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Date : 20221201


Dossier : IMM-8158-21

Référence : 2022 CF 1651

Ottawa (Ontario), le 1 décembre 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

FLORIANE PAYO NGANDEU

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Floriane Ngandeu, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 octobre 2021 par la Section d’appel des réfugiés (SAR), rejetant sa demande d’asile. À l’instar de la Section de la protection des réfugiés (SPR), la SAR conclut que la demanderesse n’est pas crédible et que les documents déposés en preuve visés à la recherche par les autorités camerounaises dont elle serait la cible ne sont pas authentiques.

I. Contexte

[2] La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle craint d’être arrêtée, torturée et tuée par les autorités advenant un retour à son pays en raison de ses opinions politiques imputées.

[3] Bref, la demanderesse allègue être interpellée par les policiers alors qu’elle couvrait une manifestation antigouvernementale à Yaoundé à titre de journaliste le 26 janvier 2019. Deux jours plus tard, les policiers se sont présentés à son domicile avec une convocation, mais elle était absente. La demanderesse a donc cessé de travailler et s’est réfugiée chez une amie en banlieue de Yaoundé. Les policiers se sont revenus à son domicile à trois autres reprises et y ont remis un deuxième avis de convocation le 7 février 2019.

[4] Le 7 juin 2019, la demanderesse a quitté le Cameroun et s’est rendue aux États-Unis. Un mois plus tard, elle est entrée au Canada et y a demandé l’asile.

[5] Le 2 juin 2021, la SPR rejette la demande d’asile au motif que la demanderesse n’est pas crédible. Bien que la demanderesse ait établi qu’elle était journaliste au Cameroun, la SPR conclut qu’elle ne présente pas un profil de journaliste qui par ses écrits ou ses reportages pouvait constituer une cible pour les autorités camerounaises ni qu’elle serait recherchée pour cette raison.

II. La décision de la SAR

[6] La SAR affirme la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas généralement crédible quant au cœur de sa demande d’asile. La SAR estime que plusieurs arguments présentés par la demanderesse ne respectent pas son obligation de présenter des observations complètes et détaillées. Toutefois, la SAR traite les arguments les plus clairs ou ceux qui semblent se dégager du texte du mémoire d’appel.

[7] La SAR se penche donc sur deux questions déterminantes : celle de la crédibilité et la question de savoir si la demanderesse a établi une crainte ou un risque prospectif. Ses conclusions déterminantes sont les suivantes :

  1. Le fait de se déclarer satisfaite que la demanderesse soit journaliste en raison des documents soumis sans mentionner la preuve testimoniale au même effet ne démontre pas que la SPR a commis une erreur.

  2. La demanderesse ne mentionne pas des événements antérieurs à 2019 dans son formulaire FDA. Cependant, elle a témoigné lors de son audience qu’en 2012 elle a été prise à part par les policiers lors d’un reportage de nature politique. Bien que la demanderesse maintienne que ces événements ne sont pas importants et n’ont pas motivé son départ et sa crainte de retour à Cameroun, il s’agit d’omissions et de contradictions importantes qui diminuent sa crédibilité.

  3. La SPR a correctement conclu que la demanderesse n’a pas établi une crainte prospective bien fondée. La preuve documentaire ne démontre pas que le seul fait d’être journaliste suffit pour avoir une crainte bien fondée de persécution au Cameroun en raison d’opinions politiques imputées. La présence de la demanderesse aux abords d’une manifestation en 2019 est insuffisante pour établir qu’on lui impute des opinions contraires au régime.

  4. Les documents déposés par la demanderesse n’ont aucune valeur probante à la lumière de l’ensemble de leurs caractéristiques.

  5. La demanderesse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a tenu des propos politiques sur les ondes de la radio au Cameroun depuis le Canada en 2020 qui ont été portés à l’attention des autorités camerounaises.

III. Analyse

[8] La demanderesse soulève un certain nombre d’arguments en affirmant que la décision de la SAR est déraisonnable. En outre, la demanderesse faisait valoir dans son mémoire que la SAR a violé son droit à l’équité procédurale en omettant de considérer tous ses arguments invoqués en appel. Toutefois, lors de l’audience devant la Cour, la demanderesse indique que je devrais mieux considérer cet argument dans le cadre de mon évaluation du caractère raisonnable de la décision sous contrôle.

[9] La norme de la décision raisonnable est applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Chukwunyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 210 aux para 4-5).

[10] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). La révision de la décision ne s’agit pas non plus d’une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov au para 102). La Cour doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

[11] Après examen de la décision et du dossier, je ne peux pas souscrire aux arguments de la demanderesse.

[12] La demanderesse soutient d’abord que la SAR a déraisonnablement refusé de traiter tous ses arguments au motif que son mémoire et ses arguments ne correspondaient pas aux exigences du sous-paragraphe 3(3)(g) des Règles de la SAR, DORS/2012-257. Selon la demanderesse, ses arguments étaient clairs et faisaient référence aux erreurs commises par la SPR. De plus, elle reproche à la SAR son omission de préciser où se trouvent les problèmes dans ses arguments.

