Date : 2020 20221125
Dossier : IMM-3274-20
Référence : 2022 CF 1624
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2022
En présence de monsieur le juge Pentney
ENTRE : |
NDIAYE GUEYE |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Ndiaye Gueye, a perdu son statut de résident permanent au Canada, parce qu’il n’a pas été présent pendant la période quinquennale précédente (les résidents permanents doivent être présents pendant 730 jours au cours de la période quinquennale précédente). Avant que son statut soit révoqué, le demandeur a présenté une demande de titre de voyage pour revenir au Canada et rejoindre son épouse et ses enfants (elle a quatre enfants issus d’un mariage antérieur, et le demandeur et son épouse ont eu un enfant ensemble), qui étaient venus au Canada pour demander l’asile.
[2] L’agent des visas a rejeté la demande de titre de voyage présentée par le demandeur à titre de résident permanent. La Section d’appel de l’immigration (SAI) a rejeté son appel. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, parce qu’il affirme que la SAI a commis une erreur dans son appréciation des difficultés auxquelles son épouse et son enfant feraient face s’il n’était pas autorisé à les rejoindre, ainsi que dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants touchés.
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je ne suis pas convaincu que la SAI a commis les erreurs de droit alléguées par le demandeur, et les autres arguments de ce dernier consistent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
I. Le contexte
[4] Le demandeur est né au Sénégal et y a vécu jusqu’à son arrivée au Canada, le 26 octobre 2010, à titre de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Il a quitté le Canada peu après son arrivée, parce que sa mère a subi un accident vasculaire cérébral le 15 novembre 2010. Ses frères et sœurs, tant au Sénégal qu’aux États-Unis, étaient incapables de s’occuper de leur mère.
[5] La santé de la mère du demandeur s’est améliorée en 2012, et il est retourné au Canada. Sa mère a eu un autre accident vasculaire cérébral en février 2012, et le demandeur est retourné au Sénégal pour s’occuper d’elle. Il n’est pas revenu au Canada depuis, bien qu’il se soit rendu en France (pour rendre visite à sa famille) ainsi qu’au Rwanda et en Côte d’Ivoire (à des fins professionnelles). Pendant que le demandeur effectuait ces voyages, sa sœur vivait avec la mère, dont la santé s’était améliorée après 2014.
[6] Le 18 mars 2018, le demandeur s'est marié avec son épouse actuelle (son mariage antérieur s’était soldé par un divorce). L’épouse du demandeur a quatre enfants d’un mariage antérieur, âgés de deux, six, dix et douze ans au moment de l’audience de la SAI. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle avait fui le Sénégal en juillet 2018, parce que son ex-époux avait menacé de soumettre leur fille aînée à la mutilation génitale féminine. Au moment où elle s’est enfuie, l’épouse du demandeur était enceinte de leur enfant.
[7] L’épouse du demandeur est arrivée au Canada en septembre 2018 et a présenté une demande d’asile. Le demandeur a présenté une demande de titre de voyage le 19 décembre 2018, parce qu’il voulait être avec son épouse quand elle accoucherait. L’enfant du couple est né le 12 janvier 2019. Le 3 avril 2019, un agent des visas a informé le demandeur que sa résidence permanente avait été révoquée, parce qu’il ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence. Aucun titre de voyage ne lui a été délivré.
[8] Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas auprès de la SAI. Sa demande d’assister à l’audience en personne a été rejetée. Le demandeur a présenté des documents à l’appui de son appel, et le ministre a présenté des observations écrites afin de s’opposer à cet appel. Le 27 février 2020, la SAI a tenu une audience sur l’appel. Le demandeur a participé par téléconférence et était représenté par un avocat qui était présent à l’audience. Dans sa décision rendue le jour de l’audience, la SAI a rejeté l’appel.
[9] La SAI a fait remarquer que le demandeur n’avait pas contesté la perte de sa résidence permanente, qui avait été révoquée parce qu’il n’avait pas été présent au Canada pendant la période quinquennale précédente. À la lumière de ce qui précède, la SAI a conclu que la demande d’asile du demandeur pour des considérations d’ordre humanitaire devrait être fondée sur des considérations très importantes pour pallier son manquement absolu aux obligations de résidence.
