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Date : 20221201


Dossier : IMM-3207-21

Référence : 2022 CF 1663

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM

ASMAA MOHAMED ZEIN ALI

MOHAMED ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM

BYSLAM ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision en date du 4 mai 2021 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SPR est déraisonnable parce que la SPR a commis des erreurs dans son appréciation de la crédibilité.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. En conséquence, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Faits

A. Les demandeurs

[4] Les demandeurs sont une famille comptant quatre personnes. Le demandeur principal, Abouzaid Mohamed Abdelhamid Ibrahem, est un citoyen de l’Égypte âgé de 38 ans. L’épouse du demandeur principal, Asmaa Mohamed Zein Ali (la « demanderesse associée »), est âgée de 29 ans et est également une citoyenne de l’Égypte. Ils ont deux enfants nés en Égypte, âgés de onze et de cinq ans. Les demandeurs ont un troisième enfant, âgé de deux ans, qui est né après leur arrivée au Canada.

[5] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), le demandeur principal soutient qu’après s’être inscrit à l’université, en 2003, il a commencé à prendre part à des manifestations étudiantes et, dès 2005, au mouvement réclamant des réformes politiques en Égypte. Le demandeur principal a quitté l’Égypte en 2008 et a déménagé en Arabie saoudite, où il a résidé jusqu’en 2015. Pendant qu’il était en Arabie saoudite, il a continué de s’élever contre le régime égyptien au moyen des médias sociaux, en participant à des manifestations lors de visites en Égypte, en collectant des fonds et des ressources à envoyer en Égypte et en enjoignant d’autres personnes à joindre le mouvement.

[6] En 2015, le demandeur principal est retourné en Égypte pour travailler dans le domaine de l’immobilier. Dans son formulaire FDA, le demandeur principal a inscrit qu’il avait acheté une terre agricole dans la ville d’Ismailia en 2016. Il a poursuivi ses activités politiques tout en travaillant sur sa terre. Il affirme qu’en 2019, son voisin Mostafa, un officier de haut rang de l’armée, lui a offert d’acheter sa terre. Il a refusé de vendre sa terre, mais Mostafa a persisté et l’appelait au téléphone pour proférer des menaces contre lui.

[7] Le 9 juin 2019, le demandeur principal allègue que Mostafa lui a téléphoné pour le menacer et lui a dit que c’était sa dernière chance de lui vendre sa terre, faute de quoi il [traduction] « détruirait » sa vie. Le demandeur principal a porté plainte auprès de la police le lendemain. Une semaine plus tard, le demandeur principal a cherché à savoir où en était sa plainte, mais la police lui a dit de laisser tomber l’affaire et qu’il n’y aurait aucune suite.

[8] Au cours de la semaine suivante, le demandeur principal affirme qu’il a commencé à éprouver des ennuis avec sa terre, notamment des arbres cassés et des dommages au système d’approvisionnement en eau. Il croyait que Mostafa était responsable de ces actes, puisque celui-ci lui avait encore téléphoné et fait des menaces parce qu’il refusait de vendre sa terre.

[9] Le 19 juillet 2019, les demandeurs allèguent que quatre hommes de la sécurité nationale ont fait une descente chez eux et ont agressé physiquement le demandeur principal et la demanderesse associée. Ces hommes ont ensuite bandé les yeux du demandeur principal, l’ont fait monter dans un véhicule et l’ont conduit vers un lieu inconnu, où, affirme-t-il, il a été interrogé par des agents au sujet de ses activités politiques, de sa haine pour le régime et des raisons pour lesquelles il tenait tant à sa terre. Le demandeur principal aurait été détenu, battu et insulté, et aurait reçu l’ordre d’accepter de vendre sa terre.

[10] Le demandeur principal prétend qu’il a été libéré grâce à un pot-de-vin versé par son beau-frère, et qu’il s’est ensuite caché. Il mentionne dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’il a été libéré le 20 août 2019, mais selon la transcription de l’audience tenue devant la SPR, il a déclaré avoir été libéré le 28 août 2019.

[11] De plus, les demandeurs allèguent que, le 28 août 2019, lorsque le demandeur principal vivait caché, des agents de la sécurité de l’État se sont présentés au domicile de la demanderesse associée, l’ont menacée, elle et ses enfants, et ont demandé où se trouvait le demandeur principal, l’accusant d’appartenir aux Frères musulmans.

