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Date : 20230206


Dossier : T‑766‑20

Référence : 2023 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

JEAN‑KYLE BIENVENU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, maître de deuxième classe Jean‑Kyle Bienvenu, CD retraité (M. Bienvenu), est vétéran des Forces armées canadiennes. Il a servi en tant que membre de la Force de réserve d’avril 2002 à mai 2015. En avril 2018, M. Bienvenu a demandé l’indemnité d’éducation et de formation (l’indemnité) prévue par la Loi sur le bien‑être des vétérans, LC 2005, c 21 [la Loi]. L’allocation permet aux vétérans de bénéficier d’une aide financière pour suivre des programmes d’enseignement et de formation postsecondaires. Anciens Combattants Canada (Anciens Combattants) a rejeté la demande de M. Bienvenu, jugeant qu’il n’était pas admissible parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la durée du service selon la façon dont le service est calculé pour les membres de la Force de réserve conformément à l’article 5.01 du Règlement sur le bien‑être des vétérans, DORS/2006‑05 [le Règlement].

[2] M. Bienvenu ne prétend pas qu’Anciens Combattants n’a pas calculé la durée de son service conformément au Règlement. Il conteste plutôt le Règlement lui‑même et demande à la Cour de déclarer que l’article 5.01 du Règlement, lequel définit la manière de calculer la durée du service des membres de la Force de réserve, est invalide parce qu’il est ultra vires. En d’autres termes, il affirme que le gouverneur en conseil, c’est‑à‑dire le cabinet fédéral, a outrepassé les pouvoirs qui lui ont été délégués par le Parlement dans la Loi. Plus précisément, M. Bienvenu soutient que la définition dans le Règlement de « service » pour les membres de la Force de réserve comme étant « les jours de service pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé » va à l’encontre de l’objet de la Loi, à savoir « témoigner de la reconnaissance juste et appropriée » aux vétérans pour leur service au Canada.

[3] Je ne suis pas de cet avis. Comme je l’explique ci‑dessous, j’estime que l’exercice du pouvoir réglementaire par le gouverneur en conseil est raisonnable et que, par conséquent, l’article 5.01 du Règlement est valide. Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Résumé des faits

[4] M. Bienvenu a été membre de la Première réserve de la Réserve navale, du 24 avril 2002 au 31 octobre 2014, et membre de la Réserve supplémentaire du 31 octobre 2014 à mai 2015. Il a été récompensé à plusieurs reprises pour son service militaire exemplaire et a reçu la Décoration des Forces canadiennes après 12 ans de service. Pendant qu’il était membre de la Première réserve, M. Bienvenu a obtenu son diplôme de premier cycle et son diplôme en droit. En général, M. Bienvenu était employé dans la Première réserve sous un contrat de classe « A », c’est‑à‑dire à temps partiel, de septembre à avril de chaque année. Il a accepté des contrats de classe « B » ou « C » à temps plein pendant la plupart des étés.

[5] Le 9 avril 2018, M. Bienvenu a présenté une demande d’allocation. Le 25 juillet 2019, Anciens Combattants a rejeté sa demande parce qu’il ne répondait pas au critère minimum de six années de service. Le 3 septembre 2019, M. Bienvenu a demandé une révision de cette décision. Le 25 novembre 2019, Anciens Combattants a confirmé la décision initiale, estimant que le service de M. Bienvenu comprenait 1 017 jours de service à temps plein et 340,5 jours de service à temps partiel, qui, multipliés par un facteur de 1,4, comptaient pour 477 jours de service admissible. Cela signifie que M. Bienvenu a accumulé un total de 1 494 jours de service admissible, ce qui est inférieur aux 2 191 jours (ou six ans) requis pour l’obtention de l’allocation. Le 23 janvier 2020, M. Bienvenu a demandé une révision de cette décision, en faisant valoir que l’article 5.01 du Règlement, sur lequel Anciens Combattants s’est appuyé pour déterminer l’admissibilité, est ultra vires parce qu’il va à l’encontre de l’objectif de la Loi. Le 17 juin 2020, Anciens Combattants a confirmé la décision antérieure et a rejeté la demande de M. Bienvenu parce qu’il ne répondait pas aux exigences relatives à la durée du service. M. Bienvenu a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision dans laquelle il a demandé à la Cour de déclarer que l’article 5.01 du Règlement est invalide.

