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Date : 20221201


Dossier : T-1749-21

Référence : 2022 CF 1650

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DIVERT, INC.

demanderesse

et

RESOURCE RECOVERY FUND BOARD INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Resource Recovery Fund Board Inc [RRFB] a demandé l’enregistrement de la marque de commerce DIVERT NS en vue de son emploi en liaison avec divers services associés au réacheminement des déchets, revendiquant son emploi depuis le 16 mai 2016. Divert, Inc. s’est opposée à la demande de RRFB au motif notamment qu’elle n’était pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, puisque RRFB n’avait en réalité pas employé la marque DIVERT NS avant le lendemain, soit le 17 mai 2016. Le registraire des marques de commerce, siégeant à titre de Commission des oppositions des marques de commerce, a rejeté l’opposition de Divert : 2021 COMC 209. Pour ce qui est du motif fondé sur l’alinéa 30b), le registraire a conclu que Divert ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve. Divert a interjeté appel de la décision du registraire, contestant uniquement la conclusion de ce dernier sur le motif fondé sur l’alinéa 30b).

[2] L’appel sera rejeté. Malgré les arguments contraires de Divert, la conclusion du registraire selon laquelle Divert ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve est une question mixte de fait et de droit qui ne présente pas de question de droit isolable. En particulier, je ne vois aucune raison de conclure que le registraire a appliqué le mauvais critère juridique ou la mauvaise définition du terme « emploi » dans son évaluation de la question. Étant donné qu’aucune des parties n’a déposé de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel, les conclusions mixtes de fait et de droit du registraire sont susceptibles de contrôle selon la norme de « l’erreur manifeste et déterminante ». Il était loisible au registraire de conclure, au vu des éléments de preuve, que Divert n’avait relevé aucune incohérence claire dans la preuve de RRFB concernant la date de premier emploi pour s’acquitter de son fardeau de preuve, et le registraire n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante lorsqu’il a tiré cette conclusion.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[3] Divert soulève trois questions en litige dans le présent appel :

[4] Les parties conviennent, comme moi, qu’étant donné qu’aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé dans le présent appel en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, les normes de contrôle applicables en appel s’appliquent : Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76 aux para 22-23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 17, 36-37. Ainsi, la Cour appliquera la norme de la décision correcte aux questions de droit, mais ne modifiera les conclusions de fait – ou mixtes de fait et de droit lorsqu’il n’y a pas de question de droit isolable – que si le registraire a commis une « erreur manifeste et déterminante »: Clorox, au para 23; Vavilov, au para 37, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 19, 26-37.

[5] Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les trois questions en litige soulevées par Divert sont des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit. Divert soutient qu’elles concernent toutes des erreurs de droit pur relatives au fardeau de preuve, à la preuve de premier emploi et à la signification du terme « emploi », respectivement. Par contre, RRFB fait valoir qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit relatives à la question de savoir si Divert s’est acquittée de son fardeau de preuve, à la question de savoir si RRFB a déposé une preuve suffisante de son premier emploi et aux inférences que le registraire a tirées à partir de la preuve disponible concernant l’« emploi » de la marque de commerce.

[6] Étant donné que la norme de contrôle applicable dépend de la nature des arguments, j’aborderai cette question dans mon analyse des questions en litige ci-dessous. En résumé, cependant, je suis d’accord avec RRFB pour dire que chacun des arguments présentés par Divert exprime son désaccord avec le registraire quant à ses conclusions fondées sur la preuve particulière dont il était saisi; le registraire n’a pas mal énoncé le droit applicable ou commis une erreur de droit isolable. La norme de l’erreur manifeste et déterminante s’applique donc.

