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Date : 20230119


Dossier : T-97-22

Référence : 2023 CF 90

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DANIEL BAOUYA

demandeur

et

LE BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Daniel Baouya, a déposé un grief pour contester son renvoi en cours de stage par le Bureau de la sécurité des transports du Canada [BST], mais son grief a été rejeté. Il demande le contrôle judiciaire de la décision qui a été rendue le 21 décembre 2021 au troisième palier de la procédure de règlement des griefs [la décision] et prétend que des manquements à l’équité procédurale ont mené à une décision déraisonnable.

[2] Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, malgré la thèse de M. Baouya voulant qu’il n’ait jamais été en situation de conflit d’intérêts « réel » et que le BST ait omis de lui communiquer certains documents. Je conclus en outre que la décision est raisonnable.

I. Résumé des faits

[3] Le 13 octobre 2020, M. Baouya a été embauché par le BST à titre de gestionnaire, Opérations régionales (aéronautiques), région du Pacifique, chargé de faire enquête sur des événements liés au transport dans la région du Pacifique. Son emploi était assujetti à une période d’essai habituelle de 12 mois.

[4] L’offre d’emploi pour ce poste précise ce qui suit :

[traduction]
Le BST a été créé en tant qu’organisme indépendant, compte tenu de l’importance de l’impartialité dans la conduite des enquêtes. Pour que le BST puisse remplir sa mission, il est essentiel que les employés soient libres de tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel dans la conduite des opérations quotidiennes. À cette fin, et conformément au Code de valeurs et d’éthique du BST, le candidat retenu lors du processus de dotation ne peut posséder d’intérêts (actions ou autres) directs dans une industrie active dans les secteurs aérien, maritime ou ferroviaire ou celui des pipelines. D’autres activités personnelles liées à ces secteurs peuvent aussi constituer un conflit d’intérêts. Si vous avez des doutes au sujet de votre candidature ou de tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel, nous vous encourageons vivement à en faire part le plus tôt possible durant le processus.

[5] L’article 8.14.1 du Code de valeurs et d’éthique du BST précise ce qui suit au sujet des activités extérieures constituant un conflit d’intérêts :

Vous devez éviter et prévenir les situations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel. Vous devez signaler à votre gestionnaire toutes les circonstances qui pourraient vous placer en situation de conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel. En cas d’hésitation à savoir si vos actions, vos activités ou votre situation constituent ou semblent constituer un conflit d’intérêts, demandez-le à votre gestionnaire ou signalez-lui par écrit en présentant un rapport confidentiel.

[6] Avant de travailler pour le BST, M. Baouya était au service des Forces armées canadiennes. Il a été libéré du service en septembre 2018.

[7] Il a ensuite travaillé comme pilote pour WestJet Encore [WestJet]. En mai 2020, M. Baouya a été mis à pied (suspension temporaire due à la situation économique) par WestJet, en raison de la pandémie de COVID‑19. En juin 2021, M. Baouya a répondu à une offre de rappel de pilotes de WestJet, qui lui a accordé un poste de copilote afin qu’il recommence à voler pour la compagnie aérienne. M. Baouya a demandé à WestJet de prolonger son congé pour personnel militaire, mais sa demande a été refusée. M. Baouya a ensuite remis sa démission à WestJet, avec effet le 5 juillet 2021.

[8] À la fin de juin 2021, alors que M. Baouya était toujours en période d’essai au BST, son superviseur au BST [le directeur] a reçu une plainte anonyme dans laquelle il était indiqué que M. Baouya était toujours un employé de WestJet, l’une de compagnies aériennes qui relèvent de la compétence du BST en matière d’enquêtes.

[9] Cette plainte a amené le directeur à lancer une enquête administrative. Le directeur a informé M. Baouya de l’enquête administrative, par voie de lettre datée du 9 juillet 2021. La lettre mentionne ce qui suit :

[traduction]
[...] une enquête administrative sera menée afin d’examiner votre relation d’emploi avec WestJet Encore alors que vous travailliez pour le Bureau de la sécurité des transports du Canada, notamment afin de déterminer si vous vous êtes conformé au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et au Code de valeurs et d’éthique du BST – qui est l’une de vos conditions d’emploi.