III. Questions préliminaires

[6] Le défendeur a présenté une requête avant l’audience du contrôle judiciaire dans laquelle il a demandé à la Cour de biffer les paragraphes 32, 44, 69 et 76 de l’affidavit de M. Bienvenu assermenté le 28 août 2020, et de biffer intégralement son deuxième affidavit assermenté le 15 avril 2021. M. Bienvenu a consenti à la requête du défendeur. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte de ces éléments pour prendre ma décision.

[7] Les parties conviennent également que le défendeur approprié est le procureur général du Canada. L’intitulé de l’instance sera modifié en conséquence.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[8] La seule question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si l’article 5.01 du Règlement est ultra vires. Les deux parties ont fait valoir que la Cour devrait appliquer la norme de la décision raisonnable, car aucune des exceptions reconnues à l’application de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne s’appliquent en l’espèce.

[9] Les deux parties se sont appuyées sur l’analyse de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 [Portnov]. Il a été conclu dans l’arrêt Portnov que les cours de révision devraient appliquer la norme de contrôle du caractère raisonnable tel qu’elle est énoncée dans l’arrêt Vavilov lorsqu’elles examinent la validité des règlements. Aucune des parties n’a invoqué le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 [Katz], à savoir que pour annuler un règlement, la Cour doit estimer qu’il est « sans importance », « non pertinent », ou « complètement étranger » à l’objet de la loi habilitante (Katz, au para 28). La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Médicaments Novateurs Canada c Canada (Procureur général)), 2022 CAF 210 [Médicaments Novateurs], une décision rendue après l’audition du présent contrôle judiciaire, a confirmé une fois de plus que la norme de la décision raisonnable telle qu’énoncé dans l’arrêt Vavilov est le moyen qu’il convient d’utiliser pour le contrôle de ces décisions. Dans l’arrêt Médicaments Novateurs, il a été reconnu que la Cour d’appel de l’Alberta, dans les arrêts Auer v Auer, 2022 ABCA 375 et TransAlta Generation Partnership v Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381, continuait d’appliquer la méthodologie exposée dans l’arrêt Katz lors de l’examen de la validité des règlements.

[10] Dans l’arrêt International Air Transport Association c. Office des transports du Canada, 2022 CAF 211 [International Air Transport Association], une autre décision rendue après l’audition du présent contrôle judiciaire, le lendemain de l’arrêt Médicaments Novateurs, la Cour d’appel fédérale a également examiné la jurisprudence sur la question de savoir si les tribunaux qui examinent la validité des règlements devraient appliquer une analyse de la norme de contrôle selon l’arrêt Vavilov ou la théorie de l’excès de pouvoir (International Air Transport Association aux para 186‑190). Bien que le juge de Montigny ait noté qu’après l’arrêt Vavilov, « la plupart des cours d’appel intermédiaires ont estimé que la législation déléguée serait désormais contrôlée par rapport à cette norme [du caractère raisonnable] », il a également reconnu que cette approche n’était pas unanime. En outre, le juge de Montigny a noté que l’approche adoptée par la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, qui n’a suivi ni l’application de la norme de la décision raisonnable exposée dans l’arrêt Vavilov ni l’application de la théorie de l’excès de pouvoir, montre que « le débat est loin d’être clos ».

