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Date : 20230216

Dossier : T-1109-22

Référence : 2023 CF 229

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KAREN BIRD

demanderesse

et

NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE,

CONSEIL DE BANDE DE LA NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE, et

CONSEIL DES AÎNÉS DE LA NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Karen Bird, la cheffe élue de la Nation crie de Peter Ballantyne [la NCPB], demande le contrôle judiciaire de la décision [la décision] du 10 mai 2022 du conseil des aînés de la NCPB, qui la destituée. Le 5 juillet 2022, une ordonnance provisoire a été rendue pour suspendre la destitution de la demanderesse à titre de cheffe en attendant l’issue de la présente demande.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, car le processus suivi pour mener à la décision de destituer la demanderesse de son poste de cheffe n’était pas équitable sur le plan procédural. Je conclus également que le conseil des aînés de la NCPB a enfreint le code électoral de la NCPB, car une pétition de 15 % des électeurs de la NCPB n’accompagnait pas la plainte officielle reçue au sujet de la demanderesse.

I. Les parties

[3] La NCPB est composée de huit collectivités situées dans le nord-est de la Saskatchewan. La NCPB est dirigée par un conseil de bande composé d’un chef et de 14 conseillers. Le conseil de bande est composé de représentants élus de chacune des huit collectivités de la NCPB. La NCPB élit également un conseil des aînés qui apporte son soutien et ses conseils au chef et au conseil.

[4] La NCPB a adopté un code électoral coutumier, An Act Respecting the Government Elections of the Peter Ballantyne Cree Nation [le code électoral], qui a été mis à jour en 2014. Les dispositions pertinentes du code électoral énoncées ci-dessous.

[5] La demanderesse a été élue cheffe de la NCPB en avril 2021.

[6] La demanderesse a désigné comme défendeurs la NCPB, le conseil de bande de la NCPB, les conseillers individuels de la bande, le conseil des aînés de la NCPB et les membres individuels du conseil des aînés.

[7] La NCPB est représentée par un avocat et ne prend pas position sur le bien-fondé de la présente demande. Ses seules observations ont porté sur la question des dépens.

[8] Un avocat distinct représente les autres défendeurs. Ils demandent le rejet de la demande de contrôle judiciaire et réclament les dépens contre la demanderesse.

II. Contexte applicable

[9] Une réunion du conseil de bande de la NCPB a eu lieu le 2 décembre 2021. Selon la demanderesse, elle n’a aucun souvenir d’avoir reçu un avis de convocation à cette rencontre. Néanmoins, la demanderesse n’a pu être présente puisqu’elle avait des engagements familiaux à la suite du décès subit de son frère. Lorsqu’elle a pris connaissance du procès-verbal de la réunion du 2 décembre, la demanderesse a constaté qu’un certain nombre de résolutions du conseil de bande [les RCB] avaient été adoptées, lesquelles visaient à annuler les RCB approuvées lors d’une réunion antérieure qu’elle avait présidée en septembre 2021.

[10] Lors d’une réunion du conseil de bande le 14 décembre 2021, la demanderesse a confronté le conseiller Kevin Morin au sujet des RCB adoptées lors de la réunion du 2 décembre. La demanderesse admet que son interaction avec le conseiller Morin a dégénéré en dispute, et qu’elle a dit au conseiller Morin de quitter la réunion et qu’elle le ferait suspendre. Il existe un conflit persistant entre la demanderesse et le conseiller Morin.

[11] Le 20 janvier 2022, le président du conseil des aînés de la NCPB a communiqué avec la demanderesse pour l’informer que le conseil avait reçu une lettre. Le président a indiqué que le conseil des aînés souhaitait discuter de la lettre avec elle. Comme la demanderesse était malade, la réunion a été fixée au 8 février 2022.

[12] Lors de la réunion du 8 février 2022, le conseil des aînés de la NCPB a montré à la demanderesse une lettre de plainte signée par plusieurs conseillers de la bande de la NCPB, dont le conseiller Morin. Le conseil des aînés de la NCPB a refusé de remettre une copie de la lettre de plainte à la demanderesse.

[13] Au cours de la rencontre, la demanderesse a expliqué l’incident du 14 décembre 2021 avec le conseiller Morin. Le conseil des aînés de la NCPB a également interrogé la demanderesse au sujet d’allégations sans lien avec cet incident selon lesquelles la police l’avait escortée à l’extérieur d’un casino et qu’elle avait eu un accident avec une voiturette de golf alors qu’elle était en état d’ébriété. Le conseil des aînés n’a pas identifié la source de ces allégations, et la demanderesse a nié les allégations.

[14] Le 11 avril 2022, le conseil des aînés de la NCPB a tenu des réunions dans deux collectivités de la NCPB, Denare Beach et Sandy Bay. La demanderesse n’a pas été invitée aux rencontres. Un membre de la collectivité l’a informée de la réunion de Sandy Bay le jour même où elle a eu lieu.

