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Date : 20221207


Dossier : IMM-4982-21

Référence : 2022 CF 1688

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

ABIDEEN OLALEKAN OLADIPUPO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Abideen Olalekan Oladipupo, est un citoyen du Nigéria âgé de 61 ans. Il vit au Canada depuis plus de cinq ans. En avril 2021, il a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Pour appuyer sa demande, M. Oladipupo a principalement invoqué ses problèmes de santé et son incapacité à obtenir des soins médicaux adéquats au Nigéria. Le 16 juillet 2021, un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté sa demande. M. Oladipupo conteste cette décision par voie de contrôle judiciaire.

[2] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, M. Oladipupo avance plusieurs arguments. La question déterminante est de savoir quelle était la preuve médicale dont disposait l’agent et s’il avait l’obligation de demander des précisions compte tenu des observations qui lui avaient été présentées.

[3] Les parties ne s’entendent pas sur les documents qui ont été déposés à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de M. Oladipupo. Le demandeur affirme avoir déposé avec sa demande au moins dix-huit lettres et rapports médicaux datés de 2016 à 2020, mais ceux-ci ne figurent pas dans le dossier certifié du tribunal (le DCT). Le défendeur soutient que ces lettres et rapports médicaux n’y figurent pas, car le demandeur ne les a pas présentés dans le cadre de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[4] Il ne m’est pas nécessaire de déterminer qui est à blâmer pour le dossier incomplet dont l’agent disposait. Que les lettres et les rapports médicaux (qui portent tous une date antérieure au dépôt de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire) n’aient pas été présentés à l’agent en raison d’une inadvertance de la part de l’avocate ou d’une mauvaise gestion du dossier à IRCC, je conclus néanmoins qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Dans ses observations présentées à l’agent, l’avocate de M. Oladipupo a expressément fait référence à la plus récente lettre du médecin de famille de M. Oladipupo, en soulignant que celle-ci était [traduction] « jointe » à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’avocate a abondamment cité cette lettre dans laquelle sont énumérés les nombreux problèmes de santé diagnostiqués chez M. Oladipupo et les médicaments qu’il prenait à l’époque. L’agent a pris acte de ces observations, sans mentionner que l’avocate indiquait qu’elle citait la lettre du médecin de famille jointe à la demande, et a conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que M. Oladipupo avait reçu les diagnostics de ces maladies ou qu’il prenait les médicaments énumérés dans les observations. L’agent s’est fondé sur ce prétendu manque de preuve pour n’accorder aucun poids à ce facteur.

[5] Il est injuste de la part de l’agent de n’accorder aucun poids à un facteur clé soulevé par M. Oladipupo en raison d’un manque de preuve sans d’abord chercher à obtenir des précisions sur la lettre médicale qui est mentionnée dans les observations et qui aurait été jointe à la demande. Vu l’importance de cette conclusion, la demande doit faire l’objet d’un nouvel examen.

[6] Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] Comme je l’ai déjà mentionné, la question déterminante est de savoir si l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne demandant aucune précision quant à la preuve dont il était question dans les observations, mais dont il ne disposait pas. La norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique pas à mon examen de cette question (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77). La question que je dois trancher consiste à savoir si la procédure suivie par l’agent était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54)

III. Analyse

[8] Nul ne conteste que les problèmes de santé de M. Oladipupo et l’accessibilité des soins médicaux au Nigéria étaient les principaux facteurs soulevés dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent n’a accordé aucun poids à ces facteurs puisque, selon lui, peu d’éléments de preuve étayaient les déclarations de l’avocate quant aux nombreux problèmes de santé de M. Oladipupo et à ses médicaments. Dans ses motifs, l’agent affirme ce qui suit :

[traduction]

L’avocate affirme que le demandeur souffre des problèmes de santé suivants : […] [elle énumère sept problèmes de santé]. De plus, l’avocate affirme que le demandeur prend plusieurs médicaments [elle énumère onze médicaments] pour traiter ces problèmes de santé. Je conviens qu’il peut être plus difficile de traiter bon nombre de ces problèmes de santé au Nigéria qu’au Canada. Toutefois, je souligne que l’avocate a fourni peu d’éléments de preuve démontrant que les problèmes de santé mentionnés plus haut ont été diagnostiqués chez le demandeur. De plus, je relève que l’avocate a fourni peu d’éléments de preuve établissant que le demandeur prend les médicaments mentionnés plus haut ou qu’il reçoit des traitements médicaux pour ces problèmes de santé. Par conséquent, je n’accorde aucun poids à ce facteur.

