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Date : 20230220


Dossier : IMM-8820-21

Référence : 2023 CF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

VAN NGOC NGUYEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 octobre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Faits

[2] Le demandeur, âgé de 39 ans, est citoyen du Vietnam. Il est né et a grandi dans une famille chrétienne catholique. Il demande l’asile parce qu’il craint les autorités vietnamiennes en raison de sa participation à des manifestations et de son militantisme politique au Vietnam. Ses allégations sont exposées ci-dessous.

[3] En avril 2016, à la suite d’une catastrophe environnementale causée par une usine de plastique, l’usine a accepté de verser une indemnisation aux collectivités. Cependant, plusieurs d’entre elles, dont les paroisses catholiques, se sont vu refuser des paiements. Par conséquent, le 14 février 2017, des milliers de personnes ont marché 200 kilomètres, sous la direction d’un curé de paroisse au Vietnam, pour intenter un procès. En tant que responsable du comité Justice et Paix de sa paroisse, le demandeur, avec d’autres paroissiens, a aidé à organiser la marche. La police a arrêté et battu de nombreux manifestants, dont le demandeur, qui a été hospitalisé.

[4] En mars 2017, le demandeur s’est enfui au Laos après que ses amis lui ont dit que la police locale le recherchait. Il a fait plusieurs allers-retours au Laos et est revenu au Vietnam le 15 mai 2017 pour participer à une autre manifestation contre le gouvernement parce que celui-ci n’avait pas indemnisé la communauté catholique. Le matin du 15 mai 2017, le demandeur est allé chercher sa mère malade pour la sortir de l’hôpital, où elle n’avait pas reçu les soins appropriés. Il ramenait sa mère chez elle lorsque la police l’a arrêté et battu, et a couché sa mère sur le sol. La police l’a laissé partir, mais a menacé de l’inculper pour ses activités du 14 février 2017.

[5] La mère du demandeur est décédée en juillet 2017. Il y a eu d’autres marches et manifestations en 2017, auxquelles le demandeur n’a pas assisté, et au cours desquelles des gens ont été harcelés, battus, arrêtés et emprisonnés. Le demandeur affirme que la plupart des membres de sa paroisse ont été arrêtés et emprisonnés.

[6] Le demandeur est resté caché jusqu’en septembre 2018. Il est arrivé au Canada le 10 octobre 2018 et a obtenu plusieurs visas de travail. Il a présenté sa demande d’asile le 27 novembre 2019. Le demandeur affirme qu’en raison de ses activités politiques, son fils n’a été autorisé à fréquenter aucune école publique de la commune de Do Thanh.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, le jugeant non crédible. Elle a tiré les conclusions suivantes à l’appui de cette conclusion :

- Même s’il a affirmé avoir dirigé la manifestation du 14 février 2017, le demandeur a fourni des détails vagues et non précis sur la façon dont il a organisé et dirigé la manifestation.

- Il n’est pas raisonnable que le demandeur ait pu faire plusieurs allers-retours entre le Laos et le Vietnam sans problème, alors que la police était censée le rechercher et qu’il craignait d’être arrêté et torturé.

- L’explication donnée par le demandeur pour avoir tardé pendant plus d’un an à présenter une demande d’asile après son arrivée au Canada n’était pas raisonnable.

- Les lettres de soutien du Vietnam ne l’emportent pas sur le manque de crédibilité du demandeur.

- Les éléments de preuve sont insuffisants pour établir que le fils du demandeur n’a pas été autorisé à fréquenter l’école en raison des activités politiques du demandeur.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Le 8 octobre 2021, la SAR a rejeté l’appel du demandeur. Elle a souscrit à l’évaluation de la SPR concernant le manque de crédibilité du demandeur et a conclu que, même si ce dernier avait participé activement à deux manifestations, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’il les dirigeait et qu’il était un leader ou un organisateur recherché par la police.

A. Crédibilité

[9] La SAR a souscrit à l’évaluation de la SPR concernant le manque de crédibilité du demandeur, car celui-ci n’a pas été en mesure de décrire les manifestations qu’il avait dirigées ou de donner des détails à ce sujet et il n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve crédibles montrant qu’il était recherché par la police au Vietnam.