[11] Compte tenu des thèses des parties dans le cadre du présent contrôle judiciaire et de la décision de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Portnov et Médicaments Novateurs, j’appliquerai la norme de la décision raisonnable. Je note toutefois que, tout comme dans les arrêts Médicaments Novateurs et International Air Transport Association (Médicaments Novateurs, aux para 49‑50; International Air Transport Association, au para 191), le résultat ne changerait pas si j’appliquais le critère de l’arrêt Katz. Étant donné que j’ai conclu que la décision du gouverneur en conseil d’édicter l’article 5.01 du Règlement est raisonnable, j’aurais également conclu, comme cela devrait être clair dans mes motifs ci‑dessous, que M. Bienvenu n’a pas démontré que l’article 5.01 du Règlement est « sans importance », « non pertinent », ou « complètement étranger » à l’objet de la Loi.

V. Discussion

[12] Le présent contrôle judiciaire vise à déterminer si le gouverneur en conseil a agi de manière déraisonnable en définissant la durée du service des membres de la Force de réserve d’une manière qui outrepasse les pouvoirs qui lui sont conférés dans la Loi. M. Bienvenu soutient que la définition du service pour les membres de la Force de réserve est restrictive et va à l’encontre de l’objectif général de la Loi « de rendre un hommage grandement mérité aux militaires et vétérans pour leur dévouement envers le Canada » (la Loi, art 2.1). Au cœur de la présente question en litige se trouve la distinction entre la manière dont la durée du service est calculée pour les membres de la Force de réserve et pour les membres de la Force régulière afin de déterminer l’admissibilité à l’allocation.

A. Contraintes juridiques et factuelles

[13] Un certain nombre de contraintes d’ordre juridique et factuel influerait sur le caractère raisonnable de l’interprétation par le gouverneur en conseil de son pouvoir de promulguer le règlement contesté (Vavilov, au para 90). La première contrainte est le régime légal. Le pouvoir du gouverneur en conseil d’édicter l’article 5.01 du Règlement est limité par la loi habilitante. Pour comprendre la portée de la disposition législative habilitante, en l’espèce l’article 5.93 de la Loi, le gouverneur en conseil devrait avoir examiné le texte, le contexte et l’objectif du régime législatif (Vavilov, au para 120; Médicaments Novateurs, au para 46; Katz, au para 24).

[14] L’article 5.93 de la Loi dispose que :

5.93 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

a) prévoyant, pour l’application de l’alinéa 5.2(1)a), la manière d’établir la durée du service dans la force de réserve;

b) régissant ce qui constitue une libération honorable pour l’application de l’alinéa 5.2(1)b);

c) prévoyant le rajustement périodique de la somme cumulative maximale prévue au paragraphe 5.2(2);

d) définissant établissement d’enseignement pour l’application de l’alinéa 5.3(1)a);

e) prévoyant les cours ou la formation qui peuvent ou ne peuvent pas être approuvés par le ministre au titre de l’article 5.5;

f) définissant, pour l’application de l’article 5.8, ce qui constitue l’incarcération dans un établissement correctionnel.

5.93 The Governor in Council may make regulations

(a) prescribing how the length of service in the reserve force is to be determined for the purposes of paragraph 5.2(1)(a);

(b) respecting what constitutes honourable release for the purpose of paragraph 5.2(1)(b);

(c) providing for the periodic adjustment of the maximum cumulative amount referred to in subsection 5.2(2);

(d) defining educational institution for the purposes of paragraph 5.3(1)(a);

(e) prescribing the education or training that may or may not be approved by the Minister under section 5.5; and

(f) defining what constitutes incarceration in a correctional institution for the purposes of section 5.8.

[15] La Loi n’impose aucune contrainte expresse à la capacité du gouverneur en conseil de prévoir la manière dont la durée du service des membres de la Force de réserve est calculée. Ce pouvoir prévu par la loi relativement peu contraignant est toutefois limité à une tâche définie, à savoir prévoir la manière de calculer la durée du service dans la Force de réserve afin de déterminer l’admissibilité à l’allocation.

