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Date : 20230213


Dossier : IMM-2456-22

Référence : 2023 CF 214

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE:

CARLOS ALBERTO COTO PALAGOT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Carlos Alberto Coto Palagot, est un citoyen mexicain qui est venu au Canada muni d’un visa d’étudiant. Il est resté au Canada après l’expiration de son visa et a par la suite demandé l’asile. Il affirme s’être fié à un consultant en immigration pour préparer et présenter sa demande. Cependant, sur les formulaires qui ont été soumis, l’adresse du demandeur était erronée.

[2] La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a envoyé au demandeur un « avis de convocation » pour son audience à cette adresse, mais il a été retourné, car l’adresse n’existe pas. Le ministre a envoyé un avis d’intention d’intervenir dans la procédure relative à la demande d’asile à la même adresse, mais il lui a également été retourné. La CISR a ensuite envoyé un avis de décision à cette adresse, dans lequel elle rejetait la demande du demandeur pour désistement. Encore une fois, l’avis a été retourné. Quelques mois plus tard, la CISR a envoyé le même avis à la nouvelle adresse du demandeur, mais il semble qu’il avait déménagé au moment de l’envoi.

[3] En janvier 2022, l’Agence des services frontaliers du Canada a convoqué le demandeur à une rencontre afin de lui remettre une directive l’enjoignant de se présenter en vue de son renvoi. Lors de cette rencontre, le demandeur a appris que sa demande d’asile avait été rejetée parce qu’il était réputé s’être désisté.

[4] Le demandeur a immédiatement retenu les services d’une avocate, qui a présenté une demande urgente à la CISR afin de faire rouvrir la demande d’asile. Son principal argument était que le demandeur avait été victime de consultants en immigration malhonnêtes, qui avaient inscrit la mauvaise adresse dans les formulaires d’immigration, et que le demandeur ne savait donc pas qu’une date avait été fixée pour son audience. Le demandeur a soutenu que son droit à l’équité procédurale avait été bafoué parce qu’il n’avait pas eu accès à l’avis de convocation.

[5] La CISR a rejeté sa demande de réouverture de son dossier, expliquant qu’après le retour de l’avis de convocation, un fonctionnaire de la CISR avait communiqué avec le demandeur par téléphone et que ce dernier avait confirmé qu’il enverrait son adresse et son courriel par télécopieur afin de recevoir le lien lui permettant d’assister à son audience. La SPR a conclu que, malgré les problèmes qu’il avait avec son consultant en immigration, le demandeur demeurait responsable de sa demande et était tenu d’informer la CISR de tout changement d’adresse. Pour rejeter sa demande, la SPR a également tenu compte du fait que le personnel de la CISR avait communiqué avec le demandeur, mais que celui-ci n’avait pourtant pas fourni de renseignements à jour.

[6] À la réception de la décision défavorable, l’avocate du demandeur a présenté une deuxième demande de réexamen, accompagnée d’un affidavit du demandeur et de certains documents. Dans cet affidavit, le demandeur indiquait qu’il ne comprenait pas les formulaires d’immigration qu’il avait signés parce qu’ils n’avaient pas été traduits et reconnaissait avoir parlé à un représentant de la CISR, mais disait ne pas être en mesure de le comprendre parce qu’il avait un gros accent et qu’aucune traduction en espagnol ne lui avait été fournie. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas compris qu’il devait envoyer son adresse et son courriel par télécopieur, mais qu’il croyait plutôt qu’il devait envoyer ces renseignements par message texte. Il a joint une capture d’écran d’un message texte qui, selon lui, corrobore ses dires. Le demandeur a soutenu que son droit à l’équité procédurale avait été bafoué et a demandé la réouverture de sa demande d’asile.

[7] La SPR a rejeté la deuxième demande du demandeur, expliquant que selon les règles de la CISR, elle ne pouvait accueillir la demande que si le demandeur établissait l’existence de circonstances exceptionnelles à l’aide de nouveaux éléments de preuve. Elle a conclu qu’il n’y avait aucun nouvel élément de preuve et que le demandeur n’avait pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles. Elle a donc rejeté son affirmation selon laquelle il ne comprenait pas l’anglais, parce qu’il avait signé le formulaire Fondement de la demande d’asile et la déclaration A, indiquant qu’il parlait et comprenait l’anglais. La SPR a également noté que le personnel de la CISR avait communiqué avec le demandeur, et elle a donc rejeté l’argument de ce dernier selon lequel il s’était vu refuser l’équité procédurale.

