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Date : 20230127


Dossier : IMM‑1042‑23

Référence : 2023 CF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ALEKSANDAR ALEKSANDROV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Aleksandar Aleksandrov, a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada qui a été prise contre lui. Le renvoi est prévu le 30 janvier 2023.

[2] Le demandeur prie la Cour de surseoir à l’exécution de son renvoi en Bulgarie jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre d’une demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (« l’agent ») de l’Agence des services frontaliers du Canada (« l’ASFC ») a rejeté sa demande de report de renvoi.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête sera rejetée. Je conclus que le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

II. Faits et décisions principales

[4] Le demandeur est un citoyen bulgare âgé de 27 ans.

[5] Il a obtenu la résidence permanente du Canada à titre d’enfant à charge dans le cadre d’une demande de parrainage conjugal que son beau-père de l’époque avait présentée pour sa mère. Son statut de résident permanent a par la suite été révoqué lorsque la Section de l’immigration a conclu que sa mère était interdite de territoire au Canada en raison de fausses déclarations.

[6] Le 30 décembre 2023, le demandeur a été informé par l’ASFC que son renvoi du Canada était prévu le 30 janvier 2023 et qu’il devait se rendre à un rendez‑vous au consulat de Bulgarie, à Toronto, le 3 janvier 2023 afin d’obtenir un titre de voyage bulgare.

[7] Le demandeur soutient qu’il souffre de plusieurs problèmes de santé pour lesquels il doit recevoir des soins et qu’il a des rendez-vous médicaux prévus dans les jours suivant la date de son renvoi. Il affirme être inapte à prendre l’avion en raison de ses problèmes de santé.

[8] Le demandeur prétend que sa sœur est enceinte de son deuxième enfant, dont la naissance est prévue en avril 2023. Il affirme qu’il doit rester au Canada pour aider sa sœur durant cette période, en particulier vu les antécédents de troubles de santé mentale de cette dernière et les absences de son époux en raison du travail.

[9] Le demandeur a adressé une demande à l’ASFC le 20 janvier 2023 pour faire reporter l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui, demande que l’ASFC a rejetée le 27 janvier 2023. L’agent a conclu que les éléments de preuve au dossier ne suffisaient pas à démontrer que les problèmes de santé du demandeur auraient une incidence sur sa capacité à voyager ou que celui-ci ne serait pas en mesure de recevoir des traitements médicaux en Bulgarie. De plus, l’agent n’a trouvé aucun élément de preuve confirmant la grossesse de la sœur du demandeur. Il a fait remarquer que le demandeur n’avait pas fait mention de sa sœur la première fois qu’il avait expliqué son désir de rester au Canada, que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’appliquait pas à l’enfant à naître de la sœur du demandeur et que celle-ci avait d’autres ressources à sa disposition pour obtenir de l’aide. Pour les motifs qui précèdent, l’agent a rejeté la demande de report de renvoi du demandeur.

III. Analyse

[10] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF) (« Toth »); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (« Metropolitan Stores »); RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (« RJR-MacDonald »); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196.

[11] Le critère de l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir que i) la demande principale de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher; ii) le renvoi causerait un préjudice irréparable; et iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. Existence d’une question sérieuse

[12] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a établi qu’il convient de déterminer s’il est satisfait au critère en se fondant sur un « examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 314). La Cour doit également garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre une personne est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 au para 67 (« Baron »)).

[13] Selon l’arrêt Baron, le demandeur qui conteste le refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi doit satisfaire à une norme élevée en ce qui concerne le premier volet du critère de l’arrêt Toth, qui est d’établir l’existence d’une question sérieuse à trancher.

[14] En l’espèce, le demandeur avance que la demande principale soulève des questions sérieuses quant au caractère raisonnable de la décision par laquelle l’ASFC a rejeté sa demande de report, plus particulièrement eu égard à l’évaluation par l’agent de ses problèmes médicaux et de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par son renvoi.