[10] La SAI a conclu que le degré d’établissement du demandeur au Canada était minime puisqu’il avait été brièvement présent au Canada et qu’il n’avait jamais tenté de se procurer un logement ou un emploi, ou de s’intégrer à la société canadienne. Ensuite, la SAI a examiné les conséquences possibles de la perte du statut du demandeur sur son épouse et les enfants au Canada. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils feraient face à des difficultés importantes si son statut était révoqué. Enfin, la SAI a examiné l’intérêt supérieur des enfants touchés et a conclu que ce facteur ne justifiait pas une dispense. Par conséquent, la SAI a rejeté l’appel du demandeur.
[11] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.
II. Les questions en litige et la norme de contrôle
[12] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la SAI est raisonnable. La contestation du demandeur est axée entièrement sur l’appréciation faite par la SAI des difficultés auxquelles feraient face son épouse et son enfant, ainsi que sur son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants touchés.
[13] La décision rendue par la SAI doit être examinée au regard du cadre d'analyse établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Suivant le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, le rôle d’une cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes »
(Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], au para 2).
[14] Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable »
(Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Société canadienne des postes, au para 33). Le cadre établi dans l’arrêt Vavilov vise à renforcer la « culture de la justification »
au sein de l’administration publique (aux para 2 et 14). Pour ce faire, il exige notamment des décideurs qu’ils tiennent compte des principaux arguments avancés par les parties (au para 125).
[15] Selon l’arrêt Vavilov, les conclusions de faits tirées par le décideur ne seront pas modifiées à la légère :
Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (citations omises, au para 125).
[16] Le type d’erreur de fait qui peut justifier la prise de mesures est précisé à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui dispose que la Cour peut prendre des mesures si elle est convaincue que le décideur :
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III. Analyse
[17] Le demandeur ne conteste pas les conclusions tirées par la SAI en ce qui a trait à son absence du Canada, ni son incidence sur la nature de la preuve qu’il devait présenter pour obtenir une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Pour dire les choses simplement, le demandeur reconnaît qu’il avait une côte abrupte à remonter en raison de son absence complète du Canada pendant la période quinquennale précédente.
[18] Le demandeur conteste plutôt l’appréciation qu’a faite la SAI des difficultés auxquelles lui, sa femme et leur enfant feraient face s’il n’était pas autorisé à venir au Canada et a fait valoir que la SAI a mis en doute à tort la nature de son mariage et a ignoré des éléments de preuve clés concernant les difficultés auxquelles son épouse était confrontée en tant que nouvelle arrivante au Canada. Il soutient également que la SAI a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants touchés. Ces arguments seront examinés successivement.
A. Les difficultés et la nature de la relation conjugale
[19] Le demandeur soutient que la décision de la SAI est déraisonnable, parce que la SAI a méjugé de manière injustifiée sa relation avec son épouse, a mis en doute à tort son témoignage en raison de l’absence de corroboration et a ignoré des éléments de preuve clés qu’il avait présentés. Le demandeur soutient que la décision de la SAI n’est pas intelligible et qu’elle est donc déraisonnable.
[20] Je ne suis pas convaincu.
[21] En ce qui concerne la nature de la relation, les arguments du demandeur portaient principalement sur les points suivants :
[22] Moment du départ du Sénégal de l’épouse du demandeur : elle a déclaré qu’elle avait fui le Sénégal peu après son mariage avec le demandeur afin d’empêcher son ex-mari de soumettre leur fille aînée à la mutilation génitale féminine. Elle a pu s’enfuir rapidement parce qu’elle avait un visa valide pour les États-Unis, alors que le demandeur a dû attendre avant de partir parce qu’il n’avait pas un tel visa. Le demandeur soutient que la SAI a remis en question à tort le moment du départ de son épouse. Je ne suis pas d’accord. La décision de la SAI mentionne le moment du départ de l’épouse, mais elle met l’accent sur le délai qui s’est écoulé avant que le demandeur présente une demande pour obtenir un titre de voyage. Son épouse est arrivée au Canada en septembre 2018, mais il n’a pas tenté d’obtenir un titre de voyage avant décembre 2018. La SAI a raisonnablement accordé un poids défavorable au temps que le demandeur a mis avant de présenter sa demande d’asile, car il s’agit d’un facteur qui remet en question son intention de venir au Canada de façon permanente pour être avec son épouse et les enfants.