[16] L’autre contrainte statutaire pesant sur le gouverneur en conseil serait l’objet de la loi habilitante. La contestation de M. Bienvenu repose sur l’opinion selon laquelle le gouverneur en conseil a outrepassé ses pouvoirs en créant un règlement qui va à l’encontre de l’objet de la Loi. La Loi a un vaste objet général, lequel est énoncé à l’article 2.1 :

Objet

2.1 La présente loi a pour objet de reconnaître et d’honorer l’obligation du peuple canadien et du gouvernement du Canada de rendre un hommage grandement mérité aux militaires et vétérans pour leur dévouement envers le Canada, obligation qui vise notamment la fourniture de services, d’assistance et de mesures d’indemnisation à ceux qui ont été blessés par suite de leur service militaire et à leur époux ou conjoint de fait ainsi qu’au survivant et aux orphelins de ceux qui sont décédés par suite de leur service militaire. Elle s’interprète de façon libérale afin de donner effet à cette obligation reconnue.

Purpose

2.1 The purpose of this Act is to recognize and fulfil the obligation of the people and Government of Canada to show just and due appreciation to members and veterans for their service to Canada. This obligation includes providing services, assistance and compensation to members and veterans who have been injured or have died as a result of military service and extends to their spouses or common‑law partners or survivors and orphans. This Act shall be liberally interpreted so that the recognized obligation may be fulfilled.

 

[17] Cet objet s’applique à un ensemble de services, d’assistance et d’indemnisation pour les militaires, les vétérans et leurs familles prévus par la Loi, y compris les militaires et les vétérans qui ont été blessés ou qui sont décédés à la suite du service militaire. L’objectif général s’applique à la fois aux membres de la Force de réserve et de la Force régulière.

[18] Le contexte factuel serait également pertinent (Vavilov, au para 90; Portnov, au para 44). Comme nous l’avons indiqué, l’un des éléments clés du texte législatif est la différence entre les deux composantes des Forces armées canadiennes : la Force régulière et la Force de réserve. Ces différences constitueraient une contrainte contextuelle supplémentaire.

[19] La Force régulière est « formé[e] d’officiers et de militaires du rang enrôlés pour un service continu et à plein temps » (la Loi, art 5.11). La Force de réserve est « formé[e] d’officiers et de militaires du rang enrôlés mais n’étant pas en service continu et à plein temps lorsqu’ils ne sont pas en service actif. » (la Loi, art 5.11). En général, le service militaire dans la Force régulière est continu et à temps plein, tandis que dans la Force de réserve, le service militaire est susceptible d’être à temps partiel, bien que les réservistes puissent volontairement accepter des contrats à temps plein. En d’autres termes, le service militaire dans la Force de réserve, par opposition à la Force régulière, consiste en des types de contrats de service plus variés, y compris des périodes de service à temps partiel et des périodes de service volontaire à temps plein. D’après les éléments de preuve déposés dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les réservistes servent souvent dans les Forces armées canadiennes tout en poursuivant une carrière civile à temps plein et/ou des études postsecondaires.

[20] Il existe d’autres différences. Par exemple, les membres de la Force régulière peuvent être déployés sans leur consentement; les membres de la Force de réserve doivent généralement donner leur consentement ou se porter volontaires pour être déployés, sauf dans de rares circonstances. Les membres de la Force régulière peuvent également être déployés sans leur consentement à différents endroits à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada; les membres de la Force de réserve, qui ne sont pas en service actif, peuvent généralement choisir leur unité d’appartenance n’importe où au Canada ou accepter un déploiement à l’extérieur du Canada. En général, les membres de la Force de réserve sont assujettis à des obligations, à des tâches et à des responsabilités moins nombreuses et plus souples que les militaires de la Force régulière. Toutefois, les membres de la Force de réserve sont également assujettis à certaines exigences (telles que la condition physique et l’apparence) qu’ils doivent respecter en tout temps, même lorsqu’ils sont employés dans un service militaire à temps partiel.