La lettre informait également M. Baouya qu’une rencontre aurait lieu, au cours de laquelle il aurait [traduction] « l’occasion d’apporter toutes les clarifications ou d’exposer toutes les circonstances atténuantes qui [selon lui] devraient être examinées ou prises en compte dans le cadre de l’enquête ».

[10] Le 14 juillet 2021, M. Baouya a obtenu copie des courriels que le BST avait reçus de WestJet et dans lesquels il était indiqué que M. Baouya avait répondu à l’offre de rappel de pilotes de WestJet en juin 2021, qu’il avait conservé ses avantages de vol jusqu’en février 2021 et qu’il avait touché la subvention salariale d’urgence du Canada pendant toute la durée de sa mise à pied. M. Baouya a été informé que les courriels de WestJet seraient discutés lors de l’audience aux fins de l’enquête administrative.

[11] Le 21 juillet 2021, l’enquête administrative a conclu que M. Baouya aurait dû révéler ses liens avec WestJet, comme l’exige le Code de valeurs et d’éthique du BST. Le directeur a jugé que M. Baouya n’avait pas été franc ni transparent au sujet des liens qu’il maintenait toujours avec WestJet et qu’un renvoi en cours de stage était par conséquent jugé approprié.

[12] M. Baouya a déposé un grief pour contester son renvoi en cours de stage, en faisant valoir qu’il n’avait pas reçu copie des allégations sur lesquelles avait été fondée l’enquête administrative ayant mené à son licenciement. Il demandait que lui soient fournies, avant l’audition du grief, [traduction] « des copies de toutes les observations écrites et de tout autre document qui avaient été préparés par l’employeur ou à son intention et qui feront partie du dossier et seront examinés par [le décideur] ».

[13] Le conseiller principal en relations de travail du BST [le conseiller en relations de travail] a indiqué à M. Baouya qu’il devait présenter une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels [AIPRP] pour obtenir les documents en question.

[14] M. Baouya a présenté une demande d’AIPRP et a obtenu environ 132 pages de documents.

[15] Le grief déposé par M. Baouya est passé directement au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, plutôt que d’être examiné par le directeur qui a pris la décision de renvoyer M. Baouya en cours de stage.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[16] Pour appuyer son grief, M. Baouya a fait valoir qu’il avait mentionné ses liens avec WestJet à plusieurs reprises et qu’il n’avait jamais été en situation de conflit d’intérêts réel, puisqu’il n’avait jamais eu à traiter d’événement mettant en cause WestJet. Il alléguait en outre qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale à son égard, puisque la plainte précise ayant donné lieu à l’enquête ne lui avait pas été communiquée. M. Baouya soutenait que le BST aurait dû adopter une approche proactive en s’informant sur toute situation de conflit dans laquelle il aurait pu se trouver. Il a également fait valoir qu’il avait mentionné ses liens avec WestJet à cinq reprises.

[17] L’audition du grief au troisième palier a eu lieu le 30 novembre 2021, et M. Baouya était alors représenté par un avocat. L’une des questions soulevées par l’avocat de M. Baouya était qu’il n’avait pas reçu de copie non caviardée du précis sur les griefs au troisième palier – renvoi en cours de stage [le précis], avant l’audience.

[18] M. André Lapointe [M. Lapointe], administrateur en chef des opérations au BST, a conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale durant l’enquête. Le 9 juillet 2021, le directeur a informé M. Baouya qu’une enquête administrative sur son emploi chez WestJet serait menée. De plus, avant l’entrevue d’enquête, plusieurs courriels ont été communiqués à M. Baouya et celui-ci a été informé que ces courriels feraient l’objet de discussions lors de l’entrevue.

