Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221223


Dossier : IMM-9535-21

Référence : 2022 CF 1798

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 décembre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

AYOBAMI MARY OLUSAKIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Ayobami Mary Olusakin [la demanderesse], qui est citoyenne du Nigéria, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile.

[2] La demanderesse a un garçon et une fille, nés au Canada, qui sont issus de sa relation avec son mari, Oladaps Mathew Olusakin [le mari], un citoyen du Royaume-Uni. La demanderesse a vécu au Royaume-Uni entre 2008 et 2015, et elle a eu un précédent mariage qui a pris fin en 2012. Elle a rencontré son mari en 2014 avant de retourner au Nigéria en 2015. Le couple s’est séparé au cours de l’année 2016.

[3] La demanderesse est arrivée au Canada en février 2017 et a présenté une demande d’asile en octobre 2019 après avoir terminé ses études pour devenir hygiéniste dentaire. Dans sa demande, la demanderesse a allégué qu’elle craint d’être persécutée par la famille élargie de son père [la famille paternelle], qui veut la tuer afin de s’assurer qu’à titre d’aînée de la famille, elle n’hérite pas des biens immobiliers de son père, qui est décédé en janvier 2017. Elle a aussi fait valoir qu’elle craint d’être persécutée par la famille de son mari [la belle-famille], qui veut infliger la mutilation génitale féminine à sa fille.

[4] Dans sa décision du 26 avril 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] au motif qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Akura ou à Benin City, au Nigéria. La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans sa décision du 2 décembre 2021, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision]. La demanderesse conteste la décision.

[5] Je conclus que la décision est raisonnable et je rejette la demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] La principale question soulevée par la demanderesse est celle de savoir si l’analyse réalisée par la SAR au sujet de la PRI était raisonnable.

[7] Tout d’abord, il incombe à la demanderesse d’établir, au moyen d’une preuve crédible 1) qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de préjudice dans les villes proposées comme PRI, ou 2) qu’il serait déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, qu’elle déménage dans l’une des villes proposées comme PRI : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) au para 13.

[8] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la preuve en ce qui concerne les deux volets du critère relatif à la PRI.

[9] Les parties conviennent que l’analyse de la PRI par la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] La demanderesse fait aussi valoir que la SAR n’a pas répondu à son attente légitime voulant qu’elle prenne en compte, dans son analyse de sa demande, les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les directives]. Elle soutient que, ce faisant, la SAR a manqué à l’équité procédurale.

[11] Le défendeur n’est pas d’accord avec la demanderesse pour dire qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, et soutient que les arguments de la demanderesse à savoir si les directives ont été appliquées indûment ou si elles n’ont pas été prises en compte constituent des arguments de fond qui touchent au caractère raisonnable de la décision : Manege c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 374 aux para 26-33.

[12] Je suis d’accord avec le défendeur. La Cour a toujours examiné la question de l’évaluation des directives par la SAR – ou de l’absence d’évaluation – selon la norme de la décision raisonnable. Voir par exemple les décisions suivantes : Okpanachi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 212; Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 625; Szepesi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 716; Davis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1036; et Quele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 108.

[13] Par conséquent, j’appliquerai la norme de la décision raisonnable tout au long de mon examen de la décision.

[14] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle rigoureuse, mais empreinte de déférence : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit examiner si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135.

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

A. L’évaluation, par la SAR, du premier volet du critère relatif à la PRI était-elle déraisonnable?

[16] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI en tirant les conclusions suivantes :

  1. la famille paternelle n’aurait pas les moyens de retrouver la demanderesse dans les villes proposées comme PRI;

  2. la belle-famille n’aurait aucun moyen de retrouver la demanderesse dans les villes proposées comme PRI.

[17] J’analyserai ces deux aspects de la décision.

Les moyens dont dispose la famille paternelle

[18] La demanderesse soutient que la SAR a fait [traduction] « fausse route » en axant son évaluation sur la manière dont la famille paternelle utiliserait les ressources dont elle dispose pour exercer une influence sur les autorités, ce qu’elle a qualifié de [traduction] « question superflue » introduite par la SAR. La demanderesse affirme plutôt que la question dont la SAR était saisie était celle de savoir si la famille paternelle avait les ressources nécessaires pour la chercher, ainsi que la motivation pour ce faire, ce qui a été admis.