III. Analyse

A. Le registraire n’a pas commis d’erreur en concluant que Divert ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial

(1) La demande d’enregistrement de marque de commerce et l’opposition

[7] Lorsque RRFB a produit sa demande d’enregistrement de la marque de commerce DIVERT NS en août 2016, l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce exigeait que le requérant indique si la demande était fondée sur l’emploi antérieur ou sur l’emploi projeté de la marque de commerce au Canada. Si la demande était fondée sur l’emploi antérieur, l’alinéa 30b) exigeait qu’elle contienne la date à compter de laquelle le requérant avait employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande. Étant donné que la demande d’enregistrement a été annoncée en janvier 2018, ces dispositions de la Loi sur les marques de commerce dans leur version antérieure aux modifications importantes apportées à la Loi en juin 2019 s’appliquaient dans le cadre de la procédure d’opposition : Loi sur les marques de commerce, art 70(1)a).

[8] RRFB a demandé l’enregistrement de la marque de commerce DIVERT NS en vue de son emploi en liaison avec divers services se rapportant largement à l’information, à la sensibilisation, à l’expertise, au financement et à la promotion de l’innovation dans le domaine du [traduction] « réacheminement des déchets ainsi que de la réduction, de la réutilisation, du recyclage et de la récupération de ressources ». La demande de RRFB indiquait qu’elle avait employé la marque de commerce DIVERT NS en liaison avec les services énumérés dans la demande depuis au moins le 16 mai 2016.

[9] Divert s’est opposée à la demande de RRFB. L’un de ses motifs d’opposition, fondé sur l’alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce alors en vigueur, était que la demande de RRFB n’était pas conforme aux exigences de l’alinéa 30b), parce que RRFB avait déclaré à tort qu’elle avait employé sa marque au Canada en liaison avec tous les services énoncés dans la demande. Divert a également soulevé d’autres motifs fondés sur la confusion avec sa propre marque DIVERT, motifs qui ne sont pas en cause dans le présent appel.

[10] À l’appui de son opposition, Divert a déposé un affidavit de l’un de ses dirigeants. Cet affidavit parlait de l’adoption et de l’emploi par Divert de la marque de commerce DIVERT, mais non de l’emploi par RRFB de DIVERT NS.

[11] RRFB a déposé un affidavit de son PDG, Jeff MacCallum, portant sur son entreprise de la Nouvelle-Écosse et sur l’emploi de la marque de commerce DIVERT NS. Dans le corps de son affidavit, M. MacCallum a fait les déclarations suivantes :

[traduction]

RRFB emploie Divert NS en tant que nom commercial et marque de commerce au Canada depuis au moins le 16 mai 2016. Depuis mai 2016 et sans interruption depuis, RRFB emploie le nom commercial et la marque de commerce Divert NS et les dessins-marques et logos connexes pour les services suivants : [une liste des services énoncés dans la demande suit].

[Non souligné dans l’original.]

[12] M. MacCallum a ensuite parlé de l’élaboration du nom commercial et de la marque de commerce DIVERT NS, et du changement de l’image de marque de son entreprise à l’aide de cette marque de commerce. Il a joint en tant qu’annexe un certain nombre de documents se rapportant à la période allant de janvier 2016, lorsqu’une firme de relations publiques a présenté la nouvelle marque et le logo aux employés et aux membres du conseil d’administration de RRFB, à juin 2016, lorsque RRFB a signé un contrat avec un tiers pour la formation en gestion. L’un de ces documents était un courriel que M. MacCallum a envoyé à un autre employé de RRFB le 17 mai 2016, dans lequel il a joint une annonce concernant la nouvelle image de marque, soit DIVERT NS. L’annonce indiquait : [traduction] « Dans les semaines à venir, vous verrez des changements tenant compte de notre nouvelle marque et de notre nouvelle orientation : de notre logo à nos signatures électroniques, en passant par les affiches dans nos bureaux et notre site Web. » Le même jour, l’employé en question a transmis le courriel de M. MacCallum aux autres employés de RRFB, en disant : [traduction] « C’est officiel, nous pouvons maintenant nous appeler Divert NS. » Le courriel de l’employé indiquait également que la société avait [traduction] « lancé une nouvelle page d’accueil pour notre site Web » ce jour-là et avait envoyé le message de M. MacCallum à sa liste d’intervenants.

[13] L’affidavit de M. MacCallum comportait également des exemples de l’emploi de la marque de commerce DIVERT NS par RRFB sur du papier à en-tête, des chèques, du matériel promotionnel et éducatif et des affiches extérieures, indiquant qu’ils étaient représentatifs de l’emploi de la marque de commerce DIVERT NS [traduction] « depuis mai 2016 et sans interruption depuis ».

