Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221205


Dossier : IMM-8818-21

Référence : 2022 CF 1666

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

OLUWOLE OLADIPUPO OWOLABI

PRECIOUS IWUM OWOLABI

OLUWATIMILEHIN MICHEAL OWOLABI

OLUMIDE PRAISE OWOLABI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont une famille nigérienne dont la demande d’asile au Canada n’a été jugée crédible ni par la Section de la protection des réfugiés [SPR], ni par la Section d’appel des réfugiés [SAR].

[2] Bien que la SAR soit en désaccord avec certaines des conclusions de la SPR, son analyse holistique de la preuve la mène au même résultat: il y a suffisamment d’omissions inexpliquées dans le fondement de la demande [FDA] des demandeurs pour minier leur crédibilité.

[3] Les demandeurs contestent cette décision rendue par la SAR en date du 5 novembre 2021.

[4] Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Faits

[5] Les demandeurs allèguent faire l’objet de persécution dans leur pays suite au refus du père de famille, le demandeur principal, de se soumettre à un rite religieux, contraire à sa foi chrétienne.

[6] Le demandeur principal fait partie du groupe ethnique Yoruba, alors que sa femme est Igbo. Ils se sont mariés en octobre 2009 dans le village ancestral de madame. Les représentants du village ont requis qu’ils observent les rituels Igbo et leur ont communiqué une forme de prophétie religieuse concernant madame et son fils à naître.

[7] En 2016, les représentants du village leur ont rappelé la prophétie et ont demandé à ce que le demandeur principal se soumette aux rituels.

[8] Dans le FDA initial, les demandeurs indiquent que le demandeur principal et ses enfants ont reçu des menaces, qu’ils ont tenté de les rapporter à la police mais que les agents leur auraient plutôt recommandé de quitter le pays pour sauver leur vie. Le demandeur principal a alors quitté pour les États-Unis pour ensuite prendre arrangement pour que sa famille le rejoigne.

[9] Dans leur FDA amendé une dizaine de jours avant l’audience devant la SPR, mais après consultation avec leur nouveau procureur, les demandeurs ont ajouté plusieurs nouveaux faits qui se seraient produits entre le moment des menaces mentionnées dans leur FDA initial et le moment où ils ont quitté le pays. Ils affirment qu’au moment de leurs discussions avec leur nouveau procureur, ils ont réalisé qu’ils devaient être plus spécifiques dans leur récit, même si cela impliquait avoir à se remémorer des moments difficiles et traumatisants de leur vie.

[10] Les demandeurs ont ajouté à leur récit qu’en décembre 2016, des bandits les ont attaqués à leur domicile de Lagos, les menaçant de représailles si le demandeur principal refusait de se soumettre aux rites coutumiers. Bien que le demandeur principal ne voulait pas donner trop d’importance à cette première attaque, son épouse l’a convaincu de se relocaliser à Ibadan.

[11] En janvier 2017, des inconnus se sont présentés à leur domicile d’Ibadan et les ont attaqués. Le demandeur principal a été blessé mais il a réussi à s’enfuir. Après son départ, les individus auraient tenté de kidnapper un bébé de 8 mois mais celui-ci serait décédé pendant l’agression.

[12] Le demandeur principal s’est présenté à un poste de police à Ibadan deux jours plus tard afin de rapporter l’attaque. Les policiers ont pris sa déposition et lui ont suggéré de rapporter toute attaque future sans tarder. Il a alors compris qu’il ne pouvait pas s’attendre a beaucoup d’aide de leur part et a quitté pour les États-Unis en juin 2017.

[13] Après que sa femme l’ait rejoint en décembre 2017, les parents de cette dernière auraient été convoqués au Conseil du village et maintenus en captivité un certain temps sous les ordres des Ainés.

[14] En janvier 2018, le frère de madame se serait fait attaqué par des gens armés qui recherchaient les demandeurs.

[15] Les demandeurs ont franchi la frontière canadienne en mars 2018 et déposé leur demande d’asile.

II. Décision contestée

[16] La SAR a procédé à l’examen de l’appel en examinant l’ensemble de la preuve, le dossier des demandeurs, ainsi que la transcription de l’audience tenue devant la SPR.

[17] La SAR a admis la nouvelle preuve déposée par les demandeurs, à l’exception d’une attestation de naissance pour madame qui ne rencontrait pas le critère de la pertinence. Toutefois, puisque la nouvelle preuve admise n’a pas été jugée déterminante, la SAR n’a pas tenu d’audience.

