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Date : 20230208


Dossier : IMM‑5018‑22

Référence : 2023 CF 183

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE:

SEYEDMOHAMMAD JAFARI

ET LEILA REZAEI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur principal [le demandeur] et son épouse sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 3 mai 2022 [la décision] par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études du demandeur. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de ses études. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie au motif que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

I. Contexte

[2] Le demandeur, âgé de 41 ans, est citoyen de l’Iran. Outre son épouse qui devait l’accompagner au Canada, toute sa famille réside en Iran. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en administration des affaires en 2010 de l’Université islamique Azad et travaille comme directeur des ventes et du marketing en Iran depuis 2017. Son employeur actuel, Aradorfam Armin, lui a offert une promotion s’il terminait avec succès ses études au Canada.

[3] Il a présenté une demande d’admission à la maîtrise en sciences de l’administration, avec concentration en gestion et en administration internationales, au campus de Vancouver de l’Université Fairleigh Dickinson [l’UFD]. Le 8 juillet 2021, il a reçu une lettre confirmant son admission puis, peu de temps après, il a présenté une demande de permis d’études.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[4] L’agent a rejeté la demande de permis d’études du demandeur, car il n’était pas convaincu que ce dernier quitterait le Canada à la fin de ses études en raison de ses liens familiaux au Canada et en Iran ainsi que du but de sa visite.

II. Question en litige et norme de contrôle

[5] La question en litige porte sur le caractère raisonnable de la décision, qui est susceptible de contrôle selon la norme établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[6] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la décision n’est pas raisonnable, je ne me pencherai pas sur les arguments du demandeur concernant l’équité procédurale.

III. Analyse

[7] Le demandeur soutient que l’agent n’a présenté aucune analyse intelligible de la preuve et que ce dernier a tiré des conclusions factuelles inexactes relativement au but de sa visite ainsi qu’à son établissement et à ses liens familiaux en Iran.

A. But de la visite

[8] En ce qui a trait à la demande de permis d’études, l’agent a inscrit ce qui suit dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] :

[traduction]

Le demandeur principal a déposé une demande d’admission à la maîtrise en sciences de l’administration, avec concentration en gestion et en administration internationales. Études universitaires antérieures : administration des affaires. Il travaille actuellement comme directeur des ventes et du marketing. Projet d’études examiné et pris en compte. Offre d’emploi prise en considération. Le demandeur principal a fourni une explication générale pour son projet d’études, mais n’a pas précisément expliqué en quoi son projet serait utile à sa carrière ni en quoi un programme d’études canadien, pour lequel les droits de scolarité sont élevés, serait nécessaire et profitable. Dans son offre d’emploi, l’employeur fait mention d’un congé d’études autorisé, mais n’indique pas qu’une maîtrise ou que des études internationales sont requises pour une telle promotion. De plus, l’employeur n’a pas expliqué pourquoi il serait avantageux pour son entreprise que le demandeur obtienne un diplôme canadien, malgré le fait qu’il devrait se passer des services de son employé pendant deux ans.

[9] Le demandeur fait valoir qu’il a présenté des éléments de preuve détaillés concernant son projet d’études, la confirmation de son admission à l’UFD, une description des avantages du programme d’études en lien avec sa carrière ainsi qu’une preuve de sa capacité financière à étudier au Canada.

[10] Le demandeur soutient avoir exposé de manière exhaustive dans son projet d’études les raisons pour lesquelles il a choisi la maîtrise de l’UFD ainsi que la façon dont ce programme s’intègre à ses plans d’études et de carrière. Le demandeur a également présenté les perspectives d’emploi qui s’offriront à lui une fois ses études terminées. Il fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve substantiels et pertinents ayant trait à son projet d’études.

[11] Le demandeur soutient également que l’agent a traité la lettre de son employeur de manière déraisonnable, puisque celle‑ci confirmait qu’il obtiendrait une promotion après avoir réussi son programme d’études au Canada. Lorsqu’un agent ne tient pas compte ou fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, il s’ensuit que la décision sera déraisonnable (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 17; Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 au para 18).

[12] En outre, il peut aussi être déraisonnable pour un agent de formuler ses propres opinions quant au cheminement professionnel ou au parcours scolaire d’un demandeur (Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26 au para 16; Azizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1530).