[15] Le 14 avril 2022, la demanderesse a demandé une rencontre avec le conseil des aînés de la NCPB pour obtenir des conseils et du soutien afin de régler certains problèmes personnels. On lui a conseillé d’assister à la réunion du conseil des aînés déjà prévue ce jour-là. Au cours de cette rencontre, le conseil des aînés de la NCPB a remis à la demanderesse une lettre datée du 1ᵉʳ avril 2022 dans laquelle on demandait sa démission à titre de cheffe. La lettre indique qu’elle n’a pas tenu compte du quorum du conseil de bande et qu’elle s’est livrée à un comportement non professionnel et a usé de violence latérale. Dans la lettre, on allègue également qu’elle a enfreint le code électoral de la NCPB. La lettre fait référence à des rencontres entre les conseillers de la bande de la NCPB et le conseil des aînés de la NCPB en février 2022. Enfin, on demande dans la lettre qu’elle démissionne au plus tard le 4 avril 2022 et qu’elle fournisse une réponse par écrit au plus tard le 8 avril 2022. Les délais indiqués dans cette lettre étaient déjà dépassés au moment où la demanderesse a reçu la lettre.

[16] Au cours de la rencontre du 14 avril 2022, les allégations relatives à la consommation d’alcool de la demanderesse ont été soulevées de nouveau et celle-ci les a encore niées.

[17] Après la réunion du 14 avril, le conseil des aînés a tenu des réunions communautaires le 19 avril et le 26 avril 2022 pour discuter du comportement reproché à la demanderesse. La demanderesse n’a pas été avisée de ces rencontres, n’y a pas été invitée et n’y a pas participé. Elle n’a appris l’existence d’une des rencontres que par un membre de la collectivité qui l’a informée de la tenue de la rencontre le jour même où elle a eu lieu.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[18] Le 10 mai 2022, la demanderesse a reçu une lettre du conseil des aînés de la NCPB, l’informant qu’elle était destituée de son poste de cheffe. La lettre comportait une directive de convoquer une élection partielle pour doter le poste vacant. La décision est rédigée comme suit :

[traduction]

Le conseil des aînés prend très au sérieux son mandat de soutien et d’orientation auprès du chef et du conseil. Nous avons reçu des plaintes formelles du conseil de la Nation crie de Peter Ballantyne datées du 12 janvier 2022 concernant ce qui suit :

Conduite non professionnelle et comportements de violence latérale de la cheffe Karen Bird lors d’une réunion de la cheffe et du conseil de la NCPB et du personnel de la bande le 14 décembre 2021 au River Cree Resort à Edmonton, en Alberta.

Le quorum de prise de décisions du Conseil et l’application régulière de la loi selon les exigences de la coutume de la bande n’ont pas été respectés par la cheffe Karen Bird.

Après avoir terminé l’examen des préoccupations exprimées dans la présente lettre, et après avoir tenu compte des discussions avec la cheffe Karen Bird le 8 février 2022 et le 14 avril 2022 et les conseillers de la NCPB les 8, 9 et le 10 février 2022, le conseil des aînés de la NCPB est d’avis que la cheffe Bird contrevient aux normes de conduite suivantes.

a) Accepter de respecter le serment d’office et la déclaration cités dans le présent code électoral.

b) Fournir un leadership crédible et fort que les membres de la Nation crie peuvent respecter et soutenir.

c) Communiquer avec les membres, les consulter et écouter leurs préoccupations sur les questions qui touchent les membres de la Nation crie de la NCPB.

d) Faire preuve d’équité, d’honneur, de courage, de respect de la justice et avoir une conduite acceptable en tout temps.

e) Faire preuve d’honnêteté, s’efforcer constamment d’éliminer les rumeurs, la duperie, la déformation et les conflits en cours de mandat.

f) Promouvoir et sauvegarder les lois, valeurs et politiques relatives aux traités et à la Première Nation.

g) Communiquer avec les membres de la Nation crie sur toutes les questions et les informer de toute initiative.

Normes de conduite pour le chef et les conseillers (code électoral du NCPB, 2014, p 17)

Le conseil des aînés s’est réuni pour décider de la destitution de la cheffe (code électoral, 2014, p 17-18) :

i) après avoir reçu une plainte des conseillers de la Nation crie de Peter Ballantyne et les avoir rencontrés les 8, 9 et le 10 février 2022;

ii) après avoir rencontré la cheffe à deux occasions, soit les 8 février et le 14 avril 2022;

iii) puisque la cheffe Karen Bird n’a fait parvenir aucune réponse écrite à la lettre de recommandation du conseil des aînés transmise par courriel et en personne et datée du 1ᵉʳ avril 2022;

iv) les aînés de la NCPB ont tenu des réunions communautaires dans chacune des collectivités de la NCPB, dont la dernière a eu lieu le 26 avril 2022.

À la suite de la plainte déposée par les conseillers de la Nation crie de Peter Ballantyne et après des réunions avec la cheffe, les conseillers et les collectivités de la NCPB, le conseil des aînés a déterminé que la cheffe Karen Bird a enfreint les dispositions suivantes du code électoral de 2014 de la NCPB :

i) a contrevenu à son serment d’office; 12a)

ii) n’a pas respecté les normes de conduite énoncées dans le présent code électoral; 12f)i

iii) a jeté le discrédit et le déshonneur sur sa fonction. 12f)ii

Par conséquent, le conseil des aînés a tenu une réunion dûment convoquée le mardi 10 mai 2022 à l’hôtel Coronet à Prince Albert, en Saskatchewan, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 12 du code électoral de la NCPB (2014).

i) Destitue par les présentes la cheffe Karen Bird de son poste de cheffe avec effet immédiat.

ii) L’administration de la bande est chargée d’organiser une élection partielle pour pourvoir le poste vacant.

iii) La décision du conseil des aînés de la NCPB est définitive et contraignante. 12k)

[19] Le 31 mai 2022, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Elle a également demandé une injonction provisoire pour suspendre sa destitution.

