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Date : 20221214


Dossier : IMM-1143-22

Référence : 2022 CF 1732

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MAHNAZ GHOLAMI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 janvier 2022 [la décision] par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Dans sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La crédibilité était la question déterminante, tant pour la SPR que pour la SAR.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, la présente demande sera rejetée, car la décision est raisonnable.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne iranienne. Elle demande l’asile au Canada parce qu’elle prétend s’être convertie au christianisme. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA], elle déclare qu’elle a été exposée au christianisme pour la première fois lorsqu’elle a rendu visite à des membres de sa famille au Canada en mars 2019. À son retour en Iran, en juin 2019, elle a appris que de petites réunions étaient organisées dans des maisons privées pour permettre aux gens de se renseigner sur le christianisme.

[4] La demanderesse affirme qu’après avoir assisté à ces réunions durant quelques mois, elle a entendu dire que des chrétiens convertis de sa ville étaient arrêtés et que d’autres étaient placés sous surveillance. Commençant à craindre d’être, elle aussi, placée sous surveillance, elle a décidé de revenir au Canada en octobre 2019. Elle est entrée au Canada munie d’un visa de visiteur et elle a ensuite présenté une demande d’asile.

[5] La demanderesse mentionne qu’au Canada, elle a commencé à fréquenter l’église de façon régulière le dimanche et qu’elle s’est par la suite jointe à un cours d’étude biblique. Elle allègue qu’elle a appris, en janvier 2020, que des membres des forces de sécurité iraniennes étaient allés voir sa mère et son époux pour se renseigner sur ses allées et venues, ainsi que sur sa participation aux réunions de l’église. Elle affirme qu’il lui est impossible de retourner en Iran, car elle ne pourrait pas y exprimer librement son intérêt pour le christianisme en raison des soupçons des autorités à son égard.

[6] La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi les faits qui sous-tendaient sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, et qu’elle n’était pas un témoin crédible. La SPR a tiré plusieurs inférences défavorables quant à la crédibilité fondées sur des omissions importantes et des incohérences considérables entre le formulaire FDA de la demanderesse et son témoignage de vive voix. La SPR a aussi tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité du fait que la demanderesse avait tardé à demander l’asile au Canada et qu’elle n’avait pas présenté, à l’appui des éléments de sa demande d’asile, les documents raisonnablement attendus.

[7] En appel devant la SAR, la demanderesse a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans l’analyse faite de sa crédibilité et elle a contesté la plupart des conclusions tirées par la SPR à ce sujet.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] La SAR a conclu que la SPR avait correctement évalué la demande d’asile de la demanderesse et a souscrit à la conclusion selon laquelle cette dernière n’avait pas établi avec crédibilité ses allégations concernant l’existence d’un risque prospectif en Iran. La SAR a donc rejeté l’appel et confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[9] La SAR a d’abord admis comme nouvel élément de preuve une lettre mise à jour dans laquelle le pasteur de la demanderesse au Canada mentionne que la demanderesse fréquentait toujours l’église. Cette lettre a été présentée parce que la SPR avait exprimé des réserves quant au fait que, dans sa première lettre, le pasteur parlait au passé de la fréquentation de l’église par la demanderesse. La SAR a conclu que la lettre fournissait de nouveaux renseignements qui étaient pertinents à l’égard de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle s’était convertie au christianisme.

[10] La SAR a jugé que la SPR avait conclu à juste titre que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et qu’elle n’avait pas présenté des éléments de preuve suffisamment crédibles et dignes de foi pour établir ses allégations. À l’appui de cette conclusion, la SAR a souligné que des omissions importantes avaient été relevées dans le formulaire FDA de la demanderesse.

[11] Dans son formulaire FDA, la demanderesse a déclaré qu’elle avait commencé à assister à des réunions chrétiennes en Iran et qu’elle avait ensuite décidé de quitter le pays après avoir entendu parler de l’arrestation et de la mise sous surveillance d’autres chrétiens convertis dans sa ville. Cependant, lors de l’audience devant la SPR, elle a déclaré que les réunions chrétiennes auxquelles elle assistait avaient été annulées après que des membres de son propre groupe chrétien eurent été mis sous surveillance et arrêtés. La SAR a jugé que cette omission, que la demanderesse n’avait pas su expliquer à l’audience devant la SPR, était importante. Par conséquent, elle a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle cette omission avait miné la crédibilité de la demanderesse.

