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Date : 20221207


Dossier : IMM-373-22

Référence : 2022 CF 1689

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 décembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

DHARAMPAL SINGH SAMMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 14 décembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La question déterminante était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur, âgé de 49 ans, est un citoyen de l’Inde originaire de la ville de Patiala, au Pendjab. En décembre 2014, la police aurait fait une descente sur son lieu de travail et aurait arrêté certains de ses employés, dont son cousin, au motif qu’elle les soupçonnait d’être des activistes du Cachemire. À la suite de cet événement, le demandeur affirme avoir été harcelé par la police à son domicile et sur son lieu de travail.

[4] En mars 2015, le cousin du demandeur s’est caché. La police, selon qui le cousin en question se serait joint aux activistes, a harcelé le demandeur pour que celui‑ci lui livre son cousin. Le demandeur a consulté un avocat pour intenter des poursuites contre la police. Lorsqu’elle l’a appris, la police aurait, en juin 2015, fait une descente au domicile du demandeur et arrêté ce dernier. Le demandeur affirme avoir été torturé, interrogé à propos de son cousin et accusé de travailler pour les activistes. La police l’aurait ensuite relâché, mais lui aurait ordonné de fournir des renseignements sur son cousin et de se présenter au poste de police tous les mois.

[5] Le demandeur a fui à New Delhi pour se cacher au domicile d’un proche. Il affirme que, lorsqu’il ne s’est pas présenté au poste de police en août 2015, la police se serait rendue à sa résidence familiale, aurait attaqué des membres de sa famille et aurait ensuite fait une descente au domicile du proche, à New Delhi.

[6] Le demandeur est arrivé au Canada en octobre 2015 et a présenté une demande d’asile trois ans plus tard.

[7] Le 29 avril 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur après avoir conclu qu’il disposait d’une PRI viable à Mumbai et à Faridabad. La SPR a jugé que la police du Pendjab n’avait ni les moyens ni la motivation de poursuivre le demandeur dans les villes désignées comme PRI, et qu’il ne serait pas déraisonnable ni excessivement difficile pour le demandeur de s’y installer.

[8] Le 14 décembre 2021, la SAR a rejeté l’appel que le demandeur a interjeté à l’encontre de la décision de la SPR. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI. Elle a jugé que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne que la police serait motivée à poursuivre dans l’une ou l’autre des villes désignées comme PRI, étant donné qu’il n’avait été accusé d’aucun crime, qu’il avait été relâché après sa détention et qu’il n’avait finalement pas déposé de plainte contre la police.

[9] La SAR a examiné les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation de l’Inde [le cartable], en particulier ceux ayant trait à l’enregistrement des locataires et aux bases de données de la police, comme le Réseau de suivi des crimes et des criminels [Crime and Criminal Tracking Network and System – CCTNS]. Elle a conclu, compte tenu des éléments de preuve objectifs, que les liens et les communications entre les services de police en Inde étaient limités et que la police du Pendjab disposait d’une capacité extrêmement limitée de retrouver le demandeur dans les villes désignées comme PRI. Puisque le demandeur n’a été accusé d’aucun crime et qu’il a été en mesure de quitter le pays sans difficulté, la SAR a conclu qu’il ne devait y avoir aucune mention de sa détention illégale dans le CCTNS.

II. Question préliminaire – Intitulé

[10] À titre préliminaire, je fais observer que l’intitulé de l’affaire a été modifié pour que soit inscrit correctement le nom du défendeur, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse indépendante de la protection de l’État?

  2. La SAR a‑t‑elle fait abstraction des éléments de preuve concernant le risque auquel serait exposé le demandeur dans les villes désignées comme PRI?

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable au fond de la décision est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption selon laquelle les décisions administratives sont assujetties à la norme de la décision raisonnable n’est présente : Vavilov, aux para 16 et 17.

[13] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85 et 86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2 et 31. Une décision raisonnable, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et qu’elle tient compte du contexte administratif, possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91‑95, 99-100.

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse indépendante de la protection de l’État?

[14] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse indépendante de la protection de l’État avant de conclure qu’il disposait d’une PRI viable. Il soutient que l’agent de persécution étant la police, une telle analyse était nécessaire afin de déterminer si les événements qui se sont produits étaient isolés ou s’ils découlaient plutôt d’un problème systémique lié à la protection de l’État.

[15] Le défendeur soutient pour sa part que la conclusion selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI était raisonnable et déterminante. La SAR n’avait pas besoin de procéder à une analyse indépendante de la protection de l’État, puisqu’il était implicite dans la conclusion portant que le demandeur disposait d’une PRI que ce dernier pouvait résider en toute sécurité dans une autre région de l’Inde sans avoir besoin de cette protection. Je souscris à cet argument.

[16] La SAR, en faisant référence au paragraphe 11 de la décision Henao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 84, a fait observer ce qui suit :

Il est bien établi en droit que le concept de PRI est inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention parce qu’un demandeur d’asile doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine région d’un pays. L’existence d’une PRI est fatale à toute demande d’asile, comme l’a récemment confirmé une décision rendue en 2020 par la Cour fédérale :

Le concept de PRI est inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention : voir V[e]lasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1201, au par. 15. S’il est objectivement raisonnable pour le demandeur d’asile de vivre ailleurs dans son pays de nationalité sans craindre d’être persécuté, il n’est pas un réfugié au sens de la Convention, même si cette crainte est fondée à l’égard d’une autre partie du pays.