[19] M. Lapointe a conclu que le renvoi en cours de stage était raisonnable pour des motifs objectifs pouvant être démontrés. M. Lapointe a jugé que le directeur avait conclu que M. Baouya :

[traduction]
[...] avait eu de la difficulté à faire preuve de discernement et à reconnaître [ses] obligations aux termes à la fois du
Code de valeurs et d’éthique
du BST et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Par conséquent, [le directeur] a conclu que cela avait nui grandement à la capacité [de M. Baouya] d’exercer les fonctions de gestionnaire, Opérations régionales (aéronautiques), région du Pacifique, lesquelles fonctions exigent un jugement optimal et le respect de normes éthiques très élevées.

[20] En sa qualité de décideur au dernier palier, M. Lapointe a rejeté le grief.

B. Question préliminaire

[21] Je conviens avec le défendeur que l’intitulé doit être modifié. M. Baouya n’a présenté aucune observation sur cette question.

[22] Le BST doit être désigné par son nom légal, à savoir « Le Bureau de la sécurité des transports du Canada ». De plus, il n’est pas nécessaire que le procureur général soit désigné à titre de défendeur, car le BST est une personne morale qui peut être désignée directement dans une instance (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 au para 303(2) [les Règles]; Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, LC 1989, c 3 au para 11(4)).

[23] De même, il n’y a pas lieu de désigner M. André Lapointe à titre de défendeur, car des particuliers dont les décisions administratives font l’objet d’un contrôle judiciaire ne peuvent être désignés comme parties (Règles à l’alinéa 303(1)a); Canada Procureur général) c Zalys, 2020 CAF 81 au para 22).

[24] L’intitulé est par les présentes modifié afin que « Le Bureau de la sécurité des transports du Canada » soit désigné à titre d’unique défendeur.

II. Questions en litige

[25] Bien que les questions en litige soulevées par M. Baouya se recoupent sur certains points, je les examinerai comme suit :

A. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

(i) Communication de documents

(ii) Participation antérieure de M. Lapointe

B. La présomption d’innocence s’applique-t-elle?

C. La décision est-elle raisonnable?

III. Norme de contrôle

[26] Les parties s’entendent sur les normes de contrôle qui s’appliquent aux questions soulevées par M. Baouya.

[27] Pour évaluer les arguments relatifs à l’équité procédurale, la Cour doit déterminer si la procédure de règlement du grief était équitable, en tenant compte de l’ensemble des circonstances ainsi que des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (voir Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 au para 46, renvoyant à Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[28] La norme de contrôle qui s’applique à la décision proprement dite est la norme de la décision raisonnable (Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La Cour n’interviendra que si la décision présente des lacunes sur le plan de la justification, de l’intelligibilité et de la transparence. La Cour tient compte du raisonnement suivi et du résultat de la décision (Vavilov, au para 83). Une « décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

IV. Analyse

A. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[29] M. Baouya affirme que la décision de le licencier commande un haut niveau d’équité procédurale. Il affirme que son licenciement constitue une mesure disciplinaire déguisée, qui fait suite à des plaintes de la part de collègues qui n’aimaient pas son style de gestion. M. Baouya prétend que M. Lapointe disposait de renseignements qui ne lui ont pas été communiqués, de sorte qu’il n’a pas été informé de la preuve à réfuter.

[30] Bien que le présent contrôle judiciaire ne porte que sur la décision au dernier palier, j’examinerai également les étapes prises durant l’enquête administrative dans la mesure où M. Baouya affirme que l’intégralité du processus ayant mené à la décision a été entachée.

[31] Le manquement à l’équité procédurale invoqué par M. Baouya comporte deux aspects : (1) les lacunes sur le plan de la communication des documents et (2) le fait que le décideur au dernier palier (M. Lapointe) était en situation de conflit d’intérêts puisqu’il avait participé à des étapes précédentes de l’enquête administrative.

(i) Communication de documents

[32] M. Baouya affirme que le BST a omis de voir à ce qu’il reçoive une copie intégrale et non caviardée des documents. Des versions caviardées de certains documents clés lui ont été communiquées en réponse à sa demande d’AIPRP, car le conseiller en relations de travail n’a pas voulu lui remettre les documents directement. Le conseiller en relations de travail a également refusé de lui fournir des copies non caviardées des documents ou de confirmer si M. Lapointe disposait d’autres documents.

