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Date : 20230103


Dossier : IMM‑2783‑21

Référence : 2023 CF 15

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MEBRAHTU SIUM TKABO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rejetant la demande d’asile du demandeur.

[2] La question déterminante était celle de l’identité. Le demandeur affirme être un ressortissant de l’Érythrée qui craint d’être persécuté en raison de ses opinions politiques présumées.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

II. La décision

[4] En appel, le demandeur a demandé l’admission de nouveaux éléments de preuve : les déclarations de deux personnes qui attestent son identité, une lettre de son église, un livret bancaire et une photo qui le montrerait avec sa mère et son frère.

[5] Le tribunal a refusé d’admettre l’ensemble de ces documents du fait qu’ils ne satisfaisaient pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27.

[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en partie au motif que celle-ci a commis une erreur dans le traitement des nouveaux éléments de preuve.

III. La norme de contrôle

[7] La Cour d’appel fédérale a établi que la norme de contrôle que doit appliquer la Cour à une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 30, 35.

[8] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et elle est axée sur la décision rendue, y compris sur sa justification. Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100.

[9] Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 15 et 85.

IV. Les questions déterminantes

[10] Les questions déterminantes, telles qu’elles ont été établies par la SPR, étaient celles de l’identité du demandeur et de sa crédibilité, particulièrement en ce qui a trait à son identité.

[11] La SAR n’a pas tenu compte de la carte d’identité de la mère du demandeur, de la lettre rédigée par celle-ci ni du point du cartable national de documentation [le CND] portant sur la citoyenneté par filiation.

[12] La SAR a également oublié ou omis de tenir compte du témoignage du demandeur affirmant qu’il avait fait une demande de certificat de naissance en personne en compagnie de sa mère et que celle-ci possédait suffisamment de documents d’identité pour attester qu’elle était citoyenne et résidente de l’Érythrée.

[13] La SAR a aussi négligé de prendre en considération la lettre de la tante maternelle du demandeur, Kidusan, laquelle visait à corroborer l’identité de ce dernier ainsi que les événements cités dans sa demande.

[14] La SAR renvoie au point 3.1 du CND portant sur l’obtention d’un certificat de naissance, mais ne fait aucune mention de la partie affirmant que la citoyenneté érythréenne s’acquiert par la filiation. En conséquence, faire la preuve de l’identité et de la citoyenneté de la mère reviendrait à valider la citoyenneté du demandeur. La SAR s’est également méprise en ignorant ce renseignement sur le pays et, conséquemment, a évalué de manière déraisonnable la carte d’identité de la mère.

[15] Il semble que la SAR ait retenu aléatoirement certains renseignements du CND plutôt que d’autres.

[16] Il est néanmoins bien établi que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » et que « l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés » : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 aux para 17, 27.

[17] En l’espèce, les conclusions de la SPR de même que la confirmation, par la SAR, de l’échec du demandeur à prouver son identité érythréenne ont été déterminantes dans l’issue du dossier.

[18] Lorsque le tribunal administratif passe sous silence une preuve qui tend clairement à établir une conclusion opposée, la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas tenu compte de la preuve contradictoire pour en arriver à sa décision. Je peux donc conclure avec assurance que, lorsque la SAR a conclu à tort que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité personnelle ni sa citoyenneté ou sa nationalité érythréenne, elle l’a fait « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ».

[19] Les erreurs commises pas la SAR constituent des lacunes suffisamment graves, de sorte que sa décision ne comporte pas le degré voulu de justification, d’intelligibilité et de transparence. Elle doit donc être annulée.

V. Conclusion

[20] La SAR a commis une erreur lorsque, ignorant certains éléments de preuve, elle a négligé d’examiner et d’évaluer la preuve relative à l’identité du demandeur. Par conséquent, sa décision est déraisonnable.

[21] La présente demande est accueillie et la décision est annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

[22] Aucune question à certifier n’a été proposée et, au vu des faits de l’espèce, l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2783‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question grave de droit à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2783‑21

 

INTITULÉ :

MEBRAHTU SIUM TKABO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kebede

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Erin Estok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Daniel Kebede

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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