B. Ordonnance du 5 juillet 2022

[20] Le 5 juillet 2022, le juge Ahmed a rendu une ordonnance provisoire accordant un sursis à la destitution de la demanderesse du poste du chef et interdisant la tenue d’une élection partielle en attendant le règlement de la présente demande (Bird c Nation crie Peter Ballantyne, 2022 CF 994 [Bird]).

III. Questions préliminaires

[21] Lors de l’audition de la présente demande, les deux questions préliminaires suivantes ont été soulevées.

  1. l’intitulé approprié;

  2. les objections aux éléments de preuve.

A. Intitulé approprié

[22] Les défendeurs demandent que l’intitulé soit modifié afin de supprimer le conseil des aînés de la NCPB et tous les défendeurs désignés individuellement. Ils soutiennent que, conformément à l’alinéa 104(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], le nom des personnes désignées devrait être retiré, car ces dernières ne sont pas des parties à l’instance puisqu’elles ne sont pas touchées par l’issue de la demande. Les défendeurs soutiennent en outre que, selon l’alinéa 303(1)a) des Règles, le conseil des aînés de la NCPB, en tant qu’office fédéral qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle, n’est pas une partie.

[23] La demanderesse explique que des membres individuels du conseil de bande de la NCPB et du conseil des aînés de la NCPB ont été désignés puisqu’elle ne savait pas qui avait déposé la plainte contre elle. Comme elle allègue la mauvaise foi à l’égard de la plainte, la demanderesse a désigné les parties susceptibles d’être responsables personnellement. Elle demande les dépens contre ceux qui ont agi de mauvaise foi et soutient que la NCPB ne devrait pas être responsable des dépens de la présente demande.

[24] Bien que je comprenne le raisonnement de la demanderesse lorsqu’elle désigne des personnes, il n’est pas nécessaire de le faire puisque la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens contre des personnes s’il y a lieu (art 400(1) des Règles). Quoi qu’il en soit, j’ai conclu que la preuve ne permet pas de conclure à la mauvaise foi d’une ou de plusieurs personnes.

[25] De plus, comme l’indiquent les Règles, il n’est pas nécessaire de désigner l’organisme décisionnel – le conseil des aînés de la NCPB – dans ces circonstances il n’était pas inapproprié pour la demanderesse de le désigner comme défendeur compte tenu de la nature des allégations soulevées. Plus particulièrement, la demanderesse soutient que le conseil des aînés de la NCPB a outrepassé son mandat énoncé dans le code électoral et elle allègue la mauvaise foi.

[26] De même, comme la plainte provenait du conseil de bande et que ce dernier ne disposait pas d’une pétition à l’appui de la plainte, il était également approprié que la demanderesse désigne le conseil de bande de la NCPB comme défendeur.

[27] En conséquence, je modifie l’intitulé pour ne désigner que les entités de la NCPB, le conseil de bande de la NCPB et le conseil des aînés de la NCPB.

B. Objections aux éléments de preuve

[28] Les défendeurs soutiennent que la Cour ne devrait pas tenir compte de l’affidavit de Randy Clarke, puisqu’il contient des renseignements qui n’ont pas été présentés au décideur. Selon la demanderesse, l’affidavit de M. Clarke fournit le contexte du code électoral ainsi que des renseignements généraux sur le processus de destitution adopté par la NCPB lorsqu’elle a présenté le code électoral.

[29] Je suis d’accord avec les défendeurs sur la règle générale selon laquelle le dossier soumis au décideur est tout ce que la Cour peut examiner dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cette règle comporte toutefois des exceptions. L’une des exceptions est celle où les renseignements fournissent des renseignements contextuels sur le différend (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20). J’examinerai la preuve de l’affidavit de M. Clarke sur ce fondement.

[30] Les défendeurs soutiennent également que l’avis juridique de Pandila & Co. daté du 6 juillet 2019, joint à l’affidavit de Karen Bird, ne devrait pas être pris en considération, car il est protégé par le secret professionnel de l’avocat. L’avis juridique est adressé au chef de la NCPB de l’époque, Peter A. Beatty. Comme l’a conclu le juge Ahmed dans son ordonnance provisoire, tout privilège rattaché à l’avis était détenu par le titulaire du poste de chef, ou M. Beatty l’a levé lorsqu’il a communiqué l’avis à la demanderesse (Bird, au para 20). De plus, l’avis juridique contient des renseignements qui avaient été préparés pour la NCPB sur le rôle et les pouvoirs du conseil des aînés de la NCPB et ces renseignements sont pertinents quant à la façon dont le conseil des aînés s’est comporté en l’espèce. En conséquence, la preuve est admise.

IV. Code électoral de 2014 de la NCPB

[31] Les dispositions pertinentes du code électoral de la NCPB sont les suivantes :

[traduction]

CONSEIL DES AÎNÉS

6. Les dispositions suivantes s’appliquent au conseil des aînés :

a) L’objectif principal est de fournir une orientation et un soutien au chef et au conseil. Le mandat du conseil des aînés de la NCPB est de s’assurer que le chef et le conseil de la Nation crie de Peter Ballantyne se conforment aux normes de conduite et au serment d’office énoncés dans le présent code électoral et les dispositions de la réglementation de la NCPB concernant le pouvoir exécutif. Plus précisément, les aînés ne doivent pas voter dans les affaires concernant le chef et le conseil.

