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Date : 20221201


Dossier : IMM-7564-21

Référence : 2022 CF 1660

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

EMMANUEL KWEKU GYATENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 22 septembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que le demandeur était exclu de la protection offerte aux réfugiés au sens de la Convention et aux personnes à protéger en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention].

II. Faits

[2] Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 45 ans qui affirme craindre d’être persécuté en raison de son identité en tant qu’homme gai. Il est arrivé au Canada en novembre 2016 et a demandé l’asile en décembre. Le demandeur a allégué qu’il ne pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir une protection adéquate de la part des autorités ghanéennes parce que les activités sexuelles [traduction] « directement associées au mode de vie des gais et des bisexuels » sont interdites par le code criminel du Ghana. Il a ajouté qu’au Ghana, les personnes gaies ou bisexuelles subissent de mauvais traitements, sont exclues de la collectivité et courent un risque de mort. En outre, il a souligné que si ces personnes sont dénoncées aux autorités ghanéennes, elles risquent d’être persécutées.

[3] Cependant, en mars 2020, un représentant du ministre est intervenu dans le dossier en vertu de l’alinéa 170e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le ministre a allégué que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada et qu’il devait donc être exclu en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

[4] L’intervention du ministre reposait sur trois éléments. Le premier, qui est l’élément central de la demande, était une source d’information en ligne provenant du Ghana, selon laquelle le demandeur d’asile avait été accusé en 2015 de fraude par de faux semblants, une infraction prévue à l’article 131 du code criminel du Ghana. L’accusation concernait le fait que le demandeur avait accepté de l’argent de sa victime en échange de la vente à cette dernière de 500 sacs de sucre valant plus de 15 000 $ CA. Le demandeur n’a jamais fourni les sacs de sucre promis. Dans le cadre de ses tentatives pour se soustraire à sa responsabilité, le demandeur aurait également émis des chèques frauduleux à la victime.

[5] De plus, le ministre a fourni des éléments de preuve démontrant que des accusations avaient été déposées contre le demandeur par le service de police de Columbus, en Ohio, parce qu’il avait résisté à son arrestation le 22 octobre 2001. Le demandeur aurait apparemment utilisé un pseudonyme par le passé et aurait dit à la police qu’il était Carlos Glenn Newman, né le 7 novembre 1976.

[6] Le ministre a également déclaré qu’une recherche dans les renseignements de la police canadienne avait révélé que, le 23 mai 2019, le demandeur a été accusé de possession de biens criminellement obtenus au titre de l’article 354 du Code criminel du Canada.

[7] Les renseignements du ministre ont été communiqués au demandeur avant l’audience afin de respecter les obligations d’équité de la SPR, qui visent entre autres à donner au demandeur la possibilité de connaître la preuve qui pèse contre lui et de se préparer en conséquence.

[8] Au cours de l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré sous serment qu’il n’était pas la personne décrite dans l’article de journal comme étant l’agresseur présumé, mais qu’il portait plutôt le même nom. Le représentant du ministre n’a pas comparu à l’audience et s’est appuyé sur son dossier écrit.

[9] La SPR a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada et qu’il était donc visé par l’exclusion prévue à l’alinéa b) de la section F de l’article premier.

III. Dispositions législatives et jurisprudence pertinentes

[10] L’article 98 de la LIPR dispose :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exlcusion – Refugee Convention

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[11] L’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention prévoit ce qui suit :

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[…]

[12] Dans la décision Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12, j’ai résumé la jurisprudence relative au contrôle judiciaire des décisions d’exclure une personne en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention, jurisprudence qui s’applique toujours. Ce résumé comprend notamment un examen des principes pertinents tirés de la décision citée par la SPR en l’espèce, à savoir Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, par le juge suppléant Strayer, confirmée par 2008 CAF 404, le juge Létourneau [Jayasekara]. Comme il a été énoncé dans la décision Abbas, aux paragraphes 18 à 20 :

[18] La Cour d’appel fédérale confirme que le ministre n’a qu’à démontrer, en satisfaisant à une norme qui est moindre que la prépondérance des probabilités habituelle en matière civile, qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur a commis les actes allégués. Dans l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178 (Zrig), le juge Nadon confirme le principe suivant, au paragraphe 56 :

[56] […] Le ministre n’a pas à prouver la culpabilité de l’intimé. Il n’a qu’à démontrer - et la norme de preuve qu’il doit satisfaire est « moindre que la prépondérance des probabilités » […] qu’il a des raisons sérieuses de penser que l’intimé est coupable. […]

[Non souligné dans l’original.]