[18] La SAR a passé en revue chacune des conclusions de la SPR sur la crédibilité des demandeurs, afin d’en tirer ses propres conclusions. Voici les éléments sur lesquels la SAR partage les conclusions de la SPR :

  • La SAR est également d’avis qu’il n’est pas crédible que les demandeurs aient omis de leur FDA initial deux attaques subies à Lagos et Ibadan, dont la seconde aurait causé le décès de leur bébé de 8 mois; la SAR n’a pas non plus accepté l’explication fournie à l’effet que les demandeurs ont omis ces faits puisque dans leur culture, on ne parle pas du décès d’un enfant en bas âge. Pour la SAR, ils auraient pu omettre ce fait et néanmoins faire état des deux attaques – surtout le premier qui n’a rien à voir avec le décès de leur bébé mais qui les a incités à quitter Lagos;

  • La SAR ne donne aucun poids au rapport de police qui fait état du décès de leur fille Élizabeth au cours de la seconde attaque. Durant son témoignage, le demandeur principal a nié avoir fourni un affidavit aux policiers lors de sa visite de janvier 2017. Il a plutôt indiqué avoir écrit une déclaration en présence des policiers. Lorsque confronté au fait que le rapport indique qu’il s’est présenté avec un affidavit de la Haute Cour d’Ibadan, le demandeur a indiqué que c’est plutôt son beau-frère qui aurait fourni un affidavit afin d’obtenir une copie du rapport. La SAR retient donc qu’il y a une contradiction entre le témoignage du demandeur principal et le contenu du rapport.

  • Dans leur demande initiale, les demandeurs ont omis de faire état de leur adresse à Ibadan. Or, puisque les demandeurs ont quitté Lagos en raison d’une première attaque, la SAR conclut que cette omission est importante. Les demandeurs ont dû amendé l’historique de leurs adresses au Nigéria au moment d’amender leur FDA pour y ajouter les deux attaques qui ont été omises dans leur FDA initial;

  • À la fin de l’audience, la demanderesse a mentionné que parmi les individus qu’elle craignait se trouvait le Commissaire à la Santé qui fait partie d’un culte secret. La SAR juge non crédible que depuis trois ans qu’elle est au Canada, elle n’ait jamais parlé de cet individu par crainte de ce culte secret et qu’elle attende la fin de l’audience pour en faire mention.

  • Pour la SAR, les affidavits des membres de la famille des demandeurs, ne sont pas suffisant pour bonifier la preuve, d’autant plus qu’ils ajoutent de nouveaux aspects à la preuve et qu’ils ne font pas état du décès d’Élizabeth;

  • Finalement, la SAR conclut que le délai inexpliqué de la demanderesse et de ses enfants (onze mois) pour quitter le Nigéria, dans le contexte de la gravité des attaques qu’ils auraient subies, discrédite également leur demande.

III. Question en litige et norme de contrôle

[19] La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est cette de savoir si la SAR a erré dans son analyse de la crédibilité de la demande d’asile des demandeurs.

[20] Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse de cette question par la Cour.

IV. Analyse

[21] L’essentiel des arguments des demandeurs se résume à reprocher à la SPR et à la SAR d’avoir omis de tenir compte du contexte culturel de cette demande d’asile et des divergences culturelles entre le Canada et le Nigéria.

[22] Avec respect, je ne suis pas d’accord.

[23] D’abord, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de la SAR – et de la SPR avant elle – sur la crédibilité des demandeurs.

[24] La SAR a considéré toutes les explications fournies par les demandeurs pour justifier les nombreuses omissions dans leur FDA initial. Elle a fait preuve d’ouverture d’esprit à cet égard. Par exemple, en se fondant justement sur des divergences culturelles, la SAR retient l’argument des demandeurs et rejette la conclusion de la SPR concernant l’absence de preuve corroborant l’existence de leur fille Élizabeth. La SAR a considéré tous les arguments des demandeurs et en a même retenu certains.

[25] Toutefois, la SAR conclut que les tabous auxquels les demandeurs ont fait état n’expliquent pas toutes les omissions. Ils n’expliquent pas d’avoir omis de mentionner la première attaque qu’ils auraient subie et qui les auraient forcés à se relocaliser à Ibadan. Il s’agit là d’un élément central de la demande d’asile des demandeurs. Bien que devant la Cour, les demandeurs invoquent à nouveaux les divergences culturelles entre le Canada et le Nigéria, ils n’expliquent pas en quoi cette conclusion serait déraisonnable.

[26] La SAR souligne que les demandeurs étaient représentés par avocat et qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que les services de leur ancien procureur auraient été inadéquats.

[27] Je suis d’avis que la décision de la SAR fait partie des issues raisonnables, elle est intelligible et rationnelle, de sorte que l’intervention de la Cour n’est pas requise.

V. Conclusion

[28] Pour ces motifs, le demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-8818-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8818-21

 

INTITULÉ :

OLUWOLE OLADIPUPO OWOLABI, PRECIOUS IWUM OWOLABI, OLUWATIMILEHIN MICHEAL OWOLABI, OLUMIDE PRAISE OWOLABI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉcembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour le demandeur

 

Philippe Proulx

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.