[12] La SAR a relevé une deuxième omission importante dans le formulaire FDA de la demanderesse, à savoir que celle-ci avait déclaré, lors de l’audience devant la SPR, que des membres des forces de sécurité iraniennes la recherchaient et qu’ils avaient pris contact avec des membres de sa famille en Iran à quelques reprises depuis janvier 2020. Ce renseignement ne figurait pas dans le formulaire FDA de la demanderesse, et celle-ci n’a pas su expliquer l’omission. Elle a fait valoir que les contacts allégués avaient eu lieu après le dépôt de son formulaire FDA initial, et qu’elle n’était donc pas tenue de fournir un [traduction] « exposé circonstancié progressif » en consignant chaque nouvel événement dans une version modifiée.

[13] La SAR n’a pas souscrit à cet avis. Elle a conclu que l’allégation selon laquelle les autorités iraniennes s’intéressaient toujours à la demanderesse et qu’elles l’avaient poursuivie ne pouvait être considérée comme un simple ajout de détails à des renseignements qui figuraient déjà dans le formulaire FDA. La SAR a souligné qu’au début de l’audience devant la SPR, on avait demandé à la demanderesse si son formulaire FDA était véridique, complet et exact, ce à quoi elle avait répondu par l’affirmative. La SAR a aussi souligné que les directives à l’intention des demandeurs d’asile traitent des modifications au formulaire FDA; elles prévoient notamment qu’un demandeur d’asile doit informer la SPR s’il reçoit des renseignements supplémentaires.

[14] Étant donné les réserves quant à la crédibilité de la demanderesse fondées sur les omissions relevées dans le formulaire FDA de celle-ci, la SAR a conclu que des éléments de preuve corroborants étaient nécessaires pour établir les prétentions de la demanderesse. La SAR a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse obtienne et produise des éléments de preuve corroborants et que, lorsque cette dernière s’était vu offrir l’occasion d’expliquer pourquoi elle ne l’avait pas fait, elle n’avait pu fournir aucune explication raisonnable. Elle aurait notamment pu obtenir une preuve d’une amie qui, selon ses dires, avait assisté aux réunions chrétiennes avec elle en Iran et avait par la suite reçu une citation à comparaître, ou encore une preuve de sa mère et de son époux qui auraient apparemment eu des interactions avec les autorités iraniennes qui étaient à sa recherche.

[15] En lien avec l’exigence de corroboration, la SAR a aussi examiné une citation à comparaître que les autorités iraniennes auraient délivrée à l’égard de la demanderesse, lui enjoignant de se présenter devant la cour pour répondre à des accusations d’apostasie, de conversion de l’islam à une autre religion et de coopération avec des groupes faisant la promotion d’autres religions que l’islam en Iran. Il n’était pas fait mention de la citation à comparaître dans le formulaire FDA. Lors de son témoignage, la demanderesse a déclaré que sa famille avait reçu la citation à comparaître en janvier 2020. Elle a ajouté que le document avait été montré à sa famille, mais qu’aucune copie n’avait été laissée. Elle a expliqué que son époux avait pu obtenir, illégalement, une copie de la citation à comparaître et que, si elle ne connaissait pas le nom de la personne auprès de laquelle son époux avait obtenu le document, elle savait que cette personne travaillait pour le gouvernement.

[16] La SPR avait souligné que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve corroborante de la part de son époux pour établir les circonstances dans lesquelles la copie de la citation à comparaître avait été obtenue, et qu’elle n’avait pas non plus fourni d’explication raisonnable pour justifier le défaut de produire une telle preuve lorsqu’on lui avait offert l’occasion de s’expliquer. Après avoir examiné la preuve objective, la SAR a jugé que la SPR avait conclu, à juste titre, que la citation à comparaître n’était pas un document fiable. La SAR a conclu que la preuve objective indiquait clairement que, lorsqu’un huissier des services judiciaires doit délivrer une citation à comparaître à un accusé et que celui-ci n’est pas présent pour recevoir signification, une copie doit être laissée à un membre de la famille ou, si personne n’est présent, la citation à comparaître doit être laissée sur la porte. De plus, étant donné qu’une citation à comparaître vise à ordonner la comparution d’une personne à un endroit précis ainsi qu’à une date et une heure données, la SAR a conclu que les circonstances dans lesquelles la citation à comparaître aurait été signifiée n’étaient pas crédibles.

