Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980626


Dossier : T-1583-97


AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ

L.R.C. (1985), ch. C-29


ET l"appel interjeté de la décision

d"un juge de la Citoyenneté


ET


Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration,


appelant,


- et -


CHI BUN KENNETH CHEUNG,


intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MacKAY :

[1]      Il s"agit d"un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, de la décision d"un juge de la Citoyenneté en date du 30 mai 1997, accueillant la demande de citoyenneté canadienne déposée par l"intimé, Chi Bun Kenneth Cheung.

[2]      Il s"agit de dire, dans le cadre de cet appel, si c"est à tort que le juge de la Citoyenneté a estimé que l"intimé répondait aux conditions de résidence fixées par l"alinéa 5(1)c) de la Loi sur la Citoyenneté , L.R.C. (1985), ch. C-29. Aux termes de cette disposition, tout résident permanent qui dépose une demande de citoyenneté doit avoir passé, au cours des quatre années précédant immédiatement le dépôt de sa demande, au moins trois années de résidence au Canada.

[3]      L"intimé a été admis au Canada en tant que résident permanent le 16 juillet 1993, accompagné de sa mère et de son frère. Il a alors séjourné au Canada 25 jours, c"est-à-dire jusqu"au 10 août 1993. Sa mère, son frère et lui ont vécu chez sa tante et, alors qu"il se trouvait encore ici, le 1er août 1993, sa mère est entrée en possession d"un nouveau domicile familial qu"ils avaient commencé à aménager avant que l"intimé ne quitte le Canada. Sa mère et son frère ont continué à habiter ce domicile familial acheté en 1993, et les deux ont, depuis, reçu la citoyenneté canadienne.

[4]      Au mois d"août 1993, l"intimé a quitté le Canada pour rentrer à Hawaii où il avait, plus tôt, entamé à l"université des études en sciences de l'informatique. Alors qu"il se trouvait encore au Canada, en juillet et en août de 1993, il a demandé s"il ne pouvait pas faire transférer son dossier et poursuivre ses études à l"Université de Toronto, mais il lui fut répondu que l"Université de Toronto ne pourrait pas vraiment lui accorder l"équivalence pour les cours qu"il avait déjà suivis. Il décida donc de terminer ses études à Hawaii, où il resta jusqu"à ce qu'il reçoive son diplôme en décembre de 1995. Lorsqu"il vivait à Hawaii, il passait certaines de ses vacances universitaires à Hong Kong où son père habitait toujours. Son père et sa mère étaient divorcés et, pour des raisons d"ordre familial, il passait ses vacances avec son père, estimant qu"il n"aurait que rarement l"occasion de le faire lorsqu"il rentrerait, à la suite de ses études à Hawaii, au Canada, ainsi qu'il entendait le faire.

[5]      C"est ce qu"il a effectivement fait, revenant au Canada le 13 mai 1996 à titre de résident de retour, ayant passé la première partie de l"année, après avoir terminé ses études universitaires en décembre 1995, à compléter un cycle d"études et de formation de karaté. Ainsi, après avoir passé 25 jours au Canada, entre le mois de juillet et le mois d"août 1993, il est rentré en mai 1996 et n"en est plus reparti jusqu"au dépôt de sa demande de citoyenneté le 18 septembre 1996, c"est-à-dire environ trois ans et deux mois après avoir été admis au Canada en juillet de 1993.

[6]      Dans sa demande de citoyenneté, l"intimé précisait qu'entre le 10 août 1993 et le 13 mai 1996, il s"est trouvé hors du Canada, en l"occurrence à Hawaii, un total de 955 jours. C"est pourquoi la durée de son séjour au Canada avant le dépôt de sa demande de citoyenneté était loin d'atteindre trois années complètes. D"après le calcul effectué par le juge de la Citoyenneté, son [traduction] " déficit de résidence " s"élevait à 945 jours.

[7]      Par décision en date du 30 mai 1997, le juge de la Citoyenneté a estimé que l"intimé, qui, a-t-il admis, avait suivi des études à plein temps, répondait aux conditions de l"alinéa 5(1)c) de la Loi [traduction] " selon le cadre défini par le juge Thurlow (soit 945 jours) ". Le juge a en outre déclaré :

         [Traduction]                 
         Malgré ce déficit de résidence de 945 jours, par une déclaration d"intention crédible et aussi par la présentation d"éléments irréfutables, le demandeur a rapporté, " SELON LE CADRE DÉFINI PAR LE JUGE THURLOW " la preuve du fait qu"il a établi et conservé un mode de vie axé sur le Canada et tout à fait compatible avec des études à plein temps. C"est pourquoi, l"ensemble des autres conditions ayant été respecté, j"ai accueilli sa demande de citoyenneté.                 