[19] Quant à ce qui constitue un crime « grave », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (Febles), par la juge en chef McLachlin, donne les instructions suivantes au paragraphe 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (GoodwinGill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale définit ainsi les facteurs permettant d’apprécier si le crime qui a été commis est « grave » pour l’application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier :

[44] Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05-15900, (Cour d’appel É.‑U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités.

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] La question déterminante pour la SAR était de savoir si la SPR avait commis une erreur dans sa décision d’exclure le demandeur. L’élément clé est l’évaluation que celle-ci a faite de l’article de journal. En résumé, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que le demandeur avait été exclu à juste titre en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

A. L’exclusion prévue à l’alinéa b) de la section F de l’article premier

1) Les principes juridiques applicables

[14] La SAR a souligné qu’il incombe au ministre d’établir qu’il existe des « raisons sérieuses de penser » qu’un demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun. Lorsqu’elle a examiné la gravité du crime, la SAR s’est référée à l’arrêt Jayasekara, où la Cour d’appel fédérale a jugé que cette évaluation exige un examen des éléments constitutifs du crime, du mode de poursuite, de la peine prévue, des faits et de tout facteur atténuant ou aggravant qui sous-tend la déclaration de culpabilité. Elle a souligné qu’un crime sera généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins 10 ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. Sur ce point, dans l’arrêt Febles, la Cour suprême du Canada a précisé que les décideurs ne doivent pas appliquer la règle des 10 ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[15] Dans ce contexte, la SAR a conclu que la SPR avait correctement appliqué la jurisprudence relative à l’alinéa b) de la section F de l’article premier.

2) L’évaluation d’un crime grave de droit commun

[16] La SAR a conclu que le crime de [traduction] « fraude par de faux semblants » prévu à l’article 131 du code criminel du Ghana et commis en 2015 suffit pour conclure que le demandeur est exclu en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier. Dans ses motifs, la SPR a conclu que le montant élevé de la caution du demandeur et sa décision de s’enfuir afin de se soustraire à des poursuites criminelles étaient des indicateurs de la gravité de l’infraction.

[17] La SAR a convenu que l’article dans lequel le demandeur était nommé ne suffisait pas à lui seul à prouver qu’il était bien la personne accusée; mais a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté les allégations du ministre parce que sa preuve présentait de graves problèmes de crédibilité et de fiabilité.

a) Le témoignage du demandeur et les autres éléments de preuve

[18] La SAR a souscrit à l’évaluation faite par la SPR d’un affidavit présenté par le demandeur pour réfuter les allégations du ministre. La SPR avait conclu que l’affidavit, qui aurait été rédigé par le cousin du demandeur, contenait neuf erreurs apparentes et était frauduleux. La SAR a fait remarquer que le demandeur n’avait pas été en mesure de convaincre la SPR du contraire, compte tenu du fait qu’il avait admis dans son témoignage que les logos étaient différents et qu’ils n’étaient pas de la même couleur. Le demandeur n’a pas non plus réussi à donner une explication raisonnable pour justifier les erreurs relevées par la SPR. De plus, la SAR a souligné qu’une personne innocente dans une situation similaire se serait donné beaucoup de mal pour prouver son innocence. À son avis, le demandeur ne s’est pas donné ce mal. La SAR n’a également obtenu aucune explication crédible quant à la raison pour laquelle l’avocat du demandeur ne pouvait pas fournir un affidavit attestant que le demandeur ne fait pas l’objet d’accusations au Ghana.

b) L’article du Ghana

[19] Il s’agissait de la question centrale en première instance, et c’est toujours le cas en l’espèce.

[20] La SAR a conclu que le demandeur est bien la personne identifiée dans l’article de journal du Ghana, même si ce dernier le nie. Lorsqu’elle a évalué et soupesé cet élément de preuve, la SAR a relevé plusieurs éléments permettant d’identifier le demandeur, soit les suivants : le demandeur porte le même nom que la personne mentionnée dans l’article; le demandeur vivait à Afienya, comme il est indiqué dans l’article; le demandeur se présente publiquement comme un homme d’affaires, comme il est décrit dans l’article; le demandeur s’identifie publiquement comme étant la personne-ressource de Gilead Investments Limited, dont l’un des principaux produits est le sucre; le demandeur a un compte LinkedIn qu’il a admis avoir créé et qui indique son nom, montre photo et précise qu’il est président-directeur général de Gilead Investments Limited; le demandeur a déclaré avoir quitté Afienya en octobre 2016 et a mentionné deux adresses à Kumasi où il a habité avant de quitter cette ville en novembre 2016 pour venir au Canada. Compte tenu de ces conclusions en matière de preuve, la SAR a jugé que le demandeur n’avait pas réfuté l’allégation du ministre au moyen d’éléments de preuve crédibles.