[17] La SAR a aussi conclu qu’il y avait une incohérence importante entre le formulaire FDA de la demanderesse et son témoignage de vive voix au sujet de sa fréquentation de l’église au Canada. La demanderesse a déclaré devant la SPR qu’elle avait commencé à fréquenter l’église au Canada en février 2020. Cependant, il était indiqué, dans son formulaire FDA, qu’elle avait commencé à fréquenter l’église en novembre 2019. Lorsque cette incohérence a été portée à l’attention de la demanderesse, celle-ci a expliqué qu’elle était allée à l’église pour la première fois en novembre 2019, mais qu’elle était devenue chrétienne et membre de l’église en février 2020. La SAR a néanmoins conclu qu’il existait une incohérence importante.

[18] La SAR a examiné le niveau de connaissance de la religion chrétienne démontré par la demanderesse dans son témoignage et elle a conclu qu’il correspondait à ce à quoi l’on pouvait s’attendre d’une personne ayant le profil religieux que la demanderesse prétendait avoir. Toutefois, compte tenu des réserves sérieuses soulevées quant à la crédibilité de la demanderesse et du fait qu’elle aurait pu acquérir ses connaissances uniquement pour appuyer sa demande d’asile, la SAR a conclu que les connaissances de la demanderesse constituaient un facteur neutre qui ne militait ni pour ni contre l’authenticité de ses croyances. De même, bien que la SAR ait conclu que la demanderesse avait présenté des éléments de preuve crédibles concernant ses activités religieuses au Canada, elle a jugé que ces éléments de preuve ne suffisaient pas à établir que la demanderesse s’était livrée à ces activités sur le fondement de véritables croyances chrétiennes, et non seulement dans le but d’appuyer sa demande d’asile.

[19] La SAR s’est ensuite demandé si la preuve suffisait à établir le bien-fondé d’une demande d’asile sur place fondée sur les activités de la demanderesse au Canada. La demanderesse n’a pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle rien n’indiquait que ses activités religieuses avaient été portées à l’attention des autorités iraniennes ou qu’elles risquaient de l’être à l’avenir, selon la prépondérance des probabilités. La SAR a jugé que la SPR avait commis une erreur en appliquant la norme de la prépondérance des probabilités plutôt que celle de la possibilité sérieuse en ce qui concerne le risque prospectif de persécution. Cependant, cette erreur n’était pas déterminante, puisque la SAR a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir qu’il existait une possibilité sérieuse que les activités religieuses de la demanderesse au Canada soient portées à l’attention des autorités iraniennes.

IV. Questions en litige

[20] La demanderesse soumet à l’examen de la Cour les questions suivantes :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas sa crédibilité de façon appropriée?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’examen de sa preuve corroborante?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de son profil de risque?

[21] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

V. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas la crédibilité de la demanderesse de façon appropriée?

[22] La demanderesse soutient que la SAR, en se fondant sur des incohérences ou des omissions perçues dans son témoignage pour tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité, s’est livrée à une analyse microscopique de sa preuve.

[23] En ce qui concerne la réserve de la SAR à l’égard du fait qu’elle n’avait pas inclus dans son formulaire FDA de détails sur la détention et la surveillance des membres de son propre groupe chrétien, la demanderesse prétend que son témoignage au sujet de ces détails constituait une description admissible des faits essentiels qui figuraient dans son formulaire FDA (voir Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249 aux para 12vi) et 16). Elle souligne que son formulaire FDA faisait mention [traduction] « [d’]autres » chrétiens de sa ville qui avaient été mis sous surveillance ou arrêtés, et elle fait valoir qu’il lui était loisible de fournir des précisions à ce sujet dans son témoignage et d’expliquer que des membres de son propre groupe étaient visés.

[24] Cet argument ne porte pas atteinte au caractère raisonnable de l’analyse de la SAR. Lorsque la SAR a porté cette réserve à l’attention de la demanderesse, celle-ci n’a pas fourni d’explication compatible avec cet argument. Elle a plutôt répondu qu’elle ne savait pas pourquoi il n’était pas mentionné, dans son formulaire FDA, que des personnes qu’elle connaissait étaient visées. La SAR s’est dite d’accord avec le fait que la SPR ait tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité, la demanderesse n’ayant pas été en mesure d’expliquer l’écart entre son formulaire FDA et son témoignage. L’affirmation selon laquelle les autorités avaient arrêté des membres du groupe chrétien dont la demanderesse faisait partie ne peut être considérée comme un détail accessoire.