[23] Statut de l’épouse au Canada : la SAI a souligné que la demande d’asile de l’épouse du demandeur n’avait pas été tranchée à la date de l’audience. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une considération non pertinente. Je ne suis pas d’accord, car le statut incertain de l’épouse au Canada au moment de l’audience était pertinent en ce qui concerne l’appréciation globale de l’affaire. Quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas d’un facteur important dans la décision ou le processus de raisonnement de la SAI.
[24] Aide financière à l’épouse du demandeur et aux enfants : la SAI a pris en note que, selon son témoignage, le demandeur fournissait un soutien financier à son épouse et aux enfants, mais elle a également conclu que, selon la preuve, il n’avait fait que deux paiements. Le demandeur allègue que, sur ce point, comme sur plusieurs autres, la SAI a commis une erreur en remettant en question son témoignage en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborants. Je ne suis pas convaincu. La décision de la SAI est fondée sur la preuve, et elle avait des motifs de douter de la nature et du degré du soutien que le demandeur fournissait à son épouse et aux enfants, étant donné l’absence de preuve documentaire et l’absence d’une explication convaincante des efforts que le demandeur avait déployés pour obtenir ces documents. L’examen des éléments de preuve corroborants par la SAI est abordé plus en détail ci-après.
[25] Délai dans l’ajout du nom du demandeur à l’acte de naissance : la SAI a fait remarquer que l’épouse du demandeur n’a présenté une demande pour inscrire le nom du demandeur sur l’acte de naissance de leur enfant que plusieurs mois après avoir reçu l’acte pour la première fois. Le demandeur soutient que la SAI n’a pas tenu compte de son explication (selon laquelle les deux parents devaient être physiquement présents pour que les deux noms figurent sur l’acte de naissance) et qu’elle a commis une erreur en mettant en doute son témoignage en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborants. Il soutient que la SAI aurait facilement pu confirmer son explication en effectuant une recherche dans Internet après l’audience, et il renvoie à une pièce jointe à l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre du contrôle judiciaire qui confirme le témoignage de son épouse.
[26] Le défendeur s’est opposé à la preuve supplémentaire déposée par le demandeur, et je conviens que la preuve n’est pas admissible. Il est de jurisprudence constante que, sous réserve d’exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, le contrôle judiciaire se limite au dossier dont était saisi le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48). L’argument du demandeur selon lequel la Cour doit admettre cette preuve parce qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale doit être rejeté. La SAI a questionné le demandeur et son épouse sur ce point en particulier et a soulevé le point à nouveau lors des observations finales présentées par son conseil. Le demandeur a été avisé des doutes qu’avait la SAI, et son conseil n’a pas demandé la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve après l’audience. Le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale, et la preuve supplémentaire n’est pas admissible dans un contrôle judiciaire.
[27] Je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour la SAI de mentionner le retard accusé en ce qui concerne l’inscription du nom du demandeur sur l’acte de naissance de l’enfant. Il s’agit d’un élément de la trame factuelle que la SAI était tenue d’examiner, et le fait que son épouse n’a demandé d’ajouter le nom du demandeur sur le document qu’après que sa demande de titre de voyage a été rejetée est une considération pertinente.
[28] Billet d’avion de retour et réservation d’hôtel : la SAI renvoie à l'élément de preuve selon lequel le demandeur a acheté un billet de retour lorsqu’il a pris des dispositions pour se rendre au Canada au moment de sa demande et au fait qu’il a également réservé une chambre d’hôtel plutôt que de demeurer avec son épouse. Il soutient que la SAI a commis une erreur en ne prenant pas en compte l’explication donnée par le demandeur pour ces éléments, à savoir qu’il ne pouvait pas acheter un billet aller simple parce qu’il n'avait aucun statut au Canada, et qu’il était peu pratique pour lui de rester avec son épouse étant donné qu'elle et les enfants partageaient un petit appartement avec son frère et sa famille. Je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour la SAI de renvoyer à ces faits.
[29] La SAI souligne l’absence de tout élément de preuve corroborant l’explication relative à l’achat du billet. Puisque le demandeur n’a pas de liens avec le Canada, qu’il n’a pas passé de temps ici pendant la période quinquennale précédente et qu’il a des liens professionnels et personnels au Sénégal, la SAI avait des raisons de remettre en question l’intention du demandeur de rester au Canada, et le billet de retour est une considération pertinente à cet égard. La SAI mentionne la réservation d’hôtel et elle affirme qu’elle accorde peu de poids à cet élément dans l’appréciation globale du dossier. Même si je reconnaissais qu’il était déraisonnable pour la SAI de ne pas examiner l’explication donnée par le demandeur concernant la réservation d’hôtel, il reste que l’argument du demandeur sur ce point ne saurait suffire pour infirmer la décision.
