exécution, n’était pas celui qui allait fournir les 1 500 $. Le ministre a indiqué que l’argent provenait en fait d’un certain nombre de personnes, à savoir des membres de l’église de M. Preciado Cordoba, y compris (ou en plus de) deux personnes qui avaient comparu à la première séance de l’audience relative au contrôle des motifs de détention à titre de cautions potentielles, mais qui n’avaient pas pu se rendre à la deuxième journée d’audience, le 20 février 2023.

[8] Le ministre soulève deux problèmes en ce qui concerne la source de la garantie. Premièrement, il soutient que le commissaire a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’il n’a pas pu interroger, lors du contrôle des motifs de la détention, les deux personnes qui avaient fourni les fonds pour la garantie. Le ministre n’a pu interroger que M. Rios Rios. Le problème avec cet argument tient au fait que ces deux personnes n’ont pas fourni le plein montant de la garantie, mais que, comme cela m’a été expliqué, un certain nombre d’autres personnes ont cotisé. Qui plus est, M. Rios Rios a aussi fourni une partie du montant de la garantie. Le ministre soutient également que la décision est déraisonnable parce que le dépôt d’un cautionnement sert à exercer des pressions sur la caution pour qu’elle veille à ce que la personne mise en liberté respecte les conditions qui lui sont imposées; par conséquent, la source des fonds est une question clé pour déterminer si l’entente avec la caution est une solution de rechange appropriée à la détention.

[9] Comme je l’ai précisé à l’audience, le ministre ne prétend pas que le commissaire ne connaissait pas la source des fonds lorsqu’il a ordonné la mise en liberté du défendeur selon ces conditions. Le commissaire n’a pas non plus ordonné la mise en liberté en se fondant uniquement sur le montant de la garantie. Il a plutôt ordonné à M. Rios Rios, qui était présent et qui a été interrogé, de fournir une garantie de 500 $.

[10] Le ministre a également soutenu, en ce qui concerne la source des fonds, que l’ordonnance de mise en liberté du commissaire n’était pas conforme aux articles 47 et 49 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Le ministre semble être d’avis que, puisque les fonds proviennent de plusieurs personnes, l’ordonnance de mise en liberté ne peut être conforme à ces articles du RIPR, qui exigent qu’une personne fournisse la garantie. La position du ministre ferait en sorte que les garanties reçues au nom d’un groupe pour aider une personne ne puissent pas être acceptées. Je ne vois pas de fondement à cette interprétation dans les articles 47 et 49 du RIPR sur lesquels s’appuie le ministre.

[11] Les exigences plus strictes prévues aux articles 47 à 49 portent sur la fourniture d’une garantie. Le ministre s’est d’abord appuyé particulièrement sur l’alinéa 47(2)a), qui porte que la personne qui fournit une garantie doit « être citoyen canadien ou résident permanent », faisant valoir qu’il était impossible de respecter cette exigence si les fonds proviennent d’un groupe. L’alinéa 47(2)b) exige également que la personne qui fournit la garantie soit « capable de faire en sorte que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie respecte les conditions imposées ». Lorsque la Cour a souligné que la question en litige concernait la fourniture d’une garantie, le ministre a affirmé que les articles 47 et 49 du RIPR exigeaient généralement que les fonds proviennent uniquement d’une personne.

[12] Le ministre attire l’attention de la Cour sur la décision Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Zhang, 2001 CFPI 522 [Zhang]. Selon moi, cette affaire n’est pas utile en l’espèce. Dans la décision Zhang, la Cour a conclu que la décision de la Section de l’immigration de ne nommer aucune personne en particulier sur une ordonnance de mise en liberté pour la fourniture d’un cautionnement était déraisonnable. La Cour a également noté dans la même décision qu’il y avait des considérations particulières dans cette affaire étant donné le contexte plus large et les préoccupations liées à la participation potentielle à des activités criminelles de passage de clandestins.

[13] En l’espèce, si je comprends bien, le commissaire connaissait la source des fonds offerts et a décidé que la personne qui avait été interrogée à l’audience était celle qui fournissait les deux garanties. Si j’accepte l’interprétation du ministre des conclusions du commissaire et les événements survenus à l’audience, je ne vois aucune raison de conclure à l’existence d’une question sérieuse, même si je devais appliquer le critère peu rigoureux. Je reconnais que les membres de notre Cour ne s’entendent pas tous sur la question de la norme qu’il convient d’appliquer dans les circonstances où le ministre demande le sursis d’une ordonnance de mise en liberté; en effet, certains exigent un critère plus élevé (voir Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness) v Allen, 2018 FC 1194; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Mohammed), 2019 CF 451) tandis que d’autres exigent un critère moins rigoureux (voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Asante, 2019 CF 905). Je n’ai pas à trancher cette question en l’espèce étant donné que, même si j’applique la norme la moins rigoureuse, je ne puis conclure que le ministre a établi qu’il existait une question sérieuse.

[14] En fin de compte, le ministre conteste la décision du commissaire parce qu’il n’approuve pas la manière dont ce dernier a soupesé divers facteurs et est arrivé à une conclusion, après deux jours d’audience, sur la pertinence d’une solution de rechange à la détention eu égard à toutes les circonstances présentées.

[15] De plus, compte tenu de la prépondérance des inconvénients, je dois non seulement veiller à ce que les dispositions relatives au renvoi soient respectées, mais aussi tenir compte de l’intérêt public à l’égard de l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté.

[16] Le ministre a noté qu’un nouveau contrôle des motifs de la détention de M. Preciado Cordoba serait effectué le 24 février 2023 s’il n’était pas libéré et qu’il serait renvoyé le 27 février 2023. Comme l’a constaté le juge Norris, « la perte de liberté, ne serait‑ce que d’un jour, demeure un facteur décisif : voir R c Hall, 2002 CSC 64 au para 47; et R c Penunsi, 2019 CSC 39 au para 68 » (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Erhire, 2021 CF 908 au para 45 [Erhire]). Le droit à la liberté de M. Preciado Cordoba a un poids important, non seulement parce qu’il existe un intérêt privé à mettre fin à sa détention, mais aussi parce qu’il est notamment dans l’intérêt public de garantir que « toute privation de liberté est justifiée » (Erhire, au para 44; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Kalombo, 2020 CF 793 aux para 57‑62; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Santiago Cruceta, 2022 CF 1629 au para 7).

[17] Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, je ne suis pas convaincue que le ministre a établi qu’un sursis provisoire devait être ordonné.

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

La requête du demandeur en sursis temporaire à l’ordonnance de mise en liberté est rejetée.

en blanc

« Lobat Sadrehashemi »

en blanc

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑2372‑23

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c JHONNY PRECIADO CORDOBA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 février 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Leila Jawando

 

Pour le demandeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

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