[12] Le 12 septembre 2019, la police se serait rendue au domicile de la mère du demandeur principal à la recherche des demandeurs et aurait causé des dommages à la maison.

[13] Le 22 septembre 2019, les demandeurs ont quitté l’Égypte. Le demandeur principal a obtenu le 13 juillet 2015 un visa de visiteur à entrées multiples au Canada , qui était valide jusqu’au 25 octobre 2021.

[14] Le 26 septembre 2019, les demandeurs ont demandé l’asile à l’Unité de traitement des cas de réfugiés de Fort Erie. Les demandeurs sont visés par une exception inscrite dans l’Entente sur les tiers pays sûrs.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[15] Dans une décision en date du 4 mai 2021, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution fondée sur un motif prévu dans la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, ils seraient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d'être soumis à la torture en Égypte.

[16] La question déterminante concernait la crédibilité. La SPR s’est dite consciente des nombreuses difficultés auxquelles les demandeurs d’asile doivent faire face pour prouver le bien-fondé de leur demande d’asile, y compris la nervosité, le niveau d’instruction et les facteurs culturels. Elle a toutefois conclu que la demande d’asile présentée par les demandeurs n’était pas crédible dans son ensemble et que les demandeurs n’avaient pas prouvé les principaux éléments de leur demande, en raison de plusieurs incohérences et contradictions dans les éléments de preuve qu’ils ont produits.

(1) Terre agricole des demandeurs

[17] Le demandeur principal a mentionné dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’il avait acheté la terre en 2016; il a affirmé devant la SPR qu’il l’avait achetée en 2015 et qu’il avait effectué des versements pendant deux ans jusqu’à ce que le montant total soit acquitté en 2017. Le contrat de vente préliminaire figurant au dossier, daté du 15 mai 2015, ne correspond pas au témoignage du demandeur principal. En réponse aux questions qui lui ont été posées quant à ces incohérences, le demandeur principal a expliqué qu’un nouveau contrat est établi une fois que le montant total est acquitté, mais que le nouveau contrat contient la date de signature du premier contrat. À l’appui de cette affirmation, les demandeurs ont fourni deux lettres d’avocats en Égypte. La SPR a conclu que l’explication du demandeur principal ne dissipait pas les contradictions relevées dans les éléments de preuve contradictoires, et que les lettres des avocats ne prouvaient pas que le contrat corroborait son témoignage. La SPR a accordé peu de poids aux lettres et a tiré une inférence défavorable eu égard aux incohérences.

[18] La SPR a également tiré une inférence défavorable du fait que les affirmations du demandeur principal concernant le nombre d’arbres sur sa terre étaient changeantes. Selon le rapport de police versé au dossier, la terre comptait 6 000 arbres, tandis que le demandeur principal a affirmé devant la SPR et dans son formulaire FDA qu’elle en comptait 50 000. Le demandeur principal n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son témoignage changeant concernant la terre.

[19] La SPR a accordé peu de poids aux photographies de la terre produites par les demandeurs, car elles n’indiquaient pas où ni quand elles avaient été prises et n’établissaient pas que la terre appartenait aux demandeurs. Sur la foi de ces incohérences, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils possédaient la terre agricole à l’origine de leurs problèmes en Égypte, comme ils le prétendent.

(2) Agent de persécution

[20] La SPR a également conclu que le témoignage du demandeur principal concernant l’agent de persécution était changeant et évasif, et que celui-ci n’avait pas su expliquer clairement qui était son agent de persécution. La SPR a constaté que les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve ni fait aucun effort pour prouver que l’agent de persécution était un officier de l’armée égyptienne, comme ils le prétendaient, et, par conséquent, qu’ils n’avaient pas établi cet élément de leur demande d’asile.

(3) Interactions avec la police

[21] La SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal concernant ses interactions avec la police n’était pas crédible. La SPR a souligné que sa description des uniformes de police portés par les personnes qui l’ont arrêté le 19 juillet 2019 ne concorde pas avec la preuve objective sur le pays, selon laquelle dans la plupart des cas, les agents du service de sécurité nationale sont habillés en civil. La SPR a tiré une inférence défavorable de cette contradiction.