[21] En résumé, un certain nombre de contraintes pèsent sur l’interprétation par le gouverneur en conseil de l’étendue des pouvoirs que lui confère l’article 5.93 de la Loi. Premièrement, le Parlement n’a pas expressément limité le pouvoir délégué au gouverneur en conseil de déterminer le mode de calcul de la durée du service dans la Force de réserve. Deuxièmement, l’allocation s’inscrit dans le cadre d’un régime législatif dont l’objectif principal est « de montrer une appréciation juste et appropriée » pour le service militaire tant dans la Force de réserve que dans la Force régulière. Troisièmement, il existe des différences importantes entre la nature du service militaire dans la Force de réserve, qui est généralement à temps partiel avec la possibilité de se porter volontaire pour des contrats à temps plein de durée variable, et la Force régulière, qui consiste en un service continu à temps plein.

B. Règlement contesté

[22] Dans le cadre d’une contestation de la validité d’un règlement, les motifs d’une décision du gouverneur en conseil « se trouvent souvent dans le texte même des instruments juridiques » (en l’occurrence, l’article 5.01 du Règlement) et dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation relative au Règlement contesté (Portnov, au para 34; Médicaments Novateurs, au para 48).

[23] L’article 5.01 du Règlement dispose que la durée du service dans la Force de réserve « est calculée conformément à l’article 3 du Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes. »

[24] L’article 3 du Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes, CRC, c 396 [Règlement sur la pension de retraite] dispose ce qui suit :

3 (1) Les jours de service accomplis dans les Forces canadiennes sont les jours suivants :

a) s’agissant de la force régulière, les jours de service pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé et les jours de congé de maternité ou parental accordés en vertu des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes;

b) s’agissant de la force de réserve :

(i) les jours de service pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé, sauf que tout jour de service pour lequel le versement est autorisé pour une période de service ou de formation de moins de six heures est considéré comme un demi‑jour,

(ii) dans la proportion établie conformément au paragraphe (3), les jours d’une période d’exemption ou de congé visée à l’alinéa 2b) du Règlement sur le régime de pension de la force de réserve,

(iii) dans la proportion d’un quart chacun, les jours d’une période antérieure au 1er avril 1999, dans le cas où les dossiers des Forces canadiennes ou du ministère de la Défense nationale permettent d’établir la durée de cette période, mais non le nombre de jours de service qu’elle compte pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé.

(2) Chaque jour de service pour lequel le versement d’une solde a été autorisé et durant lequel le contributeur est en service de réserve de classe « A » au sens de l’article 9.06 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes compte pour 1,4 jour de service accompli dans les Forces canadiennes.

3 (1) Days of Canadian Forces service are

(a) in the regular force, days of service for which pay was authorized to be paid and days of leave for maternity or parental purposes granted under the Queen’s Regulations and Orders for the Canadian Forces; and

(b) in the reserve force,

(i) days of service for which pay was authorized to be paid except that any day of service or which pay was authorized to be paid for a period of duty or training of less than six hours is considered to be 1/2 of a day,

(ii) in the proportion determined under subsection (3), days in a period of exemption or leave referred to in paragraph 2(b) of the Reserve Force Pension Plan Regulations, and

(iii) in the proportion of 1/4 of a day for each day, days in a period before April 1, 1999, if the records of the Canadian Forces or the Department of National Defence permit the verification of the duration of the period but not the number of days of service for which pay was authorized to be paid.

(2) Each day of service for which pay was authorized to be paid and during which the contributor served on Class “A” Reserve Service within the meaning of article 9.06 of the Queen’s Regulations and Orders for the Canadian Forces shall count as 1 2/5 days of Canadian Forces service.