3) Le crime commis au Ghana

[21] En bref, la SAR a mentionné qu’étant donné sa conclusion selon laquelle le demandeur est bien la personne nommée dans l’article de journal, il existe des raisons intrinsèquement sérieuses de penser qu’il a commis un crime de droit commun. Elle a donc confirmé la conclusion de la SPR.

a) Le crime de droit commun

[22] La SAR a souligné que, pour qu’un crime soit considéré comme étant de nature politique pour l’application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention, le critère à deux volets suivant doit être respecté :

1) il est commis dans un but politique, c’est-à-dire avec comme objet de renverser ou de changer le gouvernement d’un État ou de l’induire à modifier sa politique;

2) il y a un lien suffisamment étroit et direct entre le crime et le but politique invoqué.

[23] De l’avis de la SAR, le crime de [traduction] « fraude par de faux semblants » a été commis pour des motifs économiques et par conséquent, il n’avait aucun but politique aux fins de la Convention.

b) Le droit canadien

[24] La SAR a conclu que le crime de [traduction] « fraude par de faux semblants » équivaudrait à l’infraction de fraude de plus de 5 000 $ prévue à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel du Canada.

c) La gravité des crimes

[25] Au Canada, le crime comparable de fraude de 5 000 $ est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Par conséquent, la SAR a présumé qu’il s’agissait d’un crime grave aux fins de l’analyse au titre de l’alinéa b) de la section F de l’article premier.

d) Les facteurs aggravants et atténuants

[26] Lors de son évaluation, la SAR a relevé les facteurs aggravants suivants : le fait que le demandeur était un adulte instruit qui avait sciemment fait une promesse à un client, promesse qu’il n’a pas tenue; le fait qu’en essayant de corriger cette erreur, il a émis de faux chèques, ce qui témoigne d’un abus de confiance, d’un niveau de complexité, d’une planification et d’une supercherie; le fait que de nombreuses victimes sont touchées par les actes criminels commis par le demandeur; le fait que le demandeur a fui la justice; le fait qu’il a nié toutes les allégations; et le fait qu’il a présenté un document frauduleux pour réfuter les allégations du ministre.

[27] Compte tenu de ces conclusions, la SAR a également confirmé la décision de la SPR.

[28] La SAR a pris acte du fait que la SPR n’avait pas évalué la peine prévue en fonction des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, mais elle a conclu que cette erreur était sans objet. De l’avis de la SAR, la SPR a examiné tous les facteurs et est arrivée à la même conclusion qu’elle concernant l’exclusion.

[29] La SAR a conclu que les autres moyens d’appel n’étaient pas pertinents pour évaluer les allégations et la décision d’exclusion de la SPR.

V. Questions en litige

[30] La question centrale est celle de savoir si la décision de la SAR était déraisonnable. En ce qui concerne les doutes soulevés au sujet de l’équité procédurale, j’évaluerai si la décision du tribunal administratif était correcte, conformément à la norme applicable.

VI. Norme de contrôle applicable

[31] D’après l’ensemble des observations écrites présentées à la Cour, les parties semblent être légèrement en désaccord sur la norme de contrôle applicable. En toute déférence, en dehors de la seule question relative à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. J’examinerai ci‑après la jurisprudence relative aux deux normes.

A. La norme de la décision raisonnable

[32] Fait important, dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] précise que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins qu’il y ait des « circonstances exceptionnelles ». La Cour suprême du Canada nous enseigne ceci :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Dans le même sens, la Cour d’appel fédérale a récemment conclu dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237 [Doyle] que, lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de les remettre en question :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Plus généralement, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, le juge Rowe, qui s’exprimait au nom de la majorité, a expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences que doit respecter la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « […] ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[35] De plus, dans la décision Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, la juge Kane, de la Cour fédérale, a mentionné qu’il fallait faire preuve de déférence en vers les tribunaux administratifs :

[14] En ce qui a trait à l’analyse de la Commission portant sur la crédibilité et le caractère vraisemblable, vu son rôle en tant que juge des faits, les conclusions de la Commission justifient une importante déférence : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, [2012] ACF no 924, au paragraphe 65.