[8]      Le " cadre " évoqué dans la décision fait, je pense, allusion au jugement rendu par le juge en chef adjoint de l"époque, le juge Thurlow, dans l"affaire Re Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208 (1ère inst.), par lequel la Cour a estimé qu"un résident permanent peut ancrer son mode de vie au Canada et donc être considéré comme résident au regard de la Loi , même s"il quitte temporairement le Canada, ainsi qu"il en était dans cette autre affaire, pour mener à bien des études universitaires. Il s"agissait de quelqu"un qui avait vécu au Canada trois ans et demi en tant qu"étudiant avant d"obtenir la résidence permanente. Après avoir acquis la résidence permanente, il a fait sa vie au Canada, où, plus tard, il revenait comme on revient chez-soi, et même si de temps en temps il se trouvait hors du Canada, il n"avait jamais coupé les liens avec le Canada, son pays de résidence.

[9]      Lors de l"audition du présent appel, la Cour a demandé à l"intimé, qui assurait sa propre représentation, de fournir par voie de témoignage, les preuves dont il entendait faire état et il répondit aux questions que lui posaient l"Amicus Curiae, l"avocat du ministre, ainsi que la Cour.

[10]      Les seuls éléments du dossier portant à penser que l"intimé avait ancré sa vie au Canada est une déclaration qu"il a faite dans son questionnaire de résidence, rempli le 24 avril 1997, après le dépôt de sa demande de citoyenneté, déclaration dans laquelle, en réponse à la question de savoir s"il avait conservé au Canada quelque résidence ou pied à terre, a répondu [traduction] " J"ai habité chez ma mère qui possédait une maison située au ... à Richmond Hill (Ontario) ". Lors de son témoignage, il a déclaré que la maison de sa mère avait été achetée le 1er août 1993 alors qu"il se trouvait encore au Canada, et qu"il avait aidé sa mère et son frère à l"aménager. Il n"avait jamais habité cette maison avant de quitter la Canada au mois d"août 1993, et il n"y a pas habité jusqu'à ce qu'il rentre au Canada au mois de mai 1996.

[11]      Les seuls autres éléments de nature à confirmer qu"il avait établi des liens au Canada lorsqu"il se trouvait ici en 1993 est le fait qu"il a déposé une demande de numéro d"assurance sociale, et qui l"a obtenu, ainsi qu"un numéro d"assurance-santé de l"Ontario, qu"il soit allé à l"église une fois, église dont il assiste régulièrement aux offices depuis être revenu au Canada en 1996.

[12]      Je ne doute nullement qu"il ait eu l"intention de rentrer au Canada alors qu"il poursuivait ses études à Hawaii, ni qu"il ait entendu rester au Canada et y faire sa vie. Il semble, il est clair, apprécier les valeurs qui accompagnent la vie au Canada et notamment le degré de liberté dont bénéficient les Canadiens. Mais, aussi important qu"ils soient, aucun de ces facteurs ne permet de conclure qu"il ait jamais, avant de revenir au Canada en 1996, ancrer sa vie dans ce pays. Cela étant, sa demande de citoyenneté était prématurée car il ne répondait pas à cette date aux conditions de résidence au Canada.

[13]      J"estime que c"est à tort que le juge de la Citoyenneté a décidé que les conditions de résidence étaient remplies en l"espèce. Ce n'est pas ce qui ressortait du dossier, et, lors de son témoignage à l"audition du présent appel, l"intimé n'est pas parvenu à démontrer qu"il s'était établi au Canada, aux fins de la Loi , avant de revenir au Canada en mai de 1996.

[14]      Pour ces motifs, l"appel du ministre est accueilli. Cela n"empêche nullement l"intimé, qui est toujours résident permanent, de déposer ultérieurement une demande de citoyenneté.

[15]      La Cour rend donc une ordonnance accueillant l"appel et annulant la décision rendue le 30 mai 1997 par le juge de la Citoyenneté.

W. Andrew MacKay

juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1583-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Chi Bun Kenneth Cheung

                    

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 15 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE MACKAY

DATE :                  le 26 juin 1998

ONT COMPARU :                     

    

Me Leena Jaakkimainen      POUR L"APPELANT

M. Kenneth Cheung      POUR L"INTIMÉ

Me Peter K. Large      AMICUS CURIAE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Leena Jaakkimainen      POUR L"APPELANT

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Kenneth Cheung      POUR L"INTIMÉ

Toronto (Ontario)

Peter K. Large      AMICUS CURIAE

Barrister & Solicitor

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.