[25] Selon le règlement contesté, la durée du service dans la Force de réserve est généralement déterminée par « les jours de service pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé ». Il y a deux exceptions : tout jour où le versement d’un vétéran est autorisé pour une période de service de moins de six heures compte comme un demi‑jour et chaque jour de service de réserve de classe « A » (généralement un contrat de service à temps partiel) compte pour 1,4 jour de service admissible.

[26] Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation relative au règlement contesté indique que le Parlement a créé l’allocation « afin d’aider les vétérans à bien réussir leur transition de la vie militaire à la vie civile, à atteindre leurs objectifs en matière d’études et leurs futurs objectifs d’emploi après le service militaire, et de mieux les préparer pour qu’ils soient plus compétitifs au sein de la population active civile ». Cette interprétation de l’objectif de l’allocation est également étayée par le Hansard qui documente les débats du Parlement sur la législation. Lors de la deuxième lecture à la Chambre des communes, le ministre des Finances de l’époque a expliqué que la législation proposée « permettrait de donner aux anciens combattants [...] les outils dont ils ont besoin pour une transition réussie vers la vie civile », car l’allocation fournirait « un montant supérieur pour le retour aux études ».

[27] Selon le règlement contesté, un membre de la Force de réserve serait admissible à l’obtention de l’allocation plus tôt s’il accomplissait un plus grand nombre de périodes de service à temps plein. Si le militaire de la Force de réserve effectue principalement un service militaire à temps partiel, il lui faudra plus de temps pour remplir les conditions requises. Cela est conforme à l’objectif de l’allocation, à savoir aider les vétérans à réussir leur transition de la vie militaire vers la vie civile. Les membres de la Force régulière et les membres de la Force de réserve ayant un contrat de service militaire à temps plein auraient moins de possibilités de poursuivre des études ou une formation postsecondaires.

[28] Le fondement de la distinction entre le calcul de la durée du service pour le temps passé dans la Force de réserve et le temps passé dans la Force régulière apparaît clairement dans la Loi. Pour avoir droit à l’allocation, un vétéran doit avoir « servi pendant au moins six ans au total dans la force régulière ou dans la force de réserve, ou dans les deux » (la Loi, art 5.2(1)a)). La Loi ne fournit pas d’indications supplémentaires sur la manière de calculer la durée du service des membres de la Force régulière. Par conséquent, la durée du service des membres de la Force régulière est calculée uniquement en fonction des années de service. Pour les membres de la Force de réserve, cependant, la Loi prévoit que pour déterminer l’admissibilité à l’allocation, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements « prévoyant [...] la manière d’établir la durée du service dans la force de réserve » (la Loi, art 5.93(a)).

[29] La question n’est donc pas de savoir si le Règlement établit une distinction entre la manière dont la durée du service est calculée pour les membres de la Force de réserve et les membres de la Force régulière. Cette distinction est clairement fondée sur la Loi. La question est de savoir si la manière dont la durée du service des membres de la Force de réserve est calculée dans le Règlement est un exercice raisonnable du pouvoir délégué par le Parlement.

[30] Avant de me pencher sur les autres arguments de M. Bienvenu, je voudrais revenir sur un point soulevé lors de la plaidoirie et qui concerne cette question. Tout au long des plaidoiries, l’avocat de M. Bienvenu a fait valoir ce qui suit : [traduction] « Une année est une année ». J’ai compris que l’avocat du demandeur voulait dire que la façon appropriée de calculer la durée du service des membres de la Force de réserve est de compter uniquement leurs années de service et de ne rien calculer d’autre. C’est d’ailleurs ainsi que la durée du service est calculée pour les membres de la Force régulière.