[19] La demanderesse conteste également la conclusion de la SAR selon laquelle la liste des propriétés appartenant à la succession de son défunt père n’apportait pas une preuve claire quant à la valeur de la succession. Elle soutient que le fait d’avoir 18 propriétés, y compris trois stations-service, constitue une preuve de richesse dans n’importe quel pays. De plus, elle fait remarquer que la SPR n’a pas soulevé la question de la valeur réelle de la succession. Par conséquent, la demanderesse fait valoir que la conclusion selon laquelle il existe un lien entre le contrôle de la famille paternelle sur la succession (d’une grande valeur) ainsi que sa capacité de la retrouver dans les villes proposées comme PRI relève du bon sens.

[20] Je rejette les arguments de la demanderesse.

[21] Je conclus que la SAR n’a pas commis une erreur en soulevant des questions superflues. La SAR a tiré sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré l’existence des contacts de la famille paternelle en réponse au témoignage de la demanderesse selon lequel sa famille paternelle pourrait la retrouver dans les villes proposées comme PRI parce qu’elle a « des contacts partout ».

[22] La SAR a examiné le témoignage de la demanderesse et a conclu que cette explication était peu convaincante compte tenu de l’absence de preuve précise établissant un lien entre la famille paternelle et les partis politiques, les personnes d’influence ou les autorités de l’État au Nigéria. À l’appui de son explication, la demanderesse n’a pas relevé d’éléments de preuve dont la SAR n’aurait pas tenu compte, et je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur à la lumière du témoignage vague de la demanderesse à cet égard.

[23] Je conclus aussi que la SAR n’a pas commis d’erreur en acceptant la conclusion de la SPR selon laquelle la famille paternelle de la demanderesse n’a pas les moyens nécessaires pour la retrouver.

[24] À l’audience, la demanderesse a continué de faire valoir qu’une personne qui est propriétaire d’une station-service, voire de trois stations-service, disposerait de ressources financières importantes. À mon avis, la demanderesse confond la question de la propriété avec celle de la valeur réelle d’un bien immobilier. Comme la SAR l’a dûment souligné, l’unique preuve présentée à l’appui de cet argument consistait en une liste des propriétés détenues par la succession, dont la valeur de seulement trois était connue. La valeur des 15 autres propriétés est inconnue.

[25] Il était donc raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve suffisante en ce qui concerne la valeur réelle de la succession et, par conséquent, qu’elle n’a pas réussi à établir en quoi le fait qu’elle soit chargée de la succession renforcerait les liens entre sa famille paternelle et les autorités dans les villes proposées comme PRI de telle sorte qu’ils seraient en mesure de la retrouver.

Les moyens dont dispose la belle-famille

[26] La demanderesse soutient aussi que la SAR a commis une erreur en concluant que sa belle-famille n’aurait pas les moyens nécessaires pour la retrouver dans les villes proposées comme PRI. Elle rappelle la preuve acceptée selon laquelle le mari est favorable à l’idée de soumettre leur fille à la mutilation génitale féminine afin d’éviter les représailles de la belle-famille.

[27] La demanderesse se fonde sur cette preuve pour faire valoir que son mari et sa belle-famille auraient le pouvoir de lui retirer sa fille au Nigéria, et que la police leur viendrait en aide pour ce faire. La demanderesse se fonde sur la Réponse aux demandes d’information [la RDI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle les personnes qui sont en mesure de démontrer leur relation avec un individu qu’elles recherchent, ainsi qu’une raison impérieuse de le faire, recevront l’aide des autorités nigérianes. La demanderesse fait aussi remarquer qu’elle commettrait une infraction aux termes du Code criminel du Nigéria en conservant la garde de leur fille et le contrôle sur celle-ci compte tenu des droits de garde paternels dont dispose son mari.

[28] Je conclus que l’argument de la demanderesse n’est pas convaincant pour plusieurs raisons.

[29] Premièrement, comme le souligne le défendeur, une grande partie des observations de la demanderesse qui reposent sur la RDI sont identiques aux observations qu’elle a présentées à la SAR. Les arguments de la demanderesse reviennent à demander à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau.