[25] De plus, la demanderesse conteste le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR selon laquelle elle avait commis une omission importante en ne mettant pas à jour son formulaire FDA pour indiquer que les forces de sécurité, qui étaient à sa recherche, avaient pris contact avec les membres de sa famille en Iran à deux ou trois reprises après janvier 2020. Une fois de plus, il ne s’agit manifestement pas d’un détail accessoire. La demanderesse soutient que le raisonnement de la SAR représente un triomphe de la forme sur le fond, puisqu’elle a parlé de ces événements lors de son témoignage devant la SPR. J’estime que cette observation n’a aucun fondement. Comme l’avance le défendeur, il était loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable du fait qu’elle n’avait pas modifié son formulaire FDA de façon à y ajouter ces allégations fondamentales.

[26] De même, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en se concentrant de manière déraisonnable sur une erreur mineure contenue dans son témoignage concernant le moment où elle avait commencé à fréquenter son église au Canada. Dans son formulaire FDA, elle a mentionné qu’elle avait commencé à fréquenter l’église en novembre 2019, mais lors de son témoignage, elle a déclaré qu’elle avait commencé à la fréquenter en février 2020. Lorsque la SAR l’a interrogée au sujet de cette incohérence, elle a expliqué qu’elle avait fréquenté l’église pour la première fois en 2019, mais qu’elle en était devenue membre en février 2020. La SAR a tenu compte de ce témoignage, mais elle n’était pas satisfaite de l’explication de la demanderesse concernant l’incohérence. Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle il était loisible à la SAR de juger cette incohérence importante et d’en tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

B. La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’examen de la preuve corroborante de la demanderesse?

[27] La demanderesse s’appuie sur le principe selon lequel le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé vrai, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter, et qu’un tel témoignage ne peut généralement pas être rejeté uniquement en raison de l’absence de preuve corroborante (Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302, 1979 CanLII 4098 (CAF)). Elle soutient que la SAR a donc commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’elle n’avait pas fourni de preuve corroborante de la part de sa mère, de son époux et de son amie appartenant au même groupe religieux.

[28] Bien que le principe invoqué par la demanderesse soit fondé, la SAR s’est appuyée sur le principe connexe cité par la SPR, à savoir que l’absence de preuve corroborante peut être importante lorsqu’une demande d’asile soulève de sérieuses réserves quant à la crédibilité (Sanaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 402 au para 40). La SAR a fait état de ses réserves quant à la crédibilité des allégations de la demanderesse concernant les événements survenus en Iran, d’où la nécessité de produire une preuve corroborante pour établir les allégations sous-jacentes. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

[29] La demanderesse soulève des arguments supplémentaires liés à la conclusion de la SAR selon laquelle la citation à comparaître, qu’elle avait fournie à titre de preuve corroborante, n’était pas fiable. Elle conteste la conclusion de la SAR, fondée sur la preuve objective sur la situation dans le pays, selon laquelle l’absence de verdict ou de jugement rendu in absentia jette un doute sur l’authenticité de la citation à comparaître. Elle soutient que la SAR s’est appuyée sur le point 9.15 du Cartable national de documentation sur l’Iran [le CND] et que ce document n’appuie aucunement la conclusion de la SAR. Cependant, la demanderesse semble avoir mal lu la décision, qui renvoie au point 9.10 du CND dans cette partie de l’analyse. Selon le point 9.10, un jugement peut être rendu in absentia si un défendeur ne se présente pas au tribunal.