[15] Le défendeur soutient qu’il n’existe aucune question sérieuse parce que l’agent a raisonnablement évalué et rejeté la demande de report du demandeur.

[16] Après avoir examiné les documents des parties à la requête et la décision principale, je suis d’accord pour dire qu’il y a bel et bien une question sérieuse à trancher. La demande principale de contrôle judiciaire soulève des questions au sujet de l’évaluation par l’agent des problèmes de santé du demandeur et de l’intérêt supérieur de l’enfant, lesquelles sont suffisamment sérieuses pour satisfaire au premier volet du critère établi dans l’arrêt Toth.

B. Existence d’un préjudice irréparable

[17] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Un préjudice n’est pas qualifié d’irréparable en raison de son étendue; c’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou auquel il ne peut être remédié (RJR-MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas conjectural, mais elle n’a pas à être convaincue qu’il se produira (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (QL); Horii c Canada (CA), 1991 CanLII 13607 (CAF), [1992] 1 CF 142).

[18] Le demandeur soutient qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Bulgarie, compte tenu de son état de santé actuel et de l’intérêt supérieur à court terme de l’enfant touché par le renvoi, en l’occurrence celui de l’enfant à naître de sa sœur. Il affirme avoir besoin d’un diagnostic et de traitements pour ses problèmes de santé, et qu’un voyage en avion pourrait représenter une menace imminente pour sa santé. Il plaide également que sa sœur est enceinte et que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître, il doit demeurer au Canada pour aider sa sœur pendant et après la naissance du deuxième enfant de cette dernière. Il ajoute que cela est d’autant plus important vu les antécédents de troubles de santé mentale de sa sœur.

[19] Je ne suis pas convaincu que le demandeur subirait un préjudice irréparable du fait de son renvoi en Bulgarie. La preuve qui a été produite ne satisfait pas à l’exigence minimale requise pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable en lien avec les problèmes de santé du demandeur ou pour démontrer que le demandeur ne serait pas en mesure de recevoir des soins médicaux adéquats en Bulgarie. L’agent s’est raisonnablement fondé sur une évaluation de la capacité du demandeur à prendre l’avion pour conclure que celui-ci était apte à voyager par avion, comme il l’avait fait pour se rendre à Toronto le 23 janvier 2023.

[20] En ce qui concerne la sœur du demandeur et l’intérêt supérieur de l’enfant, je souligne que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve confirmant la grossesse de cette dernière ou démontrant que le demandeur représentait sa seule source de soutien. Lors de l’entrevue préalable au renvoi du 20 décembre 2022, le demandeur a initialement omis de mentionner qu’il souhaitait demeurer au Canada pour aider sa sœur. L’intérêt supérieur de l’enfant à naître de la sœur du demandeur ne peut s’appliquer afin d’établir en faveur du demandeur l’existence d’un préjudice irréparable pour ce dernier.

C. Prépondérance des inconvénients

[21] Le troisième volet du critère exige de la Cour qu’elle apprécie la prépondérance des inconvénients, qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[22] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui. Il rappelle qu’il a été un résident permanent, qu’il s’est conformé aux lois canadiennes et qu’il fournit un soutien nécessaire à sa sœur.

[23] Bien que la preuve lacunaire relative à l’existence d’un préjudice irréparable soit déterminante quant à l’issue de la présente requête, la prépondérance des inconvénients penche du côté du défendeur. Aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, les mesures de renvoi doivent être exécutées dès que possible. Les inconvénients que le demandeur pourrait subir à la suite de son renvoi ne l’emportent pas sur l’intérêt du défendeur à faire exécuter rapidement cette mesure.

[24] En définitive, le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑1042‑23

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante : La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1042‑23

 

INTITULÉ :

ALEKSANDAR ALEKSANDROV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 janvier 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Valeriy Kozyrev

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kozyrev Law Professional Corporation

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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