[31] L’analyse de la validité de l’article 5.01 du Règlement commence par la décision du Parlement selon laquelle le gouverneur en conseil peut prévoir la façon dont la durée du service est calculée pour le service dans la Force de réserve, par opposition au service dans la Force régulière. Cela doit signifier qu’il existe une disposition dans la Loi pour établir une distinction. L’argument « une année est une année » ne tient pas compte de cette indication claire du Parlement selon laquelle, pour déterminer l’admissibilité à l’allocation, le calcul de la durée du service dans la Force de réserve peut nécessiter une qualification supplémentaire, contrairement au service militaire dans la Force régulière.

[32] Il reste toutefois à déterminer si la manière dont le gouverneur en conseil a calculé la durée du service dans la Force de réserve en adoptant l’article 5.01 du Règlement a outrepassé le pouvoir que le Parlement lui a délégué. Je réponds à ces arguments dans la section suivante.

C. Arguments précis contestant la validité

[33] M. Bienvenu soutient que le gouverneur en conseil a défini la durée du service pour les réservistes d’une manière restrictive qui va à l’encontre de l’objectif de la loi existante. Il soulève trois questions : i) il est fautif de s’appuyer sur une définition de la durée du service provenant d’un autre texte législatif relatif aux prestations de retraite; ii) le service dans la Force de réserve ne peut pas être compté uniquement comme des jours payés, car le service dans la Force de réserve s’étend au‑delà des jours pour lesquels un réserviste est payé; iii) dans d’autres contextes, le Parlement a défini le service pour les réservistes d’une manière qui n’est pas liée aux « jours de service pour lesquels le versement d’une solde a été autorisé ».

[34] M. Bienvenu avance deux arguments précis quant à l’utilisation de la définition de la durée du service tirée du Règlement sur les pensions de retraite. Tout d’abord, il soutient que l’utilisation de cette définition signifie que le gouverneur en conseil a délégué son pouvoir de prendre le règlement au ministre de la Défense. Je ne suis pas de cet avis. Je n’accepte pas que le fait de décider d’utiliser une définition provenant d’un autre ensemble de règlements revienne à déléguer son autorité à l’organisme qui a initialement rédigé la définition. Le demandeur n’a cité aucune jurisprudence pour étayer cette thèse.

[35] Le deuxième point soulevé par M. Bienvenu porte sur l’objectif de la loi habilitant le Règlement sur les pensions de retraite. La loi qui autorise le Règlement sur la pension de retraite est la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, LRC 1985, c C‑17 [Loi sur la pension de retraite], qui traite de l’application des régimes de retraite. Selon le demandeur, son objectif est de réduire la pauvreté chez les personnes retraitées. M. Bienvenu soutient que l’objectif de la Loi sur la pension de retraite n’est pas lié à l’objectif de la Loi, qui est de rendre un hommage grandement mérité aux militaires et vétérans. La différence d’objectifs, affirme‑t‑il, étaye son point de vue selon lequel l’article 5.01 du Règlement, qui adopte une définition de la durée du service tirée du Règlement sur les pensions de retraite, est incompatible avec l’objectif de la Loi. À mon avis, M. Bienvenu surestime la pertinence de l’objectif de la Loi sur les pensions de retraite. Une définition ou une méthode de calcul peuvent avoir des objectifs différents. Les objectifs divergents ne constituent pas une base suffisante pour conclure que le règlement contesté est incompatible avec sa loi habilitante.

[36] M. Bienvenu soutient également que le fait de calculer le service d’un réserviste en se basant uniquement sur les jours où le versement d’une solde a été autorisé ne permet pas de rendre un hommage « grandement mérité » pour le service au‑delà des jours payés. En particulier, M. Bienvenu souligne les exigences en matière d’apparence et de condition physique que les réservistes doivent respecter même lorsqu’ils ne sont pas rémunérés.

[37] Le défendeur souligne que le Règlement tient compte de ce service supplémentaire en comptabilisant chaque jour de service pendant un contrat à temps partiel (contrat de classe « A ») comme 1,4 jour. L’avocat de M. Bienvenu a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve que ce temps additionnel de 0,4 heure soit suffisant pour tenir compte du service supplémentaire exigé des réservistes même lorsqu’ils ne sont pas rémunérés.