[Notes de bas de page omises.]

[17] La SAR a analysé le risque auquel serait exposé le demandeur de la part de l’agent de persécution. Elle a conclu que la police du Pendjab n’aurait ni la capacité ni la motivation de retrouver le demandeur dans les villes désignées comme PRI, et que les liens entre les services de police en Inde étaient limités. La SAR a également jugé que le demandeur n’avait pas un profil susceptible de l’exposer à une possibilité sérieuse de persécution, ou à un risque ou à une menace selon la norme du « plus probable que le contraire ».

[18] Le demandeur renvoie au paragraphe 19 de la décision Zhuravlvev c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] 4 CF 3 [Zhuravlvev], où la Cour indique que « [l]orsqu’il est démontré que l’État est l’agent persécuteur, il n’est pas nécessaire de déterminer l’étendue ou l’efficacité de la protection fournie par l’État; cette protection est par définition absente ». Toutefois, ce paragraphe doit être examiné conjointement avec le paragraphe 32 de la même décision, lequel précise qu’« il faut tenir compte de la possibilité de refuge intérieur par rapport à l’incapacité de l’État de fournir une protection ou à son refus de le faire. La migration interne dans une région où il est possible d’obtenir la protection de l’État constitue une réponse raisonnable à une omission locale d’assurer pareille protection. »

[19] En l’espèce, le demandeur affirme qu’il craint d’être persécuté par la police du Pendjab. Cette affirmation du demandeur n’a pas donné lieu, devant la SPR, à des allégations plus générales de corruption au sein de la police en Inde.

[20] Comme l’a fait remarquer le défendeur, le demandeur n’a pas invoqué, devant la SAR, la nécessité de procéder à une analyse distincte de la protection de l’État, malgré la désignation d’une PRI par la SPR.

[21] La SAR doit examiner les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 78), mais cela ne signifie pas que les appels devant la SAR constituent des audiences de novo. On ne peut, lors du contrôle judiciaire, reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné ou pris en compte des arguments qui n’ont pas été soulevés devant elle (Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 22 aux para 30 à 32), et pareille argumentation ne devrait pas être présentée pour la première fois devant la Cour.

[22] Je suis d’avis que la première question ne soulève aucune erreur susceptible de contrôle.

B. La SAR a‑t‑elle fait abstraction des éléments de preuve concernant le risque auquel serait exposé le demandeur dans les villes désignées comme PRI?

[23] Le demandeur fait valoir que la SAR ne s’est pas penchée sur les éléments de preuve contradictoires présentés dans le cartable et qu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle a privilégié les extraits du cartable qu’elle a cités dans sa décision plutôt que les éléments contradictoires.

[24] Le défendeur soutient, et je suis de cet avis, que les motifs exposés par la SAR doivent être considérés en contexte. La SAR a énoncé les principaux faits ayant influencé son examen des éléments de preuve présentés dans le cartable : le demandeur n’a été accusé d’aucun crime, il a été facilement relâché moyennant le paiement d’un pot‑de‑vin et il ne serait pas considéré, par la police du Pendjab, comme une personne d’un grand intérêt. Par conséquent, même s’il est fait mention, dans le cartable, de l’utilisation du CCTNS pour traquer et retrouver des personnes d’intérêt, il y est aussi mentionné que les communications policières sont peu fréquentes entre les États, sauf en cas de crimes majeurs comme la contrebande, le terrorisme et le crime organisé de grande envergure. La SAR a ainsi conclu que le demandeur n’avait pas un profil susceptible d’être consigné dans le CCTNS ni celui d’une personne que la police serait motivée à retrouver.

[25] Le demandeur soutient que la SAR a tiré des conclusions que le dossier n’étayait pas. Il affirme que son témoignage ne permettait pas de conclure à l’absence d’arrestation ou de détention.

[26] Même si je conviens que le demandeur n’a pas expressément affirmé ne pas avoir été arrêté lorsque la police est venue le chercher à son domicile, ce dernier a cependant admis qu’aucune accusation n’avait été portée contre lui et qu’il n’avait fait l’objet d’aucun mandat d’arrestation. En me fondant sur cette admission, je suis d’avis qu’il était loisible à la SAR de conclure que le demandeur n’était pas considéré comme une personne en vue et qu’il était improbable que son profil soit inscrit dans le CCTNS.

[27] Dans le même ordre d’idées, je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de la SAR de faire observer que le demandeur aurait été tenu de fournir des renseignements et aurait été assujetti à un contrôle par les autorités indiennes de l’immigration avant de quitter le pays. Si son nom avait été inscrit sur une liste de personnes d’intérêt à titre de criminel ou d’activiste, il aurait été arrêté à ce moment.

[28] Je suis d’avis que l’argument invoqué par le demandeur équivaut à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire.

V. Conclusion

[29] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[30] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑373‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé de l’affaire est modifié pour que soit inscrit correctement le nom du défendeur, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑373‑22

 

INTITULÉ :

DHARAMPAL SINGH SAMMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er décembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Hana Marku

 

POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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