[30] Deuxièmement, il incombe à la demanderesse de démontrer que son mari souhaiterait revendiquer le droit de garde de leur fille et qu’il le ferait en sollicitant l’aide de la police. La SAR a bien tenu compte de la RDI, mais a souligné que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve démontrant que son mari avait pris des mesures afin d’obtenir la garde des enfants ou de les retrouver. Pour ce motif, la SAR n’était pas convaincue qu’il y avait une possibilité sérieuse que le mari passe à l’acte au Nigéria. La conclusion de la SAR était raisonnable compte tenu de la preuve insuffisante présentée par la demanderesse, et rien ne justifie que cette conclusion soit annulée.

[31] La demanderesse soutient aussi que la SAR a émis l’hypothèse selon laquelle son mari n’est plus citoyen du Nigéria, et qu’elle s’est appuyée sur cette hypothèse pour conclure que celui-ci ne pourrait pas présenter une demande en vue d’obtenir la garde de leur fille dans ce pays. La demanderesse fait remarquer que son mari est venu au Canada par le passé afin de visiter [traduction] « sa famille » même s’il n’était pas un citoyen canadien, et qu’il pourrait faire la même chose au Nigéria.

[32] La demanderesse souligne aussi que la question de la citoyenneté de son mari n’a pas été soulevée à l’audience devant la SPR, et qu’il n’en demeurait pas moins déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle présente une preuve concernant la question de savoir s’il a la double nationalité dans le contexte de sa demande d’asile à l’égard du Nigéria et de leur séparation. La demanderesse soutient que le fait qu’elle se soit mariée au Nigéria démontre les liens étroits que son mari entretient avec ce pays même s’il est citoyen britannique.

[33] Encore une fois, je conclus que les arguments soulevés par la demanderesse ne démontrent pas que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle compte tenu de ma conclusion selon laquelle la demanderesse a mal interprété la conclusion de la SAR relative à la citoyenneté de son mari.

[34] La SAR a fait référence à la citoyenneté du mari dans le contexte de sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait présenté aucune preuve démontrant que celui-ci, en tant que citoyen et résident du Royaume-Uni, avait l’intention de retourner au Nigéria. Compte tenu du fait que le couple s’est séparé et que la demanderesse a la garde principale de ses enfants, la SAR a ensuite conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il incomberait à la demanderesse de prendre une décision concernant la mutilation génitale féminine. À mon avis, cette conclusion n’a rien de déraisonnable.

[35] Le fait que le mari de la demanderesse soit venu au Canada pour visiter les enfants et que le couple se soit marié au Nigéria n’a aucune incidence sur les conclusions de la SAR quant à l’intention du mari de retourner au Nigéria.

[36] La SAR a aussi examiné la question de savoir si la belle-famille avait les moyens de retrouver la demanderesse dans les villes proposées comme PRI. Elle a pris acte des observations de la demanderesse quant au droit, conféré par la loi, dont disposait la belle-famille pour lui prendre son enfant, ainsi que de la volonté des autorités nigérianes de l’aider à le faire, mais elle a conclu que la SPR n’était pas saisie de ces observations. La SAR a aussi examiné le témoignage présenté par la demanderesse lors de l’audience devant la SPR selon lequel les frères et sœurs de son mari au Nigéria sont « au courant de la situation liée à l’excision », mais a conclu que cette déclaration ne démontrait pas les moyens dont disposait sa belle-famille pour la poursuivre dans les villes proposées comme PRI.

[37] La demanderesse n’a signalé aucune erreur commise par la SAR à cet égard.

[38] Finalement, la conclusion de la SAR est raisonnable compte tenu du caractère insuffisant de la preuve selon laquelle le mari de la demanderesse retournerait au Nigéria pour demander la garde et le contrôle de leur fille, et que sa belle-famille aurait les moyens de retrouver la demanderesse dans les villes proposées comme PRI.

B. L’évaluation, par la SAR, du deuxième volet du critère relatif à la PRI était-elle déraisonnable?

[39] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il serait raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que la demanderesse déménage à Akura ou à Benin City.

[40] La demanderesse a soutenu que la SPR – et par conséquent la SAR – n’a pas tenu compte de sa situation personnelle dans son analyse. De plus, elle a fait valoir que la SPR et la SAR n’ont pas tenu compte de la preuve psychiatrique démontrant que son traumatisme aurait une incidence sur sa capacité de déménager dans l’une des villes proposées comme PRI.

[41] J’examine les arguments de la demanderesse concernant sa situation personnelle avant de me pencher sur ses arguments au sujet de la preuve psychiatrique.

La SAR a-t-elle fait abstraction de la situation personnelle de la demanderesse?

[42] À l’audience devant la SPR, la demanderesse a déclaré qu’il serait déraisonnable pour elle de déménager à Benin City compte tenu de son incapacité à y trouver un emploi en raison du taux de chômage, de la discrimination à l’égard des femmes sur le marché du travail ainsi que du fait qu’elle n’a pas de contacts dans cette ville. De plus, elle a déclaré qu’il lui serait impossible de trouver un logement sans preuve d’emploi ou de compte bancaire. Dans son témoignage, elle a aussi affirmé qu’elle aurait besoin d’un réseau de soutien pour ses deux enfants.

[43] La demanderesse soutient qu’à la lumière de la preuve relative à la situation dans le pays, elle serait particulièrement vulnérable en tant que femme célibataire vivant au Nigéria, où les hommes [traduction] « contrôlent presque tout ». Elle souligne la preuve selon laquelle elle pourrait être ciblée par de dangereux groupes terroristes et criminels en raison de son sexe et de son manque de ressources. Elle mentionne aussi les documents contenus dans le Cartable national de documentation [le CND], qui traitent des difficultés auxquelles les femmes qui sont responsables de leur ménage sont confrontées, ainsi que des obstacles qu’elles rencontrent lorsqu’il s’agit de trouver du logement et un emploi à Akura et à Benin City.

[44] La SPR a reconnu que la demanderesse serait confrontée à des défis en tant que femme célibataire ayant des enfants et ne bénéficiant d’aucun soutien familial, mais a conclu qu’il serait tout de même objectivement raisonnable pour elle de déménager dans l’une des villes proposées comme PRI. La SAR a conclu que la SPR avait correctement évalué le caractère raisonnable des villes proposées comme PRI.

[45] Une partie importante des observations de la demanderesse dont la Cour est saisie sont identiques à celles qu’elle a présentées à la SAR en appel de la décision de la SPR.

[46] La demanderesse soutient qu’une évaluation du caractère raisonnable des villes proposées comme PRI doit tenir compte de sa situation personnelle. Elle affirme que la SAR n’a pas tenu compte de son âge, de son sexe, de son niveau d’instruction, de son origine ethnique, de sa religion, de sa situation financière, de sa capacité à se rendre dans les endroits proposés comme PRI, ainsi que de sa capacité à gagner sa vie ou à trouver un logement ou un réseau de soutien : Idrees c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1194 au para 32.

[47] La demanderesse se fonde sur la décision Utoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 399 [Utoh] pour faire valoir que, conformément aux directives, des facteurs tels que la capacité des femmes à voyager de façon sécuritaire doit être prise en compte dans l’évaluation du caractère raisonnable des villes proposées comme PRI : au para 18. Elle soutient que la SAR devait tenir compte des directives dans son évaluation du caractère raisonnable des villes proposées comme PRI, mais qu’elle ne l’a pas fait.

[48] La demanderesse fait plutôt valoir que la SAR s’est contentée d’effectuer une évaluation superficielle de sa situation personnelle, sans vraiment tenir compte de ses observations concernant la répartition géographique des biens immobiliers de son père et les habitudes de voyage de la famille paternelle, ainsi qu’en faisant abstraction du fait qu’elle n’a pas de logement ni d’emploi dans les villes proposées comme PRI. Elle soutient que, dans les faits, la SAR a [traduction] « ratifié » les conclusions de la SPR au lieu de procéder à sa propre analyse de la preuve, ce qui laisse entendre que la SAR a appliqué à tort la norme de contrôle de la décision raisonnable plutôt que celle de la décision correcte dans le cadre de l’appel.

[49] Les observations formulées par la demanderesse ne me convainquent pas.

[50] Dans la décision Utoh, la Cour a souligné que la Commission n’avait fait aucun commentaire sur la question du genre au cours de son analyse de la PRI : au para 19. En l’espèce, bien que ses commentaires étaient brefs, la SAR a expressément examiné les conclusions de faits de la SPR ainsi que le raisonnement derrière celles-ci avant de les accepter. La SAR a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 44 de la décision :

La SPR a tenu compte du niveau d’instruction de l’appelante, de son expérience de travail, du taux élevé de chômage, de la discrimination subie par les femmes dans la recherche d’un emploi, de l’incapacité de l’appelante à se rendre à Benin City en toute sécurité, de la pratique de sa religion, de l’accès des enfants à l’éducation et de l’accès aux soins de santé. La SPR était consciente que l’appelante subirait des difficultés en tant que femme célibataire ayant des enfants et ne disposant pas d’un réseau de soutien familial. Après avoir tenu compte de l’ensemble de ces facteurs, la SPR a conclu qu’il serait objectivement raisonnable pour l’appelante de s’installer aux endroits proposés comme PRI. J’ai pris en considération la situation de l’appelante et la preuve sur le pays, et je suis arrivée à la même conclusion, à savoir que les endroits proposés comme PRI sont raisonnables. Par conséquent, j’estime que la SPR n’a pas commis d’erreur.

[51] Les observations de la demanderesse ne font état d’aucune erreur susceptible de contrôle découlant de ce passage de la décision.

[52] De plus, comme la Cour d’appel fédérale [la CAF] l’a souligné dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) [Ranganathan], « la barre » relative à l’évaluation du caractère raisonnable d’une ville proposée comme PRI est « très haute », et la situation dans celle-ci ne doit pas être telle que « la vie ou la sécurité » du demandeur seraient compromises : au para 15. Comme la CAF l’a expliqué, ce seuil est « bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne » : Ranganathan, au para 15.

[53] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAR a dûment tenu compte de la preuve relative à la situation dans le pays, y compris le document figurant dans le CND auquel la demanderesse a fait référence. L’observation de la SAR selon laquelle la demanderesse « subirait des difficultés en tant que femme célibataire » montre clairement qu’elle a bien tenu compte des observations que celle-ci a présentées en appel, y compris celles relatives à son sexe.

[54] Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la situation personnelle de la demanderesse lorsqu’elle a examiné le caractère raisonnable des PRI.

La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve psychiatrique?

[55] À l’appui de sa demande d’asile, la demanderesse a présenté le rapport d’un psychologue daté du 24 avril 2020 qui indique qu’elle souffre d’un trouble lié à des facteurs de stress avec une durée prolongée, et que le traitement recommandé comprend une formation sur la gestion du stress ainsi que des conseils d’encouragement. La demanderesse se fonde sur le rapport du psychologue pour établir que sa situation personnelle fait en sorte qu’il serait déraisonnable qu’elle déménage dans l’une des villes proposées comme PRI. Elle soutient que la SAR n’a pas dûment pris en compte le rapport du psychologue dans son analyse de la PRI, puisqu’elle a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité [traduction] « sur des questions qui n’étaient pas pertinentes quant à la demande d’asile de la demanderesse », plutôt que d’examiner l’incidence du traumatisme de cette dernière sur sa capacité à déménager dans l’une des villes proposées comme PRI.

[56] La demanderesse se fonde sur la décision Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002 [Okafor], où il est précisé ceci : « [l]a preuve psychologique est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si la PRI est raisonnable; on ne peut en faire fi » : au para 13, citant Cartagena c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 289 [Cartagena] au para 11. Dans ces deux affaires, la Cour a conclu que le décideur n’avait pas « évalué à fond le caractère raisonnable des endroits proposés comme PRI viable en fonction de la situation [du demandeur] et de la fragilité de son état d’esprit » : Okafor, au para 13, citant Cartagena, au para 11.

[57] Encore une fois, la demanderesse semble s’appuyer sur les observations qu’elle a présentées devant la SAR en espérant que la Cour rende une conclusion différente. Je conclus que les arguments de la demanderesse sont sans fondement et que les décisions auxquelles elle renvoie sont distinctes sur le plan des faits.

[58] La SAR a examiné le rapport du psychologue et a souligné que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve indiquant qu’elle suivait un traitement au Canada et qu’elle devrait suivre ce traitement en continu advenant qu’il fonctionne. La SAR a reconnu que le rapport du psychologue indiquait que l’état de la demanderesse se détériorerait si elle était exposée à d’autres menaces de préjudice, mais a conclu qu’il n’expliquait pas pourquoi cela se produirait si elle déménageait dans l’une des villes proposées comme PRI. La SAR a insisté sur le fait qu’il incombait à la demanderesse de démontrer que son état s’aggraverait si elle déménageait dans l’une des villes proposées comme PRI, et a conclu que celle-ci n’avait présenté aucune preuve établissant que ses problèmes de santé mentale nécessiteraient des soins en continu.

[59] À titre subsidiaire, la SAR a conclu que la demanderesse serait en mesure d’accéder à des services de santé mentale au Nigéria si elle en avait besoin. La SAR a fait remarquer que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve au sujet de l’accessibilité et de l’abordabilité des traitements en santé mentale dans les villes proposées comme PRI. Elle a examiné l’état des services de santé mentale à l’échelle du Nigéria et a conclu que ceux-ci sont accessibles au pays, même s’il est difficile d’en obtenir. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer qu’il serait déraisonnable pour elle de déménager dans l’une des villes proposées comme PRI en raison de l’accès aux services de santé mentale ou de sa capacité financière d’en obtenir.

[60] La SAR a donc conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que la demanderesse déménage à Akura ou à Benin City.

[61] Les conclusions de la SAR, que je résume plus haut, révèlent que celle-ci a procédé à un examen approfondi du rapport du psychologue. Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la SAR n’a pas omis d’examiner adéquatement la preuve psychiatrique et n’a pas tiré de conclusions défavorables en matière de crédibilité sur des questions qui n’étaient pas pertinentes quant à la question en litige.

C. La SAR a-t-elle fait abstraction des directives?

[62] La demanderesse soutient que l’application adéquate des directives exige de la SAR qu’elle examine la preuve en tenant compte de l’état d’esprit de la demanderesse : John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 387 au para 7. Elle affirme que la SAR a plutôt rejeté ses allégations en se fondant sur des conclusions hypothétiques.

[63] La demanderesse soutient qu’il n’était pas suffisant pour la SAR de simplement mentionner, sans explication, que les directives avaient été appliquées dans la décision. Elle se fonde sur la décision Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663, dans laquelle la Cour a énoncé qu’il « ne suffit pas que la SPR indique que les Directives ont été appliquées, puis néglige de montrer la façon dont elles ont été appliquées », et que la Cour, pour établir le caractère suffisant de l’application des directives par le décideur, « doit faire une analyse essentiellement fondée sur les faits » : au para 18.

[64] Par conséquent, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas véritablement appliqué les directives et qu’elle ne s’est pas montrée sensible aux risques auxquels elle serait exposée en raison de son sexe si elle était renvoyée au Nigéria. La demanderesse soutient que cette erreur rend la décision déraisonnable.

[65] Au même titre que les autres arguments de la demanderesse, son observation concernant les directives doit être rejetée parce qu’elle n’a pas établi de liens entre ses affirmations et la décision elle-même.

[66] Je souligne que la SAR a ouvert sa décision en précisant qu’elle avait tenu compte des directives. De plus, comme je le mentionne plus haut, je conclus que la SAR n’a pas fait abstraction de la situation personnelle de la demanderesse, y compris son sexe et son statut de mère monoparentale, et donc qu’elle n’a pas commis d’erreur à cet égard. Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la jurisprudence sur laquelle la demanderesse s’est fondée ne démontre pas que la SAR pourrait avoir commis une erreur à cet égard dans la présente affaire.

[67] Par conséquent, je conclus que la demanderesse n’a pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle concernant la manière dont la SAR a évalué ou appliqué les directives dans la décision.

IV. Conclusion

[68] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[69] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9535-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9535-21

 

INTITULÉ :

AYOBAMI MARY OLUSAKIN c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Richard A. Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard A. Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.