[15] Toutefois, cela ne signifie pas que les décisions de la Commission jouissent d’une immunité eu égard au contrôle judiciaire lorsqu’une intervention est justifiée. Dans Njeri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 291, [2009] ACF no 350, le juge Phelan a déclaré ce qui suit :

[11] En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[12] Toutefois, la retenue n’est pas un chèque en blanc. Le décideur doit donner les motifs qui l’ont amené à tirer une conclusion justifiable. C’est avec beaucoup de réticence que j’ai conclu que la décision de la Commission ne satisfaisait pas à la norme de contrôle.

B. La norme de la décision correcte

[36] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie au para 43. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Stratas, affirme qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42. » Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne aussi que dans un arrêt récent, la Cour d’appel fédérale a conclu que le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge Montigny [avec l’accord des juges Near et LeBlanc] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte[.]

[37] Je comprends également que, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Vavilov, la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé d’un tribunal qui procède à un examen selon la norme de la décision correcte :

[50] […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VII. Analyse

A. Les conclusions contradictoires de la SAR

[39] Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR sont contradictoires en ce qui concerne le caractère suffisant de l’article de journal et le poids qui lui a été accordé. Il fait remarquer que la SAR a d’abord déclaré que l’article à lui seul ne suffisait pas à prouver qu’il était la personne visée dans l’article, mais qu’elle lui a ensuite imposé [traduction] « à tort » le fardeau de réfuter l’allégation le concernant.

[40] Le défendeur rejette cet argument. À mon avis, l’allégation du demandeur selon laquelle les conclusions de la SAR sont contradictoires n’est pas corroborée par les motifs de cette dernière. Le défendeur reconnaît que la SAR a déclaré dans ses motifs que l’article de journal à lui seul ne suffisait pas à prouver les allégations de fraude. Toutefois, dans les paragraphes suivants, elle énonce tous les autres points avec lesquels elle a fait des recoupements et sur lesquels elle a fondé sa conclusion, notamment le nom du demandeur, sa ville natale, son employeur, le type d’activités menées par l’entreprise et une autre ville dans laquelle le demandeur avait résidé.

B. L’exclusion au titre de l’alinéa b) de la section F de l’article premier

[41] Il s’agit de la question centrale en l’espèce et de l’élément principal des plaidoiries.

[42] Le demandeur soutient que le ministre a le fardeau de démontrer qu’il existe des « raisons sérieuses » de penser qu’il a commis un « crime de droit commun ». Selon lui, la norme à appliquer pour apprécier la preuve « exige davantage que de simples soupçons, mais est moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités », selon le juge Mosely, dans la décision Mohamad Jawad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 232 :

[27] Le critère des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier s’apparente à la norme de preuve des motifs raisonnables de croire. Cette norme exige davantage que de simples soupçons, mais est moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF), aux paragraphes 4 à 6). Pour satisfaire à ce critère, il faut soumettre des renseignements concluants et dignes de foi (Mugeresa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114).

[…]

[29] Non vérifié, le renseignement que l’indicateur a divulgué à la police ne constituait pas en soi un renseignement convaincant et digne de foi permettant de conclure que le demandeur avait en sa possession de la cocaïne en vue d’en faire le trafic. Il a tout au plus suscité des doutes qui justifiaient une enquête plus approfondie, ce qui s’est soldé, au moment de l’arrestation par la perquisition du véhicule du demandeur. […]

[Non souligné dans l’original.]

[43] Le demandeur soutient que l’article de journal [traduction] « non confirmé » du Ghana n’était pas en soi suffisamment convaincant et digne de foi pour étayer une conclusion d’exclusion au titre de l’alinéa b) de la section F de l’article premier, et qu’il « a tout au plus suscité des doutes qui justifiaient une enquête plus approfondie ».

[44] Le demandeur fait valoir que la SAR n’aurait pas dû se fonder sur l’article sans déterminer la fiabilité de la source d’information dans laquelle il paraissait, soulignant qu’il ne s’agissait pas du New York Times. Il affirme que la source aurait dû faire l’objet d’une enquête, mais que cela n’a pas été fait. De manière plus générale, il soutient que, sur Internet, un innocent peut être qualifié de coupable, et un coupable, d’innocent.