[22] La SPR a également relevé des irrégularités et des imprécisions dans le témoignage de la demanderesse associée au sujet des personnes qui sont venues chez elle, prétendument pour la menacer, elle et ses enfants. La demanderesse associée a d’abord déclaré que ces personnes étaient habillées en civil, puis a affirmé qu’ils portaient des uniformes de police. Les demandeurs ont ensuite soutenu que ces personnes étaient des membres de la Sécurité de l’État et qu’ils étaient tout de noir vêtus. La SPR a conclu que ces éléments de preuve contradictoires et ces imprécisions minaient la crédibilité de la demanderesse associée.

[23] La SPR a également tiré une inférence défavorable du fait que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve corroborant l’incident qui s’est produit au domicile de la mère du demandeur principal le 12 septembre 2019.

(4) Militantisme politique

[24] Le demandeur principal a déclaré qu’il est aussi exposé à un risque en raison de son militantisme politique. Toutefois, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal indique que celui-ci ne s’est pas élevé contre le régime actuel en Égypte et qu’il n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il s’est élevé contre le régime actuel ou un régime précédent. La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi que lui ou sa famille seraient exposés à un risque en raison de ses opinions politiques.

[25] En définitive, la SPR a conclu, en se fondant sur la preuve, que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[26] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

[27] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable. C’est aussi mon avis (Adelani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 23 aux para 13-15); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov ») aux para 10, 16-17).

[28] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[29] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet d’une décision qui justifieront une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, sauf circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[30] Les demandeurs soutiennent que la SPR a eu tort de conclure que leur demande d’asile n’était pas crédible et que les éléments de preuve qu’ils ont produits étaient insuffisants pour dissiper toute incohérence. La SPR doit évaluer la preuve présentée dans son ensemble et ne pas se concentrer indûment sur les détails du témoignage d’un demandeur ou rechercher des incohérences afin de démontrer que le demandeur n’est pas crédible, tout en faisant abstraction d’autres aspects de la demande. Les demandeurs soutiennent que l’inférence défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR à l’égard d’un aspect de leur demande a amené celle-ci à rejeter à tort la crédibilité de tous les autres aspects de leur demande. Les demandeurs invoquent la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311 (Chen), dans laquelle la Cour a conclu que « [e]n l’absence d’une conclusion défavorable sur la crédibilité, la décision de rejeter certains aspects de la preuve ne donne pas carte blanche pour rejeter tout le reste de la preuve » et « [c]haque aspect de la preuve doit être évalué suivant son propre fondement » (au para 24).

[31] J’estime que l’invocation par les demandeurs de la décision Chen n’aide pas leur cause. Dans la décision Chen, la SPR a mis en doute la véracité de la demande d’asile fondée sur une crainte de persécution religieuse en Chine présentée par le demandeur, parce qu’elle a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas compatibles avec le fond de la demande. En l’espèce, la SPR ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la demande d’asile des demandeurs au moyen de la seule preuve documentaire, mais elle a plutôt pris en compte la preuve objective sur la situation dans le pays et la preuve présentée par les demandeurs, y compris leurs témoignages de vive voix.

(1) Terre agricole des demandeurs

[32] Le demandeur principal a indiqué dans son formulaire FDA qu’il avait acheté sa terre en 2016, mais il a affirmé qu’il n’avait acquitté le montant total qu’en 2017. Le contrat de vente préliminaire au dossier, daté du 15 mai 2015, indique que la totalité de la somme a été payée. Les demandeurs soutiennent que les incohérences concernant la date d’achat de la propriété agricole sont sans importance et que la SPR a commis une erreur dans son appréciation du contrat de vente. Ils font valoir que, bien qu’ils aient fourni un contrat de vente légitime et authentique, la SPR a soulevé des préoccupations déraisonnables quant à savoir si les contrats immobiliers sont exécutés de la manière décrite par le demandeur principal dans son témoignage. Les demandeurs affirment que les deux lettres des avocats confirment que l’enregistrement définitif du contrat n’a lieu qu’une fois que l’acheteur a effectué le paiement intégral, ce qui concorde avec le témoignage du demandeur principal et répond à la question de la SPR quant au déroulement des ventes de terres.