[13] En l’espèce, l’agent a commis une erreur en faisant vraisemblablement abstraction d’éléments de preuve pertinents et en formulant son opinion sur les choix de carrière du demandeur. Dans ses observations, le demandeur expliquait longuement en quoi le programme de l’UFD lui serait profitable lui. Bien que l’agent ait reconnu avoir reçu le projet d’études, il n’a pas répondu aux observations du demandeur dans ses motifs. L’agent a indiqué que le demandeur [traduction] « a[vait] fourni une explication générale pour son projet d’études, mais n’a[vait] pas précisément expliqué en quoi son projet serait utile à sa carrière ni en quoi un programme d’études canadien, pour lequel les droits de scolarité sont élevés, serait nécessaire et profitable ». Le demandeur a cependant mentionné, dans ses observations, [traduction] « qu’aucun programme universitaire comparable n’[était] offert en Iran ni dans les pays voisins ». Le demandeur a également répondu à la préoccupation de l’agent concernant les droits de scolarité élevés associés au programme qu’il a choisi en expliquant que [traduction] « les droits de scolarité des universités canadiennes sont plus abordables que ceux des universités d’autres pays anglophones ».

[14] Le fait que l’agent n’ait pas pris en compte le contenu du projet d’études du demandeur et qu’il a formulé ses propres opinions quant au cheminement professionnel de ce dernier rend la décision déraisonnable.

B. Établissement et liens familiaux en Iran

[15] En ce qui concerne ce facteur, l’agent a écrit ce qui suit dans le SMGC :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Le demandeur est marié et son épouse l’accompagne. Le demandeur principal affirme avoir de proches parents dans son pays, mais la preuve à cet égard n’est pas suffisante. Je ne suis pas convaincu que ses liens familiaux en Iran sont assez étroits pour le motiver à quitter le Canada. Ses liens avec l’Iran seraient fragilisés si son projet se concrétisait, puisque sa famille immédiate doit l’accompagner au Canada; sa motivation à retourner dans son pays diminuerait étant donné que les membres de sa famille immédiate résideraient avec lui au Canada.

[16] Le demandeur a fourni des documents traitant des éléments suivants à l’appui de son établissement en Iran :

  • ses études antérieures;

  • ses expériences de travail;

  • une possibilité d’emploi concrète à son retour en Iran, en l’occurrence une promotion;

  • une situation financière solide, qui comprend des liquidités en banque et des propriétés en Iran.

[17] Le demandeur affirme que le dossier certifié du tribunal montre qu’il a des liens familiaux étroits en Iran, puisque ses parents et sa fratrie y résident, de même que les parents et la fratrie de son épouse.

[18] Dans sa décision, l’agent ne renvoie à aucun élément de preuve ayant trait aux liens familiaux du demandeur en Iran ni aux propriétés qu’il possède dans son pays. Il ne mentionne pas l’absence de famille et d’amis du demandeur au Canada ni ses perspectives d’emploi et la promotion que lui offre son employeur actuel à son retour en Iran. L’agent indique seulement que [traduction] « [s]es liens avec l’Iran seraient fragilisés si son projet se concrétisait, puisque sa famille immédiate doit l’accompagner au Canada; sa motivation à retourner dans son pays diminuerait étant donné que les membres de sa famille immédiate résideraient avec lui au Canada ».

[19] Le raisonnement de l’agent permettrait logiquement de conclure que toute personne qui demande à venir au Canada avec un époux ou un membre de la famille immédiate n’aurait pas de liens suffisants avec son pays d’origine pour obtenir un visa, ce qui n’est pas raisonnable.

[20] Étant donné qu’il n’a pas traité des principaux éléments de preuve concernant les liens du demandeur avec l’Iran, l’agent a suivi un raisonnement erroné en supposant que le demandeur ne retournerait pas dans son pays puisqu’il était accompagné de son épouse au Canada.

IV. Conclusion

[21] Je suis d’avis que l’agent a traité la preuve de manière déraisonnable et j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5018‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM‑5018‑22

INTITULÉ :

JAFARI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

POUR LES DEMANDEURS

 

Albulena Qorrolli

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ramanjit Sohi

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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