[…]

DESTITUTION

12. Après avoir été dûment élus par les membres de la Nation crie de Peter Ballantyne, le chef et les conseillers rendent compte à tous les membres et, par conséquent, peuvent être destitués dans les cas suivants :

a. Ils outrepassent constamment le « SERMENT D’OFFICE » ou tout texte législatif de la Nation crie de Peter Ballantyne, ou en abusent.

b. Un conseiller élu doit demeurer dans la réserve, la collectivité ou la région environnante de la Nation crie de Peter Ballantyne où il a été élu. Le défaut de maintenir une résidence dans la réserve, la collectivité ou la région environnante où il a été élu, pour une période consécutive de 30 jours ou plus, constituera un motif suffisant pour que le conseil des aînés destitue le conseiller et demande la tenue d’une élection partielle pour doter ce poste vacant de conseiller.

c. Ils sont absents de trois (3) assemblées consécutives de la Nation crie de Peter Ballantyne ou des réunions du conseil dûment convoquées, sans motif justifié.

d. Ils sont déclarés coupables, en vertu du Code criminel, d’une infraction hybride ou d’un acte criminel à l’égard duquel la Couronne a choisi de procéder par voie de mise en accusation.

e. Ils sont déclarés coupables d’une infraction à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en ce qui concerne l’importation, l’exportation, le trafic ou la possession en vue de faire le trafic d’une substance visée par la loi susmentionnée.

f. Dûment élus par les membres, le chef et les conseillers représentent les membres et sont donc responsables devant eux, faute de quoi le chef et les conseillers seront destitués s’ils :

  • i)ne respectent pas les normes de conduite énoncées dans le présent code électoral;

  • ii)jettent le discrédit et le déshonneur sur eux‑mêmes ou sur leur fonction ou sur d’autres membres de la Nation crie par des actions qui sont attribuables au chef et aux conseillers;

  • iii)sont déclarés inaptes à exercer leurs fonctions du fait qu’ils ont été déclarés coupables d’une infraction (par procédure sommaire) et purgent une peine d’emprisonnement pour cette déclaration de culpabilité, à moins que celle‑ci ne découle de l’exercice de droits ancestraux ou issus de traités.

g. Le conseil des aînés de la NCPB, lors d’une réunion distincte, statue sur la destitution du chef ou d’un conseiller après avoir consulté les membres du conseil et de la collectivité. Cette réunion a lieu sept (7) jours suivant la séance de consultation auprès des membres de la collectivité.

h. Pour déposer une plainte contre un conseiller de la NCPB, un membre doit faire signer une pétition par vingt-cinq pour cent (25 %) des électeurs de la réserve ou collectivité concernée. Cette pétition doit être remise à la présidence du conseil des aînés de la NCPB.

i. Pour déposer une plainte contre un chef de la NCPB, un membre doit faire signer une pétition par 15 pour cent (15 %) des électeurs qui sont membres de la NCPB. Cette pétition doit être remise à la présidence du conseil des aînés de la NCPB.

j. Le conseil des aînés a le pouvoir d’exiger d’un représentant élu qu’il demande une assistance professionnelle s’il a un problème l’alcool et que ce problème donne une mauvaise image des membres et/ou touche la capacité du représentant à mener ses affaires de la manière attendue de ce représentant. L’omission ou le refus du représentant de demander de l’aide professionnelle entraîne la destitution de ce représentant du poste de chef ou de conseil. Toutes les mesures visant des élections partielles s’appliquent alors.

k. La décision du conseil des aînés de la NCPB est définitive et contraignante.

V. Questions en litige

[32] La demanderesse soulève un certain nombre de questions relativement à la décision, que j’aborderai comme suit :

A. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

B. Le code électoral de la NCPB a-t-il été respecté?

C. La décision est-elle raisonnable?

VI. Norme de contrôle

[33] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[34] La norme de contrôle applicable à la décision elle-même est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

VII. Analyse

A. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[35] La demanderesse affirme n’avoir jamais reçu copie de la plainte portée contre elle. Elle affirme également qu’elle n’a pas obtenu l’occasion de répondre directement à la plainte ou de se défendre contre celle-ci. Bien qu’elle ait été au courant des plaintes, elle n’a jamais été informée de la conduite précise que le conseil des aînés de la NCPB considérait comme une violation du code électoral de la NCPB. Elle soutient qu’en tant que cheffe dûment élue, elle avait droit à un degré élevé d’équité procédurale.

[36] La Cour suprême tient compte des facteurs établis dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] pour évaluer l’équité du processus suivi en l’espèce, facteurs qui ont été confirmés dans l’arrêt Vavilov comme suit au paragraphe 77 :

Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même [renvois omis].

[37] Pour appliquer l’arrêt Baker, la Cour doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris le contexte factuel, le régime législatif applicable (en l’espèce, le code électoral) et l’importance de la décision pour l’individu visé.

[38] Les facteurs de l’arrêt Baker ont été appliqués dans le contexte de la destitution de chefs ou de conseillers de Premières Nations dans un certain nombre d’affaires, notamment : Okemow c Nation crie de Lucky Man, 2017 CF 46 aux para 11 et 30; McCallum c Peter Ballantyne Cree Nation, 2016 CF 1165 au para 28 [McCallum]; Testawich c Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052 au para 32; et Cardinal c Première Nation des Cris de Bigstone, 2018 CF 822 au para 29.