[33] De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a formulé en termes généraux et vagues sa demande de preuves selon lesquelles le processus de vente de terres en Égypte se déroule ainsi que le décrit le demandeur principal. Par conséquent, la SPR a eu tort de n’accorder aucun poids aux lettres des avocats, puisqu’elle n’a pas précisé quelle information elle recherchait en ce qui concerne le contrat de vente.

[34] En outre, les demandeurs soutiennent que la SPR a eu tort d’accorder peu de poids aux photographies de la terre. La SPR a eu la possibilité d’interroger les demandeurs pendant l’audience au sujet des photographies pour obtenir l’information qu’elle souhaitait avoir, mais elle ne l’a pas fait. La conclusion tirée par la SPR impose un fardeau impossible aux demandeurs, car il est difficile de savoir quels éléments de preuve ils auraient pu obtenir pour prouver que les photographies sont bien celles de la terre qui leur appartient. Les demandeurs contestent également l’inférence défavorable tirée par la SPR concernant le nombre d’arbres que compte la terre, car la transcription de l’audience fait ressortir un échange qui porte à confusion.

[35] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence défavorable à partir des incohérences entre le contrat de vente et les témoignages. Il soutient qu’il ressort clairement de la transcription que l’incohérence troublante réside dans l’affirmation du demandeur selon laquelle le contrat a été signé et finalisé en 2017, même s’il était daté de mai 2015. Le défendeur soutient que l'argument de la SPR selon lequel les demandeurs devraient présenter des éléments de preuve corroborants pour étayer l’explication du demandeur principal n’avait rien de vague.

[36] De plus, le défendeur met en évidence les incohérences concernant le nombre d’oliviers que comptait la terre. Bien que le demandeur principal ait inscrit dans son formulaire FDA que la terre comptait plus de 50 000 oliviers au moment où il l’a achetée, il a affirmé dans son témoignage qu’il s’était porté acquéreur d’une terre agricole désolée. Selon le rapport de police présenté par les demandeurs, la terre compte 6 000 arbres, et non pas 50 000. Il était raisonnable que la SPR tire une inférence défavorable des incohérences dans la preuve et des témoignages changeants. En réponse à l’argument avancé par les demandeurs selon lequel la SPR aurait dû demander de plus amples éclaircissements, le défendeur affirme que la SPR a donné au demandeur principal de nombreuses occasions d’expliquer la différence, mais que celui-ci ne l’avait pas fait de façon satisfaisante. Dans l’ensemble, le défendeur soutient que les incohérences se rapportant à la terre sont au cœur de la demande d’asile et qu’il était donc raisonnable que la SPR tire une inférence défavorable à cet égard.

[37] Je suis du même avis que le défendeur. La SPR a eu raison de tirer une inférence défavorable des incohérences concernant l’achat de la propriété agricole, ainsi que du témoignage du demandeur principal. Lorsque la SPR a confronté le demandeur principal au sujet des incohérences se rapportant à l’achat de la terre, celui-ci a déclaré qu’il s’en était porté acquéreur, en fait, en 2015, en tant qu’investissement, mais qu’il avait ensuite décidé de la garder en 2016 et qu’il en avait acquitté le prix en totalité en 2017. Cependant, selon un contrat de vente préliminaire, daté du 15 mai 2015, le montant total a été acquitté. Le demandeur principal a expliqué que lorsqu’il a payé le montant total, en 2017, un nouveau contrat avait été généré, sur lequel figurait la date d’achat initiale, mais indiquant que le montant total avait été acquitté. La SPR souligne ce qui suit dans sa décision :

Il a été demandé au demandeur d’asile principal s’il avait des éléments de preuve démontrant que c’est ainsi que les transactions immobilières sont effectuées en Égypte. Le tribunal souligne que les demandeurs d’asile ont présenté deux documents émanant d’avocats en Égypte pour la deuxième séance de l’audience relative à leur demande d’asile. Une des lettres dit que les transactions immobilières ne sont pas enregistrées tant que le paiement intégral n’a pas été reçu. La seconde lettre vient d’un autre avocat en Égypte. Cette lettre mentionne qu’une procuration ne serait délivrée qu’après le paiement du plein montant du prix de vente et que le document de vente fourni porte sur la parcelle que les demandeurs d’asile prétendent avoir achetée. Le tribunal constate qu’aucun renseignement n’a été fourni pour démontrer qu’un nouveau contrat serait produit une fois le paiement complet effectué ou que le nouveau contrat comporterait toujours la date de 2015 même si le paiement complet a été effectué en 2017. Par conséquent, le tribunal accorde peu de poids aux lettres puisqu’elles n’établissent pas que le contrat et la procuration confirment le témoignage du demandeur d’asile principal. Le tribunal tire également une conclusion défavorable des divergences entre les documents et le témoignage du demandeur d’asile principal.

