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Date : 20230120


Dossier : IMM-8783-21

Référence : 2023 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AMANDEEP SINGH DHALIWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] en date du 12 novembre 2021 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur dans la catégorie du regroupement familial appuyée par une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la présente demande est accueillie parce que la décision ne renferme pas d’explication intelligible quant à la façon dont l’agent a traité les éléments de preuve qui contredisent sa conclusion.

II. Contexte

[3] Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il vit en Inde avec son fils qui est citoyen canadien. L’épouse du demandeur [la répondante] est sa répondante dans sa demande de résidence permanente et elle est la mère de son fils. Elle est citoyenne canadienne et réside actuellement au Canada.

[4] Le demandeur et la répondante se sont mariés pour la première fois en 2011. La répondante a tenté pour la première fois de parrainer le demandeur en 2012. Cette demande a été rejetée parce que la répondante était encore mariée avec son ex-époux. En dépit du fait qu’elle a mis fin à la relation en raison de mauvais traitements et qu’elle était séparée de son ex‑époux, cette séparation n’avait pas encore été reconnue légalement selon le droit canadien. Pour cette raison, le mariage du demandeur avec la répondante a été jugé invalide.

[5] En 2013, le demandeur a épousé à nouveau la répondante après que celle-ci eut réussi à divorcer légalement de son ex-époux. Une deuxième demande de parrainage au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait a été présentée, mais elle a été refusée. Cette décision a été maintenue par la Section d’appel de l’immigration [la SAI], et la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[6] En 2014, le demandeur et la répondante ont eu un fils. Lorsque l’enfant est né, la répondante a constaté qu’elle n’avait pas suffisamment de soutien au Canada pour s’occuper de lui étant donné qu’elle n’avait pas de proches parents au pays. En tant que mère sans conjoint au Canada, il lui était difficile d’élever son enfant tout en travaillant à temps plein. Pour cette raison, alors que l’enfant était âgé de deux mois, elle l’a amené en Inde pour qu’il vive avec le demandeur et ses parents, qui étaient en mesure de prendre soin de l’enfant du couple à temps plein. La répondante est demeurée au Canada et a continué à travailler pour contribuer financièrement aux besoins de l’enfant.

[7] Le demandeur et la répondante ont présenté une troisième demande de parrainage en septembre 2016. Cette demande a également été rejetée en raison de préoccupations quant à l’authenticité du mariage. La SAI n’a pas tenu d’audience, mais elle a plutôt appliqué la doctrine de l’autorité de la chose jugée pour confirmer le rejet. La Cour a par la suite refusé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[8] En juillet 2019, le demandeur et la répondante ont présenté une quatrième demande de parrainage, dans le contexte de laquelle le demandeur a demandé une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire en invoquant notamment l’intérêt supérieur de l’enfant. En novembre 2021, l’agent a rejeté la quatrième demande de parrainage présentée par le demandeur. Il s’agit de la décision qui est contestée dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Dans la décision, l’agent a expliqué qu’il n’était pas convaincu de l’authenticité du mariage du demandeur et de la répondante et donc qu’il n’était pas convaincu que le demandeur appartenait à la catégorie du regroupement familial. Le demandeur a fait appel de cet aspect de la décision devant la SAI, qui a rejeté l’appel. Ce rejet fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire distincte, qui a été autorisée.

[10] Dans la décision, l’agent a aussi estimé que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier une dispense en faveur du demandeur. Étant donné que la SAI n’a pas compétence pour examiner l’aspect relatif aux considérations d’ordre humanitaire de la décision, le demandeur a présenté la présente demande de contrôle judiciaire, dans laquelle il ne conteste que l’analyse que l’agent a effectuée des considérations d’ordre humanitaire. La partie de la décision faisant état de cette analyse, telle qu’elle est consignée dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas, est libellée en ces termes :

[traduction]
[...] Je sais que le demandeur et la répondante ont déclaré qu’ils sont ensemble depuis longtemps. J’estime cependant que le couple peut faire vie commune en Inde s’il le désire. Il est loisible à la répondante de retourner en Inde et d’y vivre avec sa famille. Elle est instruite et a déjà gagné sa vie en Inde par le passé. [Le fils du demandeur et de la répondante] a une vie sociale et personnelle en Inde où ses grands-parents et son père prennent soin de lui depuis qu’il a deux mois. Hormis les 21 jours qu’il a passés au Canada en 2019, l’enfant n’a pas été exposé à la vie au Canada. Je ne crois pas qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de le retirer de son cadre naturel et familier. J’estime que le fait de séparer l’enfant de ses grands-parents, qui lui tiennent lieu de parents et qui, aux dires de la répondante et du demandeur, se sont toujours bien occupés de lui, ne serait pas dans son intérêt supérieur. L’enfant a les mêmes chances de faire de bonnes études et de jouir d’une bonne qualité de vie en Inde que les autres enfants de son âge. Après avoir examiné la demande dans son ensemble, dont l’authenticité du mariage et l’intérêt supérieur de l’enfant, je ne suis pas convaincu que des considérations d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales en faveur du demandeur et dispensent celui-ci des critères et obligations qui s’appliquent selon la Loi. Je ne suis pas convaincu qu’il y a suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour accorder une dispense au demandeur en l’espèce. La demande est rejetée.