[14] Aucun des déposants n’a été contre-interrogé concernant leur affidavit. Dans ses arguments écrits au registraire, Divert a soutenu que RRFB n’avait pas employé la marque DIVERT NS en liaison avec les services le 16 mai 2016 ou avant et, en particulier, que les éléments de preuve démontraient l’emploi de la marque au plus tôt le lendemain, soit le 17 mai 2016.

(2) La décision du registraire

[15] Le registraire a rejeté l’opposition de Divert. En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), le registraire a conclu que Divert ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial. Le registraire a reconnu que le fardeau initial d’un opposant n’est pas très lourd et que celui-ci peut y satisfaire en se servant de sa preuve et de celle du requérant : Corporativo de Marcas GJB, SA de CV c Bacardi & Company Ltd, 2014 CF 323 [Marcas] au para 30, citant Ivy Lea Shirt Co Ltd v 12277624 Ontario Ltd, [1999] TMOB No 182; Brasserie Labatt Ltée c Brasseries Molson, [1996] ACF no 729 aux para 38-42. Toutefois, le registraire a conclu que la preuve invoquée par Divert ne mettait pas en cause la date de premier emploi revendiquée.

[16] Le raisonnement du registraire sur cette question consistait essentiellement en quatre points :

  • Étant donné que Divert n’a pas déposé de preuve, RRFB n’avait pas l’obligation de présenter des éléments de preuve pour justifier sa date d’emploi revendiquée.

  • Bien que Divert se soit concentrée sur le courriel concernant le changement de l’image de marque officielle et le lancement du site Web, les services énumérés dans la demande n’étaient pas destinés uniquement à être fournis en ligne. Le registraire n’était donc pas prêt à supposer que le premier emploi de la marque par RRFB aurait été effectué par l’intermédiaire du site Web.

  • Compte tenu de la déclaration de M. MacCallum selon laquelle RRFB avait employé la marque au Canada depuis le 16 mai 2016 et compte tenu de la preuve concernant l’élaboration de la marque dans les mois précédant cette date, le registraire n’était pas prêt à supposer qu’aucun emploi de la marque n’avait eu lieu avant le 17 mai 2016.

  • En fin de compte, l’affidavit de M. MacCallum n’était pas clairement incompatible avec la date de premier emploi revendiquée du 16 mai 2016.

[17] Le registraire a également rejeté les autres motifs invoqués par Divert, principalement parce que Divert n’avait pas établi qu’elle avait employé sa marque de commerce au Canada en liaison avec les services avant la date pertinente.

(3) Le registraire n’a pas commis d’erreur

a) La norme de contrôle

[18] Divert affirme que le registraire a commis une erreur de droit en concluant qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial. Toutefois, les arguments de Divert ne font état d’aucune erreur dans l’énoncé du droit applicable par le registraire. Au contraire, son énoncé du droit concorde avec les propres affirmations de Divert au sujet des principes de droit applicables en matière de fardeau et de preuve à l’égard d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b).

[19] Dans ses observations orales, Divert a soutenu que la Commission des oppositions des marques de commerce a résumé le droit applicable au paragraphe 36 de la décision récente I Quint Group Inc c Quintcap Inc, 2021 COMC 281. Je suis d’accord. La membre qui a rendu la décision I Quint a exposé correctement les principes applicables : i) la date pertinente est la date de production de la demande; ii) l’opposant a le fardeau de preuve initial d’établir les faits à l’appui de son allégation concernant la date de premier emploi revendiquée; iii) dans la mesure où le requérant a plus facilement accès aux faits, le fardeau de preuve qui incombe à l’opposant est moins lourd; iv) il est possible de s’acquitter de ce fardeau en renvoyant à la preuve du requérant; (v) pour s’acquitter de son fardeau de preuve en s’appuyant sur la preuve du requérant, l’opposant doit démontrer que la preuve « est nettement incompatible avec les revendications contenues dans la demande du requérant ou les conteste »; (vi) le requérant n’est pas tenu de prouver l’exactitude de la date de premier emploi qu’il revendique si cette date n’a pas d’abord été mise en doute par un opposant s’acquittant de son fardeau de preuve : I Quint, aux para 16, 36, citant, entre autres, Labatt et Marcas. Ces principes concordent avec l’énoncé du droit formulé par le registraire en l’espèce.