[38] J’estime que la SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable des divergences entre les documents en preuve et les témoignages. Je crois également qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids aux lettres des deux avocats et de conclure que celles-ci n’étayaient pas l’affirmation des demandeurs selon laquelle les transactions immobilières en Égypte se déroulent de la manière décrite par le demandeur principal. Les lettres des deux avocats ne corroborent pas le processus décrit par le demandeur principal, soit qu’après le paiement intégral de la terre, un nouveau contrat est généré, contenant la date d’achat initiale, mais indiquant que le montant total a été payé. Il n’est pas mentionné dans les lettres qu’un nouveau contrat contiendrait encore la date de 2015, même si le paiement a été effectué en 2017. Même si le contrat préliminaire ou la procuration avaient été délivrés de nouveau en 2017, une fois que le paiement intégral est effectué, il était raisonnable que la SPR conclue que les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve démontrant que les transactions immobilières se déroulent de cette façon.

[39] J’estime également que la SPR a raisonnablement conclu que les photographies avaient peu de valeur probante, étant donné que rien ne permettait d’établir le moment et l’endroit où elles avaient été prises, ni si les demandeurs étaient propriétaires de la terre figurant sur les photographies.

[40] Même si je conclus que la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable à partir de la preuve incohérente concernant le nombre d’arbres que compte la terre, qui semble découler d’un échange portant à confusion intervenu pendant l’audience et d’une erreur de traduction dans le rapport de police faisant état d’un nombre inexact d’arbres que comptait la terre, je ne conclus pas que cette erreur mineure rend la décision de la SPR déraisonnable dans son ensemble. Globalement, j’estime que la SPR n’a pas eu tort de tirer des inférences défavorables quant à la crédibilité eu égard aux multiples incohérences dans la preuve concernant la terre.

(2) Agent de persécution

[41] La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que leur agent de persécution était un officier de haut rang de l’armée. Elle a fondé sa conclusion sur le témoignage changeant et évasif du demandeur principal au sujet de l’agent de persécution et sur le fait que celui-ci n’avait pas été en mesure d’expliquer clairement qui est l’agent de persécution, dans quelle composante de l’armée il exerçait ses fonctions ou comment il avait obtenu l’information qu’il a fournie à la SPR.

[42] Les demandeurs font valoir que, dès le départ, le demandeur principal a clairement indiqué que l’agent de persécution était son voisin Mostafa et les forces de sécurité égyptiennes, et qu’il a clairement affirmé qu’il ne savait pas à quelle composante du gouvernement appartenait son voisin, mais qu’il avait connu Mostafa, au fil du temps, parce qu’ils étaient voisins. Il est difficile de savoir pourquoi la SPR a conclu que ces éléments n’avaient pas été formulés clairement. Les demandeurs soutiennent également que la SPR a eu tort de rejeter le témoignage du demandeur principal concernant les menaces proférées par Mostafa et l’inaction de la police, et qu’elle n’a pas concilié la preuve crédible présentée par les demandeurs avec ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. La SPR a eu tort de leur reprocher de ne pas avoir tenté d’obtenir la preuve que Mostafa était un officier de haut rang de l’armée, puisqu’une telle preuve n’aurait pas pu être raisonnablement obtenue.

[43] De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a déraisonnablement rejeté le témoignage du demandeur principal au sujet de son arrestation et accordé un poids important à la preuve objective sur la situation dans le pays. La remise en question par la SPR de l’arrestation du demandeur principal était entièrement fondée sur un renvoi à des documents sur la situation dans le pays décrivant la tenue vestimentaire des forces de sécurité lors des arrestations, formulé en ces termes : [TRADUCTION] « […] les agents procédant aux arrestations portaient rarement des uniformes distinctifs, à l’exception parfois des membres vêtus de noir des Forces centrales de sécurité, et aucun ne portait d’insigne ou d’insigne nominatif ». La SPR a également insisté à tort sur l’imprécision du témoignage de la demanderesse associée au sujet de la visite effectuée par les forces de sécurité.

