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Date : 20221215


Dossier : IMM-8067-21

Référence : 2022 CF 1742

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AKLISYA GOITOM BERHANE

DARIK GOITOM BERHANE

(REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE GOITOM BERHANE KIDANEMARIAM)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions rendues le 13 octobre 2021 [les décisions] par lesquelles un agent des visas, en poste au consulat général du Canada à Shanghai [l’agent], a rejeté les demandes de permis d’études des demandeurs.

[2] Comme je l’expliquerai en détail, la présente demande est accueillie, car les décisions sont inintelligibles et, par conséquent, déraisonnables en ce qui concerne la prise en compte de la situation financière des demandeurs.

II. Contexte

[3] Respectivement âgés de 11 ans et de 17 ans, les demandeurs sont des citoyens de l’Éthiopie. Au moment du dépôt de leur demande de permis d’études, ils étaient respectivement élève de 7e année et élève de 10e année à la British International School d’Addis-Abeba, en Éthiopie. Ils ont présenté une demande d’admission en vue de poursuivre leurs études à l’établissement USCA Academy International School [USCA], situé à Mississauga, en Ontario. Comme leur demande d’admission a été acceptée par l’USCA, les demandeurs ont déposé une demande de permis d’études.

[4] Dans les décisions datées du 13 octobre 2021 qui font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a rejeté la demande de permis d’études des demandeurs. Les décisions et les notes connexes consignées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie des motifs afférents, sont identiques. Les deux décisions sont ainsi rédigées :

[traduction]

Je vous remercie de l’intérêt que vous portez aux programmes d’études au Canada. Après un examen attentif de votre demande de permis d’études et des documents à l’appui, je conclus que votre demande ne satisfait pas aux conditions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR]. Je rejette votre demande pour les raisons suivantes :

Je ne crois pas que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos biens personnels et de votre situation financière.

Je ne crois pas que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence.

Je vous invite à présenter une nouvelle demande si vous estimez être en mesure de dissiper ces réserves et de démontrer que votre situation est conforme aux exigences. Toute nouvelle demande est assortie de frais de traitement.

[5] Les notes consignées au SMGC constituent le fondement des décisions. Elles sont formulées ainsi :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Compte tenu du plan d’études de la personne concernée, les documents fournis à l’appui de sa situation financière ne démontrent pas que les fonds seraient suffisants ou disponibles. Je ne suis pas d’avis que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable. Je note le soutien financier fourni par les parents. Les documents financiers accompagnant la demande indiquent que des fonds relativement modestes sont destinés au paiement des droits de scolarité et des frais de subsistance des quatre membres de la famille pendant le séjour au Canada. Les parents, qui travaillent à leur compte, n’ont pas démontré qu’ils étaient suffisamment bien établis dans leur pays de résidence ou en Éthiopie pour justifier les fonds et les biens indiqués. La personne concernée n’a fourni que peu de documents à l’appui pour expliquer l’historique de travail indépendant de ses parents. Je ne crois pas que la personne concernée quittera le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je souligne que la personne concernée a des liens familiaux solides au Canada. Les quatre membres de la famille présentent ensemble une demande pour visiter le Canada. Après avoir soupesé les facteurs en l’espèce, je ne suis pas convaincu que la personne concernée quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

III. Question en litige

[6] La seule question de fond dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si les décisions sont raisonnables. Comme la formulation de cette question l’indique, les parties conviennent, tout comme moi, que les décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

IV. Analyse

[7] Comme l’indiquent les notes consignées au SMGC précitées, l’agent a conclu que les documents à l’appui concernant la situation financière du demandeur ne démontraient pas que les fonds prévus pour le plan d’études seraient suffisants ou disponibles. Selon ces notes, l’agent a estimé que les documents financiers accompagnant la demande de visa indiquaient que des fonds relativement modestes étaient destinés au paiement des droits de scolarité et des frais de subsistance des quatre membres de la famille pendant le séjour au Canada.

[8] Cependant, comme le soulignent les demandeurs, la documentation fournie à l’appui de leur demande comprenait un relevé bancaire indiquant un solde équivalant à plus de 500 000 dollars canadiens sur le compte de leur père. Ils font valoir que les décisions ne comprennent aucune analyse permettant à la Cour de comprendre comment l’agent en est arrivé à conclure que 500 000 dollars était une somme relativement modeste dans le contexte de leur demande respective ou pourquoi cette somme ne serait pas suffisante ou disponible pour financer le plan d’études des demandeurs.

[9] Le défendeur soutient que l’agent a tiré les conclusions qui ressortent des notes consignées au SMGC parce que le relevé bancaire montrait des opérations sur un mois seulement, de sorte que l’agent n’était pas en mesure de connaître la provenance des fonds sur le compte du père des demandeurs. Le défendeur évoque notamment la possibilité que les fonds représentaient un prêt. En outre, il fait valoir que la décision Bestar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 483 [Bestar], confirme au paragraphe 19 le caractère raisonnable d’une analyse similaire :

19. L’agent a émis des réserves concernant la situation financière de la demanderesse, qu’ici encore je ne juge pas déraisonnables. Le compte bancaire principal, qui est le plus important, contient l’équivalent d’environ 99 000 dollars canadiens. Toutefois, rien n’indique la provenance de cet argent, ni s’il s’agissait d’un quelconque prêt à court terme ou d’un quelconque don remboursable. Rien n’indique si ce montant a été recueilli dans le but de satisfaire aux exigences minimales (10 000 $ plus les frais de scolarité pendant 4 ans), ce qui est le cas, ou s’il s’agit d’un héritage. Encore une fois, il incombe à la demanderesse d’établir le bien‑fondé de sa demande. À mon avis, ces questions auraient dû être anticipées et traitées. L’agent a légitimement souligné une omission dans cette demande.

[10] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le problème que posent les décisions en l’espèce réside dans l’absence de raisonnement à l’appui des conclusions de l’agent. L’hypothèse avancée par le défendeur peut être une façon d’expliquer les préoccupations de l’agent, mais les décisions ne fournissent aucune explication. Comme il a été souligné dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 15, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte sur la justification la décision. Il y a lieu d’établir une distinction avec la décision Bestar, car l’agent dont la décision faisait l’objet d’un contrôle dans cette affaire avait expliqué ses réserves quant à la provenance des fonds de la demanderesse en mentionnant une augmentation rapide du solde et un dépôt à terme qui ne comportait aucun historique de solde et aucune indication sur la durée du terme (au para 18).

[11] L’analyse de l’agent concernant la situation financière des demandeurs est suffisamment capitale pour que son inintelligibilité porte atteinte au caractère raisonnable de la décision. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et il n’est pas nécessaire que la Cour prenne en considération les autres arguments soulevés par les demandeurs.

[12] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8067-21

LA COUR REND LE JUGMENT suivant : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, les décisions sont annulées et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM-8067-21

INTITULÉ :

AKLISYA GOITOM BERHANE

DARIK GOITOM BERHANE

(REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE GOITOM BERHANE KIDANEMARIAM) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 15 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Teklemichael Ab Sahlemariam

Pour les demandeurs

Margherita Braccio

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TAS Law Office

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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