[20] Par ailleurs, je tiens à mentionner que je ne souscris pas à l’argument de RRFB, fondé sur la décision Revenue Properties Company Limited c Colonnade Restaurant (Ottawa) Limited, 2016 COMC 134 [Revenue Properties], rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce, selon lequel l’opposant qui s’appuie sur la preuve du requérant doit satisfaire à une norme de « prépondérance des probabilités » pour s’acquitter de son fardeau initial. RRFB a soutenu que la Commission avait, dans cette affaire, appliqué une norme de « prépondérance des probabilités » plus élevée dans le cadre du fardeau de preuve de la requérante, en se fondant sur la décision Marcas rendue par la Cour : Revenue Properties, aux para 34-35, citant Marcas, aux para 30-37. Dans la mesure où on peut considérer que cette conclusion a été tirée dans la décision Revenue Properties, je pense que la Commission interprète mal la décision Marcas et, par conséquent, le fardeau de la preuve.

[21] En particulier, selon moi, la décision Marcas n’établit pas que la norme de la prépondérance des probabilités est applicable lorsque l’opposant s’appuie sur la preuve de premier emploi du requérant. Le juge Rennie, alors juge à la Cour fédérale, tentait plutôt de concilier la notion de fardeau de preuve « léger » et la notion de norme de la preuve « nettement incompatible », précisant que chacune se rapportait en fin de compte à l’évaluation des éléments de preuve et que le fait d’accorder une importance excessive au fardeau de preuve pouvait détourner l’attention de la question principale dans le contexte d’une opposition (en supposant que l’opposant se soit acquitté de son fardeau initial), soit celle de savoir si l’emploi ou le non-emploi a été démontré selon la prépondérance des probabilités : Marcas, aux para 36-37. Dans l’affaire dont il était saisi, le juge Rennie a pu facilement conclure que, indépendamment du déplacement du fardeau de preuve ou de la norme qui devait être appliquée en fin de compte, l’opposante s’était acquittée de son fardeau : Marcas, au para 38. Le juge Rennie a par la suite confirmé la conclusion du registraire selon laquelle l’opposante s’était acquittée de son « fardeau initial peu exigeant » et conclu que ses conclusions étaient conformes à l’obligation de démontrer que la preuve était « nettement incompatible » avec la date revendiquée : Marcas, aux para 47-50.

[22] De même, en l’espèce, le registraire a reconnu le fardeau de preuve léger de l’opposante et le fait que, pour s’acquitter de ce fardeau, elle devait démontrer une nette incompatibilité dans la preuve de la requérante. Le registraire a conclu que la requérante s’était acquittée du fardeau qu’il lui incombait. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence citée par le registraire, y compris la décision Marcas, et à celle invoquée par Divert.

[23] À mon avis, Divert fait essentiellement valoir que le registraire aurait dû arriver à un résultat différent en appliquant les règles de droit à la preuve dont il était saisi. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit : 1648074 Ontario Inc c Akbar Brothers (PVT) Ltd, 2019 CF 1305 aux para 29-30. La nature des arguments de Divert est confirmée par le fait que Divert a fait référence aux éléments de preuve, a demandé à la Cour d’arriver à une conclusion différente quant aux inférences à en tirer et a fait valoir que ses arguments étaient suffisants pour satisfaire au fardeau de preuve initial.