1) Témoignage

[10] La SAR a examiné les principaux éléments de preuve et n’a rien trouvé dans la lettre du curé de paroisse du Vietnam qui « fasse ne serait-ce qu’une brève référence au rôle [du demandeur] dans la planification ou la coordination des manifestations ». Elle a également conclu que la lettre du curé de paroisse du Canada ne disait rien sur les prétendues activités politiques du demandeur au Vietnam ou sur le fait qu’il soit recherché par la police.

[11] La SAR a également examiné le témoignage du demandeur et a conclu qu’il était vague et qu’il ne répondait pas aux questions. Elle a noté que le demandeur avait déclaré avoir enregistré six vidéos de la manifestation de février, mais qu’aucune n’avait été produite en preuve. La SAR a compris du témoignage du demandeur qu’il avait participé aux manifestations en passant quelques appels téléphoniques à de petits groupes de paroissiens.

[12] La SAR a conclu que le témoignage du demandeur était incohérent et changeant, particulièrement en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur avait été arrêté par la police. Le demandeur a déclaré avoir été arrêté par la police parce qu’il [traduction] « [...] était le chef d’un groupe lié à la paix et à la liberté », puis, interrogé à savoir s’il avait déjà été arrêté, il a répondu « Non, jamais ». Il a également confirmé qu’il n’y avait pas de mandat d’arrêt contre lui. Étant donné les problèmes de crédibilité, la SAR a conclu que les affirmations du demandeur selon lesquelles d’autres personnes lui ont dit que la police le recherchait ne suffisaient pas pour établir qu’il s’agissait d’un fait, selon la prépondérance des probabilités.

[13] La SAR a conclu que le demandeur inventait divers faits dans son témoignage, notamment le fait que l’hôpital n’avait pas conservé de registre de sa visite parce que la police pouvait y enquêter. Elle a jugé que le témoignage du demandeur selon lequel les choses se calmaient avant la manifestation de mai contredisait son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], dans lequel il avait déclaré que la plupart des membres de sa paroisse avaient été emprisonnés.

[14] En outre, la SAR a estimé que le demandeur supposait que la raison pour laquelle son fils n’avait pas été autorisé à aller à l’école publique était liée à ses activités politiques. Néanmoins, elle a jugé que la question de l’école du fils du demandeur n’avait aucune valeur probante pour ce qui est d’établir si le demandeur risquait d’être arrêté au Vietnam en raison de ses opinions politiques.

2) Lettre d’appui du président de la paroisse et lettre de confirmation

[15] La SAR a conclu que la SPR était tenue d’examiner les lettres d’appui du demandeur avant de décider de ne leur accorder aucun poids, en raison de l’indisponibilité des témoins et du manque de crédibilité générale du demandeur. Elle a procédé à une évaluation indépendante des lettres d’appui.

[16] La SAR n’était pas d’accord avec la SPR et a déclaré que cette dernière aurait dû accorder plus de poids à la lettre du président de la paroisse au Vietnam, car son contenu était important au regard de l’exposé circonstancié du demandeur. Dans sa lettre, le président de la paroisse au Vietnam allègue que le demandeur est recherché par la police pour ses crimes, soit pour avoir perturbé l’ordre public et aidé les réactionnaires. Il confirme également que le demandeur a participé aux manifestations visant à obtenir une indemnisation, mais ne lui confère pas le rôle d’un chef ou d’organisateur. De plus, la lettre indique que la mère du demandeur a été torturée par la police. Cependant, dans son témoignage, le demandeur dit seulement qu’elle a été maltraitée par la police. Étant donné que le président de la paroisse au Vietnam a exagéré le traitement réservé à la mère du demandeur, la SAR a conclu que sa lettre était moins digne de foi. Elle a estimé que son commentaire selon lequel le demandeur était recherché par la police n’était qu’une hypothèse parce qu’il « n’explique pas comment il a une connaissance directe des intérêts ou des accusations précises qu’il expose ». La SAR a conclu qu’il ne fallait accorder qu’un poids minimal à cette lettre pour ce qui est de la question de savoir si le demandeur était recherché par la police.