[33] M. Baouya prétend que l’obligation d’équité procédurale lui donnait droit à tous les documents invoqués ou examinés par M. Lapointe.

[34] Bien que M. Baouya invoque l’arrêt Kane c Cons d’administration de l’UCB, [1980] 1 RCS 1105 [Kane], pour étayer cette thèse, l’interprétation que je fais de cet arrêt ne correspond pas au principe sur lequel repose l’affaire. La situation dans Kane est différente en ce qu’elle concerne un tribunal à qui ont été présentés d’autres éléments de preuve après la conclusion de l’audience, en l’absence d’une des parties.

[35] Il semble plus à-propos de renvoyer à la décision rendue dans l’arrêt Nicholson c Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 RCS 311 [Nicholson], où la Cour suprême a conclu qu’un employé en période d’essai n’a pas droit au même niveau d’équité procédurale qu’un employé nommé pour une période indéterminée. Comme l’a déclaré la juge en chef Laskin, « bien qu’à mon avis l’appelant ne puisse pas réclamer la protection de la procédure prévue pour un agent de police engagé depuis plus de dix-huit mois, on ne peut lui refuser toute protection. On doit le traiter “équitablement” et non arbitrairement » (à la p 324).

[36] De plus, au paragraphe 28 de la décision De Santis c Canada (Procureur général), 2020 CF 723 [De Santis], le juge Fothergill a indiqué que « [l]e niveau d’équité procédurale auquel a droit un employé dans le cadre d’une procédure interne de règlement des griefs se situe à l’extrémité inférieure du continuum ». Une procédure interne de règlement des griefs sera équitable sur le plan procédural si l’employé est informé des faits qui lui sont préjudiciables et qu’on lui donne l’occasion d’y répondre (au para 28). Le juge Fothergill a ensuite ajouté que le demandeur ou l’employé « avait le droit d’être informé des faits qui lui étaient défavorables, mais pas celui de consulter toute l’information dont disposait le décideur » relativement à un grief lié à une promotion, car le « processus de règlement des griefs est censé être informel et [qu’]il n’a pas pour but d’opposer les parties » (au para 30).

[37] Il n’est pas contesté que M. Baouya avait le droit de connaître les faits pour lesquels il a été renvoyé en cours de son stage. À cet égard, il a été informé le 9 juillet 2021 qu’une enquête administrative était en cours pour examiner la relation d’emploi qu’il avait maintenue avec WestJet alors qu’il travaillait également pour le BST. L’enquête avait été déclenchée à cause de cette relation d’emploi avec WestJet.

[38] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que M. Baouya avait droit à tous les documents que le BST avait en sa possession concernant son emploi. Une procédure équitable sur le plan procédural exige qu’il soit informé de la preuve à réfuter au sujet du maintien de son emploi au BST. À cet égard, M. Baouya savait que le BST faisait enquête sur lui à cause de l’emploi qu’il occupait toujours chez WestJet.

[39] M. Baouya allègue que l’examen du dossier certifié du tribunal montre qu’un volume important de documents que M. Lapointe avait en sa possession et qui ont été utilisés durant la procédure de règlement des griefs ne lui ont pas été communiqués avant l’audience. Il mentionne plus précisément le précis et le fait que M. Lapointe en avait une version non caviardée, alors que la copie qui lui a été remise était caviardée. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Lapointe a expliqué que de tels documents ne sont habituellement pas communiqués à la personne qui dépose un grief.

[40] M. Baouya avait en main la décision concernant son renvoi en cours de stage, le rapport de l’enquête administrative du directeur, ainsi qu’une version caviardée du précis. M. Baouya savait que le manque de jugement dont il avait fait preuve en omettant de mentionner qu’il avait toujours des liens avec WestJet était la raison principale de son renvoi en cours de stage.

[41] M. Baouya ne m’a pas convaincue que le résultat de la procédure de règlement des griefs aurait été différent s’il avait eu accès à la version non caviardée du précis. Il n’a mentionné aucun fait ni élément de preuve énoncé dans la version non caviardée du précis (qu’il a obtenue dans le dossier certifié du tribunal) auquel il aurait répondu ou qu’il aurait abordé s’il avait eu accès à ce document. Dans les observations qu’il a présentées au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, M. Baouya a abordé les principales allégations qui ont été formulées à son encontre, à savoir le fait de ne pas mentionner qu’il entretenait toujours des liens avec WestJet.