[39] Voici ce qu’a dit la juge Strickland dans l’affaire Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696, au paragraphe 34, décision très à propos en l’espèce :

Fait important, l’avis et la possibilité de présenter des observations ont été qualifiés d’exigences les plus fondamentales de l’obligation d’équité (Orr c Première Nation de Fort McKay, 2011 CF 37, au par. 12 (Orr); Gadwa, aux par. 48 à 53). De plus, la Cour d’appel fédérale a affirmé que, « [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre » (Canadien Pacifique, au par. 56).

[40] La discussion dans l’affaire Lecoq c Nation crie de Peter Ballantyne, 2020 CF 1144 s’applique également. Il s’agissait d’une décision du tribunal d’appel de la NCPB qui a accueilli un appel concernant l’élection d’un conseiller de la NCPB. Le juge Favel s’est prononcé comme suit :

[44] Plus une décision est importante et plus ses répercussions sont grandes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. Ainsi, une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu, parce qu’une décision défavorable peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière (Baker, au para 25).

[…]

[46] Le code électoral ne prévoit pas de droit d’appel de la décision du tribunal d’appel, ce qui fait ressortir la nécessité d’un degré élevé d’équité procédurale. L’issue de l’appel a également des répercussions importantes tant sur la gouvernance de la NCPB que sur Mme Lecoq et M. McCallum. À la lumière de ces facteurs, je conclus que la procédure d’appel comporte une composante judiciaire et que, en fonction des exigences du code électoral, un certain degré de formalité et de vérification de la preuve est nécessaire dans le contexte de l’instruction.

[41] Ces décisions confirment que la demanderesse devait bénéficier d’un degré élevé d’équité procédurale à titre de cheffe élue. L’équité exigeait qu’elle connaisse la nature complète des allégations ou des plaintes précises formulées contre elle et qu’elle ait la possibilité de présenter une réponse complète.

[42] Les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale puisque la demanderesse a eu deux rencontres avec le conseil des aînés de la NCPB pour discuter de la plainte. Ils soutiennent qu’elle a reçu un avis suffisant et qu’elle a eu une possibilité adéquate de répondre.

[43] Les deux rencontres que la demanderesse a eues avec le conseil des aînés ont eu lieu le 8 février 2022 et le 14 avril 2022. Un examen du contexte et des circonstances entourant ces deux rencontres est nécessaire pour comprendre si des garanties d’équité procédurale ont été accordées à la demanderesse.

(1) Rencontre du 8 février

[44] La demanderesse affirme qu’avant la rencontre du 8 février 2022 avec le conseil des aînés de la NCPB elle n’a pas été informée de la plainte formulée contre elle. Au cours de son contre-interrogatoire, elle a déclaré que le conseil des aînés de la NCPB lui a appris qu’il [traduction] « avait une lettre dont ils devaient discuter » à la rencontre du 8 février 2022. Il n’a pas dit que la lettre était une plainte du conseil de bande de la NCPB.

[45] Au cours de la rencontre du 8 février 2022, le conseil des aînés, dans un premier temps, a refusé la demande de la demanderesse de voir la lettre de plainte, mais l’a plus tard autorisée à en prendre connaissance. Le conseil des aînés a cependant refusé de lui donner une copie de la lettre pour qu’elle l’emporte avec elle après la rencontre.

[46] La demanderesse affirme également que certaines des allégations soulevées par le conseil des aînés de la NCPB au cours de cette rencontre n’étaient pas mentionnées dans la lettre de plainte. Ces allégations comprenaient le fait qu’elle s’était [traduction] « présentée au Dakota Dunes Casino et qu’elle s’était enivrée à un point tel qu’elle avait dû être escortée à l’extérieur, et [qu’elle] s’était battue avec un policier qui l’escortait […] [et qu’elle] s’était rendue au club de golf Kachur à Prince Albert et qu’elle a conduit une voiturette de golf en état d’ébriété et qu’elle avait eu un accident »

[47] En réponse, les défendeurs soutiennent que la demanderesse a reçu une copie de la lettre de plainte lors de la rencontre du 8 février 2022 et qu’elle l’a lue, de sorte qu’elle en a été avisée. Ils soutiennent également que le conseil des aînés voulait entendre les explications de la demanderesse, mais que cette dernière a choisi de quitter la rencontre plus tôt avant d’aborder toutes les préoccupations soulevées.

[48] Du point de vue de l’équité procédurale, la rencontre du 8 février n’a pas respecté le droit de la demanderesse à un préavis. Avant la rencontre du 8 février, elle n’était pas au courant de la nature de la plainte ni des reproches précis qui lui étaient adressés. Bien qu’il ait informé la demanderesse de l’existence d’une lettre, le conseil des aînés de la NCPB ne l’a pas informée du contenu de la lettre, ni du fait que la lettre était une [traduction] « plainte » du conseil de bande de la NCPB. La demanderesse n’était donc pas en mesure de se préparer avant la rencontre pour aborder le contenu de la plainte; elle a plutôt dû traiter de la plainte sur place. Cela va à l’encontre de l’objectif du préavis qui est de permettre à une partie de se préparer et de répondre en entier. L’omission d’informer la demanderesse que le conseil des aînés avait reçu une plainte l’a privée de son droit le plus élémentaire à l’équité procédurale.

[49] De plus, le refus du conseil des aînés de la NCPB de permettre initialement à la demanderesse de prendre connaissance de la lettre, puis de refuser de lui en fournir une copie, a en outre porté atteinte à son droit de savoir ce qui lui était reproché.