[30] L’un des principaux arguments soulevés par le demandeur dans le contrôle judiciaire est les erreurs que la SAI aurait commises lorsqu’elle a mentionné l’absence de preuve corroborante. Il soutient que la SAI n’avait aucun fondement pour mettre en doute la crédibilité de son témoignage et qu’elle a commis une erreur en tirant des inférences défavorables en raison de l’absence de corroboration. Je ne suis pas d’accord.
[31] La Cour reconnaît depuis longtemps qu’il existe une présomption selon laquelle un témoignage sous serment doit être considéré comme fiable à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de sa véracité. Cette présomption est habituellement appelée le principe de l’arrêt Maldonado en référence à l'arrêt déterminant sur ce point : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1980] 2 CF 302 à la p 35, [1979] ACF No 248, (CA)(QL) [Maldonado]. Selon un corollaire de ce principe, exiger la corroboration en l’absence d’une préexistante « raison de douter »
du témoignage sous serment a pour effet d’invalider la présomption de véracité : Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au para 27 [Senadheerage].
[32] Cependant, la présomption établie dans l’arrêt Maldonado est réfutable, et pour déterminer s’il y a des raisons de douter de la véracité d’un témoignage sous serment, le décideur est tenu d’apprécier la crédibilité globale de la preuve d’une façon réaliste et pratique, en n’oubliant pas que l’expérience canadienne ne se traduit peut-être pas directement par ce qui est « normal »
ou « attendu »
dans d’autres pays (voir Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776; Al Dya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 901). Un arrêt de principe sur l’appréciation de la crédibilité en droit canadien, Faryna v Chorny, [1952] 2 DLR 354 (BC CA), souligne la nature pratique de l’appréciation et l’importance de l’ensemble des circonstances (à la p 357) :
[traduction] « Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un tel cas, il faut déterminer si le témoignage est, selon la prépondérance des probabilités, compatible avec celui qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit.
[33] En l’espèce, la SAI n’a pas commis d’erreur en mettant en doute la crédibilité du demandeur compte tenu de la nature globale de son exposé circonstancié, du fait qu’il n’a pas été présent au Canada même un seul jour pendant la période de son obligation de résidence, de la courte période qui s’est écoulée entre son mariage et le départ de son épouse du Sénégal, du fait qu’il ne semblait pas pressé de rejoindre son épouse et les enfants et de ses préparatifs de voyage qui n’indiquaient pas qu’il prévoyait un séjour de longue durée au Canada pour retrouver son épouse et les enfants. Compte tenu de ces faits, la SAI avait raison de demander au demandeur pourquoi il n’a pas fourni d’autres éléments de preuve concernant son soutien financier continu, pourquoi il y a eu un délai dans l’inscription de son nom sur l’acte de naissance et pourquoi il a acheté un billet aller-retour plutôt qu’un billet aller simple pour son voyage au Canada.
[34] Étant donné l’ensemble des arguments, et après avoir pris connaissance de la décision de la SAI à la lumière des circonstances de l’affaire et de la preuve au dossier (et de la preuve qui ne figurait pas au dossier), je ne suis pas convaincu que l’appréciation faite par la SAI des difficultés est déraisonnable.
[35] La SAI a clairement compris les faits pertinents et les difficultés auxquelles font face l’épouse du demandeur et les enfants. Je suis d’accord avec le défendeur quant à l'affirmation selon laquelle la décision de la SAI de rejeter l’appel du demandeur garderait en grande partie le statu quo, compte tenu de la courte période où ils avaient vécu ensemble, de la preuve selon laquelle le demandeur a tardé à aller rejoindre son épouse et les enfants au Canada, des questions entourant la nature et le degré du soutien financier qu’il fournissait, et de la situation dans son ensemble. Cette analyse rend compte de l’application par la SAI du droit pertinent aux faits au dossier, et son raisonnement sur ces points est clairement exprimé et justifie la conclusion à laquelle elle est parvenue. C’est ce qu’exige la norme de la décision raisonnable.