[42] Le facteur primordial demeure que M. Baouya n’a pas mentionné ses liens avec WestJet. Bien qu’il affirme avoir mentionné à cinq reprises le fait qu’il avait été mis à pied par WestJet, soit quatre fois dans le cadre de la procédure de demande d’emploi et une cinquième fois lorsqu’il a demandé des précisions au sujet d’une possibilité de formation, il n’a pas fait de déclaration de conflit d’intérêts selon le format exigé par son employeur. Plus précisément, il n’a pas présenté de rapport confidentiel écrit au directeur général, Services intégrés, en décrivant en détail ses activités ou son poste chez WestJet, comme l’exigent le Code de valeurs et d’éthique du BST et les procédures relatives aux conflits d’intérêts.

[43] Enfin, l’existence de plaintes de collègues concernant son style de gestion ou sa personnalité ne figure pas parmi les motifs de son renvoi. Le rapport d’enquête administrative précise en ces termes les objectifs et la portée de l’enquête :

[traduction]

[d]éterminer l’étendue de la relation d’emploi de Daniel Baouya avec WestJet Encore (WJE) alors qu’il travaillait au Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) et déterminer si cette relation était conforme au Code de valeurs et d’éthique du secteur public ainsi qu’au code de valeurs et d’éthique du BST (les codes).

Le rapport porte exclusivement sur le conflit d’intérêts lié à son emploi chez WestJet et ne fait mention d’aucune autre plainte que le BST aurait pu recevoir au sujet de la conduite ou du comportement de M. Baouya.

[44] Je conclus que, dans l’ensemble, les documents qui ont été communiqués à M. Baouya lui ont permis de savoir, de manière adéquate, sur quels renseignements le BST s’est fondé pour rendre sa décision. La communication des documents ne soulève aucune question d’équité procédurale.

(ii) Participation antérieure de M. Lapointe

[45] M. Baouya affirme que le décideur, M. Lapointe, a participé à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, ce qui le met en situation de conflit d’intérêts. Il prétend que la participation de M. Lapointe à l’enquête administrative ainsi qu’à la décision initiale de le renvoyer en cours de stage met en doute sa capacité d’agir comme décideur au dernier palier dans la procédure de règlement des griefs. M. Baouya prétend que M. Lapointe a fait plusieurs aveux durant son contre-interrogatoire, relativement à sa participation à l’enquête menée avant son renvoi en cours de stage, et qu’il a notamment déclaré ce qui suit :

  • a)Le BST a fourni à M. Baouya 18 pages supplémentaires qui ne faisaient pas partie au départ du dossier certifié du tribunal et qui consistaient en une série de courriels concernant M. Baouya, échangés entre M. Lapointe et d’autres membres du BST;

  • b)En juillet 2021, M. Lapointe a été informé des allégations de conduite répréhensible portées contre M. Baouya et savait qu’une enquête administrative avait été ouverte relativement à ces allégations;

  • c)En juillet 2021, M. Lapointe avait en main des copies de documents que des tiers avaient obtenus du BST relativement aux allégations de conduite répréhensible formulées contre M. Baouya;

  • d)En juillet 2021, M. Lapointe a rencontré le directeur à plus d’une occasion pour discuter des allégations formulées contre M. Baouya, et le directeur lui a fait part de son projet de décision (le renvoi en cours de stage);

  • e)M. Lapointe a eu un ou deux entretiens individuels et appels téléphoniques avec le directeur en juillet 2021 pour discuter de M. Baouya;

  • f)M. Lapointe est le cadre supérieur du BST qui a participé au processus d’enquête sur les allégations formulées contre M. Baouya.

