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Date : 20221212


Dossier : IMM-3501-22

Référence : 2022 CF 1706

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

FATEMEH SAHRAEI NAMIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse est une citoyenne de l’Iran âgée de 37 ans qui a présenté une demande de permis d’études au Canada. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 4 février 2022 par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis d’études en application du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 [le RIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse a atteint son grade de bachelière en génie agricole — sélection des végétaux le 22 mai 2008 et travaille à Green House 233 à titre de directrice des serres depuis août 2008. Elle a ensuite décroché une maîtrise en génie agricole — sélection des végétaux de l’université islamique d’Azad à Téhéran le 21 janvier 2015.

[4] Le 7 décembre 2021, la demanderesse a reçu une lettre d’admission de l’université Trinity Western située à Langley en Colombie-Britannique pour une maîtrise en administration des affaires [le programme]. Elle a sollicité de son employeur la permission de s’absenter pour étudier, ce qui lui a été accordé.

[5] Le 4 février 2022, l’agent des visas a rejeté la demande présentée par la demanderesse au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour au vu a) de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, et b) du but de sa visite. Les motifs de la décision de l’agent sont consignés dans ses notes tirées du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] :

[traduction]

J’ai examiné la demande. J’ai tenu compte des facteurs favorables mis en exergue par la demanderesse, y compris les déclarations et d’autres éléments de preuve. La demanderesse est âgée de 37 ans et a présenté une demande d’admission pour entreprendre un MBA à l’université de Trinity Western. Je fais observer que le projet d’études de la demanderesse n’est pas raisonnable du fait qu’elle indique avoir obtenu une maîtrise en génie agricole, sélection des végétaux en Iran. Elle travaille comme directrice à Green House 233 depuis 2008. Le plan d’études ne me semble pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’emploi et d’études. Je constate ce qui suit : — les études antérieures de la cliente étaient dans un domaine distinct — la cliente a accompli des études d’un degré supérieur que les études qu’elle se propose de faire au Canada — les études envisagées par la cliente ne sont par raisonnables compte tenu de son parcours professionnel. Examen de la lettre d’explication de la cliente. La demanderesse ne soulève pas de raisons suffisamment impérieuses pour me convaincre que ce programme d’études serait à son avantage. Les explications fournies ne suffisent pas à établir comment celui-ci l’avantagerait ni comment les cours sélectionnés lui ouvriraient plus de portes sur le marché du travail au pays. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je souligne ce qui suit : — la demanderesse est mariée, a des personnes à charge ou déclare entretenir de solides liens familiaux dans son pays d’origine, mais elle n’est pas suffisamment établie. La demanderesse n’a pas démontré des liens assez solides la rattachant à son pays de résidence. Les relevés bancaires fournis ne font pas état d’un résumé des transactions, ce qui rend impossible la confirmation de la provenance des fonds. La demanderesse ne me persuade pas qu’elle est une véritable étudiante qui cherche activement à poursuivre ses études et, par conséquent, j’ai le souci qu’elle pourrait chercher à entrer au Canada pour une autre raison que celle d’affermir son instruction. Le but de son séjour ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socio-économique de la demanderesse, et je ne suis donc pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. Pondération des facteurs de la présente demande. De ce fait, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

[6] La demanderesse demande à la Cour d’infirmer la décision. Elle prétend que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle est dénuée d’une analyse rationnelle fondée sur les faits et la preuve. Elle prétend également que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses conclusions relatives à la crédibilité.

[7] Comme je l’explique plus loin, j’estime que la décision n’est pas raisonnable. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’argument relatif à l’équité procédurale.

III. Analyse

[8] La norme de contrôle applicable dans de tels cas est celle de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85. Il incombe à la demanderesse de convaincre la Cour « que les lacunes ou les déficiences invoquées étaient suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable » (Vavilov, au paragraphe 100). Une décision raisonnable se justifie au regard des faits et « [son] caractère raisonnable […] peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[9] La Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers la décision de l’agent des visas et ses motifs peuvent être succincts (Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 [Lingepo] au para 13; Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 [Musasiwa] au para 22. Toutefois, une décision est jugée raisonnable si elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85; Lingepo au para 13; Musasiwa au para 22.