[17] Le demandeur a déposé en preuve sa propre lettre de confirmation datée du 27 août 2019, qui a été entérinée par le curé de la paroisse du Vietnam. Elle reprend en gros son exposé circonstancié, mais ne mentionne pas son rôle dans la direction de la marche du 14 février 2017, son rôle en tant que dirigeant de la manifestation du 15 mai 2017, ni ne précise que sa mère a été maltraitée de quelque manière que ce soit ou que la police le recherchait. La SAR a estimé que l’omission de toute mention d’un rôle de premier plan, de la torture de sa mère et de l’allégation, dépourvue de fondement, selon laquelle il était recherché par la police nuisait à sa crédibilité. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la lettre de confirmation du demandeur donnait une image fidèle de ce qui s’était produit, et que les détails supplémentaires concernant le rôle de dirigeant des manifestations, le fait qu’il était recherché par la police et les mauvais traitements infligés à sa mère avaient été ajoutés pour étayer sa demande. Elle a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les allégations du demandeur et celles figurant dans la lettre du président de la paroisse du Vietnam selon lesquelles il était recherché par la police ou il serait sûrement arrêté à son retour.

3) Les allers-retours et le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays à plusieurs reprises nuisent à la crédibilité

[18] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les nombreux allers-retours entre le Vietnam et le Laos et le voyage au Japon à une occasion ont nui à la crédibilité des allégations du demandeur, qui affirme courir un risque subjectif. Les deux tribunaux administratifs ont mis en doute sa crainte subjective d’être persécuté au Vietnam. La SAR était également d’accord avec la SPR pour douter de la crédibilité de l’allégation selon laquelle le demandeur était recherché par la police. Elle a mentionné qu’il était incohérent de la part du curé de paroisse du Vietnam, qui était préoccupé par le bien-être du demandeur, de demander à ce dernier de risquer d’être arrêté et torturé pour l’aider à organiser la deuxième manifestation. La SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le fait que le demandeur se soit réclamé de nouveau à plusieurs reprises de la protection du Vietnam indique qu’il n’était pas recherché par la police.

4) Délai d’un an avant de demander l’asile au Canada

[19] La SAR a convenu avec la SPR que le retard dans la présentation de la demande d’asile ainsi que les retours répétés du Laos alors que le demandeur était censé se cacher, jetaient également un doute sur son allégation selon laquelle la police le recherchait activement. Elle a jugé que les actes du demandeur – se réclamer de nouveau de la protection du pays et tarder à présenter une demande d’asile – étaient incohérents avec une crainte subjective d’être arrêté et nuisaient à sa crédibilité.

5) Crainte fondée de persécution

[20] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en ne tirant pas de conclusion sur le lien entre le traitement que le Vietnam accorde aux manifestants et la situation du demandeur. Elle a procédé à une évaluation indépendante de tous les éléments de preuve et a conclu que le demandeur avait participé à deux manifestations réprimées par la police. Elle a estimé que les autorités ne considéraient pas le demandeur comme l’un des organisateurs de l’une ou l’autre des manifestations, dont certains ont été identifiés et punis. La SAR a conclu que la crainte subjective du demandeur d’être persécuté était discutable, compte tenu de ses actions, et que, même s’il craignait d’être arrêté, il n’y avait pas de fondement objectif à cette crainte, car il n’avait pas été identifié par la police ni visé par une quelconque sanction.

IV. Question en litige

[21] À mon humble avis, la question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

V. Norme de contrôle applicable

[22] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original]

[23] Cela dit, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada mentionne clairement qu’à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. De telles circonstances n’existent pas en l’espèce. Les instructions de la Cour suprême du Canada sont les suivantes :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original]

[24] En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment conclu, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[25] La question déterminante est de savoir si la SAR a commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité et lorsqu’elle a jugé que la preuve était insuffisante pour établir une crainte subjective.

[26] Les conclusions en matière de crédibilité « exigent un degré élevé de retenue de la part des juges lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits attribué au tribunal administratif » : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] aux para 15-16 [le juge Gascon]; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 612 au para 22 [le juge Diner].

[27] Le demandeur ne conteste pas l’inadmissibilité des nouveaux éléments de preuve devant la SAR. Il ne conteste pas non plus la conclusion de la SAR concernant le fait qu’il s’est réclamé de nouveau de la protection du Vietnam à plusieurs reprises.