[46] M. Baouya se fonde sur ces points pour établir que M. Lapointe a été informé de l’enquête. Dans son affidavit, M. Lapointe mentionne toutefois qu’il n’est pas la personne qui a décidé d’ouvrir l’enquête administrative et qu’il n’est pas celui qui a décidé de renvoyer M. Baouya en cours de stage ni qui a décidé des motifs justifiant cette décision.

[47] Le défendeur affirme qu’il était indiqué pour M. Lapointe de se faire conseiller sur une question touchant les ressources humaines. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Lapointe a indiqué que le BST est un petit organisme et qu’il n’était pas rare pour lui de demander conseil sur des questions liées aux ressources humaines. M. Lapointe a expliqué que les rencontres qu’il avait eues avec le directeur avaient pour but de l’informer des allégations portées contre M. Baouya et de l’intention du directeur de lancer une enquête administrative. M. Lapointe a précisé qu’il avait suggéré au directeur de soumettre toutes les ébauches de documents au service du contentieux du BST pour qu’elles soient examinées.

[48] Je conviens qu’il s’agit de mesures habituelles prises par un organisme en matière de ressources humaines et que la participation de M. Lapointe dès le début de la procédure était appropriée, compte tenu du poste qu’il occupe et de la taille de l’organisme.

[49] Qui plus est, M. Baouya n’a pas démontré en quoi le fait qu’un cadre supérieur donne des conseils sur la communication d’une décision équivaut à prendre cette décision. M. Lapointe a expliqué que toutes les suggestions qu’il a faites sur le renvoi proposé en cours de stage avaient uniquement pour but de cerner les éléments de l’évaluation officielle et de supprimer les commentaires inutiles.

[50] Je suis d’avis que la participation de M. Lapointe était raisonnable compte tenu du contexte opérationnel du BST, et qu’elle ne constitue pas un conflit d’intérêts. La participation antérieure de M. Lapointe est le résultat des postes occupés à la fois par M. Baouya et M. Lapointe au sein du BST. M. Baouya occupait un poste de gestionnaire. Le nombre de cadres supérieurs au sein du BST pouvant entendre le grief de M. Baouya était limité. M. Baouya n’a mentionné aucun renseignement dont disposait M. Lapointe du fait de sa participation antérieure liée à son poste lié aux ressources humaines, qui aurait pu influer sur l’issue de la décision.

[51] M. Baouya invoque l’arrêt Kane pour étayer deux thèses, premièrement, qu’« [u]ne justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu » (à la p 1113) et, deuxièmement, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir la preuve d’un préjudice réel, car la cour s’intéresse à la possibilité ou la probabilité qu’il existe un préjudice, aux yeux d’une personne raisonnable (à la p 1116).

[52] Selon mon interprétation, la décision rendue dans l’arrêt Kane est peu pertinente quant aux faits de l’espèce. Bien que l’arrêt Kane examine les principes de justice naturelle dans le contexte de l’emploi, cette décision porte sur des mesures disciplinaires prises à l’encontre d’un professeur permanent. Or, M. Baouya était un employé en période d’essai. Quoi qu’il en soit, les principes de justice naturelle énoncés dans l’arrêt Kane sont les mêmes que ceux réitérés dans l’arrêt Baker.

[53] En matière de partialité du décideur, la récente décision de la juge Aylen dans Deliva c Canada (Procureur général), 2022 CF 693, apporte un éclairage utile. La juge Aylen déclare ce qui suit aux paragraphes 60 et 61 :

[...] comme notre Cour l’a déclaré au paragraphe 39 de la décision Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 633, il incombe à la partie qui allègue une crainte raisonnable de partialité (réelle ou perçue) de faire la preuve qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste. En l’absence d’une telle preuve, les membres des tribunaux administratifs, comme les juges, sont présumés avoir agi de façon juste et impartiale. Le seuil à franchir pour conclure à une partialité est élevé et de simples soupçons sont insuffisants pour franchir ce seuil [voir la décision Première Nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113 au para 105 ainsi que l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369].

Une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être étayée par des preuves concrètes qui démontrent un comportement dérogeant à la norme. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, sur des insinuations ou encore sur de simples impressions d’une partie ou de son avocat (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8; Trasvina Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 809 au para 11; Maxim c Canada (Citoyenneté et l’Immigration), 2012 CF 1029 au para 30).