[50] De plus, la demanderesse n’a pas été informée que le conseil des aînés de la NCPB mènerait une enquête sur la plainte après la rencontre du 8 février 2022. Les résumés de rencontre inclus dans le document chronologique du dossier certifié indiquent que la discussion au sujet d’une enquête sur la plainte a eu lieu après que la demanderesse eut quitté la rencontre. À la fin de l’entrée concernant la rencontre du 8 février 2022, le document chronologique indique ce qui suit [traduction] : « Pour comprendre les plaintes qui ont été transmises au conseil des aînés de la NCPB, il était important, en plus de la rencontre avec la cheffe Karen Bird, que le conseil des aînés de la NCPB rencontre également les membres du conseil de la NCPB. »

[51] Rien dans la preuve n’indique que la demanderesse a été officiellement avisée qu’une enquête serait entreprise, ni que le conseil des aînés de la NCPB envisageait sa destitution. Par conséquent, aucun processus n’a été offert à la demanderesse pour l’informer adéquatement à l’avance de la plainte écrite et des autres allégations formulées contre elle ou du risque auquel elle était exposée. Une procédure adéquate aurait également dû lui donner la possibilité d’obtenir des conseils ou un avis juridique et la possibilité de répondre pleinement à la plainte et aux autres allégations. Compte tenu de la nature des droits en jeu – perte de moyens de subsistance – la demanderesse avait droit à un processus qui incluait ces droits les plus élémentaires à l’équité procédurale.

[52] La rencontre du 8 février 2022 n’était pas équitable sur le plan procédural pour la demanderesse.

(2) Rencontre du 14 avril

[53] La demanderesse a ensuite rencontré le conseil des aînés de la NCPB deux mois plus tard, soit le 14 avril 2022. Encore une fois, la demanderesse affirme ne pas avoir été avisée avant cette rencontre que la plainte serait discutée. En fait, elle avait demandé une rencontre avec le conseil des aînés pour discuter de certains problèmes familiaux personnels et pour obtenir des conseils spirituels de la part du conseil.

[54] Au cours de la rencontre du 14 avril, la demanderesse s’est vu remettre une lettre datée du 1ᵉʳ avril 2022, signée par le conseil des aînés. La lettre exigeait sa démission à titre de cheffe au plus tard le 4 avril 2022 ainsi que sa réponse écrite au plus tard le 8 avril 2022. De toute évidence, ces deux dates étaient déjà passées au moment où la lettre a été remise à la demanderesse le 14 avril 2022.

[55] Les événements survenus lors de la rencontre du 14 avril 2022 sont encore plus troublants sur le plan de l’équité procédurale. La demanderesse affirme qu’elle [TRADUCTION] « ne se [souvenait] pas d’avoir reçu cette lettre avant la rencontre du 14 avril 2022 ». Bien que la lettre de décision du 10 mai 2022 indique que la lettre du 1ᵉʳ avril a été livrée par courriel et en personne, rien dans la preuve au dossier n’établit que la lettre a été reçue par la demanderesse à quelque moment que ce soit avant la rencontre du 14 avril. Par conséquent, la demanderesse a assisté à la réunion du 14 avril sans aucun préavis de l’intention du conseil des aînés de la NCPB, et sans aucun préavis de la preuve sur laquelle le conseil des aînés s’est fondé pour exiger sa démission.

[56] Les défendeurs n’expliquent pas pourquoi une lettre antidatée a été remise à la demanderesse lors de la rencontre du 14 avril. Cependant, ils font valoir que, comme elle a passé environ trois heures avec le conseil des aînés de la NCPB le 14 avril, la demanderesse a eu amplement l’occasion de répondre à la plainte formulée contre elle. À mon avis, cette observation fait totalement abstraction de l’objet de l’exigence d’équité procédurale qu’est le préavis, particulièrement compte tenu des intérêts en jeu pour la demanderesse.

[57] De plus, comme la lettre du 1er avril ordonne que la demanderesse démissionne ou soit destituée, on ne peut pas dire que la rencontre du 14 avril a donné à la demanderesse une occasion équitable de se défendre. De toute évidence, le conseil des aînés de la NCPB avait déjà pris une décision; la demanderesse allait soit démissionner de son poste de cheffe, soit se voir destituer.

[58] Je conclus que la rencontre du 14 avril 2022 n’a pas été menée de manière à offrir à la demanderesse un processus équitable sur le plan de la procédure.

[59] Dans l’ensemble, et compte tenu du fait que la destitution d’un chef entraîne un degré accru d’équité procédurale, le droit de la demanderesse de connaître la preuve présentée contre elle n’a pas été respecté. La demanderesse n’a pas été avisée au préalable ou en bonne et due forme de la plainte écrite formulée contre elle, ni du fait que la plainte serait traitée à la rencontre du 8 février 2022 ou à la rencontre du 14 avril 2022 avec le conseil des aînés de la NCPB.

[60] L’argument des défendeurs selon lequel la demanderesse n’a pas soulevé de problèmes d’équité procédurale auprès du conseil des aînés de la NCPB et qu’elle ne peut donc maintenant faire valoir l’argument est sans fondement. Pour que cet argument soit valable, il faudrait que les défendeurs établissent que la demanderesse a été avisée du risque auquel elle s’exposait, et qu’elle a eu une possibilité pleine et équitable d’y répondre. Ni la rencontre du 8 février 2022 ni celle du 14 avril 2022 ne satisfaisaient à ces exigences d’équité procédurale. En fait, la lettre du 1er avril 2022 montre que le conseil des aînés avait déjà pris sa décision.