[30] La demanderesse conteste aussi la réserve soulevée par la SAR quant au fait qu’il n’y avait rien d’indiqué dans la portion de la citation à comparaître concernant sa remise. Elle s’appuie sur le point 9.15 pour expliquer qu’il n’existe pas de norme applicable à toutes les citations à comparaître; elle fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve objective selon laquelle il n’existe pas de procédure normalisée pour la délivrance d’une citation à comparaître. Toutefois, la preuve à laquelle renvoie la demanderesse indique seulement que les citations à comparaître peuvent être délivrées par voie électronique, être rédigées à la main ou être dactylographiées au moyen de gabarits. De plus, la SAR a expressément examiné cette preuve et a conclu que, bien qu’elle établisse que les citations à comparaître peuvent être délivrées sous divers formats, le document produit était manifestement incomplet. La demanderesse prie la Cour de se prononcer contre la façon dont la SAR a traité la preuve, ce qui ne relève pas du rôle de celle-ci dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[31] Enfin, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a traité sa preuve selon laquelle des agents de sécurité iraniens avaient délivré la citation à comparaître au domicile de sa famille en Iran en janvier 2020 et qu’ils l’avaient montrée à sa mère, mais qu’ils n’en avaient pas laissé de copie. Elle souligne le raisonnement de la SAR selon lequel il serait incompatible avec l’objet de la citation à comparaître de refuser d’en laisser une copie au moment de la signification, mais elle fait valoir que cette analyse suppose déraisonnablement que l’agent de persécution agit de façon rationnelle (Sivaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 732 au para 34). Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans cet aspect de la décision, puisque la SAR s’est fondée non seulement sur son raisonnement quant à l’objet d’une citation à comparaître, mais aussi sur la preuve objective sur la situation dans le pays, qui indique que lorsque la personne concernée n’est pas présente pour recevoir signification, une copie doit être laissée à un membre de la famille ou sur la porte.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas dûment compte du profil de risque de la demanderesse?

[32] En faisant valoir que la SAR n’a pas dûment tenu compte de son profil de risque en tant que chrétienne retournant en Iran, la demanderesse s’appuie sur la jurisprudence selon laquelle un demandeur d’asile qui n’est pas jugé crédible peut quand même avoir une crainte fondée de persécution, qui peut être évaluée en fonction de son profil de risque et de la preuve objective sur la situation dans le pays (KS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 999 au para 41). Elle renvoie à la conclusion de la SAR selon laquelle son niveau de connaissance de la religion correspondait à ce à quoi l’on pouvait s’attendre d’une personne ayant le profil religieux qu’elle prétendait avoir, ainsi qu’à la preuve admise par la SAR quant à sa pratique du christianisme pendant son séjour au Canada. Elle soutient que la preuve objective appuie la conclusion selon laquelle une personne ayant son profil serait exposée à un risque en Iran.

[33] Au moment d’analyser cet argument, il importe de souligner, en premier lieu, que la SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle s’était véritablement convertie au christianisme. Malgré sa conclusion quant au niveau de connaissance de la religion démontré par la demanderesse, la SAR a conclu que ces connaissances auraient pu être acquises uniquement pour appuyer une demande d’asile. Compte tenu des nombreuses réserves sérieuses quant à la crédibilité soulevées par la preuve et le témoignage, la SAR a conclu que la connaissance du christianisme démontrée par la demanderesse ne constituait pas une preuve convaincante de l’authenticité de ses croyances religieuses alléguées. Pour le même motif, la SAR a conclu que la preuve de la participation de la demanderesse à des activités religieuses au Canada ne suffisait pas à établir l’authenticité de ses croyances.

[34] Selon la demanderesse, cette analyse est déraisonnable. Toutefois, cet argument exprime un désaccord avec la façon dont la SAR a apprécié la preuve, ce qui ne constitue pas un motif justifiant l’intervention de la Cour en contrôle judiciaire.

[35] La SAR a donc analysé le profil de risque de la demanderesse, y compris sa demande d’asile présentée sur place, au regard de sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne s’était pas véritablement convertie au christianisme et qu’elle ne pratiquerait donc pas cette religion à son retour en Iran. La SAR a conclu que la preuve n’établissait pas l’existence d’une possibilité sérieuse que les autorités iraniennes soient informées des activités religieuses de la demanderesse au Canada.

[36] La position de la demanderesse, selon laquelle elle n’est pas tenue de démontrer que ses activités religieuses attireraient l’attention des autorités iraniennes, est incompatible avec la jurisprudence applicable. Dans la décision Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, lorsqu’il a examiné une demande d’asile présentée sur place par la demanderesse sous prétexte que ses activités religieuses au Canada attireraient l’attention des agents de persécution dans son pays d’origine, le juge en chef Crampton a expliqué qu’il incombait à la demanderesse de démontrer que ces activités attireraient probablement l’attention des agents de persécution (au para 46).

[37] Par conséquent, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’examen fait par la SAR du profil de risque de la demanderesse.

VI. Conclusion

[38] Après avoir examiné les arguments de la demanderesse, je conclus que la décision est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[39] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1143-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1143-22

INTITULÉ :

MAHNAZ GHOLAMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Cemone Morlese

Pour la demanderesse

Brad Gotkin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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