[45] Il critique également le fait que la SAR s’est appuyée sur le contenu de l’article et l’a considéré comme véridique, et il fait valoir que ce contenu aurait également dû être vérifié, mais qu’il ne l’a pas été. Il fait référence à ce que le juge Russel a dit dans la décision Demaria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 489 :

[143] Le poids qui peut être accordé aux articles de journaux dépend largement du contexte et des indices généraux de fiabilité. Dans la décision Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, la juge MacTavish fait la mise en garde suivante :

[39] La preuve en question consistait en des articles de journal, les déclarations de P.A., un affidavit signé par l’agent Anthony Malcolm de la police de Toronto et les résumés des communications téléphoniques interceptées. Je conviens avec l’avocat de M. Thuraisingam que les articles de journal ont très peu de valeur dans ce contexte, mais les autres éléments de preuve démontrent que M. Thuraisingam était profondément impliqué dans les activités des gangs Sellapu et VVT.

[46] À cet égard, le demandeur fait valoir que les articles de journaux ont généralement [traduction] « très peu de valeur probante », et je conviens que telle a été la conclusion tirée dans l’affaire à laquelle le juge Russell a fait référence. Cependant, et en toute déférence, le juge Russell n’a pas considéré cette conclusion comme un argument juridique immuable; il a plutôt conclu que le poids qui peut être accordé aux articles de journaux dépend largement du contexte et des indices généraux de fiabilité, ce à quoi je souscris.

[47] Une telle évaluation contextuelle nécessite notamment l’appréciation et la pondération de la preuve.

[48] Dans ses observations préliminaires, l’avocat du demandeur a convenu, à juste titre et avec égards, que la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve en l’espèce.

[49] Cependant, avec tout mon respect, il semble que c’est ce que le demandeur invite maintenant la Cour à faire, ce qui ne lui est pas permis selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, et l’arrêt Doyle, tous deux précités.

[50] De plus, comme je l’ai déclaré dans la décision Abbas :

[30] En toute déférence, le différend sur ce point se résume à l’appréciation du poids accordé à la preuve dont disposait la SPR. Avant d’examiner cette preuve, je tiens à rappeler que la SPR possède un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de retenir certains éléments de preuve plutôt que d’autres. La SPR a le devoir de déterminer le poids qu’elle attribue à la preuve qu’elle accepte. À ces égards, la SPR a droit à la déférence à titre de juge des faits. La Cour d’appel fédérale a statué que les conclusions de fait et les conclusions quant à la crédibilité constituaient l’essentiel de l’expertise de la SPR : Giron. De plus, la jurisprudence a jugé que la SPR avait l’expertise pour apprécier les demandes d’asile et qu’elle était autorisée par la loi à appliquer ses connaissances spécialisées aux questions dont elle était saisie. De plus, aux termes de l’alinéa 170g) de la LIPR, la SPR n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve.

[Non souligné dans l’original.]

[51] La Cour s’est également penchée sur la question de la fiabilité des articles de journaux dans la décision Abbas :

[40] Comme cela a été mentionné à l’audience, je ne suis pas prêt à accepter ou à accorder beaucoup de poids à ce qui a été rapporté dans les journaux dans cette affaire en particulier. Cela dit, je ne dis certainement pas que la SPR ne peut pas se fonder sur des articles de journaux, ce qu’elle fait souvent et qu’elle a le droit faire dans les affaires dont elle est saisie. Cette décision appartient généralement à la SPR. En appréciant la décision en l’espèce, en fonction du caractère raisonnable dans le cadre du contrôle judiciaire, particulièrement en ce qui a trait à sa justification au regard des faits, j’ai accordé peu de poids aux articles de journaux […]

[Non souligné dans l’original.]

[52] Je note également que l’appel du demandeur devant la SAR ne portait pas sur la fiabilité du site Web ou du journal lui-même, mais plutôt sur la véracité du contenu de l’article – voir les motifs de la SAR, aux paragraphes 9 et 10. Je ne suis pas disposé à blâmer la SAR pour une question que le demandeur a choisi de ne pas soulever devant elle dans son avis d’appel. En effet, la jurisprudence établie de la Cour confirme que, lors d’un contrôle judiciaire, une partie ne peut pas soulever une question dont la SAR n’était pas saisie : Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1123 aux para 6, 22 et 23. Et voir Ogunjinmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 109 aux para 14 à 21, et particulièrement 21 :

[21] On peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné une observation qui ne lui a pas été faite (Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580, au paragraphe 14). Le fait que les demandeurs n’aient pas déposé d’éléments de preuve ni présenté leurs arguments devant la SAR les empêche de les faire valoir pour la première fois dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[53] Il vaut également la peine de mentionner que le demandeur, même s’il a été avisé du dépôt de l’article en preuve, a choisi de ne déposer aucun élément de preuve concernant le site Web ou le journal. C’était son droit, mais il n’en demeure pas moins que l’article de journal était généralement admissible et que la SPR et la SAR pouvaient l’apprécier, ce qu’elles ont fait. Dans ces circonstances, je ne m’étends pas davantage sur la question de la fiabilité du journal et de son site Web en général.