B. Le code électoral de la NCPB a-t-il été respecté?

[61] Dans la décision, le conseil des aînés de la NCPB déclare que la demanderesse a enfreint les dispositions suivantes du code électoral : alinéa 12a), sous-alinéas 12f)i et 12f)ii.

[62] La demanderesse soutient que le conseil des aînés de la NCPB n’a pas respecté le code électoral de la NCPB, car il n’y avait pas de pétition des électeurs de la NCPB, comme l’exige l’alinéa 12i), qui prévoit ce qui suit :

[traduction]

Pour déposer une plainte contre un chef de la NCPB, un membre doit faire signer une pétition par 15 pour cent (15 %) des électeurs qui sont membres de la NCPB. Cette pétition doit être remise à la présidence du conseil des aînés de la NCPB.

[63] Il n’y a pas de pétition en l’espèce.

[64] L’exigence d’une pétition était la question centrale dans l’affaire McCallum, qui portait sur la destitution d’un conseiller de la NCPB. La juge St-Louis a conclu qu’il n’y avait « aucun élément de preuve selon lequel la pétition qui a incité le conseil des aînés à destituer M. McCallum a été signée par 25 % des électeurs de la collectivité concernée, conformément à l’alinéa 12h) du code électoral », ce qui a été fatal au processus de destitution (McCallum, au para 5).

[65] Bien que la question en litige dans l’affaire McCallum ait été la destitution d’un conseiller, la disposition pertinente du code électoral (alinéa 12h)) est identique à la disposition en cause en l’espèce en ce qui concerne la destitution d’un chef (alinéa 12i)). La seule différence est que la destitution d’un conseiller nécessite une pétition soutenue par 25 % de l’électorat de la collectivité concernée, alors que celle d’un chef nécessite une pétition soutenue par 15 % de l’ensemble des électeurs de la NCPB.

[66] Nonobstant la décision McCallum, les défendeurs sont d’avis qu’une pétition n’était pas nécessaire en l’espèce. Plus particulièrement, les défendeurs soutiennent que, en vertu de l’alinéa 12f) du code électoral, le conseil des aînés doit destituer un chef qui ne respecte pas les normes de conduite, qui manque de respect envers le poste de chef ou la NCPB ou qui est jugé inapte à continuer. De plus, ils soutiennent que les alinéas 12g) (consultation de la collectivité) et 12j) (défaut de demander l’aide d’un professionnel au besoin) du code électoral appuient également l’interprétation selon laquelle le conseil des aînés a le pouvoir de destituer un chef dans ces circonstances sans pétition. Selon les défendeurs, aucune pétition n’était nécessaire.

[67] Le problème d’interprétation du code électoral avancé par les défendeurs est double. Premièrement, en l’espèce, le conseil des aînés n’agissait pas de sa propre initiative. La décision souligne expressément qu’il agissait en réponse à une plainte. La question de savoir si, et dans quelles circonstances, le conseil des aînés du NCPB peut destituer un chef de sa propre initiative sans qu’une plainte ait été déposée, dépasse le cadre de la présente demande, étant donné qu’en l’espèce, le conseil des aînés a agi en réponse à une plainte.

[68] Deuxièmement, et plus important encore, la position des défendeurs repose sur le fait qu’il y a eu un processus équitable au terme duquel il a été déterminé que la demanderesse a manqué à son serment d’office, n’a pas respecté les normes de conduite et a jeté le discrédit et le déshonneur sur son mandat, comme l’indique la décision. Pour les motifs exposés ci-dessus, j’ai conclu que la demanderesse n’a pas bénéficié d’un tel processus en l’espèce.

[69] En examinant le code électoral, j’admets que la Cour doit tenir compte de la formulation choisie par la NCPB dans son code électoral. J’admets également que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues en vertu du code électoral (Porter c Boucher‑Chicago, 2021 CAF 102 au para 27 [Porter]). Toutefois, selon la norme de contrôle de la décision correcte, la retenue ne l’emporte pas sur l’équité procédurale.

[70] Sur la base d’une lecture simple et contextuelle du code électoral, la plainte déposée contre la demanderesse aurait dû être appuyée par une pétition, comme l’exige l’alinéa 12i). La décision indique explicitement que le conseil des aînés de la NCPB [traduction] « a reçu des plaintes formelles » concernant la conduite de la demanderesse. La plainte formelle provenait des conseillers de la NCPB qui sont membres de la NCPB. L’alinéa 12i) du code électoral de la NCPB prévoit qu’une plainte d’un membre contre le chef doit faire l’objet d’une pétition signée par 15 % des électeurs de la NCPB. La plainte a été envoyée au président du conseil des aînés de la NCPB, qui indique que le conseil de bande de la NCPB agissait en vertu de l’alinéa 12i).

[71] Je souligne en outre que le code électoral ne prévoit aucun autre processus pour qu’une plainte soit déposée par un conseiller de la bande de la NCPB, individuellement ou collectivement. Par conséquent, je conclus qu’une pétition était nécessaire.

[72] Dans l’arrêt Porter, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 37, que l’interprétation du code électoral par l’arbitre :

est conforme aux principes généraux de l’interprétation des lois ainsi qu’à l’approche moderne énoncée dans l’arrêt Rizzo qui s’appliquent à l’interprétation des codes électoraux (Boucher c. Fitzpatrick, 2012 CAF 212, 434 N.R. 199, par. 25). Selon le cadre défini dans l’arrêt Vavilov, le fait que l’arbitre n’ait pas fait une interprétation formaliste du code électoral ne nous empêche pas de conclure au caractère raisonnable de sa décision (arrêt Vavilov, par. 119).