[24] En plaidant en faveur de la norme de la décision correcte, Divert invoque la décision de la Cour dans l’affaire The Chamberlain Group, Inc c Lynx Industries Inc, 2010 CF 1287. Au paragraphe 46 de cette décision, la Cour semble indiquer que le fait que le registraire n’a pas donné suffisamment de poids aux éléments de l’analyse relative à la confusion était une erreur de droit. Il est quelque peu incertain de savoir quelle norme la Cour a appliquée dans cette affaire, puisqu’elle a fait référence à la fois à la norme de la décision correcte et au concept d’« examen assez poussé » utilisé pour appliquer la norme intermédiaire de la « décision raisonnable simpliciter » qui existait alors en droit administratif canadien : Chamberlain, aux para 29-30, 33, 46-47, citant Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 40.

[25] Dans la mesure où la Cour a conclu, dans la décision Chamberlain, que le poids à accorder aux facteurs relatifs à la confusion était une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte, cette conclusion semble avoir été remplacée par la confirmation plus récente de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la norme de l’erreur manifeste et déterminante s’applique à cette évaluation en appel : Groupe III International Ltd c Travelway Group International Ltd, 2017 CAF 215 au para 57. Quoi qu’il en soit, le poids à accorder à des éléments de preuve particuliers dans une évaluation factuelle, les inférences à en tirer et la question de savoir si la preuve montre que la norme applicable a été respectée sont clairement des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de l’erreur manifeste et déterminante : Housen, aux para 23, 26; voir aussi Monster Cable Products, Inc c Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137 aux para 6-7, où la norme de la décision raisonnable a été appliquée mais qui s’applique également à la norme de l’erreur manifeste et déterminante.

b) Les erreurs alléguées

[26] Divert soutient qu’elle s’est acquittée de son fardeau en démontrant que RRFB n’avait pas fourni d’éléments de preuve clairs de son emploi de la marque de commerce à la date revendiquée, même si Divert l’avait avisée de son opposition fondée sur l’alinéa 30b). Essentiellement, Divert a demandé à la Commission, et demande maintenant à la Cour, d’inférer de la preuve présentée par RRFB – en particulier le courriel du 17 mai 2016 au sujet du lancement du site Web, l’absence de preuve documentaire montrant l’emploi le 16 mai 2016 ou avant et la nature simpliste des affirmations de M. MacCallum au sujet de la date de premier emploi du 16 mai 2016 – qu’il y avait une « nette incompatibilité » entre la preuve et la date de premier emploi revendiquée. La Commission n’était pas disposée à tirer ces inférences, compte tenu (i) du fait que RRFB n’était pas tenue de présenter des éléments de preuve à l’appui de la date d’emploi revendiquée, (ii) des déclarations de M. MacCallum au sujet de l’emploi, (iii) de la nature des services énumérés dans la demande et (iv) des autres éléments de preuve avant la date revendiquée. Il n’appartient pas à la Cour de tirer ses propres conclusions ou de substituer sa propre évaluation de la preuve à celle du registraire. Dans les circonstances, il était loisible au registraire de tirer cette conclusion, compte tenu de la preuve. Il n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante.

[27] Divert soutient également que le registraire a commis une erreur en s’appuyant sur les déclarations de M. MacCallum au sujet de l’emploi. Elle soutient que les simples déclarations d’emploi sont insuffisantes, en se fondant sur des décisions relatives à des demandes de radiation sommaire présentées en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, comme les décisions Smart & Biggar LLP c MMG Management Consulting Inc, 2021 COMC 190, aux paragraphes 11 et 12, et Plough (Canada) Ltd v Aerosol Fillers Inc, [1981] 1 FC 679 (CA), aux paragraphes 9 et 10. Toutefois, dans une procédure fondée sur l’article 45, l’inscrivant a le fardeau de produire une preuve d’emploi, car le registraire peut radier ou modifier l’enregistrement de la marque de commerce si l’inscrivant n’a pas fourni une preuve suffisante indiquant l’emploi de la marque : Loi sur les marques de commerce, art 45(1), (3); Plough, aux para 9-10. Le requérant qui est visé par une opposition fondée sur l’alinéa 30b) n’est pas assujetti à la même obligation, comme l’a conclu le registraire. Le registraire avait le droit de tenir compte de ce principe, de même que de l’ensemble de la preuve dont il était saisi, pour en arriver à sa conclusion, et il n’appartient pas à la Cour de remettre en question cette évaluation des éléments de preuve : Monster Cable, aux para 6-7; Housen, au para 23.