1) Crédibilité

[28] Le demandeur s’appuie sur les paragraphes 18 et 22 de la décision Kumar Katwaru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 612 [le juge Teitelbaum], pour soutenir qu’une décision ne peut être raisonnable si elle est prise sans tenir compte des éléments de preuve présentés. Il conteste les conclusions cumulatives de la SAR en matière de crédibilité et s’appuie sur la décision Qalawi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 662 [Qalawi], de la juge Mactavish, alors juge à la Cour fédérale, pour avancer la thèse selon laquelle, lorsque le tribunal tire des conclusions cumulatives négatives sur la crédibilité, et que la Cour conclut que certaines de ces conclusions sont erronées, la décision du tribunal doit être infirmée dans la situation suivante :

[17] […] il est impossible d’affirmer quelle importance les conclusions que j’ai jugées erronées ont eue dans l’analyse effectuée par la Commission et dans la conclusion finale qu’elle a tirée.

[29] Premièrement, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur parce que son témoignage et les lettres corroborantes décrivaient suffisamment sa participation aux manifestations. Cependant, il n’explique pas en détail quelle a été sa participation aux manifestations ni comment les lettres en font une description suffisante.

[30] Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’analyse qu’elle a effectuée de son retard à présenter une demande d’asile avant de conclure que ce retard nuisait à sa crédibilité.

[31] Je ne souscris pas à ces affirmations selon lesquelles il s’agit d’erreurs susceptibles de contrôle. Le demandeur sollicite essentiellement un contrôle et une nouvelle appréciation des éléments de preuve d’une manière qui lui est plus favorable, mais ce n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire, suivant les arrêts Vavilov et Doyle, précités. Je conviens avec le défendeur que la SAR a examiné le témoignage du demandeur et les documents à l’appui de manière systématique et qu’elle a conclu que le profil allégué du demandeur en tant qu’organisateur de manifestations n’était pas crédible. Au vu du dossier, il lui était raisonnablement loisible de tirer cette conclusion.

[32] La SAR a conclu que le témoignage du demandeur était « incohérent et changeant », car, par exemple, il a déclaré avoir été arrêté par la police, mais, lorsqu’il a été interrogé davantage sur le sujet, il a répondu n’avoir jamais été arrêté. La SAR était fondée à tirer cette conclusion.

[33] Il ne fait aucun doute que la SAR était en droit de considérer le retard du demandeur à présenter une demande d’asile comme un facteur dans son analyse de la crédibilité, selon la décision Zhuang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 263 [Zhang] au para 23 [la juge Strickland].

[34] La SAR était également en droit d’examiner ensemble le retard du demandeur à présenter une demande d’asile et le fait qu’il s’était réclamé de la protection du Vietnam. Comme le défendeur l’affirme, il s’agissait d’une décision acceptable et raisonnable étant donné que les deux facteurs « sont incohérents avec une crainte subjective d’être arrêté et nuisent à [la] crédibilité [du demandeur] ». La SAR a également confirmé que le retard n’était pas déterminant et a soupesé ce facteur cumulativement avec les éléments de preuve présentés concernant le fait que le demandeur s’était réclamé de la protection du Vietnam. Je suis d’accord avec cette façon de faire. Les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité fondées sur l’imprécision et les incohérences de la preuve étaient raisonnables, car elles étaient étayées par le dossier. Il est bien établi que la SAR est en droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur l’accumulation d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux d’une demande d’asile. La SAR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en raison de l’incohérence de certains éléments cruciaux de sa demande d’asile, notamment le fait qu’il n’était pas recherché par la police, qu’il n’a peut-être jamais été arrêté, et qu’il a simplement participé aux manifestations et ne les a pas dirigées ou promues.

[35] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la crédibilité qu’a effectuée la SAR.

2) Crainte fondée de persécution

[36] Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle sa crainte de persécution n’est pas fondée est déraisonnable et contredit les propres conclusions du tribunal. Il fait valoir que la SAR a conclu que le gouvernement du Vietnam « restreint les assemblées publiques de gens qui critiquent le gouvernement et réagit de diverses manières en fonction de la menace perçue » et que « des militants ont été maltraités et emprisonnés et que ceux qui organisent des manifestations reçoivent les punitions les plus sévères ». Elle a également conclu que le demandeur était « l’un des nombreux participants à deux manifestations qui ont été réprimées par la police ». Cependant, elle a jugé que la crainte de persécution du demandeur n’était pas fondée.

[37] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en assimilant le mot « dirigeant » à celui d’« activiste » et que, par conséquent, elle est parvenue à la conclusion déraisonnable selon laquelle, puisque le demandeur n’était pas un « organisateur », il ne serait pas persécuté et donc, que sa crainte n’était pas fondée.