[10] À mon avis, le rejet par l’agent de la demande de permis d’études est déraisonnable parce qu’il ne fait montre d’aucune analyse rationnelle fondée sur la preuve. Plus précisément, les motifs de l’agent ne fournissent aucun fondement rationnel pour conclure que le désir d’étudier de la demanderesse [traduction] « ne semble [pas] raisonnable » et qu’elle n’est pas « suffisamment établie » en Iran. Je vais expliquer pourquoi.

[11] Premièrement, en ce qui concerne le plan d’études de la demanderesse, les motifs de l’agent sont ancrés dans une interprétation erronée de la preuve. L’agent a conclu que la formation antérieure de la demanderesse était d’un degré supérieur à celui des études envisagées au Canada. Toutefois, cette conclusion est inexacte puisque sa formation antérieure et son programme d’études envisagé au Canada sont tous deux des programmes de maîtrise d’un niveau équivalent.

[12] La conclusion de l’agent portant que [traduction] « [l]e plan d’études ne me semble pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’emploi et d’études » n’est tout simplement pas étayée par la preuve versée à son dossier. Le défendeur fait valoir que le plan d’études de la demanderesse était trop lacunaire pour être utile à l’agent. Toutefois, elle avait indiqué dans sa demande que l’objectif visé par l’obtention d’un diplôme supplémentaire était d’acquérir des compétences pratiques dans son domaine. Elle avait également ajouté que le seul obstacle qui se dresse devant elle et qui l’empêche de démarrer sa propre entreprise est son manque de connaissance et de compétences en leadership et que les deux ans nécessaires pour décrocher son diplôme de MBA seraient un investissement qui lui servirait pour le reste de sa vie. La demanderesse est limpide quant aux répercussions favorables que le programme aura pour son avancement professionnel. L’agent est coi quant aux raisons pour lesquelles le programme choisi n’est pas raisonnable au vu des objectifs professionnels de la demanderesse.

[13] Deuxièmement, la conclusion de l’agent voulant que la demanderesse n’ait [traduction] « pas démontré des liens assez solides la rattachant à son pays de résidence » et qu’elle n’est [traduction] « pas suffisamment établie » manque de transparence, de justification et d’intelligibilité au vu de la preuve produite.

[14] L’agent déclare dans sa lettre de décision que la demande de permis d’études est rejetée, en partie au vu des « liens familiaux [de la demanderesse] au Canada », cependant la demanderesse n’entretient pas de tels liens.

[15] Quant à ses liens familiaux en Iran, elle a déclaré dans sa demande qu’elle est mariée et est mère d’une fillette âgée de huit ans, et que tant son époux que son enfant allaient rester en Iran pendant qu’elle étudie au Canada. Le formulaire de renseignements sur la famille fait également état de ses parents et de sa sœur qui vivent en Iran. Elle travaille également pour le même employeur depuis juin 2008 et a l’intention de continuer à travailler pour celui-ci à titre de directrice à son retour en Iran.

[16] Bien qu’il est présumé qu’un agent des visas a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il dispose, à mon sens, l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve essentiels qui vont dans le sens inverse de la décision et il s’est abstenu de se pencher convenablement sur la force des liens qui retiendraient la demanderesse en Iran.

[17] Le défendeur relève dans son mémoire des arguments différents faits au dossier qui corroboreraient les conclusions tirées par l’agent. Ceux-ci comprennent la disponibilité de programmes similaires en Iran pour un coût moindre, l’absence de preuve sur l’existence de propriété possédée par la demanderesse en Iran, la preuve lacunaire visant à démontrer que des membres de la famille de la demanderesse ont besoin de son soutien, et le silence de la demanderesse quant à ses tentatives antérieures de demander du travail au Canada. Bien qu’il puisse s’agir de facteurs valides, il n’est pas loisible à l’avocat agissant au nom de l’agent de confectionner ses propres motifs pour étayer la décision. Si elle se tient, la décision doit se suffire à elle-même au vu de ses motifs : Torkestani c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2022 CF 1469 au para 20.

IV. Conclusion

[18] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[19] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3501-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

Vide

« Roger R. Lafrenière »

Vide

 

Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3501-22

 

INTITULÉ :

FATEMEH SAHRAEI NAMIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Alireza Eftekhardadkhah

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Samson Rapley

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alireza Eftekhardadkhah

Avocate

Infinity Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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