[44] Le défendeur soutient que le témoignage du demandeur principal au sujet de l’agent de persécution était vague et changeant; en particulier en ce qui concerne le grade de Mostafa dans l’armée et la façon dont il avait appris que Mostafa était dans l’armée. Les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle Mostafa était un militaire de haut rang, et ils n’ont pas mis en évidence le moindre élément qui contredise la façon dont la SPR a interprété le témoignage du demandeur principal. Leurs arguments ne font donc qu'exprimer un désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR. Par conséquent, la SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable du fait que les demandeurs n’ont même pas tenté d’obtenir des éléments de preuve pour corroborer leur allégation selon laquelle leur agent de persécution est un officier militaire de haut rang.

[45] Le défendeur souligne que la SPR a tiré une inférence défavorable du fait que les demandeurs n’ont pas fait d’efforts pour obtenir de tels éléments de preuve, et non de l’absence de ces éléments de preuve. Il en va de même pour l’absence de preuve de la part des demandeurs pour corroborer les dommages causés à la maison de la mère du demandeur principal à la suite de la visite de la police. Enfin, le défendeur soutient que la SPR n’a pas eu tort de conclure que la description de la police faite par le demandeur était incompatible avec la preuve documentaire et de tirer une inférence défavorable du témoignage incohérent de la demanderesse associée au sujet de la tenue que portaient les agents de la sécurité de l’État lorsqu’ils se sont présentés à son domicile.

[46] Ici encore, je suis d’accord avec le défendeur. La SPR a demandé aux demandeurs de produire des éléments de preuve corroborants pour étayer leur allégation et pour établir que leur voisin Mostafa était un officier de haut rang dans l’armée égyptienne. Le demandeur principal a déclaré qu’il serait difficile d’obtenir ce genre d’information et, lorsqu’on lui a demandé s’il avait tenté de trouver cette information, il a répondu que cela serait [traduction] « impossible même s’il essayait de le faire ». Étant donné qu’il incombe aux demandeurs d’établir les éléments de leur demande d’asile, il était raisonnable de la part de la SPR qu’elle tire une inférence défavorable de leur absence d’efforts pour obtenir des éléments de preuve permettant d’établir l’identité de leur agent de persécution. Je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs quand il affirment que la SPR n’a pas concilié la [traduction] « preuve crédible » avec ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que les demandeurs auraient pu présenter des preuves pour corroborer leur récit de l’attaque perpétrée contre la maison de la mère du demandeur principal et des prétendus dommages causés par la police.

[47] J’estime que la SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable quant aux incohérences dans le témoignage du demandeur principal et quant au témoignage changeant de la demanderesse associée au sujet de la tenue portée par les policiers lorsqu’ils se sont présentés au domicile des demandeurs. Je ne crois pas que la SPR a écarté le témoignage du demandeur principal concernant son arrestation. De plus, la SPR a raisonnablement relevé des incohérences entre le récit du demandeur principal sur la tenue portée par les agents qui ont procédé à son arrestation et la preuve relative à la situation dans le pays selon laquelle les agents qui procèdent aux arrestations portent rarement un uniforme distinctif.

[48] Bon nombre des arguments avancés par les demandeurs ne font qu'exprimer un désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR. Il incombe aux demandeurs de fournir une preuve suffisante à l’appui de leurs allégations. Comme l’a souligné le défendeur, la quasi-totalité des incohérences et des contradictions relevées par la SPR ont trait à des questions qui sont au cœur de la demande d’asile présentée par les demandeurs : le fait que la terre appartient au demandeur, l’identité de l’agent de persécution et les prétendues menaces proférées et descentes effectuées par les autorités étatiques. Compte tenu de la preuve dont disposait la SPR et des incohérences et contradictions qu’elle a relevées, je conclus que la décision de la SPR est justifiée au regard des faits et du droit et qu’elle est donc raisonnable (Vavilov, au para 85).

V. Conclusion

[49] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3207-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3207-21

 

INTITULÉ :

ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM, ASMAA MOHAMED ZEIN ALI, MOHAMED ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM ET BYSLAM ABOUZAID MOHAMED ABDELHAMID IBRAHEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Moe Mahdi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mahdi Weinstock LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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