[8] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[9] La question déterminante est de savoir si la décision de la SPR est raisonnable, selon le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] En résumé, d’après le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). L’exercice de tout pouvoir public par un décideur administratif doit être « justifié, intelligible et transparent » (Vavilov, au para 95). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision comporte des lacunes ou des déficiences « suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[11] Les parties ont soulevé un certain nombre de questions, mais j’estime qu’il n’est pas nécessaire de toutes les examiner. Le facteur déterminant en l’espèce est le défaut de la SPR d’expliquer son raisonnement concernant la question clé de la capacité du demandeur à comprendre l’anglais, compte tenu des éléments de preuve contradictoires au dossier.

[12] Comme je le mentionne plus haut, la SPR s’est appuyée sur l’attestation signée par le demandeur, selon laquelle il comprenait l’anglais, la traitant comme l’un des principaux motifs pour rejeter la demande de réouverture. Elle n’a toutefois pas expliqué pourquoi elle n’avait accordé aucune crédibilité à l’affidavit du demandeur selon lequel il ne comprenait pas l’anglais et dans lequel il expliquait que, bien qu’il ait signé le formulaire Fondement de la demande d’asile, ce formulaire avait été préparé par son consultant malhonnête, qui ne l’avait jamais traduit.

[13] Cette lacune est déraisonnable.

[14] Le défendeur a fait remarquer que le demandeur avait signé son affidavit en anglais et que rien n’indique que cet affidavit avait été traduit pour lui, ajoutant qu’il avait antérieurement signé d’autres documents d’immigration, notamment une demande de visa d’étudiant indiquant qu’il avait l’intention d’étudier l’anglais au Canada. Tout cela est vrai. Il faut reconnaître que la SPR avait peut-être de bonnes raisons de douter de l’authenticité du témoignage du demandeur. Toutefois, la norme de la décision raisonnable exige que le décideur explique son raisonnement à l’égard des facteurs clés qui ont mené au résultat. En l’espèce, cela doit inclure les doutes de la SPR au sujet du témoignage sous serment du demandeur.

[15] À mon avis, le défaut de la SPR d’expliquer son raisonnement à cet égard est suffisamment grave pour miner la décision. Il s’agit d’un aspect central de la décision de la SPR et celle-ci est tout simplement muette quant au raisonnement adopté.

[16] Par conséquent, malgré les observations judicieuses et nuancées de l’avocat du défendeur, je conclus que la décision est déraisonnable, et elle sera annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

[17] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

[18] Enfin, un post-scriptum est nécessaire pour expliquer le déroulement de la présente audience. L’avocate représentait le demandeur lorsqu’il a introduit la présente procédure, et elle a déposé des observations écrites en son nom. Peu de temps avant l’audience, le demandeur a déposé un avis d’intention de se représenter lui-même. Lors d’échanges avec le greffe peu avant l’audience, le demandeur a indiqué qu’il retiendrait les services d’un autre avocat pour l’audience, mais il ne l’a finalement pas fait. Il a comparu seul le 8 février 2023, jour fixé pour l’audience.

[19] Compte tenu du témoignage du demandeur concernant ses capacités limitées en anglais, j’ai ajourné l’audience afin qu’il puisse trouver quelqu’un pour l’aider à faire la traduction. L’audience a repris le 10 février 2023, et le demandeur était accompagné d’un ami qui a interprété l’instance et ses observations à la Cour.

[20] Je tiens à remercier l’ami du demandeur d’avoir aidé ce dernier ainsi que la Cour. Je tiens également à remercier l’avocat du procureur général pour sa souplesse et son professionnalisme. Ses actions reflètent les plus nobles traditions du procureur général en tant que premier conseiller juridique de la Couronne.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2456-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SPR de refuser de rouvrir la demande d’asile du demandeur est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour un nouvel examen.

  4. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2456-22

 

INTITULÉ :

CARLOS ALBERTO COTO PALAGOT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 février 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Carlos Alberto Coto Palagot

pour son propre compte

James Todd

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carlos Alberto Coto Palagot

 

pour son propre compte

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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