B. L’intérêt supérieur des enfants
[36] Le demandeur allègue que l’analyse par la SAI de l’intérêt supérieur des enfants est tout à fait déficiente. Il affirme que la SAI n’a pas tenu compte de l’élément essentiel de sa demande d’asile, soit que la perte de son statut aurait une incidence négative sur les enfants, parce qu’il ne serait pas en mesure d'aider ces derniers et son épouse.
[37] Je ne suis pas convaincu.
[38] Le demandeur affirme que l’analyse faite par la SAI des facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant était marquée par les doutes qu'elle avait au sujet de sa relation avec son épouse. Je me suis penché sur ces observations précédemment, et il n’est pas nécessaire de répéter cette analyse. En somme, la SAI a raisonnablement tenu compte des faits qui entourent la relation et de l’évolution de la situation par la suite, ce qui était raisonnable parce que ces faits étaient mentionnés dans le dossier et que ce facteur était pertinent en ce qui concerne la demande d’asile du demandeur.
[39] Le demandeur soutient que la SAI n’a pas dûment tenu compte des difficultés importantes auxquelles a fait face son épouse à son arrivée au Canada, notamment des difficultés à trouver un logement, de la possibilité restreinte de travailler en raison de ses responsabilités parentales et du fardeau supplémentaire de prendre soin d’un nourrisson en plus de ses devoirs envers ses quatre autres enfants. À la lumière de ces éléments de preuve, il prétend qu’il est impossible de comprendre comment la SAI a pu conclure que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas sa demande de revenir au Canada.
[40] Je ne suis pas d’accord. Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le raisonnement de la SAI est fondé sur son appréciation du statu quo, et bien que la SAI ait accepté et reconnu les difficultés auxquelles font face l’épouse et les enfants du demandeur au Canada, elle a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne l’emportait pas sur le manquement du demandeur à son obligation de résidence. Il ne faut pas oublier que, sur ce point, le demandeur admet qu’il avait une côte abrupte à remonter en raison de son manquement absolu à son obligation de résidence pendant la période quinquennale précédente.
[41] La SAI a accepté le témoignage de l’épouse à l’égard des diverses difficultés auxquelles elle avait fait face pour trouver un logement et un emploi rémunéré en raison de ses responsabilités parentales. Le tribunal a reconnu que l’épouse avait le fardeau supplémentaire de s’occuper d’un nouveau-né, en plus de ses quatre autres enfants. Il ne fait aucun doute que la SAI était au courant de tous ces faits, et sa décision montre qu’elle en a tenu compte dans le cadre de son analyse.
[42] De plus, il ne fait aucun doute que la SAI a également soupesé d’autres éléments de preuve, notamment : la courte période pendant laquelle le demandeur et son épouse ont vécu ensemble au Sénégal, le temps que le demandeur a mis avant de les rejoindre, elle et les enfants, après leur arrivée au Canada et l’absence de preuve d’un soutien financier ou autre fourni par le demandeur. Il s’agit de considérations pertinentes pour ce qui est d'apprécier les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur des enfants, et il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve. La SAI a manifestement compris la situation de l’épouse, mais elle a conclu que les facteurs de l’intérêt supérieur des enfants ne l’emportaient pas sur d’autres considérations de manière à ce qu'il soit justifié d'accorder une dispense. Il s’agit d’une analyse raisonnable fondée sur la preuve, même si un autre décideur pouvait tirer une autre conclusion.
[43] Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision, même après avoir entendu les arguments du demandeur au sujet de l’analyse faite par la SAI de l’intérêt supérieur des enfants.
IV. Conclusion
[44] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[45] Les arguments du demandeur doivent être rejetés, parce que ce dernier demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce que ne permet pas l’arrêt Vavilov. Dans l’ensemble, le raisonnement de la SAI tient compte des principes juridiques qui régissent la demande du demandeur, tels qu'ils ont été appliqués aux principaux faits présentés en preuve. Le raisonnement qui a mené la SAI à rejeter l’appel est suffisamment clair et compréhensible. C’est tout ce qu’exige la norme de la décision raisonnable.
[46] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3274-20
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
« William F. Pentney »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claudia De Angelis
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3274-20 |
INTITULÉ :
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NDIAYE GUEYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 16 mai 2022 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE PENTNEY |
DATE DES MOTIFS :
|
Le 25 novembre |
COMPARUTIONS :
Richard Wazana |
Pour le demandeur |
Leila Jawando |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wazana Law
Avocats
Ottawa (Ontario)
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Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |