Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221221


Dossier : IMM-1529-22

Référence : 2022 CF 1780

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

EMBAIXADOR FRANCISCO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Embaixador Francisco, est un citoyen angolais qui avait le statut de résident permanent au Brésil, pays qu’il a quitté pour venir au Canada en août 2018 en vue de demander le statut de réfugié. Il affirme qu’il craint d’être persécuté par son ancien employeur en Angola, qui était à l’époque un général et ministre d’État relevant de l’ancien président de ce pays. Le demandeur a occupé les fonctions de directeur commercial dans deux entreprises privées distinctes appartenant à son ancien supérieur.

[2] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 13 janvier 2022, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui avait rejeté la demande d’asile après avoir conclu que M. Francisco n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[3] La SPR et la SAR ont toutes deux jugé que le demandeur était exclu de la protection prévue à la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, 28 juillet 1951, 189 RTNU 150 [Convention], en raison de son statut de résident permanent au Brésil. Dans leurs décisions, la SPR et la SAR ont appliqué le critère concernant les décisions rendues en vertu de la section E de l’article premier énoncé dans l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118 [Zeng].

[4] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur, car elle n’a pas dûment tenu compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Zeng. En particulier, le demandeur affirme que la décision de la SAR est déraisonnable pour les raisons suivantes : i) il a perdu son statut de résident permanent au Brésil; ii) le Brésil n’offre pas à ses résidents permanents les mêmes droits et les mêmes obligations qu’ont les ressortissants de ce pays; iii) la SAR a supposé à tort que le général ne représente plus une menace pour le demandeur; iv) la SAR a commis une erreur en exigeant une preuve corroborante et n’a pas appliqué la bonne norme de preuve; v) la SAR n’a pas accordé l’importance nécessaire à la preuve documentaire; vi) la SAR aurait dû donner le bénéfice du doute au demandeur; vii) le départ du Brésil du demandeur n’était pas volontaire.

[5] Après avoir examiné le dossier soumis à la Cour, ainsi que les observations écrites et orales des parties et le droit applicable, j’estime que le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision de la SAR était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Norme de contrôle

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur, soit la partie qui conteste la décision de la SAR, d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100). Pour que la cour de révision intervienne, elle doit avoir été convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[7] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, tout particulièrement à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait. Ce n’est pas le rôle de la Cour, lors du contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau ou de réévaluer la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit simplement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, aux para 102, 104).

III. Analyse

[8] Il est bien établi en droit qu’un demandeur d’asile qui revendique le statut de réfugié au Canada, mais qui a un statut semblable à celui des ressortissants d’un tiers pays sûr doit être exclu en application de la section E de l’article premier de la Convention. En fait, la section E de l’article premier de la Convention est une disposition d’exclusion qui est conçue pour éviter que les personnes jouissant déjà de la protection d’un tiers pays s’adonnent à la « recherche du meilleur pays d’asile » (Zeng, au para 1). Lorsqu’un demandeur d’asile jouit déjà d’une protection auxiliaire dans un pays où il a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays, il est exclu (Zeng, au para 1).

[9] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a établi un critère à trois volets qu’il faut appliquer dans le contexte des décisions concernant la section E de l’article premier :

[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[10] Comme je l’ai mentionné, le demandeur affirme que la SAR a appliqué de manière déraisonnable les facteurs du troisième volet du critère. Au cours de l’audience, le demandeur a mis l’accent sur trois éléments : i) son départ du Brésil n’était pas volontaire compte tenu de ses antécédents avec le général et du fait que les sociétés exerçaient leurs activités au Brésil; ii) le demandeur n’a pas essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants du Brésil en raison de la couleur de sa peau; iii) la SAR n’a pas donné au demandeur le bénéfice du doute et a fait preuve de zèle excessif en exigeant des éléments de preuve, étant donné qu’elle ne doutait pas de la crédibilité du demandeur, et, par conséquent, elle a imposé à ce dernier un fardeau au-delà de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

[11] Le défendeur fait valoir que le demandeur prie la Cour d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve. Il s’oppose à ce que le demandeur soulève les questions i) de savoir si le demandeur a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants du Brésil, et ii) du bénéfice du doute, au motif que ces éléments n’ont pas été portés à l’attention de la SAR.

[12] Je commencerai par les questions qui n’auraient pas été soulevées devant la SAR. Après avoir examiné en détail les observations que le demandeur a présentées à la SAR, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question de savoir si le demandeur a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants brésiliens n’avait pas été soulevée. On peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné une observation qui ne lui a pas été faite (Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580 au para 14; Enweliku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 228 au para 42). En outre, la Cour a toujours jugé qu’il ne fallait pas accueillir un contrôle judiciaire pour un motif qui n’avait pas été soulevé devant la SAR (Tcheuma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 885 au para 27; Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 24; Ogunmodede c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 94 aux para 23-30). Par conséquent, je n’examinerai pas la question de savoir si le demandeur a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants du Brésil.

[13] Quant à l’argument du demandeur selon lequel il aurait fallu lui donner le bénéfice du doute, j’estime que cet argument a été soulevé dans les observations que le demandeur a présentées à la SAR et, cela étant, je l’examinerai.

[14] Ensuite, je passe à la question de savoir si la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le départ du demandeur du Brésil était volontaire parce que sa vie était menacée dans ce pays. L’argument de l’avocat est en fait le même que celui qui avait été soulevé devant la SAR, c’est-à-dire que la SPR (et maintenant la SAR) n’avait pas remis en question la crédibilité du demandeur et qu’elle aurait donc dû reconnaître qu’il était exposé à un risque au Brésil. La SAR a estimé que, bien qu’il soit crédible que le demandeur croie être exposé à un risque au Brésil parce que son ancien supérieur exerce une certaine influence dans ce pays, il n’avait pas fourni une preuve suffisante d’un risque réel. Elle a fait remarquer que le demandeur n’avait reçu aucune menace au Brésil et que sa femme et ses trois enfants qui vivent dans ce pays n’avaient eu aucun problème avec son ancien supérieur. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour étayer la croyance subjective du demandeur.

[15] Le demandeur a soulevé plusieurs facteurs démontrant qu’il est exposé à un risque, mais ces facteurs ont été soumis à la SAR, et celle-ci les a examinés. Je ne crois pas que l’analyse de la SAR comporte une erreur qui justifie l’intervention de notre Cour. La conclusion de la SAR portant que le demandeur ne courait aucun risque au Brésil et qu’en conséquence le départ de ce dernier était volontaire est étayée par la preuve. De plus, les motifs de la SAR sont transparents et intelligibles.

[16] Maintenant, je passe à la prétention du demandeur portant que la SAR ne lui a pas donné le bénéfice du doute et lui a imposé un fardeau de preuve au-delà de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Le demandeur soutient que la SAR a fait preuve de zèle excessif quant à la preuve demandée et a commis une erreur lorsqu’elle a exigé des éléments de preuve corroborants. Cette prétention se rattache à l’analyse de la SAR sur la question de savoir si le demandeur avait démontré qu’il serait exposé à un risque prospectif advenant son retour en Angola.

[17] La SAR a tenu compte de la crainte du demandeur d’être assassiné par son ancien supérieur s’il décidait de quitter son emploi au sein des deux entreprises. La preuve indiquant que l’ancien supérieur du demandeur cherchait ce dernier en 2018 était de l’information relayée par un ami au téléphone. Dans un affidavit, cet ami a notamment déclaré qu’il était présent lors d’une recherche visant à retrouver le demandeur à la suite d’un malentendu concernant le contrat d’emploi. La SAR a relevé la qualité corroborante de la preuve, mais a estimé que cette preuve, même si elle était tenue pour avérée, n’était pas suffisante pour démontrer l’existence d’une possibilité sérieuse que le demandeur puisse être persécuté, grièvement blessé ou assassiné par son ancien supérieur.

[18] Le demandeur s’appuie sur le paragraphe 22 de la décision Sahar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1400, pour affirmer qu’il aurait fallu lui donner le bénéfice du doute relativement à la preuve présentée et qu’il était tout simplement impossible de prouver tous les éléments de son cas.

[19] Le défendeur soutient que le bénéfice du doute ne s’appliquait pas à cet égard, puisque la SAR n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur. Les éléments de preuve ne suffisaient simplement pas à établir que l’ancien employeur tenterait d’assassiner le demandeur si celui-ci quittait son emploi ou chercherait à le tuer en raison de sa connaissance des entreprises. Le défendeur fait valoir que le demandeur avait directement eu connaissance, au moment de sa démission, de l’indignation et de la colère de son supérieur, mais ce n’est que plus tard qu’un ami lui a appris que son ancien patron était furieux. En soi, l’information transmise par un ami ne signifie pas que la vie du demandeur était en danger.

[20] Après avoir examiné le dossier de la SAR et la décision dans son ensemble, je suis d’avis que les observations du demandeur reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le contexte du contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR quant à la question de savoir si le demandeur avait démontré l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il serait exposé à un risque s’il devait retourner en Angola aujourd’hui. La preuve appuie de manière raisonnable les conclusions de la SAR et les motifs de cette dernière possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable. Ainsi, la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

IV. Conclusion

[21] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable (Vavilov, au para 100). Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[22] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1529-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM-1529-22

INTITULÉ :

EMBAIXADOR FRANCISCO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 21 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Nataliya Dzera

Pour le demandeur

Michel Pépin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nataliya Dzera

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.