[38] Le demandeur fait également valoir que la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse prospective des risques de menaces et de persécution en raison de sa participation aux manifestations. Il affirme qu’il est exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, compte tenu de son profil de militant et de sa participation antérieure à des manifestations.

[39] Je ne suis pas d’accord. À mon humble avis, comme l’avance le défendeur, la SAR a évalué la preuve de façon indépendante avant de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour établir une crainte de persécution. Elle a raisonnablement confirmé que selon le droit applicable, c’est au demandeur, et non au tribunal, qu’incombe le fardeau de démontrer qu’il craignait d’être persécuté, comme la juge Fuhrer l’a mentionné au paragraphe 16 de la décision Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 318 [Zhu], et que « le volet subjectif et le volet objectif du critère » sont « nécessaires pour établir une crainte fondée de persécution » (Akinyemi-Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 [Akinyemi-Oguntunde] au para 20 [le juge Ahmed]. À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que le profil du demandeur ne reflétait pas le fait qu’il était un militant ou un leader politique. Les conclusions de la SAR n’étaient pas contradictoires, car celle-ci a fait remarquer que le demandeur était « l’un des nombreux participants à deux manifestations qui ont été réprimées par la police », mais qu’il « n’était pas considéré par les autorités comme l’un des organisateurs » et n’était pas « visé par une quelconque sanction ».

[40] Le demandeur n’a pas produit d’élément de preuve établissant « un lien personnel entre [lui] et la persécution alléguée », ce qui est nécessaire pour établir un risque prospectif : Iraqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1049 au para 29 [le juge Gascon]. Je conviens également que la norme selon laquelle il doit y avoir « plus qu’une simple possibilité » ne s’applique qu’une fois que le demandeur a établi les faits de sa demande selon la prépondérance des probabilités : Jayasinghe Arachchige c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 509 [Jayasinghe] aux para 51-63 [le juge Russell].

[41] En l’espèce, à mon humble avis, la SAR a tiré une conclusion en se fondant sur une preuve objective de la façon dont le Vietnam a traité les manifestants dans le contexte de la situation du demandeur. Elle a jugé que le demandeur était l’un des nombreux participants à « deux manifestations qui ont été réprimées par la police » et qu’il « n’était pas considéré par les autorités comme l’un des organisateurs de l’une ou l’autre des manifestations » et qu’il n’était pas « visé par une quelconque sanction ». Ce sont toutes des conclusions factuelles qui ne peuvent être contestées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, même si j’examine malgré tout les allégations du demandeur. À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que « la crainte subjective [du demandeur] d’être persécuté est discutable, compte tenu de ses actions, et que, même s’il craint d’être arrêté, il n’y a pas de fondement objectif à cette crainte, car il n’a pas été identifié par la police ni visé par une quelconque sanction ».

[42] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse que la SAR a faite de la preuve concernant la crainte fondée de persécution du demandeur.

[43] En l’espèce, je conclus également que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour démontrer un risque prospectif de persécution. La SAR n’a pas non plus commis d’erreur en appliquant la mauvaise norme de preuve à son analyse. Comme l’a indiqué le défendeur, la norme selon laquelle il faut « plus qu’une simple possibilité » ne s’applique qu’une fois que le demandeur a établi les faits de sa demande selon la prépondérance des probabilités : Jayasinghe, aux para 51-63. Les mentions que fait la SAR de la norme de la prépondérance des probabilités se rapportent à la question de savoir si le demandeur a établi un fondement factuel à l’appui d’une conclusion de possibilité de persécution :

[24] […] je conclus que ses affirmations selon lesquelles d’autres personnes lui ont dit que la police le recherchait sont insuffisantes pour établir qu’il s’agit d’un fait, selon la prépondérance des probabilités.

[…]

[33] J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, l’exposé circonstancié fourni par [le demandeur] le 27 août 2019 donne une image fidèle de ce qui s’est produit […]

[…]

[35] […] J’estime qu’il est probable, selon la prépondérance des probabilités, que le fait que [le demandeur] se soit réclamé de nouveau à plusieurs reprises de la protection du Vietnam indique qu’il n’était pas recherché par la police pour son rôle dans la manifestation précédente.

VII. Conclusion

[44] Avec égards, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[45] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8820-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8820-21

INTITULÉ :

VAN NGOC NGUYEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 20 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Aleksei Grachev

POUR LE DEMANDEUR

Nick Continelli

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aleksei Grachev

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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