[28] Divert invoque également une affaire dans laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce a tiré des inférences et des conclusions différentes compte tenu des éléments de preuve dont elle était saisie : Coca-Cola Ltd v Compagnie Française de Commerce International Cofci, SA, [1991] TMOB No 93. Toutefois, le fait qu’un autre décideur puisse avoir tiré des inférences différentes dans une autre affaire, même si la preuve et les circonstances étaient semblables, ne peut limiter la capacité du registraire de tirer des inférences de la preuve dont il est saisi dans une affaire ultérieure et ne constitue pas une erreur manifeste et déterminante. En l’espèce, le registraire n’était pas disposé à tirer l’inférence que Divert lui demandait de tirer, à savoir que le courriel du 17 mai 2016 concernant le lancement du site Web indiquait qu’il n’y avait eu aucun emploi avant cette date, et que cela était incompatible avec la date d’emploi revendiquée du 16 mai 2016. Le registraire n’était pas obligé de tirer cette inférence de la preuve dont il était saisi, et son refus de le faire n’était pas une erreur.

[29] Enfin, sur ce point, Divert soutient que le registraire a commis une erreur en se référant à des [traduction] « hypothèses ». Encore une fois, je ne suis pas d’accord. Divert avait demandé au registraire d’inférer que le lancement du site Web le 17 mai 2016 signifiait qu’il n’y avait pas d’emploi antérieur. Le registraire a conclu qu’une telle inférence reposait sur l’hypothèse selon laquelle le premier emploi par la société était sur le site Web, et il n’était pas disposé à accepter cette hypothèse. Dans les circonstances, il était possible pour le registraire de faire ce raisonnement, et je ne peux pas conclure de ses motifs qu’il a mal compris ou mal présenté son rôle dans l’évaluation de la preuve.

B. Le registraire n’a pas appliqué le mauvais critère juridique au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b)

[30] Les arguments de Divert sous cette rubrique sont en grande partie parallèles; ils répètent en fait ses arguments sur la première question. Divert ne soulève aucune erreur de droit, encore moins une erreur de droit nouvelle ou différente. Au contraire :

  • elle affirme à nouveau que RRFB n’a pas fourni de preuve d’emploi avant le 17 mai 2016;

  • elle renvoie à d’autres affaires où le registraire a tiré des inférences différentes à partir d’éléments de preuve différents : Canadian Olympic Assn v Nexa Corp, 1990 CarswellNat 1384 aux para 12-16; Kim Gibbons Inc c Brett, 2020 COMC 45 au para 34;

  • elle réitère ses arguments au sujet du fait que le registraire a mal formulé des hypothèses et au sujet de simples déclarations d’emploi;

  • elle demande à la Cour de conclure que la preuve de RRFB montrait que la date de premier emploi était postérieure au 16 mai 2016 et que le registraire aurait donc dû accueillir l’opposition et rejeter la demande.

[31] Encore une fois, ces arguments concernent l’appréciation de la preuve par le registraire et l’application du critère juridique aux faits dont il était saisi. Ils ne soulèvent pas d’erreur de droit isolable, et la norme de l’erreur manifeste et déterminante s’applique. Étant donné que ces arguments sont essentiellement les mêmes que ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la première question, je ne répéterai pas l’analyse qui précède. Je ferai simplement remarquer que, pour les motifs donnés, je conclus qu’aucun des arguments ne démontre que le registraire a commis une erreur manifeste et déterminante.

[32] Dans le cadre de cette question en litige, Divert soutient également que la preuve de la présentation de la marque par RRFB à ses employés à l’interne ne démontre pas son « emploi » au sens de la Loi sur les marques de commerce. Les arguments à cet égard sont les mêmes que ceux qui sont présentés dans le cadre de la troisième question, que je vais maintenant aborder.

C. Le registraire n’a pas commis une erreur en évaluant l’« emploi » suivant l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce

[33] Divert n’a pas insisté sur ses arguments relatifs à l’« emploi » à l’audience, faisant remarquer qu’il s’agissait d’une question qui se serait plutôt posée si le registraire avait conclu qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve. En tout état de cause, je ne peux conclure que le registraire a commis une erreur dans son approche quant à la question de l’« emploi » ou dans son évaluation de l’emploi de la marque de commerce DIVERT NS par RRFB.