[13] En débutant son analyse, la SAR mentionne que les arguments présentés par la demanderesse n’étaient pas toujours clairs. La demanderesse reproduit certains passages de la décision de la SPR, de la preuve documentaire et de la jurisprudence, mais les liens entre ces passages cités et les erreurs alléguées ne sont pas toujours identifiés. Néanmoins, la SAR reprend les arguments les plus clairs de la demanderesse et les traite de façon détaillée et méticuleuse. Il incombait à la demanderesse de démontrer des lacunes graves dans les motifs qui rendent la décision déraisonnable (Vavilov au para 100) et elle ne l’a pas fait. Elle n’identifie aucun exemple d’un élément important de ses arguments que la SAR a ignoré.

[14] La demanderesse soutient aussi que la SAR a erré en concluant que son défaut de mentionner les difficultés qu’elle a eues en tant que journaliste avant 2019 diminue sa crédibilité et contredit son témoignage.

[15] La SAR souligne le témoignage de la demanderesse voulant qu’en 2012 elle ait été prise à part par les policiers lors d’un reportage de nature politique, séquestrée plusieurs heures et menacée avant d’être relâchée. Elle a été traumatisée par ces événements. J’estime que la SAR a raisonnablement conclu que ces événements sont importants, car ils sont pertinents à sa persécution en raison de son métier comme journaliste :

Bien que [la demanderesse] insiste sur le fait que ce ne sont pas des événements importants qui ont motivé son départ et sa crainte de retour au Cameroun, j’estime au contraire qu’il s’agit d’omissions et de contradictions importantes pour plusieurs raisons. Cet événement peut servir à établir que son journalisme était de nature à déplaire aux autorités politiques depuis plusieurs années, et le fait qu’elle fut fichée par la police il y a déjà sept ans peut occasionner une motivation plus accrue de la persécuter après l’incident de 2019.

[16] L’omission de mentionner ses expériences dans son formulaire FDA, en plus de contredire son affirmation qu’elle n’avait jamais eu d’ennui avant 2019, diminue sa crédibilité (Occilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 374 au para 25). Je ne vois rien de déraisonnable dans les motifs de la SAR à la lumière de l’ensemble des circonstances de la présente affaire.

[17] La demanderesse conteste ensuite la conclusion de la SAR selon laquelle le seul fait d’être journaliste au Cameroun n’est pas suffisant pour démontrer une crainte de persécution bien fondée.

[18] La SAR conclut que la demanderesse devrait établir un profil particulier qui conduirait les autorités camerounaises de lui imputer des opinions contraires au régime. Selon la preuve documentaire, les journalistes qui sont ciblés par l’État sont les journalistes favorables à la séparation et ceux qui critiquent la gestion étatique de la crise linguistique. En revanche, la demanderesse fait référence à un rapport dans le Cartable national de documentation voulant que les journalistes fassent de l’autocensure et ne publie pas de reportages sur la question du fédéralisme ni sur toute question considérée comme défavorable au régime. Avec égards, j’estime que ce rapport ne contredit pas la conclusion de la SAR. Il était loisible de la part de la SAR de conclure que le simple fait que la demanderesse est journaliste ne suffit pas pour avoir une crainte bien-fondé de persécution en raison d’opinion politique imputée. Il lui incombait d’établir que certains de ces articles peuvent être considérés comme démontrant des opinions politiques contraires aux autorités.

[19] La demanderesse soutient que la SAR a erré dans son analyse des déclarations au sujet de la crise linguistique au Cameroun qu’elle a fait à la radio camerounaise lorsqu’elle était au Canada, mais j’estime que cet argument constitue essentiellement une invitation à réévaluer la preuve. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui lui serait favorable (Vavilov au para 125).

[20] Même en présumant que le document (le « Message Radio Porte ») qui raconte desdites déclarations est authentique, la SAR observe que la demanderesse devrait établir que les déclarations attireraient l’attention des autorités et que ces déclarations ont été portées à leur attention (Woldemichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 655 au para 33). Cependant, la SAR conclut qu’il n’y a aucune indication dans la preuve que les autorités ont eu connaissance de ses déclarations. À mon avis, les arguments présentés par la demanderesse à l’encontre de cette conclusion ne sont pas convaincants.

[21] Quant aux autres éléments preuve déposés à l’appui de la demande d’asile, la SAR identifie plusieurs problèmes atténuant la valeur probante des « Lettre[s] Convocation ». Elle considère tous les aspects de ces documents et énumère les erreurs et les différences entre les Convocations déposées et le modèle joint à la preuve documentaire (Mao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 542 au para 34). La demanderesse n’a relevé aucune erreur révisable dans l’analyse de la SAR.

[22] Pour conclure, la décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie. La demanderesse n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la décision et la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[23] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-8158-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8158-21

 

INTITULÉ :

FLORIANE PAYO NGANDEU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Aristide Koudiatou

 

Pour la demanderesse

 

Me Patricia Nobl

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aristide Koudiatou

Avocat ǀ Lawyer

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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