[54] M. Baouya n’a présenté aucune preuve substantielle me permettant de conclure qu’il n’a pas eu droit à une procédure de règlement des griefs équitable. M. Baouya a été informé de l’audition du grief et des principaux documents qui ont été présentés à M. Lapointe, et il a eu l’occasion de répondre aux allégations portées contre lui lors de l’audience. Dans les circonstances, je conclus que la procédure de règlement des griefs était équitable.

B. La présomption d’innocence s’applique-t-elle?

[55] M. Baouya affirme que M. Lapointe a omis d’appliquer le principe de la présomption d’innocence à sa situation. Il prétend que son renvoi a été fondé sur des plaintes anonymes et sur une apparence de conflit d’intérêts. M. Baouya affirme que la déclaration faite par M. Lapointe lors du contre-interrogatoire, selon laquelle il existait un « conflit d’intérêts réel », montre qu’il n’a pas eu droit à la présomption d’innocence, alors que, selon lui, il n’existait aucun conflit réel. Pour étayer sa thèse, M. Baouya invoque l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré], au paragraphe 24, pour faire valoir que les décideurs administratifs doivent agir d’une manière compatible avec les valeurs énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), 1982, c 11 [la Charte].

[56] Sur ce point, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 6 de l’arrêt Chaudhry c Canada (Procureur général), 2008 CAF 61, que la présomption d’innocence prévue à l’article 11 de la Charte ne s’applique qu’aux « inculpés ». En l’espèce, la question en litige concerne une procédure de règlement de griefs à l’égard d’un renvoi en cours de stage. Qui plus est, la valeur de la Charte sur laquelle porte l’arrêt Doré est la liberté d’expression dans le contexte d’une instance disciplinaire engagée par un barreau contre un avocat; il existe donc une distinction sur le plan factuel.

[57] Bien que je reconnaisse que les décideurs administratifs doivent agir en conformité avec les valeurs de la Charte, la présomption d’innocence ne s’applique pas dans les présentes circonstances, et M. Baouya n’a pas démontré qu’il y a eu, en l’espèce, violation d’une des valeurs de la Charte.

C. La décision est-elle raisonnable?

[58] M. Baouya affirme que la décision est déraisonnable pour plusieurs motifs, notamment parce qu’elle omet de renvoyer à certains éléments de preuve et certains faits.

[59] M. Baouya dit avoir mentionné sa relation d’emploi avec WestJet à cinq occasions distinctes avant la tenue de l’enquête administrative. La décision ne fait mention d’aucune de ces cinq présumées déclarations concernant l’emploi qu’occupait toujours M. Baouya chez WestJet.

[60] M. Baouya n’a produit aucun élément de preuve attestant que les cinq prétendues déclarations de conflit potentiel avec WestJet ont été faites conformément à la procédure définie dans les procédures du BST relatives à la déclaration des conflits d’intérêts. Il n’a produit aucun rapport qu’il a présenté au directeur général, Services intégrés, et qui décrivait ses liens avec WestJet.

[61] À cet égard, la cinquième occasion où M. Baouya prétend avoir divulgué sa relation d’emploi avec WestJet est celle qui répond le plus aux exigences énoncées dans le Code de valeurs et d’éthique, relativement à la déclaration des conflits d’intérêts. Dans un courriel adressé au directeur général, Services intégrés, et daté du 28 octobre 2020, M. Baouya fait référence à WestJet comme étant un « ancien employeur », et non comme un employeur actuel. Bien que la décision ne mentionne pas expressément ce courriel, je suis d’avis que cela n’était pas nécessaire, car il ne fait aucun doute, lorsqu’on examine les dates pertinentes, que M. Baouya a mal décrit les liens qu’il entretenait toujours avec WestJet. Ce n’est que le 5 juillet 2021 qu’il a démissionné de WestJet, soit plus de sept mois après l’envoi de son courriel.