[54] Pour revenir au contenu de l’article de journal, je ne peux que répéter qu’il incombait à la SPR d’apprécier la preuve relative à la fiabilité et à la véracité du contenu, afin de satisfaire au critère des « raisons sérieuses de penser ».

[55] Le demandeur a été informé du dépôt de l’article et a eu toutes les occasions de le mettre en doute, que ce soit en déposant un affidavit pour déclarer qu’il n’était pas la personne visée, en affirmant que l’article était faux ou incomplet, en prétendant avoir un alibi ou en présentant au tribunal administratif d’autres éléments probants ou des motifs pour contester cet article, notamment des éléments de preuve et des arguments avant, pendant ou peut-être même après l’audience. Il est impossible d’énoncer tous les moyens de réfuter la preuve du ministre; il appartient aux avocats de les exploiter et au tribunal administratif de les évaluer.

[56] Le fait est que le demandeur a eu une occasion équitable d’examiner l’article de journal faisant état des accusations portées contre lui et de présenter des observations quant aux raisons pour lesquelles cet article n’était pas fiable.

[57] Il a profité de cette occasion à trois égards. Premièrement, il a déclaré qu’il n’était pas la personne nommée dans l’article. Deuxièmement, il a déposé un affidavit frauduleux dans lequel son cousin parle de son tempérament. Et troisièmement, il a profité de l’occasion pour expliquer pourquoi l’article ne satisfaisait pas au critère juridique prévu à l’alinéa b) de la section F de l’article premier.

[58] En ce qui concerne le premier point, la SAR a examiné les observations du demandeur selon lesquelles il n’est pas la personne décrite, elle a exposé ses motifs, puis elle a rejeté les observations. Je m’en remets au raisonnement de la SAR à cet égard. Je rejette l’invitation du demandeur à apprécier à nouveau la preuve, conformément aux arrêts Vavilov et Doyle, précités.

[59] Il ne me semble pas non plus que la SAR ait commis une erreur en énonçant les critères juridiques applicables en fonction desquels elle devait évaluer s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada. Il incombe à la SAR d’apprécier les conclusions de fait à cet égard et de rendre une décision. Je m’en remets à la SAR et, encore une fois, je décline l’invitation du demandeur à apprécier à nouveau la preuve.

[60] Je refuse également de soupeser à nouveau la conclusion de fraude tirée à l’égard de l’affidavit déposé par le demandeur.

C. L’affidavit frauduleux

[61] Le demandeur a contesté l’évaluation par la SAR d’un affidavit qu’il a présenté. La SAR a conclu qu’il s’agissait d’un affidavit frauduleux. Personne n’a fait valoir que cette conclusion était déterminante et, comme je viens de le mentionner, je ne m’engagerai pas dans une nouvelle appréciation de la preuve à cet égard.

D. L’équité procédurale

[62] Le demandeur soutient également que la SAR aurait commis une erreur en ne tenant pas compte de la façon prétendument inéquitable dont il a été traité compte tenu de sa situation, ce qui, à son avis, constitue un manquement à l’équité procédurale. Cette question concerne une demande que la SPR a présentée au conseil du demandeur afin d’obtenir des observations après l’audience sur les fourchettes de peines, demande à laquelle elle n’a apparemment pas obtenu de réponse en raison d’un changement d’adresse. Elle a été examinée attentivement en appel devant la SAR, et la plainte a été rejetée au motif qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui.

[63] Personne n’a affirmé que cette question était déterminante. Le défendeur soutient que la SAR a pris toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que le demandeur soit au courant de sa demande. Compte tenu des actions de la SPR, de l’absence de réponse du demandeur et de son conseil de l’époque, ainsi que de la multitude de règles de la SPR qui exigent que les demandeurs fassent preuve de vigilance en ce qui concerne leurs coordonnées et qu’ils informent la SAR de tout changement, le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. J’ai examiné cette question selon la norme de la décision correcte et je suis du même avis que le ministre.

VIII. Conclusion

[64] À mon humble avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR est incorrecte ou déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

IX. Question certifiée

[65] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7564-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7564-21

 

INTITULÉ :

EMMANUEL KWEKU GYATENG c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Marc J. Herman

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Herman & Herman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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