IV. Questions en litige

[11] Le demandeur fait valoir que la présente demande soulève les deux questions qui suivent :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des difficultés?

[12] Comme en conviennent les parties (et c’est aussi mon avis), la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V. Analyse

[13] Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur les arguments que le demandeur avance en ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par l’agent.

[14] Le demandeur invoque la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF166 [Williams] au paragraphe 63, et la jurisprudence s’y rapportant, pour d’abord soutenir que l’agent a commis une erreur en omettant de déterminer, à la première étape de son analyse, en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant. Je ne souscris pas à cette observation. Ainsi que l’affirme le défendeur, la Cour a statué que les agents chargés d’examiner les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire ne sont pas tenus d’appliquer la formule énoncée expressément dans la décision Williams (voir, p. ex., Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4 aux para 20-23; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 777 au para 22; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1452 aux para 55 -56).

[15] De plus, je conviens avec le défendeur qu’il est implicite dans la décision que l’agent a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de demeurer en Inde, dans un milieu qu’il connaît et avec le soutien de ses grands-parents qui ont joué un rôle essentiel dans son éducation. L’agent a estimé, en tirant cette conclusion, qu’il était loisible à la répondante de retourner en Inde pour vivre avec sa famille, et il a souligné qu’elle était instruite et qu’elle avait déjà gagné sa vie en Inde par le passé, et il a conclu que l’enfant avait les mêmes chances de faire de bonnes études et de jouir d’une bonne qualité de vie en Inde que les autres enfants de son âge.

[16] Toutefois, j’estime fondé l’argument avancé par le demandeur selon lequel la décision ne fait pas ressortir ce qui a amené l’agent à tirer cette conclusion à la lumière des éléments de preuve qui contredisent l’analyse qu’il a effectuée et la conclusion qui en résulte. Les observations formulées par le demandeur à l’intention de l’agent et, maintenant, devant la Cour, font ressortir les éléments de preuve qui suivent :

  1. Dans une déclaration solennelle, la répondante a fourni les explications suivantes :

    • i.Elle n’a pas la citoyenneté indienne et elle n’est autorisée à résider en Inde que pendant six mois, en tant que visiteur;

    • Le fait de résider en Inde ne constitue pas une option pour elle, financièrement, parce qu’elle ne pourrait pas trouver un emploi suffisamment rémunéré de manière qu’elle puisse subvenir aux besoins de son fils et de sa famille;

    • Lorsqu’elle rend visite à son fils, il ne la quitte pas d’une semelle et il est malade pendant longtemps lorsqu’elle doit repartir;

    • Les grands-parents de l’enfant ont de plus en plus de problèmes de santé en vieillissant et il est de plus en plus difficile pour eux de s’occuper de l’enfant en l’absence du père;

    • En tant qu’enfant mineur, son fils est autorisé à demeurer en Inde avec son père pendant cinq ans à la faveur d’un visa, mais il n’est pas citoyen de l’Inde et n’a pas les mêmes droits que les citoyens;

  2. Le médecin de famille de l’enfant a expliqué dans une lettre que celui-ci est malade pendant des semaines chaque fois que sa mère le quitte pour retourner au Canada, maladie qui est d’après lui attribuable à la solitude et à l’anxiété.

[17] Je souscris aux observations formulées par le demandeur selon lesquelles ces éléments de preuve ne concordent pas avec une analyse concluant qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il reste sous les soins de ses grands-parents en Inde, que sa mère pourrait y déménager et y travailler et qu’il aurait les mêmes possibilités que les autres enfants de l’Inde. Ainsi que le reconnaît le demandeur, il était loisible à l’agent d’établir quel poids attribuer à ces éléments de preuve, et la Cour ne prétend pas que l’agent était tenu d’accepter ces éléments de preuve et de tirer une conclusion différente au chapitre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, la décision n’est pas intelligible et, par conséquent, est déraisonnable parce qu’elle ne contient pas d’analyse du moindre de ces éléments de preuve qui permettrait à la Cour de comprendre le raisonnement de l’agent.

[18] Pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8783-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8783-21

INTITULÉ :

AMANDEEP SINGH DHALIWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JANVIER 2023

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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