[62] M. Baouya établit également une distinction entre un conflit d’intérêts réel et une apparence de conflit d’intérêts. Il affirme n’avoir jamais été en situation de conflit d’intérêts « réel ». Cet argument est sans fondement, car le Code de valeurs et d’éthique du BST et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public n’établissent aucune distinction entre un conflit d’intérêt réel, apparent ou potentiel, mais précisent que les employés du BST doivent éviter les trois types de conflits et que les trois types doivent être déclarés à l’employeur.

[63] Dans la décision, il est indiqué que M. Baouya [traduction] « a eu de la difficulté à faire preuve de discernement et à reconnaître [ses] obligations aux termes à la fois du Code de valeurs et d’éthique du BST et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public ». La décision repose sur un cas précis de conflit d’intérêts.

[64] Le fait que M. Baouya a démissionné de WestJet avant d’être informé de la tenue de l’enquête administrative ne change rien au fait qu’il se trouvait dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts lorsqu’il a accepté un emploi au BST, ainsi que durant les huit mois qui ont suivi. Sa démission de chez WestJet a pris effet quatre jours avant qu’il reçoive l’avis d’enquête administrative.

[65] Même s’il avait été préférable que M. Lapointe examine les allégations de M. Baouya selon lesquelles il avait révélé ses liens continus avec WestJet, le fait que M. Lapointe ne l’a pas fait ne rend pas la décision déraisonnable.

[66] De même, il aurait été préférable que M. Lapointe examine les allégations de manquement à l’équité procédurale formulées par M. Baouya au sujet de la communication des documents, mais son omission à cet égard ne rend pas la décision déraisonnable. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, M. Baouya n’avait pas droit à tous les documents que le BST avait en sa possession, et je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La question de la communication des documents ne rend pas la décision déraisonnable.

[67] Enfin, M. Baouya affirme que la décision est déraisonnable, car il n’y est pas fait mention de son évaluation du rendement favorable. Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Alexis, 2021 CAF 216, « [d]ans le secteur public fédéral comme dans le secteur privé, les employeurs ont un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu’il s’agit d’évaluer les aptitudes d’un employé stagiaire, et leurs décisions portent peu à révision ». Bien qu’une évaluation favorable et le suivi de certaines formations puissent être pertinents dans d’autres circonstances, ces facteurs ne sont pas pertinents dans le contexte d’un renvoi en cours de stage.

[68] En résumé, les questions soulevées par M. Baouya ne portent pas sur l’élément fondamental de son renvoi en cours de stage et de la décision, à savoir son défaut de se conformer aux exigences établies par le BST relativement à la déclaration des conflits d’intérêts – qu’ils soient réels ou potentiels.

[69] La décision est raisonnable et la Cour n’a aucun motif d’intervenir.

V. Conclusion

[70] Bien que M. Baouya ait soulevé de nombreuses questions et qu’il ait fait valoir que certains documents ne lui ont pas été communiqués, je suis d’avis que l’espèce se résume à une seule question, à savoir le défaut de M. Baouya de divulguer ses liens continus avec WestJet. Cette omission à elle seule constituait un motif raisonnable de renvoi en cours de stage. M. Baouya a eu droit à un niveau approprié d’équité procédurale tout au long de la procédure de règlement des griefs. Sa prétention selon laquelle il a droit à une forme judiciaire d’équité procédurale dans le cadre de sa procédure de règlement des griefs va à l’encontre de la jurisprudence sur les emplois à l’essai.

[71] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VI. Dépens

[72] Comme il a obtenu gain de cause, le défendeur aurait normalement droit aux dépens. Je suis toutefois d’avis que le défendeur, en exigeant que M. Baouya dépose une demande d’AIPRP pour obtenir la communication de certains documents, a inutilement compliqué et prolongé la présente instance. En conséquence, je refuse d’accorder des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-97-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est modifié, avec effet immédiat, afin de désigner le Bureau de la sécurité des transports du Canada comme seul défendeur;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-97-22

INTITULÉ :

BAOUYA c. LE BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 novembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 janvier 2023

COMPARUTIONS :

Bryce V. Geoffrey

Pour le demandeur

 

Amanda Bergmann

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Ofces of Bryce V. Geoffrey

Athens (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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