[73] Les défendeurs s’appuient sur l’arrêt Porter pour soutenir que la Cour doit accepter leur interprétation du code électoral selon laquelle une pétition n’était pas nécessaire dans les circonstances. Les faits de l’affaire Porter sont très différents de ceux de l’espèce. Dans l’arrêt Porter, il s’agissait de déterminer l’admissibilité d’un candidat à se présenter aux élections compte tenu de ses condamnations criminelles antérieures et de l’interprétation applicable de deux dispositions du code électoral en cause. La décision de l’instance d’appel saisie de questions liées aux élections était directement en cause dans l’affaire Porter. Il n’y a pas de telle décision d’une instance d’appel en cause en l’espèce.

[74] Plus précisément, l’avis juridique de 2019 joint à l’affidavit Bird souligne expressément [traduction] que « le conseil des aînés n’a pas le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre le chef et le conseil de la NCPB », outre le pouvoir de destitution prévu à l’article 12. L’avis juridique aborde ensuite le pouvoir de destituer un chef ou un conseiller en fonction, ainsi :

[traduction]

Il incombe cependant au conseil des aînés de se conformer en premier lieu aux dispositions du code électoral. Une plainte appuyée par une pétition aurait dû être déposée auprès du conseil des aînés. En l’espèce, il n’existe aucune preuve qu’une plainte appuyée par une pétition signée par 25 % des électeurs de la collectivité de la réserve concernée a été reçue par le conseil des aînés. En conséquence, dans les circonstances présentes, le conseil des aînés n’est pas habilité, en vertu des dispositions du code électoral […] à ordonner la destitution […]

[75] En l’espèce, il ne fait aucun doute que le conseil des aînés de la NCPB agissait en vertu de l’article 12 du code électoral, puisque c’est sur cet article que s’appuie sa décision. Il ne se fonde sur aucun autre article du code électoral. Le président du conseil des aînés de la NCPB a reçu une plainte formelle, comme l’indique la décision. Cependant, la plainte des membres de la NCPB n’était pas accompagnée d’une pétition émanant de 15 % de l’électorat de la NCPB, comme l’exige le code électoral de la NCPB. À mon avis, lorsqu’il a pris des mesures sans la pétition requise, le conseil des aînés n’agissait pas dans le cadre de son mandat en vertu du code électoral.

[76] Le conseil des aînés de la NCPB a adopté un comportement qui, même s’il était bien intentionné, permettait qu’une série d’allégations contre la demanderesse serve de fondement à sa décision de la destituer du poste de cheffe élue. Par conséquent, il fallait suivre le processus et les protections prévus dans le code électoral pour les plaintes contre le chef.

[77] Fondamentalement, la demanderesse avait droit aux protections accordées par le code électoral et elle avait le droit de connaître toute la preuve contre elle et de bénéficier de la chance pleine et équitable d’y répondre. Aucune de ces garanties les plus élémentaires d’équité procédurale n’a été accordée à la demanderesse en l’espèce.

C. La décision est-elle raisonnable?

[78] Après avoir conclu que la décision de destituer la demanderesse était inéquitable sur le plan procédural et non conforme au code électoral, je conclus que la décision est également déraisonnable.

[79] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

VIII. Dépens

[80] En tant que partie ayant obtenu gain de cause, la demanderesse a droit aux dépens. Elle demande les dépens personnellement contre certains des défendeurs désignés au motif qu’ils ont agi de mauvaise foi. Bien que je convienne que le conseil des aînés de la NCPB a agi d’une manière inéquitable sur le plan procédural envers la demanderesse et qu’il a peut-être agi de façon malavisée, la preuve ne permet pas de conclure à la mauvaise foi. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’accorder une majoration des dépens à l’encontre des membres du conseil des aînés à titre personnel.

[81] La demanderesse a droit à ses dépens. J’ai convenu d’autoriser les parties à présenter des observations écrites sur les dépens à la suite du présent jugement.

JUGEMENT dans le dossier T-1109-22

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du conseil des aînés de la NCPB, datée du 10 mai 2022, est annulée.

  2. L’intitulé est modifié avec effet immédiat pour ne désigner que les entités de la NCPB, le conseil de bande de NCPB et le conseil des aînés de la NCPB.

  3. La demanderesse a droit aux dépens. Les parties pourront présenter des observations écrites sur les dépens n’excédant pas 10 pages à être reçues dans les 15 jours de la date du présent jugement, à défaut de quoi la Cour prononcera une adjudication des dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

T-1109-22

INTITULÉ :

BIRD c NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2023

COMPARUTIONS :

Michael A. MacDonald

Pour la demanderesse

 

Anil K. Pandila, c.r.

POUR LA DÉFENDERESSE

NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE

Peter V. Abrametz

Pour les défendeurs

LE CONSEIL DE BANDE DE NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE et LE CONSEIL DES AÎNÉS DE LA NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McKercher LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

Pandila & Co.

Prince Albert (Saskatchewan)

POUR LA DÉFENDERESSE

NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE

 

Abrametz & Eggum

Prince Albert (Saskatchewan)

Pour les défendeurs

LE CONSEIL DE BANDE DE NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE et LE CONSEIL DES AÎNÉS DE LA NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE

 

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