[38] Je note tout d’abord que je ne dispose d’aucun élément indiquant que le recours à ce calcul (1,4 jour pour chaque jour de service pendant un contrat de service à temps partiel) est insuffisant pour tenir compte du temps additionnel requis de la part des réservistes. Mais, plus important encore, ce type d’évaluation granulaire du choix politique du gouverneur en conseil sur la manière de calculer le temps de qualification n’est pas une question que je peux examiner. Lorsqu’elle examine une allégation selon laquelle un Règlement est ultra vires, la tâche de la cour de révision n’est pas d’évaluer les mérites politiques du règlement contesté (Portnov, aux para 47‑49; Katz, aux para 27‑28; Bertrand c Acho Première Nation Acho Dene Koe, 2021 CF 287 au para 95). Il peut y avoir un désaccord sur la question de savoir si cette méthode de calcul est la plus juste pour calculer les jours de service ouvrant droit à l’allocation. Mais, même si le demandeur l’avait démontré, ce que je n’admets pas, cela ne constituerait toujours pas une base pour juger déraisonnable la décision du gouverneur en conseil d’adopter le règlement contesté.

[39] M. Bienvenu signale d’autres façons dont Anciens Combattants calcule le service indépendamment des jours payés. Un exemple sur lequel il s’appuie beaucoup est celui de la décoration des Forces canadiennes qu’il a reçue après avoir servi pendant 12 ans. Il note qu’il n’y a pas de distinction entre le service militaire dans la Force de réserve ou dans la Force régulière pour l’attribution de la Décoration des Forces canadiennes. 12 ans sont 12 ans.

[40] Cet argument est semblable à l’argument « une année est une année » que j’ai abordé plus haut. Il ne reconnaît pas que, dans la Loi, le Parlement a clairement prévu la possibilité d’une distinction dans le calcul de la durée du service entre les deux composantes des Forces armées canadiennes. En outre, le fait qu’il existe d’autres façons de manifester sa reconnaissance pour le service militaire qui ont des conditions d’admissibilité différentes ne constitue pas une base suffisante pour démontrer que le gouverneur en conseil a outrepassé de manière déraisonnable les pouvoirs qui lui ont été conférés par le Parlement. L’autre exemple donné par M. Bienvenu, à savoir les 10 années minimum d’appartenance au barreau exigées des candidats à la magistrature fédérale, n’est pas du tout pertinent.

D. L’article 5.01 du Règlement est valable

[41] M. Bienvenu ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que le gouverneur en conseil a agi de façon déraisonnable. Je suis parvenu à cette conclusion en évaluant les contraintes législatives et factuelles qui pèsent sur l’interprétation par le gouverneur en conseil de son pouvoir d’adopter le règlement contesté, les motifs du gouverneur en conseil tels qu’ils ressortent du texte du règlement contesté et du résumé de l’étude d’impact de la réglementation, ainsi que les arguments de M. Bienvenu qui contestent la validité du règlement en cause.

[42] La décision du gouverneur en conseil de créer l’article 5.01 du Règlement est conforme à une délégation de pouvoir relativement peu contraignante et s’inscrit dans le contexte plus large et l’objectif de la Loi. Je ne vois aucun motif de conclure que le gouverneur en conseil a agi de manière déraisonnable.

VI. Dispositif

[43] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le procureur général du Canada ne demande pas le remboursement des dépens. Compte tenu de la nature de l’affaire et du fait que des dépens ne sont pas demandés, je refuse d’accorder des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑766‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de l’instance est modifié pour désigner le procureur général du Canada comme défendeur;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑766‑20

 

INTITULÉ :

JEAN‑KYLE BIENVENU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Ravi Hira

Robin Hira

Pour le demandeur

Jan Verspoor

Alicia Blimkie

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hira Rowan LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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