[9] La conclusion de l’agent sur cette question me laisse perplexe étant donné les observations que l’avocate lui a présentées et dans lesquelles les problèmes de santé de M. Oladipupo et les médicaments qu’il prend (que l’agent a reproduits dans ses motifs) sont présentés non pas comme des affirmations venant d’elle, mais plutôt comme un extrait de la lettre du médecin de famille de M. Oladipupo datée du 20 septembre 2020. Dans ses observations, l’avocate mentionne ce qui suit :

[Traduction]

Le médecin de famille [du demandeur], docteur […], écrit dans la lettre d’appui ci-jointe :

M. Oladipupo a plusieurs problèmes de santé, y compris les suivants [énumération des sept problèmes de santé sous forme de liste à puces].

Les médicaments actuels sont : [énumération des onze médicaments avec les posologies détaillées indiquant la quantité et la fréquence requises].

[10] La lettre de septembre 2020 du médecin de famille de M. Oladipupo à laquelle fait référence l’avocate dans ses observations ne figure pas dans le DCT. L’agent n’en fait aucune mention. Étant donné que l’avocate a cité cette lettre en indiquant qu’elle était jointe avec ses observations, l’agent était tenu de se renseigner au sujet de cette lettre. D’autant plus qu’en l’espèce, l’agent n’a accordé aucun poids à ce facteur en raison du peu d’éléments de preuve fournis pour étayer les affirmations de l’avocate.

[11] La Cour s’est penchée sur une question d’équité procédurale similaire dans la décision Bizimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 288 [Bizimana]. Dans cette décision, la juge Walker a conclu que l’agent était dans l’obligation de demander des éclaircissements au demandeur lorsque, de toute évidence, il manquait des pages aux observations dont il disposait (Bizimana, au para 28). Le défendeur établit une distinction entre cette décision et le cas en l’espèce, car il soutient que, dans la décision Bizimana, il était évident que le dossier était incomplet, puisqu’il manquait des pages dans les observations de l’avocate. Je ne trouve pas cette distinction convaincante. Il était tout aussi évident qu’il manquait des éléments de preuve dans la demande de M. Oladipupo, étant donné que l’avocate avait affirmé dans ses observations qu’une lettre y était jointe, mais que l’agent n’en disposait pas.

[12] Non seulement l’agent n’a pas demandé de précisions quant à la lettre du médecin de M. Oladipupo manquante, mais il a également déformé les observations de l’avocate sur ce point. L’agent a traité l’extrait de la lettre du médecin de M. Oladipupo comme s’il s’agissait d’affirmations de son avocate à propos de ses problèmes de santé. Cette interprétation des observations est erronée. L’iniquité découlant du fait que l’agent n’a pas demandé de précisions à propos d’un important document manquant mentionné dans les observations est aggravée par la décision de l’agent de n’accorder aucun poids aux problèmes de santé de M. Oladipupo en raison du manque de preuve.

[13] Enfin, à mon avis, étant donné les lacunes manifestes dans la façon dont la demande de M. Oladipupo a été traitée et évaluée, il est regrettable que l’affaire n’ait pas été réglée avant l’audience relative au contrôle judiciaire. M. Oladipupo devrait avoir la possibilité de faire réexaminer sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire par un agent qui a accès à sa preuve médicale pertinente.

[14] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUDGMENT DANS LE DOSSIER IMM-4982-21

LA COUR STATUE :

  1. La décision d’IRCC datée du 16 juillet 2021 est annulée;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’IRCC pour réexamen;

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4982-21

 

INTITULÉ :

ABIDEEN OLALEKAN OLADIPUPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

 

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CROSSLY LAW

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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