[34] Divert précise à juste titre qu’au sens de la Loi sur les marques de commerce une marque est « employée » en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services : Loi sur les marques de commerce, art 2 (« emploi »), 4(2). Elle fait valoir que le registraire a commis une erreur dans son approche relative à l’emploi en renvoyant à la preuve concernant « l’élaboration et la mise à l’essai par [RRFB] de la marque dans les mois précédant » le 16 mai 2016.

[35] Divert soutient que le registraire a conclu que la présentation et la communication à l’interne de la marque de commerce DIVERT NS par RRFB constituaient un « emploi » aux fins de l’application du paragraphe 4(2) et de l’alinéa 30b), même si la marque de commerce n’était pas employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ses services. Si le registraire avait effectivement tiré cette conclusion, je suis d’accord avec Divert pour dire que cela aurait été une erreur, peut-être même une erreur de droit. En effet, RRFB ne le nie pas. Or, comme l’a fait remarquer RRFB, l’argument de Divert pose problème parce que le registraire n’a pas tiré cette conclusion. Il n’a pas conclu que la présentation ou la communication à l’interne de la marque par RRFB constituait un emploi. Il a plutôt fait référence à l’ensemble de la preuve, y compris la preuve de l’élaboration à l’interne de la marque, lorsqu’il a refusé d’inférer que le lancement du site Web constituait le premier emploi de la marque, comme Divert l’avait exhorté à le faire. Par conséquent, il a conclu que Divert n’avait pas démontré qu’il y avait une nette incompatibilité entre la date de premier emploi revendiquée et le courriel concernant le lancement du site Web, et qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau. Là encore, ce sont des questions qui concernent l’évaluation de la preuve par le registraire, à l’égard desquelles le registraire n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante.

[36] Il convient également de noter que l’argument de Divert selon lequel le registraire a commis une erreur dans son approche relative à l’« emploi » impute certes au registraire une conclusion quant au motif fondé sur l’alinéa 30b) qui n’existe pas dans ses motifs, mais il va aussi directement à l’encontre de l’analyse claire et correcte de l’emploi en liaison avec les services menée par le registraire dans le contexte de son analyse des motifs d’opposition fondés sur le paragraphe 16(1).

IV. Conclusion

[37] Étant donné que Divert n’a pas relevé d’erreur de droit ni démontré que le registraire a commis une erreur manifeste et déterminante dans ses conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit, l’appel doit être rejeté.

[38] Bien qu’aucune des parties n’ait déposé de mémoire de dépens, Divert a demandé des dépens de 7 000 $ si elle obtenait gain de cause, un montant qui se situe au milieu de la colonne III. RRFB a soutenu que, si c’était elle qui avait gain de cause, elle devrait se voir adjuger des dépens de 15 000 $ ou, subsidiairement, d’un montant situé à l’extrémité supérieure de la colonne IV, faisant valoir qu’en tant défenderesse, elle n’était pas une partie volontaire à l’appel et que toute adjudication de dépens devrait en tenir compte.

[39] RRFB a droit aux dépens de l’appel, mais je ne crois pas que sa position en tant que défenderesse devrait lui donner droit à l’adjudication de dépens plus élevés que ceux auxquels aurait droit le demandeur. Compte tenu en particulier de la nature des questions en litige dans l’appel, des dossiers préparés, de la charge de travail en cause, de l’absence de requêtes ou d’interrogatoires préalables à l’audience et des observations des parties, RRFB a droit à des dépens de 7 500 $, y compris les débours et les taxes.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1749-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Divert Inc doit verser à Resource Recovery Fund Board Inc des dépens d’un montant global de 7 500 $.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1749-21

 

INTITULÉ :

DIVERT INC c RESOURCE RECOVERT FUND BOARD INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Martha Savoy

Philippe Matziorinis

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Scott Miller

Deborah Meltzer

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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